Sections du site en Octobre 2009 : Ajouts successifs d’articles -- Sujets
d’articles à traiter – Pour publier -- Post-Polio -- L'aide à domicile --
Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal
de compagnie -- Histoires de vie --
Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous
chercheurs -- Liens –
Le
webmestre.
RETOUR A LAPAGE D’ACCUEIL : CLIC AUTEURS, TITRES DE TOUS
LES ARTICLES : CLIC SYNTHESE GENERALE: CLIC
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
Vers une
insertion mutuelle entre personnes handicapées ou non
ACCOMPAGNER
ET SOIGNER n° 35-1998, pp 15-24.
Henri CHARCOSSET*, retraité
de Directeur de Recherches au CNRS (Chimie)
INTRODUCTION
Né dans une ferme, de parents cultivateurs. Atteint par la polio à 17 ans (épidémie de 1953), deux ans à l'hôpital Raymond Poincaré à Garches. Études scientifiques et carrière de chercheur au CNRS (chimie). Puis bénévolat inter-associatif depuis mon domicile sur des sujets de Recherche Insertion : Groupe Français d'Entraide Post-Polio ; Etude sur la vie associative depuis le lieu de résidence, comme moyen d'insertion sociale.
A
Garches, j'ai côtoyé des centaines de paralysés, polios surtout, le plus
souvent très jeunes, des accidentés, des personnes atteintes au plan
neurologique. J'y ai été hébergé en dortoir à 22 lits (tranche d'âge de 16 à 40
ans environ ; tous milieux socioprofessionnels représentés : paysan, avocat,
séminariste, etc ...). Le premier mois de séjour passé, tous ces membres
moteurs paralysés autour de moi, cela n'a jamais été ma passion première. Ce
qui m'intéressait fortement, par contre, c'était la grande variété de réaction
face à la paralysie de ces jeunes adultes autour de moi. C'est de là que vient
mon intérêt pour le handicap en tant qu'expérience de vie.
Il s'est développé
surtout à partir des années 80, avec la Classification Internationale des
Handicaps. On y trouve l'enchaînement : Cause -> Déficiences ->
Incapacités -> Désavantages. Les désavantages étant à compenser, d'où la
notion de handicap. Exemple : Accident -> Lésions de la moelle épinière
-> Incapacité de marcher et autres ->Désavantages évidents.
Plus récemment, ce modèle est apparu
utile au Secteur social. Exemple : Le chômage de longue durée. Cause :
Enseignement -> Déficiences dans les connaissances acquises ->
Incapacités (par exemple à calculer) -> Désavantages pour tenir un emploi
stable, etc..
Si un patient a de la température en permanence - ou
pendant des mois n'a aucune envie de vivre - ou encore n'a pas de quoi se
nourrir, se vêtir, etc.. cela ne peut pas favoriser une vie constructive un
tant soit peu conséquente. L'importance de ce modèle médical gagne donc à être
rappelée ici, en tout cas pour les handicapés neurologiques. La plupart
rapportent des phénomènes de douleurs et de fatigabilité, que l'aménagement de
la Cité et l'adoption d'aides techniques ne suffisent pas à compenser
totalement. Poursuivre la recherche médicale s'impose bien évidemment.
Mais un handicap sévère, relativement maîtrisé aux plans qui précèdent, n'empêche pas une vie intérieure, et l'influe. D'après le livre de Bertrand BESSE-SAIGE, tétraplégique par accident
…..
*22 av. Condorcet, 69100 Villeurbanne, France
depuis dix ans, «Le Guerrier Immobile» (référence 1) : «Mon intellect ...est sans doute le seul organe à mieux fonctionner depuis mon accident. Penser développe un recentrage en soi-même et une indéniable capacité à se situer et à s'organiser, mais est aussi un moment de disponibilité pour les autres et pour observer...».
Dans la vidéo-cassette d'Arlette LOHER
(référence 2), j'extrais un bout de témoignage de Christine (environ 25 ans),
infirme moteur cérébral (IMC), en fauteuil roulant électrique. Elle a une
élocution difficile et, en parlant à une de ses amies IMC, elle lui dit :
« c'est à se demander s'ils acceptent les handicapés... les valides, je me
demande comment ils voient le monde des handicapés... je me suis toujours posé
la question et je me la poserai toujours, même au niveau de ma famille. Je ne
suis pas un chat, un chien, je ne suis pas un animal... » Christine ne semble
pas avoir un niveau d 'éducation scolaire bien conséquent... qu'à cela ne
tienne, son raisonnement est bon. Elle a la potentialité de devenir une très
bonne collaboratrice pour la Recherche Insertion. La pratique - le travail
expérimental en somme - elle connaît, c'est sa vie. A un zeste de théorie, elle
serait tout à fait accessible.
A PARTIR DU MODÈLE MÉDICAL, AU-DELÀ ALLER
Le
handicap chronique, quand il nous atteint, est l'une des expériences de notre
vie... Vie s'oppose à mort; le paralysé par accident le sait très bien.
La
plupart des expériences de notre vie nous forment, nous valident et nous
dé-forment, nous in-valident ou vice-versa. De toute manière, l'être humain est
comme un amputé ; chaque jour qui passe le prive d'un de ses jours à vivre. Ces
amputations successives s'accompagnent d'un accroissement de sa valeur cumulée.
Prenons
l'exemple de nos études... elles nous forment, oui, nous dé- forment aussi ?
Surtout si elles sont longues, plus théoriques que pratiques ? Aucun de mes
ascendants directs n'a dépassé le niveau du Certificat d'études primaires ; ce
que j'ai à redouter par rapport à eux, c'est déjà une perte de bon sens. Ne
nous menace-t-elle pas tous, nous autres, les intellectuels ? Les côtés
négatifs du handicap, nous en traitons, sur- traitons parfois, les côtés
positifs nécessairement associés à ces expériences de vie particulières, nous
les ignorons... C'est sans doute que, je cite Henri-Jacques STIKER (référence 3),
«Il y a, au coeur de la volonté intégrative, l'esquisse d'un grand geste de
dénégation, d'effacement. On est ainsi tenté d'oublier la différence, tout
aussi bien que la souffrance et la spécificité de l'expérience. On peut re-
exclure de manière subtile, par indifférence. Ainsi le modèle du handicap se
heurte à des contradictions».
Une deuxième insuffisance qui
probablement résulte de nos études, se rattache à la spécialisation. On notera
que je raisonne pour l'insertion à la manière d'un physicochimiste dans un
laboratoire de recherches. Le point- clé c'est alors l'expérience, le
rattachement du résultat à faire avec les études réalisées dans le passé, la
projection qu'il y aura à en faire pour les travaux à venir. Comment
raisonnerais-je si, au lieu d'avoir «fait », maths-physique-chimie,
j'avais « fait » sociologie ? Autrement, c'est sûr... Je crois à
l'importance pour la Recherche Insertion, de l'interdisciplinarité poussée à
l'extrême, par rapport à celle que je pratiquais au CNRS quand je m'investissais
pour la recherche sur la Science des Charbons, et de celle d'un vécu concret du
sujet dont on traite. (A défaut : être très sensibilisé à la relation avec les
gens « en situation ». Je propose à
réflexion que le modèle médical- Cause -> Déficience -> Incapacité ->
Désavantages (sources de handicap) - puisse être appliqué à des situations non
pathologiques de notre vie courante. Exemple à titre exploratoire : le cas de
Christine. Tous les gens qui la considèrent comme un animal ne sont ni bêtes,
ni méchants ; ils sont non éduqués à ce que le handicap est, par manque
d'éducation familiale et scolaire, à savoir : déficience, incapacité et
désavantages par rapport à l'homme normal, supposé vouloir une société faite
pour tous.
Chacun
pourra s'exercer à ce genre de réflexion pour lui-même, pour, à partir de là,
au-delà aller... Tout le monde, un peu sensé, sera bien à peu près d'accord :
nous sommes tous des handicapés, avec la connotation positive à y rattacher
(possibilité de compensation, voire de dépassement).
LA OU LE HANDICAP EST ÉLÉMENT DE
QUALIFICATION
Exemples : Je cite ici des expériences personnelles, extraites de la littérature récente. Je reproduis d'abord un extrait de l'article de Florence CHOMARAT (référence 4), sourde, formatrice en langue des signes, responsable de l'Association « Créer des liens avec les Entendants », professeur spécialisé pour l'éducation des jeunes sourds : « En ce qui me concerne, il est clair, et l'évidence s'en impose à moi avec de plus en plus d'acuité, que rencontrer mes amis sourds et travailler avec des enfants sourds, m'est aussi essentiel que de respirer. C'est du même ordre : vital. Rencontrer mes amis Entendants, prendre place dans la Société à travers diverses activités, participe tout autant de mon équilibre personnel. Ainsi, je me promène et je traverse le pont au gré de ma fantaisie et des contraintes. Chaque rive m'est nécessaire. Je ne puis rester trop longtemps sur aucune des deux sans me sentir bientôt en manque de l'autre. Ceci est ma richesse mais c'est mon interrogation essentielle aussi, car je ne sais m'identifier ni à un monde, ni à un autre. J'appartiens fondamentalement aux deux ». On note le caractère totalement biculturel de l'auteur (handicapé avec engagement associatif, et autre). Un genre de formation vers lequel engager nos nouveaux handicapés, au niveau intellectuel où ils le peuvent, on s'entend.
Louise-Marie
AVRIL (référence 5) est paraplégique par accident depuis l'âge de 11 ans,
diplômée de psychologie, titulaire d'un doctorat. Elle exerce comme formatrice
de personnels, pour la vie autonome de personnes handicapées, auprès du GIHP.
Pierre BRUNELLES, paralysé polio et docteur en psychologie clinique, avance dans son ouvrage (référence 6) des considérations peu habituelles sur le travail de deuil pour vivre la paralysie : « Vouloir anéantir l'épisode biographique qui l'a rendu différent (le paralysé) est une gageure. Pire, ce serait une mutilation supplémentaire car on ne brise pas le fil qui relie un individu à son passé... Il n'y a pas de deuil à accomplir, de désirs anciens à refouler mais une personnalité à exprimer... »
L'auteur
ajoute : « S'il n'y a pas d'intégration sociale, les loisirs sont
impensables... L'occupation du temps libre, chez les personnes à mobilité réduite,
n'est pas sans poser des problèmes bien délicats, parfois bien cachés ».
L'avis, ici exprimé sur le travail de deuil, ne saurait faire référence plutôt
qu'un autre, sans doute. Le fait que l'auteur soit à la fois expérimentateur et
théoricien de son sujet, a son poids quand même. La situation est analogue dans
un laboratoire de physicochimie. Entre un chercheur théoricien du
fonctionnement d'un microscope électronique et un chercheur, qui, en plus, est
un expérimentateur patenté, il y a plus que des nuances.
Josiane
CRISCUOLO (référence 7) nous offre sa méditation ... Les personnes handicapées
crient: « Cette musique qui nous habite, nous voulons vous la faire
entendre. Alors, venez nous donner la main et vous saurez que nous ne sommes
pas une écharde plantée au coeur de la société mais la flamme de l'avenir ».
L'auteur, tétraplégique, dépendante du poumon d'acier pour les nuits, est
chercheur au CNRS (Lettres) et a un engagement associatif reconnu. Comment dire
? La personne handicapée est la flamme possible de l'avenir, la personne
valide, normale, n'existant guère. A l'orée du troisième millénaire,
pourrait-on réduire, en effet, la notion de validité, normalité, à des valeurs
d'une relative trivialité, telle l'autonomie pour les gestes de la vie
quotidienne ?
De
Bertrand BESSE-SAIGE, déjà cité (voir référence 8) : « Vivons
ensemble nos différences et faisons de nos handicaps un moteur ». L'auteur
a créé et dirige l'Institut « Vivre et s'adapter » (au handicap).
Avec Franck DUPREZ (référence 9), paraplégique par accident, nous voyons que sa
paralysie le qualifie pour la vente «d'outils d'indépendance» et aides
techniques.
Des
non-handicapés auraient-ils parfois à se situer comme handicapés par rapport à des handicapés reconnus
Oui, et alors : avantage ou inconvénient ? Avantage : le sachant, s'admettant
handicapé ouvre à vouloir compenser. Comment ? Ici, en s'assurant le concours,
la collaboration de handicapés reconnus.
L'ENFANT
HANDICAPE TEL L'ENFANT
HYPER DOUE
Ma réflexion va dans le sens de:
*Considérer
l'enfant handicapé (1) au même titre que celui qui est très doué pour les
disciplines sportives ou artistiques (2) ou bien pour les matières scolaires
classiques (3).
* Les préparer tous comme de futurs agents de production, à dominante respective :
1-
Produire du lien social, de la cohésion sociale.
2-
Nous procurer des plaisirs sains (exemple des champions de football et de
cyclisme sur piste, été 98).
3- Produire des biens et des services.
*
L'éducation est à pratiquer, tout autant que faire se peut, dans le milieu
scolaire habituel.
L'EDUCATION
SPÉCIFIQUE POUR L'ENFANT, ADOLESCENT, JEUNE ADULTE,
HANDICAPE
Au vu de son rôle potentiel prioritaire évoqué en (1) (créer du lien social), le handicapé jeune gagnera à acquérir une formation spécifique dans deux directions : - initiation théorique et surtout pratique à la vie associative vue au sens très large du terme. - initiation de base aux théories sur l'insertion, en vue de collaborer à leur progression. Pour ces enseignements, un rôle particulier revient aux Associations et autres Collectifs où des spécialistes des Sciences Humaines s'impliquent dans l'interface entre L'Université et tous les milieux des handicaps. Faire donc d'un handicap, qui n'a pas été choisi, certes, mais qui est, et cela pour le reste de la vie, une réelle qualification... laquelle n'exclut pas d'autres qualifications, bien au contraire.
1- Assimilation-Accommodation
Elle
aboutit, dans la tolérance, à une certaine forme d'acceptation résignée du
handicap. Elle conviendra souvent bien pour des handicaps acquis assez tard
dans la vie.
2- L'Insertion-Assimilation
Elle est d'inspiration anglo-saxonne; elle est sous tendue par l'idée que le handicapé serait comme les autres dans un environnement modifié. Modifier l'environnement pour le rendre accessible aux handicapés, très certainement oui... mais, (re)devenir comme les autres ? Qui sont ces autres ? Ne sont-ils pas tout simplement des handicapés qui s'ignorent ?
3-
Insertion-Adaptation réciproque
Elle
est d'inspiration italienne et centrée sur la reconnaissance de la différence
irréductible et la valorisation des forces qui coexistent dans tout individu.
L'image du handicapé, avec ses spécificités, y est intégrée à l'image de
l'homme. Elles débouchent sur un rôle actif du handicapé au sein d'une relation
d'aide réciproque. Comme le font remarquer Vincent BRUN et al (référence 10),
les trois modèles ne s'excluent pas mutuellement mais sont complémentaires.
Selon moi, sauf situation et cas d'espèce bien sûr, le modèle (3) est le plus
riche de perspectives. L'approche que je décris précédemment, s'y raccorde
aisément (il s'agit de cultiver la spécificité du handicapé).
VERS
L'INTERDEPENDANCE
RECIPROQUE ENTRE LES Ê
T R E
S
La Recherche Insertion
doit évoluer dans le sens de trouver les moyens « de faire place à des
relations en interdépendance réciproque» entre les êtres, tous les êtres. Marie
Louise PELLEGRIN-RESCIA (référence 11). Sachons procurer à nos nouveaux
handicapés la formation qui leur permette de remplir ce nouveau rôle. Ils en
sont parfaitement capables y compris les pluri-handicapés en association avec
leurs proches.
Je remercie Jacqueline GONNET, ma compagne, et René SCHALLER, psychologue, pour une lecture critique et constructive de mon texte.
RÉFÉRENCES
1 -
Bertrand
BESSE-SAIGE, dans «Le guerrier immobile » Epi. Desclée de Brouwer, 1993.
2 - Arlette
LOHER, « Regards croisés » Production A.P.E.A. - Redon et APF,
ATTOT-VIDEO, Redon (35), 1997.
3 - Henri Jacques STIKER, «Aspects socio-historiques du handicap moteur», dans « Déficiences motrices et handicaps » APF-Ed. l996, p. 22-29.
4- Florence CHOMARAT, « Forger son identité », dans « Naître ou devenir handicapé. Le handicap en visages » ERES - Charles Gardou et Coll. Ed., 1996, p. 41-55.
5-
Marie Louise AVRIL dans « Handirect
Rhône-Alpes », mai 1998, p. 17.
6-
Pierre BRUNELLES, « Comment vivre avec une personne atteinte d'un handicap
moteur », APF - Ed. Josette Lyon, 1991, remise à jour 1996,
7 -
Josiane CRISCUOLO, « Pensées et Aphorismes », 1997, disponible auprès de
l'auteur - Gui de Chauliac - Bât 300 - BP 5057 - 34033 Montpellier cedex 1 (60
FF, port inclus).
8 - Bertrand
BESSE-SAIGE, « Transformer le handicap en moteur », dans
l'ouvrage cité en référence 4, p. 179-192.
9 -
Franck DUPREZ, dans « Faire Face », septembre 1998, p. 40-41.
10 -
Vincent BRUN et al, « Le Centre de Rééducation Fonctionnelle serait-il un
obstacle à la réinsertion sociale ? », J. Réadapt. Med., 1992, 12, n° 4,
p.133-136.
11- Marie Louise PELLEGRIN-RESCIA, « Handicaps et exclusion sociale» dans « Accompagner et Soigner), 1996, n° 27, p. 19-28.