Mars
2022
LA SANTÉ MENTALE DES ÉTUDIANTS
Léa IRIBARNEFARAY et Christophe
TZOURIO
Article paru dans Le Monde
du Mardi 04 Janvier 2022
La santé mentale des étudiants très affectée par la crise
sanitaire
Selon une enquête menée à
l’université, 37% des interrogés présentent des troubles dépressifs.
Après
un tremblement de terre, les spécialistes s’inquiètent toujours des répliques,
susceptibles de provoquer un tsunami. Dans le cas de l’épidémie, à la suite des
confinements successifs qui ont fragilisé la santé mentale des étudiants,
psychiatres et psychologues voient surgir chez ces jeunes une vague de troubles
anxieux et dépressifs, de plus en plus difficile à contenir.
« Sur tout le territoire, on
commence à revivre la saturation de demandes de consultations psy qu’on a
connue en octobre 2020 », observe Laurent Gerbaud, président de l’Association des directeurs des
services de santé universitaire (SSU) et médecin directeur du pôle santé
handicap étudiants à l’université Clermont-Auvergne. « On est plein, plein, plein », lâche Christophe Serveur,
psychologue de la Fondation santé des étudiants de France, à Paris. « Les sollicitations sont
exceptionnellement élevées pour la période – entre 30 % et 50 % de plus que
d’habitude, déplore le professeur d’épidémiologie Christophe Tzourio, directeur de l’espace santé étudiants de
l’université de Bordeaux. Et cela ne
représente que la toute petite partie émergée de l’iceberg : ceux qui
savent que nos services existent et qui ont la capacité de faire ce geste
compliqué de demander de l’aide. »
Selon
la dernière enquête de l’Observatoire de la vie étudiante publiée en novembre
2021, à laquelle ont participé près de 5000 étudiants, quatre catégories
apparaissent particulièrement fragiles : les personnes en difficulté
financière (65 % présentent les signes d’une détresse psychologique), les
étrangers (53 %), ceux qui ont 26 ans et plus (53 %), et les femmes (48 %). Ces
fragilités, cependant, se traduisent par un faible recours à des structures
déterminées (dans 14 % des cas) et/ou à des professionnels de santé (pour 24 %
des étudiants). Seulement 4 % des étudiants sont allés dans les SSU et les
bureaux d’aide psychologique universitaire (BAPU) au cours des douze mois qui
précèdent l’enquête. Le « chèque psy », mis en place en février 2021,
qui donne droit à huit séances chez un psychologue en libéral sans avance de
frais, a été utilisé par 2 % des interrogés.
« Lourd impact des
confinements »
A
l’inverse d’un séisme, la crise sanitaire ne présente pas encore de date de
fin, d’où un scénario qui se répète et ne permet jamais d’entamer la
reconstruction nécessaire. « Chez
les étudiants, il y a un effet cumulatif et un effet retard, observe le
psychiatre Frédéric Atger, responsable du BAPU du 5e
arrondissement de Paris. Leurs troubles
sont plus sévères, les situations de décrochage également. »
A
une période-clé d’émancipation et de construction identitaire, les jeunes n’ont
pas pu sortir indemnes d’un isolement forcé, d’une longue période de cours à
distance et, pour certains, d’une plus grande précarité économique. Une étude
menée par des chercheurs de l’Inserm et de l’université de Bordeaux, publiée en
novembre 2021, confirme le « lourd
impact » des confinements sur la santé mentale des étudiants – population
déjà particulièrement vulnérable hors pandémie.
Sur
toute la période du premier confinement, 37% des étudiants ont déclaré des
troubles dépressifs (contre 20% des non-étudiants) et 27% des symptômes
d’anxiété (contre 17 %). Aussi, 13 % des étudiants ont rapporté des pensées
suicidaires (contre 8 %).
Les
écarts se sont croisés au moment du second confinement, pendant lequel plus de
la moitié des étudiants ont fait état de symptômes dépressifs.
« Les problèmes de santé mentale
des étudiants ne sont absolument pas derrière nous » : au contraire,
cela risque de s’aggraver », martèle Christophe Tzourio, coauteur de l’étude, qui s’inquiète d’une « forme de banalisation des
conséquences de l’épidémie dans les médias – au fond, tout le monde souffre –, alors que la jeune génération grandit dans
un contexte économique et environnemental qui entraine un stress massif,
collectif, que les générations précédentes n’ont pas connu. »
« LA JEUNE
GÉNÉRATION GRANDIT
DANS LE CONTEXTE
ÉCONOMIQUE
ET ENVIRONNEMENTAL
QUI ENTRAȊNE UN
STRESS MASSIF,
COLLECTIF »
Co-auteur de l’enquête
Depuis
la rentrée, le sujet semble avoir été oublié, absent du début de la campagne
présidentielle. « On a l’impression
que c’est le cadet des soucis des candidats… », souffle Frédéric Atger. En creux, les professionnels de santé mentale
rappellent le manque de moyens auquel ils continuent de faire face – malgré le
recrutement de 80 psychologues en équivalent temps plein dans les universités
et la mise en place du dispositif Santé psy étudiant (le « chèque psy »), prolongé jusqu’au 31 août 2022.
« Une perte de sens profonde »
La mauvaise nouvelle,
c’est qu’une partie des psychologues se retirent de ce dispositif, surchargés
de travail ou trop peu rémunérés (30 euros par consultation). « J’ai peur qu’ils ne jouent plus leur
rôle de soupape de sécurité, alerte Laurent Gerbaud.
Ils ne vont plus absorber les demandes
qu’on leur envoyait : on va se retrouver dans une situation de forte
tension. » Dans l’académie de Clermont-Ferrand, 43 % des psychologues
conventionnés ne reconduisent pas leur engagement en 2022.
David
Alglave, psychologue clinicien en libéral et au CHU
d’Angers, répète sans cesse : « Je
ne peux pas les lâcher. » Les étudiants représentent un tiers de sa
patientèle – avant la crise, il n’en recevait quasiment jamais. « Ils sont dans une perte de sens
profonde. C’est comme un tissu qui s’arrache : il faut du temps pour
recoudre, illustre-t-il. Cela touche
une population qui galère même pour manger et n’irait pas vers d’autres
dispositifs de santé. »
Sans
être forcément touchés par une maladie mentale, les étudiants semblent avoir
plus de mal à se projeter et à « fonctionner »
correctement. On n’est plus dans le
réactionnel immédiat, mais plutôt dans l’installation dans la crise, souligne
Christophe Ferveur. Cela signe des états
de fragilisation plus durable, et donc plus élevés. Plus on mobilise des
défenses pour faire face, plus on s’épuise psychiquement. Certains jeunes sont
proches de la ligne rouge à ne pas franchir. »
Un
phénomène qui se ressent dans les structures hospitalières. « On a vraiment beaucoup plus d’états
anxieux aigus, de conduites auto agressives – troubles addictifs,
scarifications, etc. – et de zestes suicidaires, avec de nombreuses raisons de
décompensation », indique le psychiatre Thierry Bigot, responsable
d’une unité d’hospitalisation qui accueille plus de 50 % d’étudiants, à
l’Hôtel-Dieu, à Paris. En plus de se multiplier, les séjours sont aussi longs
qu’avant. Un « après » qui n’en finit plus de trembler. ■