Septembre
2021
FAIRE DE SON HANDICAP PSYCHIQUE UNE
FORCE.TEMOIGNAGE
Philippa MOTTE et Florence ROSIER INTRODUCTION Cet article est extrait du Journal Le
Monde, du 30 mars 2021, et a pour base l’expérience
personnelle de Philippa Motte. Expérience assez étonnante, encourageante pour de nombreuses personnes vivant un handicap psy, encore mal reconnu
et manquant de soutien médico-administratif. Pour
apporter sa contribution aux « remèdes », penser à s’appliquer, la phrase clé du témoignage de
Philippa : « Il m’a fallu dix ans pour me
dire : “Philippa, c’est ton histoire ! Arrête d’avoir peur qu’on te jugeˮ. J’ai décidé de ne plus me cacher. C’est fou les portes que cela ouvre ! Henri Charcosset, webmestre , henri.charcosset@neuf.fr
ARTICLE |
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Philippa Motte, à son domicile parisien, le 22 mars. LUCIE PASTUREAU POUR « LE MONDE » |
Philippa
Motte, briseuse de tabou
De
sa propre expérience, cette consultante indépendante a su faire un levier de
déstigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques, cet handicap invisible
P |
hilippa Motte est une
pionnière. Depuis une dizaine d’années, cette consultante indépendante est
spécialisée dans la formation et l’information des entreprises et des pouvoirs
publics sur un sujet encore mal connu, voire tabou : le handicap
psychique. Depuis deux ans, la quadragénaire accompagne également en individuel
des personnes touchées et leurs proches. Ses objectifs sont triples. Il s’agit
pour cette battante de lutter contre les discriminations à l’encontre des
personnes victimes de maladies psychiatriques, de favoriser leur inclusion dans
la société et le monde du travail et de les aider à trouver en elles les
capacités pour s’en sortir.
« J’avais
le sentiment
que si j’en parlais,
on ne me ferait plus
confiance »
PHILIPPA
MOTTE
« Piquée
de force »
Philippa
puise sa force dans sa propre histoire et dans son long combat avec un handicap
invisible. « J’ai un parcours
psychiatrique très lourd », raconte-t-elle. Impossible pourtant de
deviner, derrière son lumineux sourire, cette vulnérabilité cachée. A l’âge de
20 ans, l’avenir lui souriait. « J’étais
quelqu’un d’assez joyeux. Mais à la suite d’événements personnels, je suis
entrée dans une dépression assez sévère. » Un antidépresseur lui est
prescrit, qu’elle arrête « un peu
intempestivement ».
La
jeune femme bascule alors « dans une
crise psychique grave, avec des hallucinations, un sentiment de persécution et
une forte dimension mystique ». interpellée
par la police, elle refuse de coopérer et se retrouve « menottée, plaquée au sol ». Terrifiée, incapable de
décliner son identité, elle est conduite à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture
de police de Paris. Mise à l’isolement, « piquée
de force », elle y restera soixante-douze heures.
Suivent
« une dépression très
profonde » et deux mois d’hospitalisation. Le diagnostic tompbe, sans vraiment la convaincre : trouble
bipolaire. De fait, lors de sa dernière crise, il y a deux ans, un autre
diagnostic sera posé : une triade associant une forme d’épilepsie, un haut
potentiel et un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité
(TDHA).
« L’immense
chance que j’ai eue, ce sont ces très longues périodes
entre deux crises, où je me suis toujours redressée. » Soutenue
par un entourage bienveillant, elle construit un parcours « un peu chaotique, mais cohérent ». Avec ce secret
longtemps tu : « J’avais le
sentiment que si j’en parlait, on ne me ferait plus confiance. »
Philippa
se lance dans un master en communication politique et institutionnelle, puis
réalise un stage dans une agence de presse. « Et
là, à 25 ans, nouvelle crise : en surchauffe, je décompense. » Internée
trois mois sous contrainte en hôpital psychiatrique, l’étudiante soutiendra son
mémoire deux semaines après sa sortie. « Ensuite,
je reste au tapis un an, dans un état de dépression lourde et
dangereuse. » Mais elle repart au combat. TBWA l’embauche. La vie lui
réserve alors un « gag ». l’hôpital Sainte-Anne la contacte
pour monter une fondation de recherche en psychiatrie. « Et je me retrouve en réunion avec des chefs de service, dont
celui qui m’avait hospitalisée quelques années plus tôt ! »
La
jeune femme se marie, met au monde deux garçons. Deux années plus tard, elle
rechute et est de nouveau internée sous contrainte à Sainte-Anne. Une nouvelle
crise très forte advient un an après. « Là,
j’ai eu très peur de perdre mes enfants. Je décide donc de me faire
hospitaliser à la clinique du Château, à Garches [Hauts-de-Seine]. Elle divorce, obtient la garde alternée
de ses enfants. « Ils m’ont donné la
force d’être leur mère. »
« Son
témoignage
donne de l’espoir.
Elle montre comment
faire d’une
vulnérabilité
une force »
MARIE-CHRISTINE
BARJOLIN
responsable
RH diversité handicap
de BNP Parisbas Cardif
« Qualité
d’écoute, d’empathie »
Un psychiatre, Christian
Gay, la convainc de rejoindre Clubhouse France. En 2010, Philippa y témoigne
pour la première fois sur son parcours : « Mon corps m’a trahie et s’est mis à trembler. Paradoxalement,
cela a beaucoup touché. » La découverte du milieu associatif est un
déclic : « Il existait des gens
qui tentaient de lutter contre la stigmatisation. »
Tous ceux que
Philippa a aidés attestent ses précieuses ressources. « Grâce à son analyse fine de sa propre histoire et de son
trouble, Philippa est en capacité de venir en aide à beaucoup de monde », rapporte
Lucie Caubel, investie au sein de Clubhouse.
« Ce
qui nous plaît, chez Philippa, c’est son optimisme, renchérit
Marie-Christine Barjolin, responsable RH diversité
handicap de BNP Paribas Cardif. Son témoignage donne de l’espoir. Elle montre comment faire d’une
vulnérabilité une force. C’est une vision constructive de l’intégration en
entreprise des personnes avec un handicap psychique. »
Odile, 50 ans, est
la maman d’une jeune fille de 20 ans. Camille, dont la vie a basculé en 2020. « Ses premiers troubles psychotiques
ont fait irruption de façon très violente. Il nous a fallu plusieurs mois pour
comprendre ce qui arrivait, et passer par la case hôpital. Mais il manquait une
qualité d’écoute, d’empathie, de compréhension profonde. C’est seulement en
rencontrant Philippa que nous l’avons trouvée. » Grâce à ce soutien,
sa fille « peut se reconstruire et
se projeter au-delà de sa maladie ».
Philippa a su
forger ses propres outils de résilience. Outre son engagement professionnel et
les rapports humains qu’il offre, sa panoplie comprend un travail de
psychothérapie, une activité d’écriture (elle fera paraître en mai un roman
chez Stock), la pratique de la méditation et du sport, le dessin, la féminité.
Et ses deux enfants, bien sûr. « Il
m’a fallu dix ans pour me dire : “Philippa, c’est ton histoire !
Arrête d’avoir peur qu’on te jugeˮ. J’ai décidé
de ne plus me cacher. C’est fou les
portes que cela ouvre ! » ■
FLORENCE ROSIER