Janvier 2023

 

-LES NÉOVACANCIERS. - LA « VANLIFE » UNE AFFAIRE QUI ROULE. REPORTAGE

ÉRIC NUNÈS

Reproduction de la 1a première partie d’un article paru dans Le Monde d’Aout-Septembre 2022

 

Introduction

 

Les jeunes nomades sont de plus en plus nombreux à tracer la route au volant de leur van aménagé. Évasion, liberté, mobilité : trois mots qui font rêver et… tourner le business

 

Reportage

 

F

ace à la mer, sur la pointe de la cité d’Aleth, à Saint-Malo (Ile-et-Vilaine), Teresa et Mitchel invitent les danseurs à se déhancher sur des rythmes afro-cubains. Il fait chaud, la canicule cogne. Pour s’abreuver à la guinguette, une longue file de clients serpente autour d’une ancienne casemate, héritage du mur de l’Atlantique. C’est l’heure de la bière, des moules-frites et des galettes jambon-fromage. Degemer mat ! (« bienvenue ») au premier Breizh Vanlife Festival, une réunion d’aficionados des véhicules aménagés, une grande famille d’escargots qui portent, le temps d’un voyage, leur maison sur le dos. Trois jours durant, ces adeptes de la route vont échanger sur leurs expériences de vacances ou de vie à plein temps, à bord de leur drôle d’engin.

          En France, de tels nomades se comptent désormais à la pelle. Entre mars 2021 et mars 2022, 16 363 vans et fourgons neufs ont été immatriculés, un chiffre en hausse de 28,86 % par rapport aux douze mois précédents. Professionnels ou clients, tous les intervenants du secteur reconnaissent la même paternité au phénomène : les confinements des années 2020 et 2021. « Avant la crise due au Covid, nous étions des touristes lambda, avec une réservation, un billet de train ou d’avion, une destination, témoigne Juliette Andreau, 27 ans, juriste en reconversion et future naturopathe. La période de la pandémie nous a conduits à réfléchir à voyager autrement. » Tout change à l’été 2020, à la fin du premier confinement. « Nos amis avaient envie de loin, on s’est dit que le proche était cool, on a alors redécouvert la France dans une Citroën C3 aménagée pour le camping. »

Le compagnon de Juliette, Thibaud Hollender, 28 ans, ancien chef de projet de transformation numérique, aujourd’hui guitariste, poursuit : « L’impossibilité de bouger nous a encouragés à transformer notre mode de vie. Nous étions motivés par une quête de plus de simplicité, une forme de minimalisme. » Aujourd’hui, ils ont changé de catégorie, avec un  Volkswagen-California. Surface habitable : 6 mètres carrés pour eux deux et le chat, Bilbo. L’espace reste compté, mais il y a un lit, un coin cuisine, des toilettes chimiques et un réfrigérateur sur lequel est affalé Bilbo. « Nous consommons peu, assure Thibaud, nous ne produisons quasiment aucun déchet, nous avons un faible impact environnemental. » Un bémol, tout de même : la plupart des vans roulent au diesel.

          Des déplacements autonomes, des sauts de puce, mais avec un goût prononcé pour la liberté, rapprochent ces jeunes « vanifeurs ». c’est cette soif d’évasion qui a poussé Camille Montreff, 24 ans, étudiante en médecine, et Marc-Antoine Saulnier, 24 ans, ambulancier, à s’offrir un utilitaire à aménager. « Nous avons besoin de bouffées d’air » confient-ils, autrement dit de partir quand ils veulent et où bon leur semble, avec la garantie d’avoir un « toit sur la tête ». Ces jeunes « vanlifeurs » sont les héritiers des campingcaristes et caravanistes d’autrefois. « Le normadisme sur quatre roues a toujours existé, rappelle Philippe Colas, organisateur du Breizh Vanille Festival, mais arrive une génération bercée par de belles images partagées sur Instagram, de beaux vans posés en bord de mer. C’est devenu une mode. »

 

Un budget

 

Le ras-le-bol du confinement a accentué cette envie de mobilité et de liberté. Adeline Plais, 27 ans, assistante conductrice de travaux, a renoncé à la vie en appartement. Au volant de son Renault Trafic aménagé, elle parcourt désormais l’Hexagone au gré des contrats, avec sa chatte, Milla. « Je ne veux pas me retrouver fixée à un endroit, je ne veux plus me sentir bloquée. Ce qui remplit ma vie, c’est de me lever chaque matin dans un bel endroit que j’ai choisi. Avec juste ça, je me sens riche. »

          Mais si la liberté n’a pas de prix, le quotidien sur quatre roues en a un. Marc-Antoine et Camille ont déboursé 20 000 euros pour un fourgon Mercedes Vito d’occasion, qu’ils doivent encore équiper. Adeline a versé 3 000 euros pour son vieux Trafic, 8 000 euros de plus pour l’aménagement du véhicule. Quant à Thibaut et Juliette, le Volkswagen qu’ils louent juste pour le week-end est facturé 200 euros par jour. « Les prestations sont chères », reconnaît David Hernani, franchisé de la société Blacksheep, spécialiste français de la vente et de la location de vans aménagés.

          Une économie s’est vite mise en place pour satisfaire ces nouveaux nomades. Ainsi, au début des années 2010, ce même David Hernani était patron d’une entreprise d’installation de panneaux solaires. Quand l’État décide de suspendre les aides au photovoltaïque, la société périclite, puis ferme en 2015. L’entrepreneur embarque alors femme et enfants dans un road trip en camping-car à travers les Amériques. Il s ‘amuse, pratique le kitesurf sur le lac Titicaca avec son fils. Il galère, crève deux pneus dans un coin paumé de Bolivie, mais partage une aventure inoubliable avec les siens. L’année de césure achevée, il revient en France avec l’idée de se lancer dans la location et la vente de vans. Il ouvre une franchise sur le Grand Ouest auprès de Blacksheep, en 2017. Depuis, son entreprise double son chiffre d’affaires chaque année (637 000 euros en 2021). Il a créé cinq emplois en plus du sien.

          Après une expérience heureuse de location, l’étape suivante est souvent l’achat d’un véhicule et l’aménagement de celui-ci. Une occasion qu’a saisie Benoît Gilloteau. Gestionnaire dans l’immobilier, il constate, au milieu des années 2010, que la région des Hauts-de-France est vierge de tout aménageur. A Roberval, dans l’Oise, il lance L’Atelier du van. Cinq ans plus tard, l’entreprise réalise 500 000 euros de chiffre d’affaires et compte trois collaborateurs. Idem pour Guillaume Labasque, un routier devenu « aménageur ». En 2018, année de fondation de sa société Ouest Loc CamperVan, il avait eu une quinzaine de véhicules à réparer. Il en est désormais à vingt-cinq par an. « La demande est bien supérieure à ce que je peux produire », admet-il. Son confrère Benoît Ménard, créateur du Bigorneau à roulettes, affiche un carnet de commandes complet jusqu’au début de 2023.

 

Panneaux solaires et toilettes sèches

 

Pour aménager un petit véhicule, il est nécessaire d’avoir des équipements à l’échelle. C’est la niche dans laquelle s’est engouffrée la société H2R (quarante employés). A l’origine, elle fournissait des équipements pour bateau, mais elle a changé de cap. « Avec l’explosion du van et de l’autoconstruction, nous sommes devenus le Leroy Merlin du fourgon aménagé, plaisante Ronan Louet, un ancien marin, cogérant de H2R. Le van, c’est partir sans vraiment sortir de chez soi. Tu gardes un cadre de vie, de la sécurité. »

          Pour vivre ainsi, il faut prévoir l’essentiel (chauffage, réfrigérateur, four…), les éléments du quotidien que les « vanlifeurs » doivent essayer de loger dans leur mini chez-soi. D’où l’émergence de nouveaux marchés. L’électricité ? My-Shop-Solaire propose des panneaux sur mesure, condition sine qua non d’une réelle autonomie, sans épuiser la batterie. Les toilettes ? Alexandre Evrard, ingénieur des mines à Nancy, a profité du confinement pour créer un boîtier qui traite les urines et les rejette à l’extérieur « sous forme de brouillard ». Les piétons apprécieront ! Le dispositif pourrait toutefois sonner la fin des toilettes sèches, et de la corvée de vidange, ou encore de la recherche effrénée de lieux d’aisance publics… Car la « vanlife », c’est aussi l’inconfort, la promiscuité. Au point de passer de mode, un jour ? « Cela peut s’essouffler, admet Philippe Colas, un habitué du nomadisme sur roues. Vivre dans 6 mètres carrés sans toilettes, ni douche, beaucoup n’y arriveront pas. »