Novembre 2020

 

LA MORT, FIN DE L’ACTIVITE CEREBRALE

 

LE MONDE - Mercredi 30 octobre 2019


Mode de lecture. Cet article pourrait apparaitre à la plupart d’entre nous, comme  très savant, et difficile à lire.  Mais pour en tirer profit dans ses propres réflexions, on peut déjà bien s’en remettre aux éléments en couleurs ou en majuscules .HC

 

Relation au contenu global de ce site , sur le thème de la mort, avec entre autres concepts, celui de Mourir vivant.Se reportr en particulier aux articles de Christiane Bedouet, cités à CLIC

 

Ce postulat de « La mort, fin de l’activité cérébrale »,qui prédomine dans nombre de pays a été introduit dans le droit français par la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968, ouvrant la voie aux dons d’organes

En 2012, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose la définition suivante : « La mort se produit lorsqu’il y a perte permanente de la capacité de conscience et perte de toutes les fonctions du tronc cérébral. » Le Japon a longtemps résisté à cette définition. La mort cérébrale comme fin de la vie n’y a été reconnue qu’en 1997, le concept de mort cardiaque étant traditionnellement très fort dans ce pays. L’éthique médicale japonaise, inspirée de la religion shintoïste, s’oppose à la notion de greffe même si les esprits changent peu à peu.

En France, les critères pour attester juridiquement de la mort sont très stricts et régis par le Code de la santé publique. Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, doivent être simultanément observées les absences totales de conscience, d’activité motrice spontanée et de tous les réflexes du tronc cérébral, comme des pupilles ne réagissant plus à la lumière. « Pour déclarer un patient mort, soit son cœur et ses poumons ont cessé de fonctionner de manière irréversible, comme ce sera le cas la plupart du temps pour la majorité d’entre nous, soit on se trouve dans un service de soins intensifs et son cerveau a cessé de fonctionner », écrit Steven Laureys, neurologue et directeur du Coma Science Group à l’université de Liège (Belgique), dans Un si brillant cerveau (2014, Odile Jacob).

« En présence d’un arrêt cardiaque et respiratoire, on vérifie l’absence de signe de conscience en testant la réactivité à la douleur par la pression sur le sternum ou le lit de l’ongle, par exemple, explique Benjamin Rohaut. On va aussi constater l’abolition des réflexes du tronc cérébral en stimulant la cornée avec une goutte de sérum physiologique ou en stimulant la rétine avec une lumière vive pour vérifier l’absence de réactivité réflexe. L’ensemble des vérifications ne prend que quelques minutes. » Quand on se trouve face à un arrêt de l’activité du cerveau, son caractère irréversible doit être confirmé soit par deux électroencéphalogrammes plats de trente minutes, à quatre heures d’intervalle, soit par une angiographie cérébrale qui atteste de l’arrêt de la circulation encéphalique, autrement dit de l’irrigation du cerveau. Ce n’est qu’à ce moment-là que le certificat de décès peut être signé par un médecin.

La mort n’est pas un « on-off » absolu puisqu’il persiste une sorte de rémanence vitale. Pendant plusieurs heures, des processus physiologiques perdurent, telle la pousse des phanères (cheveux, poils, ongles). « Nous savons avec certitude que l’être humain ne meurt pas d’un seul coup. Les organes s’éteignent à des vitesses et des moments différents avant leur arrêt définitif », souligne Régis Aubry, responsable du département douleur/soins palliatifs et du service de gériatrie au CHRU de Besançon. Après l’arrêt du cœur, il peut s’écouler une dizaine de minutes avant la fin de l’activité cérébrale.

 

L’activité électrique du cerveau

L’étude du neurologue Jens Dreier (université Charité de Berlin), publiée dans Annals of Neurology en mars 2018, a pu explorer ce phénomène de près. En effet, l’activité électrique du cerveau a été mesurée grâce à des électrodes placées à l’intérieur du crâne. « Les familles de neuf patients ont donné leur accord pour capter leurs derniers instants de vie. Victimes de gros traumatismes comme des AVC, ces patients ont subi un arrêt cardio circulatoire, explique Jens Dreier. Après l’arrêt du cœur, le corps, souffrant du manque d’oxygène apporté par le sang, se met en mode économie d’énergie. » Les neurones puisant dans les réserves d’oxygène, aucune cellule n’est encore endommagée à ce stade. Mais au bout de deux à cinq minutes, les neurones cessent d’émettre un influx nerveux, s’essoufflent, ce qui entraîne une vague de dépolarisation massive, ultime moment d’activité du cerveau. Cette onde est déclenchée par des réactions biochimiques toxiques, la libération au niveau des neurones d’ions de potassium et de glutamate. Ce sont eux qui mèneront à la mort.

 

PENDANT PLUSIEURS

HEURES, DES PROCESSUS

PHYSIOLOGIQUES

PERDURENT, TELLE LA

POUSSE DES PHANÈRES

(CHEVEUX, POILS, ONGLES)

 

Au fil des minutes, la vague se propage dans le cerveau. Peut-on l’arrêter ? « La dépolarisation est réversible – jusqu’à un certain point – avec une restauration de la circulation », explique Jens Dreier. Le biologiste James Ferrell, de l’école de médecine de l’université de Stanford, a lui aussi décrit dans la revue Science, en août 2018, le fait que l’apoptose (processus par lequel des cellules déclenchent leur autodestruction en réponse à un signal) se propagerait sous formes d’ondes de déclenchement. Le chercheur compare le processus de la mort à une chute de dominos ou une ola dans un stade.

Un groupe de scientifiques s’est de son côté penché sur le nématode Caenorhabditis elegans, un ver de 1 millimètre de longueur. « Mon idée était de remonter dans le temps et de voir ce qui précédait la mort », explique Alexandre Benedetto, chercheur en sciences biomédicales à l’université de Lancaster (Royaume-Uni), coauteur d’une étude financée par le Wellcome Trust et publiée en août 2018 dans Cell Reports. Les résultats sont impressionnants. Observée au microscope à l’aide de rayons ultraviolets, la mort du nématode se propage, telle une vague de fluorescence bleue. « Le processus, irréversible, se propage de l’intestin antérieur au rectum à une vitesse de l’ordre de 40 microns/seconde. Des réactions biochimiques se produisent en cascade, les cellules mourantes entraînant la mort de leurs voisines, par la propagation d’une vague de calcium », décrit Alexandre Benedetto. Lors de ces expériences, les vers sont tués par exposition à un produit chimique en quinze à vingt minutes, pendant lesquelles les chercheurs suivent, sur écran vidéo, cette fluorescence mais aussi l’activité des muscles et des neurones.

 

Dépolarisation

 

Le chercheur travaille actuellement sur une hypothèse : la vague bleue – donc le processus de mort – pourrait être retardée, voire arrêtée en inactivant des gènes impliqués dans le fonctionnement du système nerveux. Certes, il s’agit là d’un modèle animal, mais l’équipe de recherches voit des applications chez l’être humain « pour gagner des minutes précieuses lors de transferts d’organes, ou pour suppléer un organe qui lâche lors d’une opération chez un sujet fragile », prédit Alexandre Benedetto. Le moment précis de la mort reste donc incertain, ce qui n’est pas sans importance, notamment pour les religions qui, chacune, entretient un rapport singulier à la mort.

 

L’APOPTOSE, MÉCANISME

PAR LEQUEL DES CELLULES

DÉCLENCHENT  LEUR

AUTODESTRUCTION,

SE PROPAGERAIT

SOUS FORMES D’ONDES

 

Dans une autre étude, l’équipe de Peter Noble (université de Washington) a mis en évidence en 2016 qu’après la mort, la grande majorité des gènes meurent, mais certains d’entre eux, une dizaine chez le poisson-zèbre et une vingtaine chez la souris, restent actifs, et ce jusqu’à quarante-huit heures plus tard.   Ces chercheurs ont pu détecter ce phénomène en mesurant la quantité d’ARN messager (une forme de copie de l’ADN, qui sert d’intermédiaire pour la fabrication des protéines à partir des instructions du génome). Un processus similaire pourrait se produire chez l’être humain.

Cette découverte pourrait, là encore, avoir des applications sur les dons organes, mais pas seulement. Mesurer l’ARN messager permettrait de déterminer le temps écoulé depuis le décès. Une information qui peut se révéler très utile, notamment pour les médecins légistes, afin de reconstituer les événements entourant la mort.

 

« Problèmes éthiques »

 

A l’université Yale (Connecticut, États-Unis), d’autres chercheurs sont parvenus à rétablir certaines fonctions neuronales dans le cerveau d’une trentaine de porcs décédés depuis plusieurs heures. La détérioration des neurones, « après l’arrêt du flux sanguin, pourrait être un processus de longue durée et non rapide », explique le communiqué de Nature diffusé le 17 avril. Mais les chercheurs insistent sur le fait qu’ils n’ont repéré dans les cerveaux étudiés « aucune activité électrique qui serait le signe de phénomènes de conscience ou de perception ». D’ailleurs, l’électroencéphalogramme était plat, preuve de l’absence de conscience. « Même si l’étude est encore très loin de prouver qu’il est possible de ressusciter d’une mort cérébrale, elle pose des problèmes éthiques et pourrait questionner les dons d’organes », a indiqué aux Échos, le 3 juin, Pierre-Marie Lledo, qui dirige l’équipe perception et mémoire à l’Institut Pasteur.

Il y a ce qui se passe au moment de la mort et après ; il y a aussi ce qui se passe juste avant la mort, ses signes avant-coureurs. Chez l’être humain, « il existe des signes qui précédent l’agonie, enseignés en soins palliatifs », constate Michèle Lévy-Soussan, responsable de l’unité mobile soins palliatifs à la Pitié-Salpêtrière. Sur le plan mental, les médecins ont aussi constaté que des malades allaient parfois « s’accrocher » jusqu’à une date d’anniversaire ou le mariage d’un proche, avant de se laisser partir.

« À l’approche de la mort, il y a souvent quelque chose de très paisible en cas de maladie grave, constate Marie-Elisabeth Faymonville, chef du service d’algologie et soins palliatifs au CHU de Liège. Comme si la nature aidait l’individu, il se produit une sorte de lâcher-prise, de tranquillité. » « La fin de vie peut être une relative quiétude, avec une telle densité émotionnelle et spirituelle que nombre de personnes partent en paix », conclut Régis Aubry, responsable du département soins palliatifs au CHRU de Besançon.

PIERRE LEPIDI ET PASCALE SANTI

« NOUS SOMMES FAITS DE L’EMPREINTE DE CE QUI A DISPARU »

M

édecin, immunologiste, chercheur en biologie, Jean-Claude Ameisen a présidé le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 2012 à 2016. Il dirige le Centre d’études du vivant de l’université Paris-Diderot.

 

Comment définissez-vous la mort, notamment sur le plan biologique ?

Depuis ses origines, il y a 3 à 4 milliards d’années, « la » vie, en tant que telle, n’est jamais morte. Elle ne s’est jamais interrompue. Mais cet extraordinaire voyage à travers le temps s’est déroulé sur fond d’incessantes disparitions. La trame de la continuité de la vie est tissée d’innombrables discontinuités, d’une succession de fins de monde dont nous sommes, aujourd’hui, avec tous les êtres vivants qui nous entourent, les seuls témoins et les seuls survivants.

S’il ne s’agit pas de « la » vie en tant que telle, mais de la vie d’un être humain, alors c’est la persistance en nous d’une activité mentale, si minime soit-elle, qui définit notre existence. En témoigne le fait que la cessation irréversible de toute activité cérébrale détectable définit aujourd’hui, d’un point de vue médical, la mort d’un être humain. Mais, s’il s’agit d’un être humain auquel nous ne prêtons pas de conscience, une fleur par exemple, sommes-nous sûrs que ce qui disparaît est si radicalement différent de ce qui en renaît ? S’agit-il de mort ou de métamorphose ?

Changeons encore de perspective et prenons pour sujet du verbe « mourir », non plus « la » vie en tant que telle, ni une espèce vivante, une fleur, un animal ou un être humain, mais les composants élémentaires du vivant. Depuis ses origines, c’est sous forme de cellules que le vivant s’est propagé à travers le temps. Nous naissons d’une cellule unique, et nous nous transformons en une constellation de plusieurs dizaines de milliers de milliards de cellules dont les interactions engendrent notre corps et notre esprit. Et pour cette raison, toute interrogation sur la vie et la mort nous renvoie à une interrogation sur la vie et la mort des cellules qui nous composent. Aujourd’hui, nous savons que toutes nos cellules possèdent, à tout moment, la capacité de s’autodétruire. Leur survie dépend, jour après jour, de la nature des interactions provisoires qu’elles sont capables d’engager avec d’autres cellules, et qui, seules, leur permettent de réprimer leur autodestruction.

Pour Darwin, la mort était l’un des moteurs essentiels de l’évolution du vivant. Dans son esprit, elle ne pouvait surgir que de l’extérieur – de la destruction, de la famine. Mais l’émergence et l’évolution, au cœur même du vivant, d’une forme contrôlée de déconstruction ont pu paradoxalement contribuer à la capacité du vivant à voyager à travers le temps et à donner naissance à la nouveauté et à la diversité. Il est possible, aussi, que la pérennité de la vie ait résulté d’une capacité de chaque corps, de chaque cellule, à utiliser une partie de ses ressources pour construire, au prix de sa disparition prématurée, des incarnations nouvelles.

 

Que pensez-vous des expériences de mort imminente ?

Les expériences dites « de mort imminente » nous apprennent beaucoup sur les modalités de fonctionnement surprenantes de notre cerveau et de notre conscience dans des situations de stress extrême. Mais il s’agit d’expériences de vie, vécues par des vivants, et je ne pense pas qu’elles nous disent quoi que ce soit sur l’après, sur la mort.

 

Lorsque vous présidiez le CCNE, vous aviez défendu le droit de bien mourir et dénoncé la situation d’abandon d’un trop grand nombre de personnes. Où en est-on aujourd’hui ?

Malheureusement, la situation est toujours tragique pour une immense majorité de nos concitoyens en fin de vie. Notre incapacité à accompagner ces personnes traduit, d’une façon beaucoup plus générale, une incapacité à accompagner les personnes les plus vulnérables longtemps avant la fin de vie : qu’il s’agisse d’enfants, d’adultes ou de personnes âgées en situation de handicap, de personnes souffrant de douleurs chroniques, de personnes atteintes de maladies psychiatriques, de personnes sans domicile… C’est une tragédie et un scandale, car les lois existent, mais ne sont pas appliquées ! C’est un déni d’accès aux droits fondamentaux. Mais les lois ne suffisent pas : il faut un profond changement de société.

 

Comment peut-on aider un patient à partir sereinement ?

Je pense qu’il faut donner aux personnes en fin de vie l’accompagnement qui leur permette au mieux d’être en paix avec elles-mêmes et avec les autres. Ne pas leur imposer ce que nous croyons être pour elles la « bonne » façon de partir. Il faut être à leur écoute, respecter leur singularité, leur personnalité, leurs demandes. Quelle que soit la façon dont elles souhaitent vivre leurs derniers instants. C’est de leur vie qu’il s’agit, jusqu’à la fin.

 

Vous avez dit que nous sommes faits de mémoire, de la mémoire des morts. Que répondez-vous à ceux qui parlent de la vie après la vie ?

Nous sommes faits de l’empreinte, en nous, de ce qui a disparu, de ceux qui ont disparu. Nous sommes faits d’absence. De la présence de l’absence. Des milliards d’année d’évolution du vivant qui nous ont donné naissance. Des dizaines de milliers de générations qui nous ont précédés et qui nous ont légué ce merveilleux présent de la richesse et de la diversité des cultures humaines. Du souvenir des femmes et des hommes que nous avons connus, et qui ont disparu : cette part de chacun de nous qui survit dans l’univers mental des autres est une forme de « vie après la vie », étrange, belle et fragile. Y en a- t-il d’autres ? Je ne le sais pas.

PROPOS RECUEILLIS PAR P. LE ET P. SA