Décembre 2021
L’AUTOEDITION,
TENDANCE PERTURBATRICE DU SECTEUR DU LIVRE
Nicole VULSER, Service Economie du Monde ; article paru
le 23 Novembre 2021
INTRODUCTION
L'auto-édition
ou autoédition consiste pour un auteur à se charger lui-même de l'édition de
ses ouvrages, sans passer par l'intermédiaire d'une maison d'édition. L’ouvrage
peut être imprimé ou en format numérique. Wikipédia
Pour une documentation générale à partir de Google :
CLIC
L’autoédition a le vent en poupe !
TEXTE
REPRODUIT du Journal « Le MONDE »
C |
oup sur coup, plusieurs
personnalités ou auteurs de best-sellers succombent aux sirènes de
l’autoédition ou de l’autopublication. Ils se passent des services d’une maison
d’édition pour fonder la leur, ou parient – volontairement, ou bien contraints
et forcés – sur une indépendance éditoriale. Coïncidence ? En tout cas,
l’arrivée de telles signatures, synonymes de centaines de milliers de vente,
bouleverse la donne et devrait inciter les maisons d’édition à se repenser.
Dernier
en date, le joueur de football Kylian Mbappé a sorti,
le 11 novembre, son premier roman graphique, Je m’appelle Kylian (KM Editions, 220 p., 19,95 euros), cosigné
avec le dessinateur de presse et de bandes dessinées Faro, et tiré à
300 000 exemplaires. L’attaquant du Paris-Saint-Germain, n’ayant pas
trouvé d’éditeur pour mener à bien son projet, a monté sa propre structure, KM
Editions.
Toujours
dans la bande dessinée, Riad Sattouf, l’auteur à succès de la série L’Arabe du futur (Allary
Editions), a créé sa propre maison d’édition, Les Livres du futur, et y a
publié, le 4 novembre, le premier tome d’une trilogie, Le Jeune Acteur 1. Aventures de Vincent Lacoste au cinéma (140 p.,
21,50 euros). Un titre qui se classait dès sa parution en deuxième position des
ventes de BD, derrière le dernier Astérix
en date. L’auteur a toutefois réservé les trois prochains épisodes de L’Arabe du futur et des Cahiers d’Esther, ainsi que trois
intégrales de ces deux séries, à son actuelle maison d’édition indépendante, Allary.
« SI TOUS LES
GRANDS VENDEURS
DE ROMANS ET DE
BD S’Y METTENT,
LE MODÈLE
DE L’ÉDITION
VA BASCULER »
GUILLAUME ALLARY
éditeur
L’écrivain
suisse Joël Dicker, dont les ouvrages se vendent
aussi par centaines de milliers d’exemplaires, a quitté en mars les Editions de
Fallois, après le décès du fondateur de cette maison, également indépendante,
pour monter son entreprise.
« Je dois tout à Bernard de
Fallois, et j’ai toujours dit qu’il n’y aura pas d’autre éditeur après lui.
J’ai donc fait le choix de créer ma propre structure éditoriale, qui verra le
jour le 1er janvier 2022 », avait alors
déclaré l’auteur de L’Enigme de la
chambre 622.
Sous le label Rosie &
Wolfe, Joël Dicker
publiera ses romans et ceux de certains confrères. Les éditeurs sont-ils donc
frileux ! Plus assez attirants ? Ne paient-ils pas suffisamment leurs
auteurs pour que ces derniers s’en aillent ?
Parfois,
la rupture peut être aussi idéologique. Le potentiel candidat d’extrême droite
à l’élection présidentielle, Eric Zemmour, a publié
mi-septembre un pamphlet, La France n’a
pas dit son dernier mot, dans sa propre maison d’édition, Rubempré (352 p.,
14,99 euros). Il dit avoir été contraint à ce choix après la rupture de son
contrat par son éditeur, Albin Michel. Ce dernier a refusé de le publier, en
jugeant que « l’auteur comptait
faire de ce livre le point de départ de sa campagne électorale ».
Plusieurs
auteurs d’extrême droite se sont aussi déjà autoédités, parce qu’ils ne
trouvaient plus d’éditeurs pour endosser leurs idées. C’est le cas de Renaud
Camus, théoricien de la doctrine raciste et complotiste du « grand
remplacement », ou de l’ex-directeur national du Front National de la
jeunesse, Julien Rochedy.
Révolution en marche
Autre exemple de
bannissement, Gabriel Matzneff, visé par une enquête
pour viols sur mineurs de moins de quinze ans, a été lâché par ses éditeurs,
Gallimard en tête, après la sortie du Consentement,
de Vanessa Springora (Grasset, 2020). En riposte, le
romancier a sorti, en février, Vanessavirus, autoédité
en France et financé par des souscripteurs privés.
Réponse de la bergère au
berger, L’Arme la plus meurtrière, autoédité
(238 p., 19 euros), est paru le 23 septembre sous la plume de Francesca Gee,
qui accuse Gabriel Matzneff de l’avoir violée quand
elle avait 15 ans.
Si
tous ces noms connus braquent les projecteurs sur l’autoédition, ces volontés
d’indépendance des auteurs donnent des sueurs froides aux maison d’édition, aux
plus petites notamment, les plus fragiles.
« Si tous les grands auteurs de romans et de BD s’y mettent, le modèle de
l’édition va basculer », a prévenu Guillaume Allary,
fondateur de la maison qui porte son nom, lors du colloque Médias en Seine, le
12 octobre.
L’exemple
américain montre que cette révolution est en marche depuis longtemps. Dès 2014,
aux Etats-Unis, le nombre de livres autoédités a dépassé celui des ouvrages
publiés par les éditeurs. Amazon y domine ce secteur, en devançant de très loin
ses concurrents.
LES DROITS
D’AUTEURS DES
ÉCRIVAINS SONT
LIMITÉS EN
MOYENNE À 10%
DU PRIX DU LIVRE.
LÀ OÙ AMAZON
LEUR PROMET
JUSQU’À 70%
En
France aussi, pour les écrivains, une telle tentation existe, puisque leurs
droits d’auteur accordés par les éditeurs sont limités en moyenne à 10% du prix
du livre. Là où le service d’autoédition d’Amazon leur promet jusqu’à 70%.
Toutefois, l’autoédition peut se révéler être un miroir aux alouettes. Sans
relecture de fond ni de forme, ces ouvrages risquent de ne jamais atteindre
leur public, surtout s’ils sont vendus uniquement en ligne et sans aucune
publicité.
Les
écrivains autoédités ne touchent pas d »à-valoir.
De plus, pour être présents en librairie, ils doivent faire appel à des
sociétés spécialisées, souvent des filiales des grands groupes d’édition
(Hachette Livre, Editis, Madrigall,
Média-Participation…), qui amputeront les recettes de leur ouvrage de près de
30%. Dans la chaîne du livre, ce poste reste très lucratif. Interforum,
la filiale d’Editis (groupe Vivendi), a ainsi réalisé
un très joli triplé commercial, en récupérant la distribution des livres d’Eric Zemmour, de Joël Dicker et
de Riad Sattouf.
Ces
trois auteurs sont suffisamment connus pour se placer dans le peloton de tête
des ventes, en économisant les coûts d’un éditeur (36% du prix du livre, en
intégrant la fabrication du livre en papier). Les moins connus pourront
difficilement s’imposer. Pour une Aurélie Valognes, autoéditée sur Amazon avant
d’être repérée pour son haut potentiel commercial par Fayard (Hachette Livre),
qui lui a permis de connaître un succès retentissant, des cohortes d’auteurs
autoédités restent toujours invisibles. Difficile de s’imposer à la fois bon
auteur et bon éditeur. ■