Juin 2021
CHACUN CHEZ SOI
MAIS A PLUSIEURS . LE BEGUINAGE
Pascale KREMER
(Reproduction d’un article paru dans Le Monde des 11-12 avril 2021)
Avec une Introduction par Henri Charcosset , né en 1936, webmestre
Introduction par Henri Charcosset
« À ceux qui refusent d’entrer en maison de retraite mais craignent l’isolement, le béguinage offre logement indépendant, espaces partagés et services mutualisés » Le béguinage est en plein développement, comme l’illustre Pascale Kremer. Il faut y voir une formule qui s’ajoute à quelques autres. Parmi les nouvelles, la colocation,
Mais le prolongement de son vécu à son domicile, là où bien souvent on a élevé ses enfants, est souvent privilégié. En tout cas il est réaliste, jusque dans des conditions à première vue assez rudes. Né en 1936, handicapé moteur (je ne marche plus du tout, mais me déplace en scooter électrique) , et handicapé urologique. J’habite seul ; Je bénéficie d’une auxiliaire de vie pour 1,5 H le matin, et 1, 5 H le soir, 7j/7. Aussi, de la venue une fois par jour, d’une infirmière. Aussi, d’une aide- ménagère 6H/semaine. Kinésithérapeute, pédicure, coiffeuse viennent à mon domicile. Sans une PCH-prestation de compensation de handicap- par ma MDPH, j’aurais du mal à « financièrement, pouvoir m’en sortir ». L’aide de voisinage, gardien d’immeuble et autres, m’est ponctuellement très utile. Je suis bien convaincu qu’être encore à mon domicile, où mes enfants sont venus petits, est la solution la plus favorable à notre vie familiale.
Chaque expérience individuelle, celle-ci et de multiples autres, trouve un supplément de sens, dès lors qu’on la projette vers un contexte plus général. Bien des âgés ont besoin d’un renforcement de leur aide en deux sens, d’une part le montant de la compensation financière à leurs suppléments de charge, d’autre part le soutien à la bonne marche de leur plan de vie.
Quant aux EHPAD, Etablissement Hospitalier pour Personne Agée Dépendante, si on ne les avait pas, il faudrait les créer. L’expérience au quotidien que j’en ai, est l’accompagnement, à ma compagne d’après veuvage, qui est depuis quelques années dans un EHPAD de bon niveau.
L’inconvénient principal qu’on peut voir à ces Etablissements, est de favoriser une coupure des résidents de leur milieu familial et amical, antérieur. Inconvénient qui pourrait être assez aisément en partie contrecarré en mettant bien davantage qu’à ce jour, à profit l’Internet.
Déjà dans la relation entre professionnels de la structure et accompagnants. Il s’agirait d’adresser chaque mois, en pièce jointe d’un mail collectif, un fichier faisant lien , avec :
/ le programme des animations en cours / les projets d’animation à venir/ les titres des films et autres projections, projetés et envisageables/ toutes questions, remarques, suggestions, comme propositions pour des exposés/.
Tandis que là où les résidents ont chacun une boite aux lettres postale, pourquoi pas aussi une boite électronique ?. Personnel plus bénévoles pourraient aider les résidents à en faire usage.
En étant futuriste-le moins possible, on l’espère bien- les résidents en EHPAD et autres lieux de vie collective pour personnes âgées seront encouragés, à participer à l’avancement de notre société, par la voie de la recherche. A partir des éléments marquants de leur vie, tout simplement.
L’avenir des EHPAD est d’aller de l’avant, notamment dans l’inter relation, principalement à distance, entre résidents, accompagnants, personnels. Voir par exemple : Wifi en Ehpad et résidence senior : de nouveaux usages pour les seniors - Wixalia.
Originaire de la campagne, où je garde des attaches, je pense que la situation y est notablement différente de celle d’une grande ville, comme là où je vieillis. Dans nos campagnes, les résidents en maison de retraite restent plus voisins de leurs proches d’avant, dont, bien souvent certains y travaillent.
Henri Charcosset, participant à la promotion du « Télé bénévolat social en indépendant », Le 31 Mai 2021
Texte de Pascale Kremer
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Après les pavés, le béguinage. A 18 ans, Yves Rapin vivait Mai 68 à Paris. Alors, à 71 ans, ne lui parlez pas d’ Ehpad. « Tout, mais pas ça ! » La moustache grise de l’ex-photographe du quartier en frémit. Depuis une bonne année, il loue avec sa femme l’un des seize appartements d’un immeuble frais bâti dans un écoquartier du Nord de Tours (Indre-et-Loire). L’immeuble bien particulier que cette Tourangelle, où l’on vieillit en béguinage, groupés et solidaires. « L’esprit communautaire, on y reprend goût, avec un peu moins d’utopies qu’en 1968 et beaucoup moins de substances ! », admet le retraité, chaussé pour la randonnée.
Béguinage , Le mot évoque vaguement le tourisme en Belgique ou les cours d’histoire sur le Moyen Age. Pas franchement un habitat alternatif pour personnes âgées. Pourtant, cette innovation qui permet d’échapper à la maison de retraite (le plus longtemps possible) gagne du terrain. Son principe est simple, inspiré des béguinages répandus dès le XIIIe siècle dans les Flandres et le nord de la France : pour se protéger, des femmes seules, laïques, occupaient des bâtiments mitoyens autour d’un jardin, non loin d’une église. Version XXIe siècle : les chastes veuves et demoiselles sont remplacés par des seniors occupant des maisons ou appartements voisins mais indépendants dotés d’espaces intérieurs et extérieurs partagés, et d’un accompagnateur aux petits soins.
C’est le rôle de Laurent Loridant, à la Tourangelle. « Gardien-veilleur.» L’avenant quinquagénaire, passé par moults métiers, tient à la fois de MacGyver (pour le bricolage) et de Véronique Jannot (l’assistante sociale dans la série Pause-Café). « Des cafés, j’en bois beaucoup, heureusement, j’aime ça », sourit l’ancien scout. Chaque matin, à l’entrée de l’immeuble, près du coin bibliothèque et du panneau où se partagent les bons tuyaux, son local technique tient de QG autour duquel papillonnent les locataires en quête de mains habiles ou d’oreilles empathiques. Laurent écoute, discute, surveille l’ouverture des volets chez cette dame dont la santé vacille, débouche les éviers, règle tout appareil, réexpliquant – patience héroïque ! – que, oui, pour entendre la sonnerie du smartphone, ce serait mieux de monter le volume.
Tous les quinze jours, Béatrice Baczkowski arrive en renfort. « Accompagnatrice » formée à la médiation, elle vient huiler les rouages de la petite communauté, aplanir les différents naissants, soutenir les initiatives collectives. Tous, ici, ont pensé puis signé une charte du vivre-ensemble, mais une petite réunion exutoire ne fait pas de mal. Rien de bien violent. Le partage de la « salle de convivialité », avec cuisine et coin canapé-télé-lecteur DVD, des ateliers mémoire ou gym douce (organisés par des associations extérieures), des parties de belote ou de Scrabble, du petit jardin et de la chambre d’hôte, semblent s’opérer sans crêpage de chignons gris. « C’est mon petit coin de paradis », « Tous les matins, je me dis : qu’est-ce que je suis contente d’être là ! », témoignent les locataires, dans une unanimité quasi publicitaire.
Inaugurée au printemps 2019, La Tourangelle est l’œuvre de l’association Vivre en béguinage et de sa foncière, France béguinage, elle-même alimentée par le fonds Finance et solidarité d’Amundi, dont les actionnaires ont le bon goût de ne pas espérer de rentabilité extravagante. Depuis 2014, le bailleur social privé a ouvert sept béguinages, d’abord pensés pour des chrétiens souhaitant patienter ensemble jusqu’au jour dernier, puis déconfessionnalisés – comme ceux de Tours, donc, mais également de Mûrs-Erigné (Maine-et-Loire) et Paray-le-Monial (Saône-et-Loire). Deux autres ouvriront dans l’année (au Mans, à Agen), neuf supplémentaires à partir de 2022. Aboutissements d’un même processus participatif : plusieurs mois avant la remise des clefs, des « béguinages hors les murs » réunissant les futurs voisins, qui s’apprivoisent et esquissent un projet de vie commun.
A mille
longueurs de déambulateur de l’établissement médico-social, type Ehpad ou
résidence autonomie, bien moins dispendieux (le deux-pièces se loue autour de
450 euros à la Tourangelle) que la résidence services privée, le béguinage, « c’est
le chaînon manquant entre logement ordinaire et hébergement en
institution », plaide-t-on chez le gestionnaire d’actifs Amundi. « Il
combine autonomie et sécurisation de l’environnement. Il répond à ce besoin
amplifié par le Covid-19 de plus d’échanges, d’entraide, d’attention à son
voisin. » Christian Baiocco, président de l’association Vivre en
béguinage, reçoit parfois des appels de dames en pleurs, lorsque démarre le
processus de recrutement des locataires : « 80 % des occupants de
nos béguinages sont seuls, des femmes pour la plupart, dont certaines ne
voyaient personne pendant des semaines… Elles ont besoin de partager, de se
regrouper pour lutter contre le fléau de notre époque : la
solitude. »
Le
veilleur de la Tourangelle ayant été contraint de quitter les lieux lors du
premier confinement, les locataires ont pris soin les uns des autres, déposant
ici une soupe sur le palier du malade, là quelques commissions du marché.
Marie-Cécile, 86 ans, une ancienne directrice de crèche dont la gaieté semble
contagieuse, a toute de suite eu l’idée de laisser des gâteaux devant les
portes, sans laisser son nom, pour faire sortir et jaser. Puis elle a improvisé
dans la « salle de convivialité » des ateliers couture de
masques et de blouses d’infirmières, qui se sont taillés un beau succès. « On
était tous dans le même chaudron, on s’est sentis entourés, »
dit-elle. « Oui, on s’est sentis un peu privilégiés », ajoute
son voisin, Yves Rapin, qui pense avoir « traversé cette crise
avec plus de douceur ».
« Le
béguinage,
c’est le chaînon
manquant
entre logement
ordinaire
et hébergement
en institution »,
plaide-t-on chez
le gestionnaire
d’actifs Amundi
A La Tourangelle,
il goûte l’indépendance préservée, l’absence d’infantilisation, La Nouvelle
République qui passe de main en main, occasion « de dire du mal des
politiques et de refaire le monde sans le changer ». Le « chacun
chez soi, mais avec le souci de savoir si l’autre va bien ». Tout en
étant conscient que le béguinage n’a pas inventée l’eau chaude, mais plutôt « réinventer
le voisinage d’avant la télé ». Cette sollicitude toute simple permet
pourtant à Jeannette Gargnier, 89 ans, de préserver dix descendants, dont les
visages s’exposent en grand dans son deux-pièces : « Je voulais
qu’ils restent libres, qu’ils ne sacrifient pas leurs années à venir à cause de
moi. »
Jeannette
leur rend quelques années, mais Hélène Leenhardt, consultante en gérontologie sociale,
connaît bien cette génération de baby-boomeurs désormais retraités : « Ils
ont un besoin d’intimité auquel la colocation ne répond pas. Et une volonté
d’anticiper, contrairement à la génération précédente. Surtout de ne pas être
contraints d’entrer à l’Ehpad en catastrophe. Ils ne veulent pas faire vivre
avec leurs enfants ce qu’ils ont vécu avec leurs parents… »
Voilà déjà une vingtaine d’années que les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique revisitent la tradition médiévale du béguinage. Côté français, ce sont les bailleurs sociaux du Nord et du Pas-de-Calais qui ont été pionniers. Rien que dans ce dernier département, on en dénombre 120 pour 894 communes (la présence d’un veilleur n’est toutefois pas systématique). « Les gens restent près de leur ancienne habitation, ils ne perdent pas leurs repères, leur vie sociale, le lien est fort entre le béguinage et la commune », précise Odette Duriez, vice-présidente du conseil départementale du Pas-de-Calais.
Le
concept essaime. Les logements Vill’âge bleu de la Mutualité française
bourguignonne, les résidences VillaGénération de Neolia, bailleur social de
l’Est, s’en inspirent. A la tête de Béguinage & compagnie, Jean-François
Trochon accompagne depuis six ans collectivités et bailleurs dans la réalisation
de petits béguinages au bâti écologique. A Nazelles-Négron, près d’Amboise
(Indre-et-Loire), les béguins qui n’envisageaient nullement être « animés »
ont lancé un potager, ouvert leurs portes aux associations locales (photos,
chorale…). Ils mutualisent les services à domicile auxquels ils choisissent
eux-mêmes d’avoir recours, limitant les allées et venues de l’infirmière, par
exemple. « Le secret, selon M. Trochon, c’est de travailler sur
la relation entre habitants avant qu’ils ne s’installent. Ils sont autonomes
dans leur projet. Une dynamique se crée. »
Autre spécialiste du néobéguinage, la foncière Béguinage solidaire a programmé, d’ici à 2023, trois ouvertures : dans la Manche, l’Oise et la Marne. Une dizaine d’autres suivront. Pour avoir dirigé un réseau d’Ehpad, son fondateur, Tristan Robet, sait combien « les résidents pris en charge par l’institution déclinent rapidement ». Alors, il a imaginé des « tiers-lieux habités », des « lieux ressources ». Ateliers de cuisine et de bricolage, apprentissage des langues, aide aux devoirs, permaculture : les compétences des béguins profiteront à tout le quartier. « Il ne faut pas faire du logement, croit M. Robet, il faut donner du sens à cette dernière partie de vie. Nourrir la soif d’apprendre, l’autonomie, respecter la liberté. La vie doit complètement pénétrer le lieu » – si tant est que la pandémie le permette. A Arles (Bouches-du-Rhône), en 2024. Il envisage même de lier un béguinage et une coopérative de production agricole.
L’imagination
peut prendre le pouvoir, les besoins s’annoncent faramineux :
13,4 millions de personnes âgés de 65 ans et plus en 2019, 16,5 millions en 2030,
19 millions en 2040… Pas une semaine ne passe sans que Tristan Robet ne soit « contacté
par une collectivité prête à céder un terrain » pour que s’installe un
béguinage. « Le conseil départemental de la Manche dit qu’il en faut un
par ancien canton, soit vingt-trois ! » Attention au galvaudage
du terme, prévient Colette Eynard, ex-consultante en gérontologie, aujourd’hui
à la retraite : « Béguinage, le nom est très porteur, il donne à
penser que ce sera miraculeux. Certains promoteurs immobiliers se jettent
dessus, se contentent de construire des logements et une salle commune. Cela
devient une institution, avec un semblant de participation… » « Le
marché est féroce tant la demande de lieux alternatifs est énorme, dans cette
“silver économie” perçue comme un nouvel eldorado », s’afflige M.
Robet, dont la foncière est agréée entreprise solidaire d’utilité sociale
(ESUS).
Partager ses vieux jours entre amis apparaît comme la moins sinistre des façons de vieillir. Mais les projets d’habitat participatif pour retraités n’ont rien d’une sinécure : autopromotion et gestion coopérative complexes… Rares sont ceux qui sortent réellement de terre, comme Les Chamarel, à Vaulx-en-Velin (Rhône), ou l’immeuble des Babayagas, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). A Montauban (Tarn-et-Garonne), la Maison d’Isis s’élabore depuis 2016… Les béguinages, portés et gérés par des tiers, s’approchent de cet idéal, en le démocratisant.
Pour les
personnes âgées comme handicapées, l’Etat encourage, désormais, ce qu’il nomme « habitat
inclusif » ou « habitat API » (accompagné, partagé,
inséré dans la ville de la cité). « Happy », comme
Marie-Cécile, qui ne regrette plus l’appartement où elle a passé trente-quatre
années, au centre de Tours. Dans les trois étages de La Tourangelle, sait-elle,
« il y a cinq ou six portes où je peux frapper n’importe quand ».
Remerciements. En particulier à Robert Ronot, informaticien retraité pour son appui,
laitdesoja2(pseudonyme) pour du traitement de texte, et à la version gratuite
de FileZila, dont le rôle est essentiel pour la tenue du site : https://anti-solitude.pagesperso-orange.fr/