Novembre
2025
HERAULT : APRES
L’INCENDIE, LA FORET SE RECONSTRUIT
Perrine MOUTERDE
(Le
Monde - Vendredi 3 octobre 2025)
Sur les
zones sinistrées, l’ONF expérimente de nouvelles essences plus résistantes au
changement climatique
Un
agent de la défense de la forêt contre les incendies, à Frontignan (Hérault),
le 30 septembre. GUILLAUME BONNEFONT/IP3 PRESS/MAXPPP
REPORTAGE
FABRÈGUES
(HÉRAULT)
envoyée spéciale
Que deviennent les forêts
une fois qu’elles ont brûlé ? Le jour d’après, ou le surlendemain, elles
ressemblent à cette parcelle du massif de la Gardiole à proximité du col de la
Tortue, sur la commune de Fabrègues (Hérault). Des pins parasols carbonisés aux
troncs d’un noir profond. Des taillis de chênes verts aux houppiers roussis.
Et, déjà, du chêne kermès (une espèce d’arbuste) vert vif qui repousse sur le
sol calciné. Ici a eu lieu le deuxième incendie le plus important de 2025, il y
a trois mois. Le 5 juillet, il a parcouru 270 hectares, coupant quelques heures
l’autoroute A9, entre Narbonne (Aude) et Orange (Vaucluse).
«
Il est parti très
vite et très fort, se souvient Armand Aninat,
coordinateur défense de la forêt contre les incendies à l’Office national des
forêts (ONF). Un feu de cette ampleur aussi tôt dans la saison, c’est
marquant. » Au total, près de 20 000 hectares de forêt ont brûlé en
France depuis le début de l’année, dont plus de la moitié (11 300 hectares) au
cours du seul incendie de l’Aude, début août. « Sans ce feu-là, nous
sommes en dessous des moyennes nationales historiques malgré les conditions
climatiques défavorables cet été », précise Christophe Chantepy, expert national défense de la forêt contre les
incendies.

Créer des
« îlots d’avenir »
Près du col de la Tortue,
la priorité est aujourd’hui de sécuriser les lieux, très fréquentés
d’ordinaire, et pour cela de ramasser le bois mort. Celui-ci doit être récolté
par des exploitants locaux qui vont l’utiliser pour alimenter des chaudières
collectives. Et après ?
Il y a quelques
décennies, cette forêt est née de la volonté de l’État. De 1963 à 1983, la
mission interministérielle d’aménagement touristique du littoral du
Languedoc-Roussillon, baptisée « mission Racine », vise à développer
l’économie de la région. Six villes balnéaires (dont La Grande Motte et Le Cap
d’Agde) et des infrastructures de transport voient le jour. Des espaces verts
sont également créés, sur d’anciennes zones agricoles et de pastoralisme. « L’État
a investi pour créer des paysages forestiers pour accueillir le public et les
touristes », résume Julien Carette, technicien forestier à l’ONF
À La Gardiole,
différentes essences sont plantées, dont des pins parasols et des pins d’Alep.
Ces derniers se régénèrent naturellement après les incendies : le feu fait
fondre la cire qui ferme les côtes dans lesquels sont stockées des graines, qui
tombent alors sur le sol brûlé, dépourvu de végétation. Sans concurrence,
l’essence recolonise en général rapidement la zone. Les pins parasols, en
revanche, ne réagissent pas de la même façon. Faudra-t-il en replanter là où
ils ont disparu ? À quoi ressemblera cette parcelle dans les prochaines
années ?
«
On va
apporter
un vert différent,
tester des
essences que l’on
n’a pas l’habitude
de croiser à tous
les carrefours »
G
GUYLAINE ARCHEVÊQUE
directrice de l’agence ONF
Hérault-Gard
Des éléments de réponse
se trouvent quelques kilomètres plus loin. Dans le même massif, 310 hectares,
dont une centaine gérée par l’ONF, ont été détruits par un incendie le 18 août
2024. Ici, les stigmates de la catastrophe sont en partie effacés. Seuls
quelques arbres carbonisés ont été conservés en l’état, notamment pour étudier
comment se décomposera leur bois. Tout autour, il y a un sol à nu et tous les
arbres qu’on ne voit plus, car ils ont été explosés. « Avant tout était
boisé, on ne distinguait pas le fond du vallon », raconte Julien
Carette en désignant les collines qui lui font face. Outre la récolte du bois
mort, de la végétation a été broyée sur place pour supprimer les traces noires
témoignant du passage du feu. Les chênes verts ont été aussi coupés à ras du
sol, ce qui va leur permettre de repartir de la souche. Surtout, des discussions
ont eu lieu pour préparer la suite, notamment avec les élus locaux – une partie
de la zone étant une forêt communale.
Sur un peu moins de 3
hectares, l’ONF prévoit ainsi de créer, à l’automne 2026, des « ilots
d’avenir » constitués d’essences encore très peu présentes en France et
censées être adaptées au climat futur. Sur l’un des versants seront plantés des
arganiers (essence originaire du Maroc) et des caroubiers. Sur l’autre des
chênes afarès (Afrique du Nord) et des pins des Canaries. L’objectif n’est pas
de remplacer les essences locales mais plutôt d’expérimenter.
« C’est surtout pour
contribuer à la connaissance, explique Julien Carette. On
va voir si ces essences s’adaptent à nos latitudes et surtout quel sera le
rendu paysager. »
« On va apporter un
vert différent, on va tester des essences que l’on n’a pas l’habitude de
croiser à tous les carrefours et on va voir si on peut faire quelque chose à
partir de la caroube et de l’argan, ajoute Guylaine
Archevêque, directrice de l’agence ONF Hérault-Gard. Réintroduire des essences
produisant des fruits susceptibles d’être valorisés est un rappel du passé
agricole du secteur. » Pour créer ces îlots, l’ONF doit encore
récolter des graines, produire des plants. Et espérer, ensuite, que les plantations
réussissent, malgré les aléas climatiques.
Sécheresses
et canicules
Le chapitre suivant de
l’histoire d’une forêt brûlée se lit encore un peu plus loin à l’intérieur de
la montagne de la Gardiole, où une quarantaine d’hectares ont été incendiés le
31 juillet 2014. Après quelques années, la régénération naturelle n’ayant pas
donné les résultats escomptés, l’ONF a effectué des plantations de différentes
essences (robinier faux acacia, frêne à fleurs, chêne vert, pin pignon et pin
d’Alep) sur 5 hectares. Mais en raison de sécheresses successives, leur taux de
réussite n’a été que de 30 %. Finalement, une décennie plus tard, la
régénération naturelle a pris le dessus et un peuplement suffisamment dense est
en train de se reconstituer.
Sur les parcelles
incendiées récemment, qui sont d’anciennes plantations peu diversifiées, l’ONF
n’envisage pas aujourd’hui de planter à grande échelle. « Les incendies
modifient le paysage mais ça fait partie de la forêt méditerranéenne, rappelle
Julien Carette. C’est la récurrence des feux qui peut être
dommageable. » Si les incendies sont dans leur très grande majorité
d’origine humaine, les sécheresses et les canicules, de plus en plus fréquentes
et intenses en raison du réchauffement, favorisent leur éclosion et leur
propagation. ■