Sections du site en Octobre 2009 :  Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour publier --  Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie --  Histoires de vie  --  Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –Le  webmestre.

 

RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC   AUTEURS, TITRES DE TOUS ARTICLES : CLIC    SYNTHESE GENERALE: CLIC

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Mai 2013

 

L’HOMME RÉPARÉ. QUAND L’HOMME SERA PARFAIT. LE TRANSHUMANISME ?

 

Hervé CHNEIWEISS, Éditions Plon 2012

 

Introduction. Le titre complet de l’ouvrage est : « L’homme réparé : Espoirs, limites et enjeux de la médecine régénératrice. Nous reproduisons ici le chapitre sur le « Transhumanisme »
PP 93 – 100

 

Dr Mabuse ou Pr Nimbus ?

Faut-il prendre au sérieux le transhumanisme ?

 

Si les transhumanistes ne sont pas reconnus par la communauté scientifique et si la manipulation génétique est une fable, pourquoi faire tant d’honneur à des élucubrations peu fondées ? Cette logorrhée un peu délirante sur l’avenir post-humain devrait effectivement nous faire sourire. Toutefois, la puissance des moyens de communication utilisés doit aussi nous inciter à la plus grande vigilance et à ne pas nous contenter de balayer d’un revers dédaigneux ce qui n’est effectivement aujourd’hui qu’un fantasme1.

Car la communication auprès de l’opinion publique et de décideurs ciblés importe bien davantage pour les transhumanistes que le débat en tant que tel. De plus, les thèmes transhumanistes, en flattant l’individualisme d’un côté, en s’appuyant sur le marché de l’autre, progressent. Nous verrons par exemple plus loin, avec l’exemple des banques de sang de cordon ombilical, à quel point le public est prêt à céder aux sirènes mercantiles de services inutiles au plan personnel et dangereux au plan des relations sociales, en raison des principes fondamentaux qu’ils remettent en cause.

Conscients du caractère extrême et éthiquement plus que discutable de leurs propositions, les transhumanistes prétendent également étudier « les possibilités et les dangers de l’utilisation de la science et de la technologie pour surpasser les limites humaines2 ». En effet, l’adhésion au projet transhumaniste porte en germe la fracture qui séparera un jour prochain les Élus/transhumains qui auront été augmentés par la technique et qui auront une chance de survivre, les Déchus/humains, reste historique des Homosapiens sapiens. « […] les membres de la strate privilégiée de la société qui amélioreront éventuellement eux-mêmes et leur progéniture à un tel point que l’espèce humaine se partagerait […] en deux espèces, ou plus, n’ayant plus grand chose en commun, à l’exception de leur histoire partagée. Les génétiquement privilégiés pourraient être sans âge, en bonne santé, des supers génies d’une beauté physique sans défaut… Les non-privilégiés resteraient au niveau d’aujourd’hui, mais seraient peut-être privés d’un peu de leur estime de soi et souffriraient occasionnellement de sursauts de convoitise. La mobilité entre la classe inférieure et la classe supérieure pourrait être réduite à pratiquement zéro3. »

En réponse à cette sérieuse interrogation,  un philosophe comme Max More répond que le transhumanisme partage de nombreux éléments avec l’humanisme, en ce qui concerne le respect de la raison et de la science, l’attachement au progrès et la valorisation de l’existence humaine. Cette position de principe affirmée, nous retrouvons vite l’« irrésistible confiance » décrite par Chastel, et l’Extropy Institute de Max More proclame : « Nous allons au-delà de beaucoup d’humanistes en ce que nous proposons des modifications fondamentales de la nature humaine en vue […] de son amélioration4. » La nature humaine ne serait donc pas fixée une fois pour toutes. Elle changerait, et serait même appelée à muter. Le propre du monde des humains, par opposition à celui des animaux, étant précisément la faculté non seulement d’utiliser mais encore de concevoir des outils techniques afin de pallier ses énormes insuffisances naturelles et d’adapter son milieu à ses désirs (et non pas l’inverse), il conviendrait que l’humanité prenne technologiquement en charge son destin. Cela signifierait qu’elle rompe avec le processus de sélection naturelle mis en évidence par Darwin et qu’elle forge son évolution sur le mode volontariste jusqu’à dépasser la condition humaine : « L’humanité ne doit pas stagner […] L’humanité est une étape provisoire sur le sentier de l’évolution. Nous ne sommes pas le zénith du développement de la nature5. »

Le danger du discours transhumaniste réside précisément dans ces ambitions qui peuvent apparaître comme rationnelles et nobles. Les transhumanistes cherchent à appliquer la raison et la technologie pour lutter contre la pauvreté, la maladie, le handicap, la malnutrition et les gouvernements dictatoriaux. Comment et pourquoi s’opposer à des objectifs qui sont effectivement ceux des Droits de l’homme ? De ce point de vue, le transhumanisme s’inscrit bien dans la suite de l’humanisme conçu comme une « proposition philosophique qui met l’homme et les valeurs humaines au-dessus des autres valeurs ». De plus, les transhumanistes assument l’héritage de Darwin. Ils utilisent le fait que la distinction entre l’être humain et l’animal n’est qu’une question de degré et non de nature, et donc que la hiérarchisation humaniste n’a aucun fondement d’un point de vue biologique. Tirant les conséquences de ce raisonnement, les transhumanistes dénoncent l’emprise du naturalisme sur notre vision du monde. Ils se présentent même comme des héritiers des grandes révolutions en proposant que l’augmentation et la correction technologique soient les moyens d’obtenir enfin l’égalité réelle de chaque humain, physique,  intellectuelle, sociale et politique, en éliminant les particularités mentales et physiques liées à la biologie de chaque individu. De ce point de vue, le transhumanisme prétend qu’il existe un impératif éthique pour que les humains recherchent le progrès et l’amélioration.

Dans la réalité de leurs écrits, les inquiétudes sont rares, la prudence théorique, la précaution absente et l’adhésion à la capacité de la science à nous porter vers une condition post-humaine est totale. Le transhumanisme sous son fard high-tech n’est en fait que le dernier avatar réactionnaire du déterminisme.

L’idéologie transhumaniste réhabilite le mythe d’un nouvel homme maître des éléments qui composent son corps amélioré, et d’une supra-intelligence collective capable enfin de reconnaître et comprendre un avenir qui cesse d’être incertain et surtout incontrôlé. Derrière la technophilie se cache l’espoir de retrouver cette position de maître de la Nature ébranlée par la « bande des quatre » (Darwin, Marx, Einstein, Freud).

 

Un programme ultralibéral et antihumaniste

 

Certains s’étonneront de voir Marx dans cette tétralogie. Il y a sa place car, sur le plan économique et social, la position transhumaniste est profondément libérale au sens économique du terme. Les transhumanistes sont en effet dans leur majorité convaincus des seules vertus du marché, et les œuvres du théoricien néolibéral Friedrich von Hayek figurent sur pratiquement toutes les listes de lectures recommandées. De fait, l’idéologie transhumaniste s’accorde parfaitement avec l’esprit économique dominant exigeant un accroissement constant de la productivité individuelle. En sus d’intégrer toujours davantage la technique dans le processus de production, dans le but d’obtenir une progression continuelle de la performance et de la rentabilité du travailleur, si l’on pouvait aussi persuader celui-ci de s’intégrer à la technosphère, un véritable saut d’échelle serait réalisé en matière à la fois d’exploitation et d’aliénation6.

 
Ce que Dominique Lecourt replace aussi dans une perspective plus religieuse : « Ce que proclament aujourd’hui tout haut les techno-prophètes américains dans leur étrange style néobiblique qui les rapprochent des télé-évangélistes, c’est qu’ils tiennent l’application des sciences à la technique pour une tâche sacrée susceptible de permettre à l’être humain de surmonter les conséquences de la Chute, de le préparer à la rédemption et de trouver le bonheur d’Adam au paradis terrestre7. »

La vision déterministe les conduit à fétichiser un idéal bionique et un destin humain détaché des incertitudes liées aux mouvements chaotiques des interactions sociales. Incapables par conséquent d’imaginer ou d’admettre la nécessité de solutions sociales et politiques, ils choisissent de tout ramener au fantasme d’une génétique des comportements dont la maîtrise technologique manifesterait le triomphe de la toute-puissance du génie humain, quitte à métamorphoser le sujet/individu humain en projet posthumain/transhumain.

N’hésitant pas à piétiner les fondements de la bioéthique et les interdits de manipulation du génome humain, les transhumanistes appellent à l’ingénierie des cellules germinales et au clonage reproductif. La Déclaration transhumaniste de More l’explique : « La responsabilité et l’autonomie personnelles vont de pair avec l’expérimentation […] L’expérimentation et l’autotransformation exigent la prise de risques ; nous souhaitons être libres d’évaluer les éventuels risques et bénéfices pour nous-mêmes, de procéder à nos propres jugements et d’ en assumer la responsabilité en ce qui concerne les résultats. Nous nous opposons vigoureusement à toute coercition de la part de ceux qui tenteraient d’imposer leurs jugements en matière de sécurité et d’effectivité des différents moyens d’autoexpérimentation […] La protection paternaliste de l’individu est inacceptable pour nous. » Ainsi, les transhumanistes transposent l’approche néolibérale de l’économie à la génétique humaine. L’objectif affiché est d’apporter des améliorations à l’être humain grâce à des reprogrammations par analogie avec les versions successives d’un logiciel d’ordinateur. Comme le souligne le philosophe Klaus-Gerd Giesen, cette métaphore est foncièrement antihumaniste et correspond au fantasme mécanique de l’homme-machine.

Contrairement au projet de la première Renaissance où l’humain était destiné à devenir meilleur par l’éducation, et le monde par des réformes sociales et politiques, la convergence NBIC nous propose une nouvelle forme du fantasme eugéniste selon lequel il existe un optimal et, en contrepartie, un ensemble de tares à éliminer ; ce qu’exprime avec une rare naïveté
James Hugues : « Si vous sélectionnez, sur catalogue, la plupart des gènes de votre enfant, cette sélection renforcerait probablement l’importance de vos liens parento-sociaux avec vos enfants8. » Raisonnement pervers dans son apparente simplicité car si le catalogue des mutations à l’origine de maladies graves, donc le catalogue des « mauvais gènes », commence à exister, celui des « bons » gènes  n’existera jamais.

Cet argument n’arrête pas les philosophes transhumanistes, qui raisonnent en termes purement utilitaristes : « Très probablement, il y aura quelques conséquences négatives de l’ingénierie germinale humaine qui ne peuvent être ou ne seront pas anticipées. Inutile de dire que la seule existence d’effets négatifs n’est pas une raison suffisante pour ne pas y procéder. Toute technologie majeure […] a quelques conséquences négatives, y compris quelques conséquences imprévues. Et il en va de même pour le choix de préserver le statu quo. Ce n’est qu’après une comparaison équitable des risques et des probables conséquences positives que l’on peut parvenir à une conclusion fondée sur une analyse en termes de coûts-bénéfices9. »

Ces propos relativement récents reprennent de façon étonnante ce que disaient les eugénistes du début du XXe siècle. On peut retrouver des citations semblables chez
Charles Richet, prix Nobel de médecine en 1913 : « Quoi ! Nous nous appliquons à produire des races sélectionnées de chevaux, de chiens, de porcs, voire de prunes et de betteraves, et nous ne faisons aucun effort pour créer des races humaines moins défectueuses […]. Quelle incurie étonnante. » Alexis Carrel, également lauréat du prix Nobel, considère quelques années plus tard que les moyens de sélection serviront à « créer des races humaines moins défectueuses, pour donner plus de vigueur aux muscles, plus de beauté aux traits, plus de pénétration à l’intelligence […], plus d’énergie au caractère, …

 

Suite à une erreur matérielle de ma -part, la demi-page 100 n’est pas reproduite. Excuses (H.C.)

                  

1.Klaus-Gerd GiesenTranshumanisme et génétique humaine», L’Observatoire de la génétique,n° 16, mars-avril 2004, www.ircm.qc.ca

 

2. Déclaration transhumaniste consultable sur le site de la WTA.

 

3. Bostrom N., « Human genetic enchancements : a transhumanist perspective », cité par Klauss-Gerd Giesen « Transhumanisme et génétique humaine », art. cit.

 

4.MoreM.,«The Extropian Principles.A transhumanist declaration»,cité par Klauss-Gerd Giesen « Transhumanisme et génétique humaine », idem.

 

5. More M., « On becoming post-human », cité par Klauss-Gerd Giesen « Transhumanisme et génétique humaine », ibidem.

 

6. Klaus-Gerd Giesen, « Transhumanisme et génétique humaine », art. cit.

 

7. Lecourt D., Humain, posthumain, Presses Universitaires de France, Paris, 2003.

 

8. Hugues J., « Embracing change with all four arms : A post-humanist defense of genetic engineering » Eubios Journal of Asian and International Bioethics, 1996 ; 6(4) : 9-101. Cité par
Klaus-Gerd Giesen, « Transhumanisme et génétique humaine », art. cit.

 

9.BostromN.,«Humangenetic enchancements :a transhumanist perspective» cité par Klauss-Gerd Giesen « Transhumanisme et génétique humaine », art. cit.