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MARS 2009
Raphaëlle REROLLE
Source : Le Monde 13 décembre 2008
En France, ils pourraient être jusqu’à 150 000 en 2050, au Japon près
d’un million. « Le Monde 2 » a
rencontré ces pionniers d’une époque nouvelle. Ils parlent tout autant de notre futur
que de leur passé, et décrivent un autre rapport au temps et au corps.
Contrairement à ce que
pourraient suggérer les récentes célébrations organisées à Paris pour ses 100
ans, Claude Levi-Strauss n’est pas un oiseau rare.
Pas plus que le grand cinéaste portugais Manoel de
Oliveira, 100 ans lui aussi, ou Sœur Emmanuelle, morte juste avant d’atteindre
le siècle. Autrement dit, si ces personnes sont remarquables c’est évidemment
par leur œuvre et pas tant par leur longévité. Car les recensements montrent que
les centenaires sont de plus en plus nombreux - assez pour produire leurs stars
et attirer l’attention des scientifiques.
Qui sont ces humains qui défient les
lois du temps ?
Un siècle entier dans la tête
et le poids du monde sur chaque jambe, deux guerres, des mains qui tremblent,
des refrains que plus personne ne connaît, une poignée de bonheurs et plein de
souvenirs - autant qu’il en faut pour tenir des journées dans un fauteuil. Si petits, si fragiles qu’ils semblent déjà
presque effacés du monde des vivants. Pourtant, les centenaires
fascinent : ils campent aux avants-postes.
Menacés, vulnérables, ils n’en sont pas moins la pointe avancée de l’humanité.
Sur eux se concentrent toutes
les interrogations et les inquiétudes liées aux limites de la longévité, mais
aussi au vieillissement de la population. Moins exceptionnels qu’autrefois, et
néanmoins pas tout à fait comme les autres, tant le cap du siècle continue de
susciter étonnement, admiration ou effroi.
Prenant la mesure de leur
augmentation vertigineuse, démographes, médecins, sociologues se penchent de
plus en plus sur cette population traversée par des constantes (la
surreprésentation des femmes) et d’étonnantes variantes (dans les modes de vie
et de prise en charge différant selon les cultures)
Une règle, cependant : partout leur statut a changé avec
l’explosion de leur nombre. En quelques décennies, les centenaires sont
passés d’une cohorte minuscule à une très grande famille. En France, on n’en recensait qu’une centaine en 1900, et plus de 20 000 en 2008, selon l’Insee,
soit l’un des chiffres les plus élevés du monde.
Amorcée vers la fin des
années 1960, cette progression concerne probablement toutes les régions du
monde, même si les statistiques fiables manquent pour de nombreux pays. Plus encore
que les données actuelles, ce sont les projections qui stupéfient : la France devrait compter 60 000
centenaires en 2050 selon l’INED, voire 150 000 à 160 000 pour des
estimations prenant en compte les évolutions récentes.
…………..Pour autant qu’on puisse
voir si loin, dans cette équation à de multiples inconnues, un peu plus de la
moitié des fillettes nées en 2000 atteindraient la centaine !!
Autrefois considérés comme
des êtres d’exception, les centenaires d’aujourd’hui sont en passe de se
banaliser. Monsieur et Madame Tout-Le-Monde peuvent atteindre le siècle, à
l’instar de la vedette mondiale des centenaires, la terrible Jeanne Calment,
morte à 122 ans en 1997.
Et que sait-on d’eux ? Pas
grand-chose.
En dehors des éternelles questions sur leurs secrets de longévité, ils sont
rarement abordés pour ce qu’ils sont : des individus à part entière. Des êtres humains qui peuvent avoir
perdu l’usage de leurs yeux, de leurs oreilles ou de leurs jambes, mais pas
forcément celui de leurs émotions ni de leur intelligence (25 à 30% des
centenaires français sont en bon état du point de vue cognitif)
Et qui, dans la variété de
leurs personnalités singulières, manifestent certains traits communs.
La première chose qui frappe, quand on les rencontre,
c’est leur physique.
Centenaire, ce n’est pas tout
à fait comme vieux, ou même très vieux.
C’est échapper à l’ordre des
choses, y compris dans l’apparence.
Presque tous ont perdu de la
surface corporelle, de l’épaisseur, comme si une partie d’eux s’était déjà retirée.
Ce qu’exprime très bien Germaine, 100 ans tout juste, qui ne veut pas donner
son nom « Avant, j’étais une personne de 62 kgs,
je représentais quelque chose à 62 kgs,
non ? »
Elle vous regarde par en
dessous, roulant des yeux pâles, des
yeux de théâtre, avec une vitalité ahurissante. « Et maintenant ?
Devinez combien ? 48 !! Je me force à manger, sinon on va m’emmener dans un cercueil. »
En plus de ses
manières drolatiques et de sa poignée de main vigoureuse, Germaine, qui vit
seule dans un quartier populaire de Lyon, possède une langue claire, articulée,
remarquablement précise, comme de nombreux centenaires.
C’est qu’un tiers de leur vie
s’est déroulé avant le début de la seconde guerre mondiale, autrement dit à une
époque où l’on s’exprimait assez
différemment de maintenant. Non seulement ils parlent de manière très
distincte, mais ils émaillent la conversation de termes désuets. Une
« contraction d’organes » peut avoir provoqué la stérilité, le train
s’appelle encore le « chemin de fer » et le journal télévisé les
« actualités ».
De plus, le politiquement
correct ne les a pas atteints : à l’occasion, certains d’entre eux se
lâchent sans aucune inhibition, évoquant les immigrés ou les différences
sociales avec une brutalité qui surprend.
... …..Quand à Félix Rollet, (103 ans) et à son épouse ( 99
ans ) , tous les deux à leur domicile, ils se sentent de plain-pied dans le
présent. « La vie actuelle a son intérêt, explique M.Rollet, ancien adjoint à l’urbanisme de trois maires de
Lyon successifs, dont Edouard Herriot, Je pense à mes années de jeunesse
avec plaisir, mais je ne les regrette pas. » L’affliction n’est pas au
vocabulaire de ce couple hors du commun.
« La nostalgie ?
Connais pas » coupe Mme Rollet qui se réjouit
d’avoir eu « une vie assez rigolote. »
« En vieillissant, ils
entrent dans une sorte de dissolution du temps « Christiane Swane, sociologue
Pleine de rebondissements,
sans doute, mais pas toujours facile. Résistant, Félix Rollet
a été arrêté par la milice , expédié à Montluc puis à
Fresnes. Pendant ce temps, sa femme a dû se débrouiller tant bien que mal, en
encadrant des colonies de vacances où les enfants criaient famine. Les parcours
bordés de roses ne font pas nécessairement
les centenaires. Germaine a travaillé comme tisseuse de soie à la
Croix-Rousse à Lyon, dès l’âge de 14 ans. Et Ella Clausen
n’a jamais pu finir l’école, en dépit des supplications de son instituteur. «J’ai
travaillé comme fille de ferme à 11 ans, mes parents n’avaient pas de quoi
payer un vélo pour que je puisse aller à l’école. »
………..Pourtant ce
n’est pas l’intérêt pour les affaires du monde qui leur manque
, même quand ils jettent un œil sévère sur leur temps – notamment au
sujet des questions de mœurs. Félix Rollet lit
plusieurs journaux chaque jour et Justine Peyrouse,
bientôt 104 ans, suit, autant que ses yeux le lui permettent, les journaux
télévisés. « J’aime bien » dit-elle en se ranimant tout à coup.
Mme Peyrouse n’est pas dans un « bon jour »,
nous a-t-elle informés gentiment, quand on est entrés dans sa chambre. « en colère dedans » Et alors ? pourquoi les informations ? « Mais il faut
bien se tenir au courant ! » Elle se révolte, très en colère pour
le coup. « Autrement, je serais là, comme une bête . »
Parce que les journées sont longues, quand on est coincé entre lit et fauteuil.
En arrivant dans le très grand âge, on
entre aussi dans un autre temps, presque une autre dimension. …….
Face au vieillissement, les femmes se
laissent vivre, comme des roseaux, les hommes tentent de résister, comme des
chênes.
Fredéric Balard, anthropologue
Dans ce temps sans temps, marqué par une
grande lassitude pour certains, la vie résiste. Elle a même la vie dure, au
grand désarroi de ceux qui l’hébergent, à leur corps défendant parfois. « Je
trouve le temps long, je ne sers plus à rien »,se plaint Justine Peyrouse, qui séjourne depuis quatre ans dans une maison de
retraite. L’utilité sociale est
évidemment l’une des clés du désir de vivre encore : pouvoir rendre
service ou même seulement intéresser, en racontant les histoires du passé.
Mais dans la perception du
vieillissement, les hommes et les femmes ne sont pas logés à la même enseigne.
C’est en tous cas
l’une des observations de Frédéric Balard, chercheur à l’unité Démographie et
Santé de l’université Paul-Valéry de Montpellier. Pour sa thèse sur les
« plus âgés des âgés », soutenue en 2008, ce jeune anthropologue a
suivi des individus nés entre 1905 et 1915……I
Il a remarqué que
les femmes sont beaucoup plus nombreuses à atteindre le grand âge, mais
proportionnellement en moins bonne santé que les hommes. Surtout, il a mis en
évidence que les femmes et les hommes ont des attitudes extrêmement différentes
face au vieillissement. « Les hommes veulent lutter contre les
stigmates de la vieillesse, souligne l’anthropologue. Pour eux,
vieillir, c’est ne plus pouvoir travailler, bouger, etc. Alors ils s’acharnent
à montrer qu’ils taillent la vigne à 86 ans ou qu’ils marchent tous les jours
une heure et demie avec leur canne. Les femmes, elles, sont dans une logique
opposée : elles cherchent moins à préserver leur image, elles se laissent
vivre, elles acceptent mieux le vieillissement. Elles plient, comme les roseaux,
quand eux tentent de résister, comme des chênes. »
……..Bernard Jeune, médecin
épidémiologiste du vieillissement et chercheur à l’université du sud du
Danemark, à Odense, commente : « Il m’a souvent semblé que les
femmes vivaient peut-être plus longtemps, pour pouvoir profiter enfin d’un
temps sans charge, un peu plus libre. » Evoquant l’une des deux super centenaires
(les personnes âgées de plus de 110 ans) qu’a comptées le Danemark, il
ajoute : « elle avait soigné son mari, un invalide de guerre,
avant de devenir veuve et de vivre jusqu’à 111 ans. Elle
disait : « J’ai été libre à partir de 80 ans. » Très âgée,
elle jouait encore au foot avec ses petites-filles. »
Ce qui n’empêche pas ces
grands vieillards de regretter leurs morts. Tous vivent dans une sorte de cimetière géant, entourés de tombes :
parents, conjoints, frères et sœurs, amis et même enfants, bien souvent. Est-ce
très difficile ?
« Vous savez, ils ne
sont pas tous morts d’un coup, remarque l’une d’entre eux. Ils s’en vont
par petits paquets, on s’habitue… » La plupart du temps, ils affirment
ne pas avoir peur de la mort en elle-même. « Je demande juste à ne
pas souffrir », glissent-ils dans un souffle. En attendant, certains
savourent leur incroyable résistance, s’amusent même à en rajouter sur leur
solidité, leur vaillance. Et se réjouissent,
visiblement, de cette victoire sur le temps, petit pied de nez à la face
de la mort.
La longévité, miroir de la société
Autonomes et en bonne santé au Nord, par exemple au
Danemark, plus âgés et plus dépendants au Sud, comme en Italie la grande
vieillesse révèle les différences de conception de la famille en Europe. Plus d’indépendance au Nord, plus de
« nursing » familial au Sud.
Tel est, en condensé le message de
l’article du Monde à ce sujet.HC.