Aout 2024

 

CHRONIQUES D’UNE QUINZAINE AUGUSTE. 4. LES GENS

 

Par Guy CODA  Peintre et illustrateur français CLIC, codaguy3@gmail.com

 

Guy Coda avait déjà publié ici  trois articles  :

 Coda Guy (2022), Citoyen du monde, planté dans un arbre, prêt à l’accueil de tout un chacun 

 Coda Guy (2022) Mon rapport à l’art avec des images étayant mon propos,  

  Coda Guy (2024), Le poids des mots 

 

La présente contribution, à voir  comme celle d’un artiste s’exprimant à ce titre, est en parties successives

 dont  chacune porte son adresse web, et qui sont regroupées à l’adresse CLIC

 

1 : Les arbres) , 2/ L’oiseau, 3/  L’humanité,  4/Les gens

 

°°°°°°

4-LES GENS

Il y a plusieurs façons de se balader et il est un lieu où je m’aventure

fréquemment: ma tête.

 

 C’est toujours une promenade risquée car elle

relève plus souvent du labyrinthe que du sentier balisé.

Même si, l’âge aidant, on limite un peu les risques. Encore que.

 

Mais le cerveau est un domaine si vaste à explorer…

Donc ce matin je reste là, devant mon chevalet. Le plaisir de peindre

-le « bonheur » de peindre - est une redoutable addiction.

 J’écoute un disque de jazz que même le soleil a l’air d’apprécier.

 Ma fenêtre bien sûr est grande ouverte.

 

J’aime cette lumière de début d’automne, un peu oblique, et plus dorée

que la douche brutale du plein été à son zénith.

 Sous cette lumière-là, les choses prennent un autre relief,

 plus chaleureux,  plus engageant.

 

Les gens ne s’y trompent pas : ils sont nombreux à profiter de cette belle

journée qui leur est offerte et le flot des promeneurs qui passent devant

ma fenêtre grossit au fil des minutes.

 

Et c’est là que ma journée commence vraiment.

 Interpellés par la musique ils tournent la tête vers l’endroit d’où

 elle semble jaillir.

 Ils aperçoivent alors cet étrange danseur en train de dérouler un étrange

ballet face à un étrange objet posé sur un chevalet.

 

 Alors, chacun à sa manière, ils réagissent :

Le fan de balistique, indifférent à tout ce qui l’entoure,

 n’infléchira pas d’un millimètre  sa trajectoire programmée.

Celui qui, bien qu’intéressé, est trop pressé pour s’arrêter, lève le pouce

avec un hochement de tête approbateur.

Un autre, timide mais curieux, s’approche en hésitant,

 regarde sans un mot le tableau. L’examen terminé,

il a une moue de satisfaction puis repart rapidement, conscient

d’avoir échappé à un grand danger, mais très fier d’avoir, pour une fois,

réussi à vaincre ses inhibitions.

Et puis il y a celui qui, beaucoup plus naturel, s’avance sans hésitation et

vient vous saluer. Il demande la permission de regarder et vous dit - en

général - tout le bien qu’ils pense de votre travail. Le plus souvent c’est

l’occasion d’engager la conversation avec un interlocuteur curieux et

attentif.

Ça se termine souvent par un :

« Monsieur puis-je vous prendre en photo à côté de votre œuvre ? »

Oui, bien sûr ! Tenez, je vous laisse ma carte… »

Enfin il y a celui qui s’arrête, observe sans un mot, d’un œil critique, et

repart sur une simple « bonne continuation ! Celui-là, je pense, est un

professionnel.

 

Mais tout ceci m’amène à un constat :

Si je suis accoudé à ma fenêtre, sans musique ni tableau visible, les

gens qui passent me voient à peine - quand ils m’ont vu – ou me saluent

d’un petit signe très convenu, neutre et distant.

 L’individu Lambda n’intéresse personne.

 

En revanche, s’ils vous perçoivent comme un « artiste », ils vous

regarderont différemment. Car nous sommes tous victimes, à des degrés

divers, du mythe soigneusement entretenu depuis son avènement.

 Mais ceci n’est pas nouveau : nous avons compris depuis longtemps que

notre statut d’artiste nous donnait cette aura particulière, qu’on nous

regardait nous, les créateurs, avec une admiration teintée d’envie et de

respect, et que le moindre écart qui ne serait pas pardonné au commun

des mortels serait porté à notre crédit comme un geste magique dicté

par la souveraine et mystérieuse raison de l’art.

 

Voilà probablement, d’ailleurs, ce qui pourrait expliquer les exactions de

« l’art contemporain »…

 

Chartres le 18 août 2024