Entrée sur site en avril 2016

L’UNIVERSITE DES PATIENTS

 

Pascale  SANTI,

 

 Le Monde06.04.16

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catherine Tourette-Turgis,

du côté des vivants

RENCONTRE La chercheuse a contribué à la création de cursus universitaires impliquant des patients, afin d'améliorer l'éducation thérapeutique et le dialogue avec le monde médical

 

PASCALE SANTI                                                                                                             

 

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'est un cours à deux voix que mènent, en ce jour de février, Catherine-Tourette-Turgis, spécialiste de l'éducation thérapeutique, et Patrick Helle, porteur depuis trente-cinq ans d'une polyarthrite rhumatoïde. Dans cette salle de l'université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC, Paris VI), il est question de la préparation de la consultation médicale. Lorsqu'un patient pose une question au médecin, bien souvent, ce dernier ne l'entend pas... Un diabétique voit en moyenne son diabétologue trente minutes par an, apprend-on ; il est donc d'autant plus important de savoir ce qu'il veut lui demander.

 

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ienvenue à l'« université des patients », dans une formation pas tout à fait classique, et pas seulement sur l'estrade. Dans la salle, en effet, les étudiants sont constitués à parts égales de soignants et de patients. Ils sont inscrits au diplôme universitaire (DU) d' « éducation thérapeutique du patient » (ETP), un cursus de 120 heures qui peut accueillir 40 étudiants.

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n théorie, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a reconnu le droit à l'ETP pour les personnes malades, une façon de mieux comprendre sa maladie, de gérer au mieux sa vie avec une pathologie. Dans les faits, la démarche est rarement proposée, ou même évoquée, par le médecin. « Il faut que le grand public sache que l'ETP est une vraie ressource efficiente de soins, mais le patient en tant qu'humain et co soignant est complètement nié », constate Catherine-Tourette-Turgis, chercheuse au Conservatoire national des arts et métiers, professeure des universités en sciences de l'éducation, directrice du master ETP, fondatrice de l'université des patients à Paris-VI.

 

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artant du constat qu'il y a en France 15 millions de personnes vivant avec au moins une maladie chronique, Catherine-Tourette-Turgis a voulu aller plus loin et leur permettre de « faire connaître leur expérience en créant des parcours diplômants ». « Je crois à la capacité du patient de faire quelque chose avec sa maladie », martèle-elle. Catherine-Tourette-Turgis a d'abord travaillé dix ans comme chercheuse sur l'observance thérapeutique : « Je voulais comprendre pourquoi il est si difficile de prendre un traitement quand on est gravement malade. »

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emme de terrain, c'est une militante. Âgée de quinze ans en 1968, elle a d'abord été de tous les combats féministes, luttant pour la liberté de l'avortement et de la contraception, pour les minorités sexuelles. Née d'une mère célibataire à Paris, elle est placée à 3 mois dans une famille d'accueil en Normandie. Elle y vit heureuse jusqu'à 5 ans et demi, avant d'être reprise par sa mère et de se retrouver dans une famille qu'elle qualifie de « dysfonctionnelle ». Elle en parle pudiquement. Celle qui a accompagné des homosexuels lors de leur coming out a décidé de faire le sien auprès de sa famille. Elle parle de son parcours du côté des personnes vulnérables comme d’une évidence.

 

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ès 1986, elle participe à la lutte contre le sida en s'engageant à Aides. En 1996, elle part à San Francisco et milite auprès d'Act Up. Elle accompagne les personnes touchées par le VIH qui commencent à survivre grâce aux trithérapies, leur apprend à se reconstruire grâce au counseling, qu'elle introduira en France. Ce combat contre le VIH va la guider.

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ans ses cours à plusieurs voix, plusieurs cursus sont proposées : formation courtes de 40 heures, DU, master, voire doctorat. Certains patients viennent d'associations, d'autres veulent exercer un nouveau métier : médiateurs de santé, formateurs, etc. À ce jour, 111 d'entre eux ont été diplômés. L'objectif est d'en diplômer de 50 à 100 par an.

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ous ne viennent pas forcément avec la perspective d'un nouveau métier.

 

Atteinte d'un cancer chronique depuis quatre ans, Catherine Parvitte a découvert un article de Catherine-Tourette-Turgis sur Internet et a souhaité s'inscrire à ce DU. « On est très seuls dans le parcours de soins, on n'a pas d'interlocuteurs sur les questions du rapport au travail, à la famille, à la mort, explique cette femme de 46 ans. Toutes ces questions sont en suspens, sans lieu pour dire ce qui nous arrive, ni dans le corps médical ni même dans la société. » Sur les bancs de l'université, elle a d’abord trouvé un espace, un lieu de parole. En effet, les interactions, tant entre patients qu'avec les soignants, sont très importantes.

 

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'université Paris VI a fait figure de pionnière. Patrick Helle a ainsi été un des premiers diplômés, en 2012. « Les universités n'avaient jamais proposé à des malades de valider leur expérience pour obtenir des équivalences en termes de diplômes. Cela montre à quel point l'expérience de la maladie est encore considérée comme sans valeur », regrette Catherine-Tourette-Turgis. Au départ, ça n'a pas été facile. Pourtant, de nombreuses études randomisées montrent les effets positifs de l'éducation thérapeutique, notamment sur l'estime de soi.

 

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ien souvent, la maladie écarte de la vie professionnelle. « Lorsque le patient va mieux et qu'il retourne à Pôle emploi après un long congé maladie, il est blacklisté », constate Catherine-Tourette-Turgis. Elle souhaiterait aussi inventer de nouveaux dispositifs « pour faciliter l'emploi ou le retour à l'emploi de millions de personnes, enfermées dans les cadres rigides proposés aux malades chroniques comme l'allocation adulte handicapé, le revenu de solidarité active, la pension d'invalidité »...

 

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orinne Isnard-Bagnis, professeure de néphrologie à la Pitié-Salpêtrière, qui a lancé en 2015 un DU gestion du stress à l'UPMC, avait déjà ouvert la voie en 2008. Malgré la nouveauté de cette démarche, le professeur Serge Uzan, alors doyen de Paris VI, avait fini par accepter la création de ce diplôme. Aujourd'hui, il est totalement convaincu. « Ce projet m'a semblé intéressant car j'avais conscience que le médecin devait aller plus au contact de ce que pensent les patients et de la façon dont ils sont traités, explique-t-il. Et Catherine-Tourette-Turgis arrive à emmener de nombreuses personnes dans ses projets. »

 

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'autres initiatives existent : Raymond Merle, ancien étudiant de Paris-VI, a créé une université des patients à Grenoble. Il en existe à Marseille, à Nice... Outre-Atlantique, le dispositif est en place depuis plusieurs années, notamment à la faculté de médecine de Montréal, la première à avoir recruté un patient dans l'enregistrement de la recherche, tels Vincent Dumez et Luigi Flora, tous deux chercheurs et touchés par la maladie. Un DU « patients accompagnants » en cancérologie devrait aussi commencer en septembre à l'UPMC.

 

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ertains reprochent toutefois à Catherine-Tourette-Turgis de s'approprier le terme et le concept d' « université des patients ». Elle répond aimer les critiques, ou plutôt le débat, et que son objectif éest ...« L'idée qu'on ait besoin de faire quelque chose de notre maladie semble souvent difficile à faire entrer dans le monde médical, confirme Catherine Parvitte. Pourtant, ça nous ramène du côté des vivants. »

 « L'idée qu'on ait besoin de faire quelque chose de notre maladie semble souvent difficile à faire entrer dans le monde médical, confirme Catherine Parvitte. Pourtant, ça nous ramène du côté des vivants. » ■

était de donner plus de place au patient.

« L'idée qu'on ait besoin de faire quelque chose de notre maladie semble souvent difficile à faire entrer dans le monde médical, confirme Catherine Parvitte. Pourtant, ça nous ramène du côté des vivants. »

 « L'idée qu'on ait besoin de faire quelque chose de notre maladie semble souvent difficile à faire entrer dans le monde médical, confirme Catherine Parvitte. Pourtant, ça nous ramène du côté des vivants. »

est de donner plus de place au patient. Elle est aussi consciente que le chemin reste encore long pour faire entrer cette posture dans les mœurs.