Février 2025
CÉLIBATAIRES À 50
ANS et fières de l’être
Ségolène BARBE
Article paru dans
Psychologies de Mars 2025
Elles sont de
plus en plus nombreuses à revendiquer le droit de vivre enfin pour
elles-mêmes ! Une nouvelle aventure pas toujours bien acceptée par les
autres, qui nécessite parfois un travail sur soi et une bonne dose
d’adaptabilité
°°°°°°°
Au cinéma Briget Jones1,
désormais veuve et mère de deux enfants, cherche à nouveau l’amour à l’âge de
52 ans. Dans la réalité aussi, le célibat n’est plus réservé aux trentenaires
et concerne aujourd’hui neuf millions de personnes de plus de 50 ans (Insee,
2023). Un âge qui symbolise souvent un nouveau départ, notamment pour les
femmes, deux fois plus nombreuses qu’il y a vingt ans à divorcer après la
cinquantaine2,
revendiquant alors souvent le désir de vivre enfin pour elles-mêmes. « Nos
50 ans, malgré les galères, nous ouvrent de nouvelles perspectives, assurent
ainsi les journalistes Valérie Trierweiler et
Constance Vergara, autrices de C’est pour une amie ! Manuel à l’usage
des quinquas (Les Arènes, 2024). Les enfants sont élevés, nous les
regardons partir en songeant aux vingt dernières années passées à rechercher
l’utopie de la mère parfaite, de la femme idéale, de l’employée modèle, mais
aussi avec l’irrésistible désir d’un rendez-vous avec nous-mêmes. »
LIBÉRÉES
Les quinquas
d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec celles d’hier. « Depuis
que Simone de Beauvoir se regardait dans le miroir à 40 ans en écrivant :
"La vieillesse m’aura. Elle m’a3",
nous avons gagné vingt ans d’espérance de vie, ce qui est énorme, rappelle la
psychanalyste Charlotte Montpezat, autrice des Flamboyantes (Équateur,
2023). Mon hypothèse, c’est que ces vingt années se sont rajoutées non à
la fin de la vie mais plutôt vers l’âge de 50 ans, où s’ouvre un nouvel
espace-temps plein de possibles, où nous sommes encore en pleine possession de
nos moyens physiques et intellectuels, avec des enfants plus autonomes et une
vie professionnelle qui nous permet de rester en prise avec la
modernité. » Dans cette décennie, les femmes font le deuil de leurs règles
– un moment parfois douloureux psychologiquement – mais se libèrent aussi
d’autres règles. « On connaît mieux son corps, on peut profiter d’une
sexualité libérée de la pression de l’enfantement et fondée uniquement sur le
plaisir, poursuit Charlotte Montpezat. On est souvent plus en paix avec
soi-même, moins dépendante du regard de l’autre, moins soumise aux diktats de
la mode ou du corps parfait. »
Certaines n’ont jamais vécu en couple mais
sont soulagées de ne plus vivre avec la pression d’une éventuelle famille à
fonder, d’autres découvrent le célibat pour la première fois de leur vie après
de longues années de vie conjugale et maritale… et posent alors un nouveau
regard sur elles-mêmes, . « Pendant toutes ces
années, je me sentais écrasée par la charge mentale, avec l’impression de ne
pas faire bien. C’est en étant célibataire que j’ai redécouvert l’estime de
moi, raconte Léa, 53 ans, mère de trois enfants et mariée pendant vingt-cinq
ans. Je me suis rendu compte que je n’avais besoin de personne, que j’étais
capable de prendre les bonnes décisions par moi-même. » Pour Jean-Paul
Mialet, psychiatre et auteur de Sex æquo,
le quiproquo des sexes (Albin Michel, 2011), hommes et femmes ne vivent pas
du tout leur célibat de la même manière à la cinquantaine. « Les femmes
ont mangé leur pain noir avant, elles ont déjà donné et n’ont plus forcément
envie de s’engager avec un homme ; les hommes, eux, ont peut-être une
dépendance affective plus importante, un besoin d’être rassurés en partageant
leur vie à nouveau. » Si 37 % des hommes célibataires souhaitent
former une nouvelle union à la cinquantaine, ce n’est le cas que pour 24 %
des femmes au même âge4. Ce
qui ne les empêche pas de rester séduisantes, de garder une vie intime et
amoureuse, parfois au bras d’hommes plus jeunes.
STIGMATISÉES
Bien sûr, pour les
femmes, le vieillissement lié au corps (rides, kilos supplémentaires, cheveux
qui grisonnent…) peut-être plus difficile à vivre car plus stigmatisé
socialement. Dans les années 1970, la féministe américaine Susan Sontag5 expliquait déjà à quel point le
vieillissement est loin d’être neutre du point de vue du genre : les
hommes y gagnent une valeur ajoutée (charme, pouvoir, réussite
professionnelle…), alors que les femmes, d’abord perçues en fonction de leur
physique, sont davantage soumises à l’injonction du rajeunissement et
dépréciées par l’avancée en âge.
Elles sont aussi plus discriminées sur le
marché de l’emploi et vivent très fréquemment une baisse de revenus
lorsqu’elles se retrouvent seules à la cinquantaine. « Quand on a divorcé,
mes enfants sont restés vivre chez leur père car je n’avais pas les moyens de
les loger, se souvient Iris, 55 ans. Ils étaient déjà grands et ça n’a pas duré
longtemps, mais je l’ai tout de même mal vécu. »
Dans une société où le couple reste la norme,
il faut aussi gérer le regard des autres et apprendre à s’assumer seule.
« Beaucoup de quinquas célibataires me racontent qu’elles ne sont pas
invitées dans les dîners, souvent perçues par les autres femmes comme des
rivales, ce qui n’est pas du tout le cas pour les hommes », commente
Jean-Paul Mialet.
Pas facile non
plus d’entendre régulièrement les conseils pseudo-bienveillants de l’entourage
et les petites phrases du style : « Ne t’inquiète pas, tu vas
retrouver quelqu’un rapidement. » « Je vois des amis qui s’inquiètent
sincèrement de me savoir seule. Certes, cela part d’un bon sentiment, mais
pourquoi une telle alarme ? Parce que vivre seule est synonyme de
solitude ? Célibat ne veut pas dire isolement. Et l’on peut très bien se
sentir isolée en étant en couple », rappelle la journaliste Delphine Apiou dans Être une femme périmée, tu sais, c’est pas si facile (Denoël, 2022).
QUE REPRÉSENTE POUR
SOI L’ÉPANOUISSEMENT ?
S’AGIT-IL DE RÉALISER
LES RÊVES QU’ON A
LAISSÉS DE CÔTÉ
A 20 ANS ? OU
D’ACCOMPLIR
D’AUTRES ?
● ANNE-LAURE BUFFET, PSYCHOTHÉRAPEUTE ●
ENGAGÉES
Dîners de filles,
nouvelles activités… Le célibat incite souvent à reconstruire sa vie sociale, à
développer davantage ses amitiés, parfois à changer de mode de vie en
investissant des réseaux solidaires qui permettent de faire des économies tout
en créant de nouveaux liens. « De la même manière qu’on rencontre beaucoup
plus de monde en voyageant seule qu’en partant en couple, les gens osent
davantage venir vers vous lorsque vous êtes célibataire, assure Charlotte
Montpezat.
Bien sûr, il faut aussi avoir la curiosité
nécessaire pour saisir ces opportunités, sortir de sa zone de confort et donner
un nouvel élan à sa vie, ce qui suppose parfois un travail sur soi pour se
reconstruire. « Dans mes consultations, je vois beaucoup de femmes qui ont
été victimes de relations toxiques et qui ont peur de retomber dans les mêmes
schémas. Elles ont souvent du mal à profiter pleinement de leur célibat, qui
représente plutôt pour elles une échappatoire et une fuite en avant »,
analyse ainsi la psychothérapeute Anne-Laure Buffet, autrice de Ces
séparations qui nous fait grandir (Eyrolles, "Poche", 2024).
Pour bien vivre son célibat à la
cinquantaine, il faut, selon elle, se libérer non seulement des entraves
extérieures – le regard des autres, les stéréotypes sociaux – mais aussi des
freins intérieurs qui nous empêchent d’avancer et de faire confiance à nouveau
à la vie. « Il est important de s’interroger sur ce que représente pour
soi l’épanouissement, poursuit la psychothérapeute. Est-ce qu’il s’agit de
réaliser les rêves qu’on a laissés de côté à 20 ans ? Ou d’en accomplir
d’autres ? À 50 ans, on peut s’éclater en partant en voyage ou en passant
de super soirées, mais l’épanouissement se construit sur le temps long :
il suppose un engagement dans des activités qui font sens pour nous. »
« Cet épanouissement prend parfois un peu de temps, à un âge où on sait
que l’avenir n’est pas infini. « 50 ans n’est pas un âge tendre mais il
peut être un âge puissant, conclut Charlotte Montpezat. On sait qu’il faut
réaliser ses projets sans attendre, ce qui donne aussi un coup de boost à la
vie, une sorte d’urgence à s’accomplir. » Seule ou accompagnée, mais en tout
cas bien avec soi-même. ●
1. Briget Jones : folle de lui de Michael
Morris, en salle depuis le 12 février essais,
2 et
4. : Source : « La hausse des ruptures et des remises en couple
chez les cinquante ans et plus », Anne Solaz, Population
& Sociétés, février 2021.
3.
Simone de Beauvoir dans La Vieillesse (Gallimard, Folio essais, 2021.
5.
Susan Sontag dans « The double standard of aging »,
The Saturday Review, 1972.