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Mai 2013
L’HOMME RÉPARÉ. QUAND
L’HOMME SERA PARFAIT. LE TRANSHUMANISME ?
Introduction.
Le titre complet de l’ouvrage est : « L’homme réparé : Espoirs,
limites et enjeux de la médecine régénératrice. Nous reproduisons ici le chapitre
sur le « Transhumanisme »
PP 93 – 100
Dr Mabuse ou Pr Nimbus ?
Si les transhumanistes ne sont pas reconnus
par la communauté scientifique et si la manipulation génétique est une fable,
pourquoi faire tant d’honneur à des élucubrations peu fondées ? Cette
logorrhée un peu délirante sur l’avenir post-humain devrait effectivement nous
faire sourire. Toutefois, la puissance des moyens de communication utilisés
doit aussi nous inciter à la plus grande vigilance et à ne pas nous contenter
de balayer d’un revers dédaigneux ce qui n’est effectivement aujourd’hui qu’un
fantasme1.
Car la communication auprès de l’opinion publique et de décideurs
ciblés importe bien davantage pour les transhumanistes
que le débat en tant que tel. De plus, les thèmes transhumanistes,
en flattant l’individualisme d’un côté, en s’appuyant sur le marché de l’autre,
progressent. Nous verrons par exemple plus loin, avec l’exemple des banques de
sang de cordon ombilical, à quel point le public est prêt à céder aux sirènes
mercantiles de services inutiles au plan personnel et dangereux au plan des
relations sociales, en raison des principes fondamentaux qu’ils remettent en
cause.
Conscients du caractère extrême et éthiquement plus que discutable de
leurs propositions, les transhumanistes prétendent
également étudier « les possibilités et les dangers de l’utilisation de la
science et de la technologie pour surpasser les limites humaines2 ».
En effet, l’adhésion au projet transhumaniste porte
en germe la fracture qui séparera un jour prochain les Élus/transhumains
qui auront été augmentés par la technique et qui auront une chance de survivre,
les Déchus/humains, reste historique des Homosapiens
sapiens. « […] les membres de la strate privilégiée de la société qui
amélioreront éventuellement eux-mêmes et leur progéniture à un tel point que
l’espèce humaine se partagerait […] en deux espèces, ou plus, n’ayant plus
grand chose en commun, à l’exception de leur histoire partagée. Les génétiquement privilégiés
pourraient être sans âge, en bonne santé, des supers génies d’une beauté
physique sans défaut… Les non-privilégiés resteraient au niveau
d’aujourd’hui, mais seraient peut-être privés d’un peu de leur estime de soi et
souffriraient occasionnellement de sursauts de convoitise. La mobilité entre la
classe inférieure et la classe supérieure pourrait être réduite à pratiquement
zéro3. »
En réponse à cette sérieuse interrogation, un philosophe comme Max More répond que le transhumanisme partage de nombreux éléments avec l’humanisme, en ce qui concerne le respect de la raison et de la science, l’attachement au progrès et la valorisation de l’existence humaine. Cette position de principe affirmée, nous retrouvons vite l’« irrésistible confiance » décrite par Chastel, et l’Extropy Institute de Max More proclame : « Nous allons au-delà de beaucoup d’humanistes en ce que nous proposons des modifications fondamentales de la nature humaine en vue […] de son amélioration4. » La nature humaine ne serait donc pas fixée une fois pour toutes. Elle changerait, et serait même appelée à muter. Le propre du monde des humains, par opposition à celui des animaux, étant précisément la faculté non seulement d’utiliser mais encore de concevoir des outils techniques afin de pallier ses énormes insuffisances naturelles et d’adapter son milieu à ses désirs (et non pas l’inverse), il conviendrait que l’humanité prenne technologiquement en charge son destin. Cela signifierait qu’elle rompe avec le processus de sélection naturelle mis en évidence par Darwin et qu’elle forge son évolution sur le mode volontariste jusqu’à dépasser la condition humaine : « L’humanité ne doit pas stagner […] L’humanité est une étape provisoire sur le sentier de l’évolution. Nous ne sommes pas le zénith du développement de la nature5. »
Le danger du discours transhumaniste réside précisément dans ces ambitions qui
peuvent apparaître comme rationnelles et nobles. Les transhumanistes
cherchent à appliquer la raison et la technologie pour lutter contre la
pauvreté, la maladie, le handicap, la malnutrition et les gouvernements
dictatoriaux. Comment et pourquoi s’opposer à des objectifs qui sont
effectivement ceux des Droits de l’homme ? De ce point de vue, le transhumanisme s’inscrit bien dans la suite de l’humanisme
conçu comme une « proposition philosophique qui met l’homme et les valeurs
humaines au-dessus des autres valeurs ». De plus, les transhumanistes
assument l’héritage de Darwin. Ils utilisent le fait que la distinction entre
l’être humain et l’animal n’est qu’une question de degré et non de nature, et
donc que la hiérarchisation humaniste n’a aucun fondement d’un point de vue
biologique. Tirant les conséquences de ce raisonnement, les transhumanistes
dénoncent l’emprise du naturalisme sur notre vision du monde. Ils se présentent
même comme des héritiers des grandes révolutions en proposant que
l’augmentation et la correction technologique soient les moyens d’obtenir enfin
l’égalité réelle de chaque humain, physique,
intellectuelle, sociale et politique, en éliminant les particularités
mentales et physiques liées à la biologie de chaque individu. De ce point de
vue, le transhumanisme
prétend qu’il existe un impératif éthique pour que les humains recherchent le
progrès et l’amélioration.
Dans la réalité de leurs écrits, les inquiétudes sont rares, la
prudence théorique, la précaution absente et l’adhésion à la capacité de la
science à nous porter vers une condition post-humaine est totale. Le transhumanisme sous son fard high-tech n’est en fait que le
dernier avatar réactionnaire du déterminisme.
L’idéologie transhumaniste réhabilite le
mythe d’un nouvel homme maître des éléments qui composent son corps amélioré,
et d’une supra-intelligence collective capable enfin de reconnaître et
comprendre un avenir qui cesse d’être incertain et surtout incontrôlé. Derrière
la technophilie se cache l’espoir de retrouver cette position de maître de la
Nature ébranlée par la « bande des quatre » (Darwin, Marx, Einstein, Freud).
Certains s’étonneront de voir Marx dans cette
tétralogie. Il y a sa place car, sur le plan économique et social, la position transhumaniste est profondément libérale au sens économique
du terme. Les transhumanistes sont en effet dans leur
majorité convaincus des seules vertus du marché, et les œuvres du théoricien
néolibéral Friedrich von Hayek figurent sur
pratiquement toutes les listes de lectures recommandées. De fait, l’idéologie transhumaniste s’accorde parfaitement avec l’esprit
économique dominant exigeant un accroissement constant de la productivité
individuelle. En sus d’intégrer toujours davantage la technique dans le
processus de production, dans le but d’obtenir une progression continuelle de
la performance et de la rentabilité du travailleur, si l’on pouvait aussi
persuader celui-ci de s’intégrer à la technosphère,
un véritable saut d’échelle serait réalisé en matière à la fois d’exploitation
et d’aliénation6.
Ce que Dominique Lecourt replace aussi dans une perspective plus
religieuse : « Ce que proclament aujourd’hui tout haut les
techno-prophètes américains dans leur étrange style néobiblique
qui les rapprochent des télé-évangélistes, c’est qu’ils tiennent l’application
des sciences à la technique pour une tâche sacrée susceptible de permettre à
l’être humain de surmonter les conséquences de la Chute, de le préparer à la
rédemption et de trouver le bonheur d’Adam au paradis terrestre7. »
La vision déterministe les conduit à fétichiser un
idéal bionique et un destin humain détaché des incertitudes liées aux
mouvements chaotiques des interactions sociales. Incapables par conséquent
d’imaginer ou d’admettre la nécessité de solutions sociales et politiques, ils
choisissent de tout ramener au fantasme d’une génétique des comportements dont
la maîtrise technologique manifesterait le triomphe de la toute-puissance du
génie humain, quitte à métamorphoser le sujet/individu humain en projet posthumain/transhumain.
N’hésitant pas à piétiner les fondements de la bioéthique et les
interdits de manipulation du génome humain, les transhumanistes appellent à l’ingénierie
des cellules germinales et au clonage reproductif. La Déclaration transhumaniste de More l’explique : « La
responsabilité et l’autonomie personnelles vont de pair avec l’expérimentation
[…] L’expérimentation et l’autotransformation exigent
la prise de risques ; nous souhaitons être libres d’évaluer les éventuels
risques et bénéfices pour nous-mêmes, de procéder à nos propres jugements et d’ en assumer la responsabilité en ce qui concerne les
résultats. Nous nous opposons vigoureusement à toute coercition de la part de
ceux qui tenteraient d’imposer leurs jugements en matière de sécurité et
d’effectivité des différents moyens d’autoexpérimentation
[…] La protection paternaliste de l’individu est inacceptable pour nous. »
Ainsi, les transhumanistes transposent l’approche
néolibérale de l’économie à la génétique humaine. L’objectif affiché est
d’apporter des améliorations à l’être humain grâce à des reprogrammations par
analogie avec les versions successives d’un logiciel d’ordinateur. Comme le
souligne le philosophe Klaus-Gerd Giesen, cette
métaphore est foncièrement antihumaniste et correspond au fantasme mécanique de
l’homme-machine.
Contrairement au projet de la première Renaissance où l’humain était
destiné à devenir meilleur par l’éducation, et le monde par des réformes
sociales et politiques, la convergence NBIC nous propose une nouvelle forme du
fantasme eugéniste selon lequel il existe un optimal et, en contrepartie, un
ensemble de tares à éliminer ; ce qu’exprime avec une rare naïveté
James Hugues : « Si vous sélectionnez, sur catalogue, la plupart des gènes
de votre enfant, cette sélection renforcerait probablement l’importance de vos
liens parento-sociaux avec vos enfants8. »
Raisonnement pervers dans son apparente simplicité car si le catalogue des mutations à l’origine de maladies graves, donc le
catalogue des « mauvais gènes », commence à exister, celui des « bons »
gènes n’existera jamais.
Cet argument n’arrête pas les philosophes transhumanistes,
qui raisonnent en termes purement utilitaristes : « Très probablement, il
y aura quelques conséquences négatives de l’ingénierie germinale humaine qui ne
peuvent être ou ne seront pas anticipées. Inutile de dire que la seule
existence d’effets négatifs n’est pas une raison suffisante pour ne pas y
procéder. Toute technologie majeure […] a quelques conséquences négatives, y
compris quelques conséquences imprévues. Et il en va de même pour le choix de
préserver le statu quo. Ce n’est qu’après une comparaison équitable des
risques et des probables conséquences positives que l’on peut parvenir à une
conclusion fondée sur une analyse en termes de coûts-bénéfices9. »
Ces propos relativement récents reprennent de façon étonnante ce que
disaient les eugénistes du début du XXe siècle. On peut retrouver
des citations semblables chez
Charles Richet, prix Nobel de médecine en 1913 : « Quoi ! Nous nous
appliquons à produire des races sélectionnées de chevaux, de chiens, de porcs,
voire de prunes et de betteraves, et nous ne faisons aucun effort pour créer
des races humaines moins défectueuses […]. Quelle incurie étonnante. » Alexis
Carrel, également lauréat du prix Nobel, considère quelques années plus tard
que les moyens de sélection serviront à « créer des races humaines moins
défectueuses, pour donner plus de vigueur aux muscles, plus de beauté aux
traits, plus de pénétration à l’intelligence […], plus d’énergie au caractère,
…
Suite à une erreur matérielle de ma -part, la
demi-page 100 n’est pas reproduite. Excuses (H.C.)
1.Klaus-Gerd
Giesen,«Transhumanisme et génétique
humaine», L’Observatoire de la génétique,n° 16, mars-avril 2004, www.ircm.qc.ca
2.
Déclaration transhumaniste consultable sur le site de
la WTA.
3.
Bostrom N., « Human genetic enchancements : a transhumanist perspective », cité par Klauss-Gerd
Giesen « Transhumanisme et
génétique humaine », art. cit.
4.MoreM.,«The Extropian Principles.A transhumanist declaration»,cité par Klauss-Gerd
Giesen « Transhumanisme et
génétique humaine », idem.
5.
More M., « On becoming post-human
», cité par Klauss-Gerd Giesen
« Transhumanisme et génétique humaine », ibidem.
6.
Klaus-Gerd Giesen, « Transhumanisme
et génétique humaine », art. cit.
7.
Lecourt D., Humain, posthumain, Presses Universitaires
de France, Paris, 2003.
8. Hugues J., « Embracing
change with all four arms : A post-humanist
defense of genetic engineering » Eubios Journal of Asian and
International Bioethics, 1996 ; 6(4) : 9-101. Cité par
Klaus-Gerd Giesen, « Transhumanisme
et génétique humaine », art. cit.
9.BostromN.,«Humangenetic enchancements :a transhumanist
perspective» cité par Klauss-Gerd Giesen
« Transhumanisme et génétique humaine », art. cit.