Mai 2022
TDAH, TROUBLE DE L’ATTENTION AVEC OU SANS
HYPERACTIVITE CHEZ L’ADULTE
Lilas PEPY
Reproduction d’un article paru dans Le Monde du 29
Mars 2022
Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
(TDAH) toucherait 2,5 % des adultes. Anxiété, dépression, addiction,
précarité, le TDAH et ses comorbidités affectent pourtant toutes les sphères de
l’existence. Faute de moyens et de formation des professionnels de santé, le
parcours diagnostique est laborieux et la prise en charge insuffisante
En février 2021, Rachel apprend qu’elle souffre d’un
trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). C’est un
soulagement pour l’employée de Pôle emploi. « Je n’étais pas
dingue », affirme-t-elle dans un sourire pendant que sa main gauche
malaxe un accessoire antistress. « J’ai vécu trente-cinq ans avec la
sensation que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, ça me torturait, confie-t-elle.
Le diagnostic a changé ma vie et ma perception de moi-même. » En
parallèle de son bilan, Rachel met des mots sur ses difficultés en calcul
(dyscalculie), en orthographe (dysorthographie), et à coordonner ses gestes ou
à les planifier (dyspraxie). « On estime qu’entre 25 % et
30 % des personnes souffrant d’un trouble “dys”
ont un TDAH associé », détaille Anne Claret-Tournier, psychiatre et
responsable de la consultation TDAH adulte au sein du service psychiatrique de
l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris).
Le TDAH concernerait 5,9 % des
jeunes et 2,5 % des adultes selon la Déclaration de consensus
international de la Fédération mondiale du TDAH, qui est basé sur plusieurs
méta-analyses pour formuler ses conclusions. « La triade classique des
symptômes cliniques est le trouble attentionnel et exécutif, l’hyperactivité et
l’impulsivité », précise la docteure Claret-Fournier. Comme d’autres
troubles du neurodéveloppement tels que l’autisme, il s’agit d’un trouble
spectral avec des intensités différentes, sans profil type – son repérage
arrive plus tard, chez l’enfant, lors de l’entrée à l’école primaire.
Les retentissements fonctionnels dans la
vie quotidienne sont variables et peuvent toucher aussi bien la sphère
familiale, professionnelle, que sociale. La frontière entre le normal et le
pathologique est fine : « On parle de trouble quand son impact
dans la vie de la personne devient significatif », explique Clémence Cabelguen, psychiatre au centre hospitalo-universitaire
(CHU) de Nantes.
En France, de nombreuses personnes
échappent au diagnostic. « Il y a une méconnaissance profonde du TDAH
par le grand public et les soignants, surtout chez l’adulte, commente la
docteure Cabelguen. Beaucoup considèrent qu’il
s’arrête à l’adolescence. » Le manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux, appelé « DSM », ne l’a d’ailleurs intégré pour
l’adulte qu’à partir de 2013. Les symptômes persistent pourtant après la
majorité chez deux tiers des patients. Quant à la Haute Autorité de santé
(HAS), ses premières recommandations sur le TDAH chez l’enfant à destination
des médecins des premiers recours- généralistes en tête – datent de 2014,
laissant plusieurs générations sans diagnostic pendant l’enfance. Le 8 mars,
l’association HyperSupers TDAH lançait à ce propos
une série de questions aux candidats à la présidentielle à travers des vidéos.
Dans la première, Nathan, 26 ans, les interrogeait, face caméra : « Comment
envisagez-vous de faciliter l’accès au diagnostic du TDAH adulte ? »
Les professionnels de santé et les
associations de patients dénoncent aussi de sérieux manques de moyens dans sa
prise en charge et une gestion trop légère du TDAH par les pouvoirs publics. « En
France, il persiste une position idéologique et un déni total du diagnostic du
TDAH, déplore Étienne Kammerer, ancien médecin généraliste et addictologue.
Beaucoup de professionnels sont anti-traitement, et le méthylphénidate – la
molécule active que l’on retrouve, par exemple, dans la Ritaline et qui peut
être prescrite dans le traitement du TDAH – a, à tort, une réputation
sulfureuse. » Depuis
peu, les modalités de prescription et de remboursement évoluent pour l’adulte.
Appétence
pour le danger
Les conséquences dans le quotidien des personnes
atteintes sont multiples. Rachel décrit un cerveau « jamais en
pause », qui lui cause une fatigue psychologique lourde. Sydney,
psychomotricien de 35 ans, n’a été diagnostiqué que l’année dernière.
Agitation, impulsivité, oublis fréquents et appétence pour le danger gênent sa
vie courante. « Quand j’étais jeune, je m’amusais à escalader les
immeubles ou à faire des rallyes sur la neige. » Sydney s’est fracturé
les doigts, le genou et les orteils. Le psychomotricien a une passion pour la
création d’entreprises, qu’il lance à ses frais et finit par liquider. « J’ai
été interdit bancaire à deux reprises en quatre ans », raconte-t-il.
Sans compter que certains comportements ne sont toujours pas adaptés en société
ou dans le milieu professionnel, comme le fait de couper la parole ou de finir
les phrases des autres, et peuvent mener à une forme de rejet.
« La présence du trouble double
les risques de développer des conduites addictives », ajoute l’addictologue Etienne Kammerer. Enfin, les
patients et les spécialistes décrivent une émotivité exacerbée qui peut
véhiculer une impression d’instabilité, bien que la dysrégulation émotionnelle
– très présente chez l’enfant également – ne soit pas un critère diagnostique
selon le DSM-5.
« Le modèle actuel du TDAH est
expliqué par un dysfonctionnement global des systèmes de régulation, indique la docteure Claret-Tournier. Les patients
éprouvent des difficultés à mettre des freins au bon moment. » La
fluctuation de la quantité de la dopamine dans le cerveau, médiateur du circuit
de la motivation et de la récompense serait l’une des hypothèses principales
pour l’expliquer. « Il faut la juste dose, détaille le professeur
Benjamin Rolland, psychiatre-addictologue aux Hospices civils de Lyon. S’il
y en a trop ou pas assez, la personne devient distraite ou dans l’incapacité de
mener une tâche dans la durée. »
L’origine du TDAH reste pour le moment
discutée. « L’héritabilité a été démontrée, rapporte néanmoins
Régis Lopez, psychiatre et spécialiste des troubles du sommeil au CHU de
Montpellier. Nous sommes dans un modèle à interactions entre des facteurs de
risque environnementaux pour 20 % et génétiques pour 80 %. » Les
recherches en génétique et en épigénétique n’ont pour l’heure pas permis
d’identifier de manière satisfaisante les gènes ou allèles impliqués.
Avec les années, les personnes porteuses
d’un TDAH développent des stratégies de compensation. « A mon arrivée
au collège, j’ai réalisé qu’en pratiquant le sport, j’étais moins agité et
anxieux », se souvient Sydney, qui finit par passer trente heures
hebdomadaires à faire de l’exercice. « Il suffit d’avoir un bon niveau
intellectuel, un certain encadrement familial ou d’avoir intégré les règles de
fonctionnement sociales pour n’avoir que peu de symptômes externalisés à la
majorité », ajoute la docteure Claret-Tournier. Après des années
d’efforts pour contenir son trouble, Sydney a cependant craqué et fait deux
burn-out en 2014 et 2015.
Le risque de ces tactiques plus ou moins
conscientes est de développer d’autres pathologies à l’âge adulte. Selon les
études scientifiques, plus de 50 % des adultes avec un TDAH présentent des
troubles anxieux, un tiers des dépressions et un quart des troubles de la
personnalité. « Entre 20 % et 30 % de mes patients souffrent
d’un TDAH », estime pour sa part Oussama Kébir, psychiatre et
addictologue au centre hospitalier Saint-Anne (Paris). Enfin, une méta-analyse
de 2018 estime que 26,6 % des personnes incarcérées souffrent d’un TDAH.
« Le stress et mes astuces me
faisaient tenir, comme préparer des mails types au bureau pour éviter les
fautes d’orthographe, détaille
Rachel. J’étais sur-organisée pour ne rien oublier. » Les femmes
auraient davantage une forme inattentive qu’hyperactive du TDAH et seraient
sous-diagnostiquées. Les études épidémiologiques chez l’enfant donnent un
rapport d’environ une fille pour trois garçons porteurs d’un TDAH : « C’est
probablement lié en partie au phénotype enseigné du trouble : on se le
représente davantage comme masculin », estime la docteure Cabelguen, qui suggère d’adapter les échelles diagnostiques
au genre.
« Les femmes se fatiguent
beaucoup plus pour faire illusion et en développent d’autres troubles :
alimentaires, dépression, perte d’estime de soi » ; ajoute l’addictologue Étienne Kammerer, également
animateur de la Coordination nationale TDAH adultes. Née en 2018 de la fusion
de plusieurs groupes de travail sur le TDAH, et soutenue par la Fédération
française d’addictologie, cette structure n’a pas attendu que les institutions
se saisissent du problème. Elle leur a fait parvenir un recueil de propositions
pour améliorer la prise en charge chez les adultes et leur faciliter l’accès
aux soins. Elle compte 130 cliniciens (médecins généralistes, pharmaciens…),
dont 50 % d’addictologues.
Les suivis du TDAH sont pluriels,
rappelle la docteure Cabelguen, qui pilote le groupe
de travail « structuration de la filière de soin » au sein de la
coordination : psychoéducation, thérapie cognitive et comportementale,
remédiation cognitive – une sorte d’entraînement pour « remuscler »
certains réseaux du cerveau touchant, par exemple, la concentration ou
l’inhibition – traitement médicamenteux selon les comorbidités, la sévérité des
symptômes et l’efficacité des autres traitements non médicamenteux. L’idée
n’est pas de faire disparaître le TDAH, mais bien « d’agir sur
l’intensité des symptômes et leur retentissement », explique-t-elle.
Les comportements d’adaptation à ce
trouble et les comorbidités peuvent rendre difficile son identification et entraînent
parfois un diagnostic erroné ou partiel. Le docteur Lopez insiste sur
l’importance d’un diagnostic différentiel : « Certains troubles du
sommeil, par exemple, sont des symptômes du TDAH, comme l’hyperactivité mentale
qui empêche de bien dormir, quand d’autres ne sont pas liés mais vont donner
des problèmes de concentration. » Il poursuit : « Il y a
enfin les vraies comorbidités. On a affaire à deux pathologies qui évoluent en
parallèle. La prise en charge de l’une ne fait pas disparaître l’autre. » La docteure Claret-Tournier
insiste : « L’anxiété est typiquement un symptôme aspécifique
qu’on retrouve dans d’autres pathologies comme la dépression. Il faut alors
faire une sorte d’autopsie mentale du patient et remonter à l’enfance. »
Les spécialistes et les associations de
patients dénoncent un manque de formation aux spécificités du TDAH de l’adulte.
Il n’existe pas d’enseignement obligatoire au TDAH au sein du tronc commun
d’internat de psychiatrie ou de médecine générale. Les seules formations certifiantes
récemment mises en place sont optionnelles, dispensées en ligne et d’une durée
de six heures, incluant d’autres troubles du neurodéveloppement. Quant aux
diplômes universitaires en psychologie, tout dépend du cursus et des facultés.
Consultations
engorgées
Ainsi, les professionnels s’y intéressent par goût
personnel ou selon leur patiente. Si quelques filières hospitalières de prise
en charge se sont montrées ici et sur le territoire – à Paris, Nantes, Lille,
Strasbourg, Bordeaux et Montpellier –, elles sont aujourd’hui engorgées malgré
les besoins, et les délais de prise en charge s’allongent : « Il y
a deux ans, il y avait six mois d’attente pour un diagnostic. Désormais, nous
sommes à plus d’un an », témoigne le psychiatre Sébastien Weibel, qui
propose une consultation consacrée au plus de 18 ans au CHU de Strasbourg
(Bas-Rhin).
« La communication sur le sujet augmente, se réjouit de son côté Christine Gétin,
présidente de l’association HyperSupers TDAH France. Nous
avons reçu 6 000 demandes d’aide en 2021, contre 4000 en 2020, et nous sommes
passés de 100 000 visiteurs par mois sur notre site d’Internet à 130 000. »
Un constat confirmé par la docteure Weibel, qui assure que le sujet est
davantage abordé durant les congrès de psychiatrie.
Reste que les filières de soin sont le
fruit de la débrouillardise de soignants volontaires et il n’existe pas à
proprement parler de centres experts pour le TDAH. » Il faut partager
les compétences en développant un réseau locorégional entre la ville et
l’hôpital, tout en s’appuyant sur des centres de référence », estime
la docteure Cabelguen.
Comme Rachel, Sydney a dû se résoudre à
consulter en libéral pour son diagnostic et échapper aux douze mois d’attente
annoncés. Il a la chance de vivre à Paris, où les praticiens compétents sont un
peu plus nombreux qu’en province. « Du fait de leur trouble, beaucoup
de patients n’ont pas d’emploi stable et donc les moyens financiers de
parcourir des centaines de kilomètres pour se faire soigner », rappelle
Étienne Kammerer, de la Coordination nationale TDAH adulte.
Le retard de la France dans la prise en
charge du TDAH chez l’adulte, et du TDAH en général, serait dû, d’après
plusieurs spécialistes, en partie à la place dans les formations universitaires
de la psychanalyse, qui rejette l’idée d’un trouble d’origine neurobiologique.
Et à la méfiance des médecins envers le méthylphénidate, molécule méconnue des
praticiens. En 2018, 87 079 patients étaient traités par la molécule, d’après
le rapport de la HAS sur le méthylphénidate de mars 2021, un chiffre
relativement bas au regard de la prévalence du trouble dans la société.
Depuis quelques mois, les pouvoirs
publics multiplient les initiatives. « Stratégie nationale autisme. Saisie
par le ministère des solidarités et de la santé, les associations de patients
et certaines sociétés savantes, la HAS préparent des recommandations de bonnes
pratiques pour le repérage, le diagnostic et la prise en charge du TDAH chez
l’adulte. Elles sont attendues pour 2023.
Formation
des médecins
Le TDAH et les troubles "dys"
ont été intégrés au Plan autisme, rebaptisé « Stratégie nationale autisme
et troubles du neurodéveloppement » en 2018 et doté d’un budget de 490
millions d’euros, tous troubles confondus. « L’un de nos axes
prioritaires est le repérage précoce, entre 0 et 12 ans, pour éviter la
situation qu’on connaît », assure Claire Compagnon, déléguée
interministérielle auprès du premier ministre et chargée de la mise en œuvre de
la stratégie. Qu’en est-il des adultes qui oint échappé
au diagnostic ? Claire Compagnon rappelle, entre autres, le déploiement de
la formation continue des soignants à ce : propos, coordonnée par l’Agence
nationale du développement professionnel continue (ANDPC) : « Grâce
à un budget de 22 millions d’euros, l’ANDPC va mettre en place des formations
gratuites et labellisées autour des troubles du neurodéveloppement d’ici trois
ans. »
De leur côté, les membres de la
Coordination nationale TDAH adultes –
dont le docteur Weibel et le professeur Rolland – ont pris les devants en
créant un diplôme interuniversitaire (DIU) intitulé « TDAH à tous les
âges » et accessible à tout moment de la carrière des professionnels.
Lancé l’année dernière en visioconférence, le DIU dispense une centaine
d’heures de cours et a été suivi par une cinquantaine de personnes.
Deux avancées majeures en ce qui concerne
le traitement médicamenteux sont à souligner. La prescription de méthylphénidate
est autorisée chez l’adulte depuis avril 2021, bien que son remboursement ne
soit toujours pas paru au Journal
officiel malgré le récent avis favorable de la HAS. Enfin, le lancement du
traitement n’a plus besoin d’être réalisé à l’hôpital. « Il y a eu un effet pervers à cette limitation de “primo-prescription
hospitalière : les médecins de la ville ne se sentaient pas
compétents », analyse la docteure Claret-Fournier.
A la fin de l’année 2021,
la sénatrice de l’Essonne Jocelyne Guidez (Union centriste) a déposé une
proposition de loi sur le sujet. Il imposait, entre autres, deux dépistages
obligatoires et gratuits du TDAH à 5 et 11 ans et le renforcement de la
formation de l’enseignement et des professionnels de santé. Mais elle a préféré
retirer son texte. « Les
propositions n’étaient pas forcément adaptées aux problématiques des familles
et aux spécificités des adultes », explique la sénatrice Annick Jacquermet (Union centriste), membre de la commission des
affaires sociales et désignée rapporteuse du projet. Preuve que le sujet est
loin d’être simple et que les auteurs concernés par le TDAH sont multiples. « Cela a néanmoins permis d’en débattre
et nous présenterons un nouveau texte à l’automne », promet-t-elle.
Mais
Étienne Kammerer, auditionné pour l’occasion, prévient : « Il faut avant tout relever le niveau
de formation des intervenants. Le repérage systématique n’est pas rentable et
risque d’être mal fait. Mieux vaut faire la publicité de cet acte de dépistage
auprès des professionnels – de l’éducation nationale, des médecins
généralistes, des personnels sociaux –, qui pourront en référer aux médecins formés. »
■
LILAS
PEPY
Une
addiction associée dans 30 % des cas
Q |
uand on demande à Sébastien
(le prénom a été modifié) ce qu’il fait dans la vie, il répond que, à 32 ans,
il essaie avant tout d’exister. Après des années d’errance et mal-être, on lui
a diagnostiqué un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
(TDAH) en 2021. Enfant turbulent à la scolarité chaotique, il se dit incapable
d’attendre son tour. « Je n’arrive
pas à me concentrer, ajoute-t-il. Je
peux décrocher au bout de dix secondes, même si la voix de mon interlocuteur
est captivante. »
Au
moment de commencer des études supérieures en philosophie, il trouve dans la
cocaïne une sorte de remède à ses maux. « Au
départ, ma consommation était festive, presque anecdotique, se
remémore-t-il. Mais, en quelques mois,
j’ai réalisais qu’elle me permettait de me poser et de
réviser mes cours. » Il finit par en prendre pour exécuter des tâches
banales, comme lire un livre. « La
vie était plus facile sous cocaïne », résume Sébastien, qui reconnaît
être tombé dans l’addiction en cherchant à « bricoler »
pour survivre.
« La prise de la cocaïne peut
sembler avoir un effet thérapeutique pour les consommateurs, en les calmant et
en leur permettant de se concentrer, ce qui est paradoxal au vu des effets
habituels de cette drogue, mais, au long cours, il est difficile d’en maîtriser
les retentissements et les personnes perdent le contrôle, explique
le professeur Benjamin Rolland, psychiatre-addictologue aux Hospices civils de
Lyon et professeur des universités à la faculté de médecine de Lyon-L. certaines substances ont un effet
dopaminergique. »
Régulation de la dopamine
La
cocaïne joue sur la captation de la dopamine, un neurotransmetteur qui permet
de se concentrer ou de lancer une action, et dont les concentrations seraient
trop basses chez les personnes avec un TDAH. Avec une action similaire sur la
régulation de la dopamine, le méthylphénidate – la molécule
active présente dans la Ritaline – peut être prescrit à doses thérapeutique
chez les personnes présentant ce trouble « avec
peu de risques addictifs », précise le spécialiste.
La
prévalence des addictions chez les adultes avec un TDAH varie de 10 % à 30 %
selon les études. Elles concentrent des substances (cocaïne, psychostimulants,
alcool, cannabis, tabac), mais aussi des comportements (jeux de hasard et
d’argent, écran, sexe). « Ces
patients sont vulnérable au moment de la rencontre avec les produits, car ils
sont moins sensibles à l’autolimitation », explique le professeur
Rolland. Certains adultes accumulent dettes et retards administratifs et
éprouvent une anxiété marquée. Dans ce cas, « la
consommation d’alcool ou de sédatifs peut calmer cette angoisse liée à la
saturation cognitive », poursuit le médecin. « Il y a aussi une recherche de récompense immédiate dans le
rapport à l’objet addictif », qui déclenche un shoot de dopamine,
ajoute la docteure Clémence Cabelguen, psychiatre au
centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nantes. Les personnes avec un TDAH
auraient une sorte de myopie pour le futur ou d’aversion pour le délai.
A
mesure que sa consommation augmente, Sébastien cumule symptômes dépressifs et
manque de sommeil. Il finit par avoir un épisode délirant aigu. « Je ne pouvais plus communiquer avec
qui que ce soit ni raisonner », témoigne-t-il.
Il est hospitalisé pendant plusieurs jours, et les diagnostics
s’enchaînent : trouble du spectre autistique puis schizophrénie. « J’ai accueilli cette nouvelle comme
un fardeau que je porterai toute ma vie », se souvient-il. Sébastien
est alors traité avec un antipsychotique, connu pour ses effets indésirables.
Le jeune homme prend 10 kg en quelques semaines et ressent une fatigue continue.
Pendant
les huit années qui suivent, il poursuit pourtant sa prise de cocaïne, qui
atteint 2 g à 3 g par jour. « C’était
le seul truc qui m’aidait », souffle-t-il. Il finit par changer de
psychiatre par un pur hasard, à la suite d’un mouvement des ressources humaines
de l’hôpital qui le prend en charge. Sa nouvelle spécialiste pose alors le
diagnostic de TDAH et lui prescrit du méthylphénidate. Très vite, il ne ressent
plus le besoin de consommer de la cocaïne. « Mes
soucis psychotiques étaient en réalité liés à la drogue et à ma
dépression », commente-t-il. La colère dans la voix de Sébastien est
contenue, mais il fustige son ancienne psychiatre restée « enfermée » dans son erreur de diagnostic.
« Quand un patient assure
prendre de la cocaïne pour se calmer, ce n’est pas banal », assure
le professeur Rolland, qui reconnaît s’être formé au contact de ses patients.
La formation classique d’addictologue aborde à peine le TDAH, notamment chez l’adulte,
tandis que les personnes atteintes représentent jusqu’à 30 % des consultations
en addictologie. « Quand on voit des
personnes durablement transformées avec le traitement, présentant une
diminution significative de l’anxiété, une disparition de l’usage pathologique
des substances, avec une réinsertion socioprofessionnelle durable, on se dit
que c’est idiot que certaines pratiques soient passés de côté, ou aient même
parfois refusé de le considérer », estime le professeur Rolland. « L’enseignement des spécificités du
TDAH doit impérativement être généralisé dans le cursus de formation à
l’addictologie », insiste le docteur Sébastien Weibel, psychiatre
addictologie au CHU de Strasbourg.
Première
avancée notable selon les associations de patients et les médecins, l’Agence
nationale de sûreté du médicament et des produits de santé (ANSM) a élargi la
possibilité d’initier un traitement à base de méthylphénidate aux pédiatres,
psychiatres ou neurologues de ville depuis septembre 2021. C’était alors
réservé aux praticiens hospitaliers de ces spécialités. « Cela devrait désengorger les consultations à l’hôpital », estime
le docteur Weibel, tout en rappelant que ses collègues en libéral sont également
débordés.
Modalités de prescriptions
De nombreux
professionnels déplorent cependant que l’ANSM ait écarté de sa décision les
addictologues, et notamment les médecins généralistes ayant cette compétence.
La coordination nationale TDAH adulte – un groupement autonomes de cliniciens
spécialistes du trouble – , associée à la Fédération
française d’addictologie, a saisi l’ANSM pour obtenir un assouplissement. Cette
habilitation ^pourrait figurer sur les recommandations sur la prise en charge
du TDAH chez l’adulte, futur chantier de la Haute Autorité de santé (HAS).
Enfin, les modalités de remboursement de la molécule – jusqu’ici non prise en
charge par l’Assurance-maladie – devraient évoluer.
Outre
le traitement médicamenteux, les approches thérapeutiques psychosociales
restent fondamentales en addictologie, comme le rappelle le professeur
Rolland : « Le processus de
réhabilitation consiste à aider le patient à retrouver des habitudes de vie
sociale diversifiées, des hobbies, de l’activité physique, des rythmes de vie
réguliers et protecteurs vis-à-vis de l’appel des produits. »
Sébastien
s’apprête à entamer une formation diplômante d’un an de « pair-aidance » : en partant de son expérience, il
accompagne des patients pris en charge au sein de structures consacrées à
l’addictologie. Visites à domicile pour aider aux tâches de la vie quotidienne,
échanges sur la qualité des soins, animation d’activités en hôpital de jour,
discussions informelles, les missions sont diverses. « Je serai le lien entre les patients et les équipes soignantes,
car je parlerai les deux langages », résume-t-il. Une étape que
Sébastien juge nécessaire à son propre rétablissement. ■
L.
P.E.