« UNE ENERGIE NON FOSSILE A L’HEURE
DE LA CRISE CLIMATIQUE »
Article paru dans Le Monde du 29 octobre
2024
ANAËL MARREC
historienne des techniques au Centre
François-Viète (Nantes Université), est spécialiste des alternatives et des
conflits énergétiques contemporains.
À quand remontent les débuts de l’énergie solaire ?
À
la fin du XIXe siècle. L’énergie solaire trouve ses premières
applications comme moteur dans un contexte d’industrialisation et d’expansion
coloniale. Tout au long du XIXe siècle, les puissances industrielles
ont conscience que le charbon va s’épuiser. Dans certaines colonies où le
charbon est absent et le soleil abondant, des ingénieurs vont alors tester des
machines solaires. En Algérie, Augustin Mouchot
expérimente des moteurs de 1877 à 1880 grâce au soutien du gouvernement
français. En 1890, Charles Tellier, prône une « conquête pacifique de
l’Afrique occidentale par le soleil ». De telles expérimentations sont
aussi menées dans l’Empire britannique – en Inde dans les années 1880, en
Égypte au début du XXe siècle.
Les révolutions
«énergétiques » sont indissociables de transformations sociétales
profondes.
Le
charbon, justement, a opéré une rupture cruciale. Cette substance n’est rien
d’autre que de l’énergie solaire stockée dans les sous-sols, grâce à des
millénaires de fossilisation des matières végétales. Au Royaume-Uni, à l’époque
victorienne, elle a été libérée en un temps restreint pour actionner les
machines, permettant la montée en puissance de l’empire. Dès lors, la
production d’énergie est devenue un impératif civilisationnel. Les élites de
ces pays ont développé une obsession pour ce combustible, qui a fini par
dominer les bilans énergétiques. Il a marqué les imaginaires et les paysages
avec les mines, chemins de fer, usines centralisées, les pollutions. À partir
de la fin du XIXe siècle, l’électricité et le pétrole façonnent
d’autres rapports à l’énergie, fondés par l’organisation des flux dans les
grands réseaux. Mais le phénomène est cumulatif : le fait d’utiliser
l’électricité et le pétrole ne s’est aucunement traduit par un renoncement au
charbon.
Comment s’inscrit la révolution
du solaire au regard de cette histoire des énergies ?
L’énergie solaire offre la possibilité d’une énergie non
fossile à l’heure de la crise climatique. Mais elle ne porte pas en elle-même
un projet politique ni une organisation socio-économique. Sans remise en
question de la croissance énergétique, l’industrie solaire ne fera que
poursuivre la trajectoire extractive de l’économie fossile. Rappelons que le
premier moteur solaire était une machine à vapeur de substitution, elle
s’inscrit donc en premier lieu dans l’imaginaire fossile et en l’occurrence
colonial.
Mais
à l’inverse, dans les années 1970, les mouvements écologistes y voient une
alternative aux énergies fossiles et nucléaires qu’ils associent à la
technocratie, au colonialisme et à la destruction de l’environnement. Depuis
les années 1990, ce sont les entreprises énergétiques et leurs réseaux
alimentés par les énergies fossiles et nucléaires qui se sont emparées des
énergies renouvelables. On reste alors dans une logique d’accumulation, même si
le solaire voit sa place augmenter dans le « mix » énergétique. ■
Propos recueillis
par Marjorie Cessac