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Novembre 2009

 

 LE SENTIMENT DE SOLITUDE

Jacques GAUCHER

Directeur Institut de Psychologie - Lyon Il

 

Accompagner et Soigner n021-1995

 

Le terme de solitude est aujourd’hui très utilisé. Il semble évoquer des ressentis et des réalités bien différents. Il existe, en effet, une certaine confusion entre des termes qui, par ailleurs, sont fort différents les uns des autres, tels que isolement, retrait, détachement, ou encore arrachement.

De quoi souffrent nos aînés, dans la mesure où l’on évoque sans cesse la solitude des personnes âgées ? S’agit-il de la même souffrance chez des plus jeunes ? La solitude a-t-elle un âge ?

Les psychologues ont montré que la solitude est un événement fondateur de la personnalité chez l’enfant et, comme l’a démontré D.W. Winnicot, quelque chose de nécessaire pour que celui-ci se détache de sa mère et progresse vers son autonomie.

Toutefois, l’avance en âge et la perspective du grand âge convoquent l’individu à la solitude par le simple fait de la proximité de la mort.

Avant tout il semble indispensable de définir mieux le vocabulaire afin d’éviter les confusions souvent entretenues évoquées précédemment.

 

L’isolement est un phénomène objectif, quantifiable et auquel il est possible de répondre de façon objective et concrète. L’isolement est souvent évoqué selon une véritable fonction d’écran par rapport à la solitude. Les réponses à l’isolement ne répondent pas à la solitude et parfois même l’aggravent.

 

La solitude est liée à l’individualité. Etre seul, être dans la solitude, c’est être unique. La solitude est un peu comme le revers de la médaille de l’individualité au sens ou ne pas être confondu avec son entourage, avoir la possibilité d’une reconnaissance singulière, c’est quelque part être voué à la solitude.

 

L’homme est paradoxal, il est « un » et il est « relation ». On peut être terriblement seul dans un groupe et a fortiori dans une foule ; l’environnement est, en effet un écrin de solitude et tout particulièrement si l’on se réfère à la fonction qu’occupe l’entourage chez le petit enfant, et plus précisément à la fonction maternelle dans ce moment de la nécessité pour l’enfant d’être capable d’une certaine solitude. La constitution de la collectivité est à ce niveau, une induction de solitude et l’on sait que l’institution est, paradoxalement un vecteur de solitude.

J’évoquerai à cet endroit de notre réflexion, deux fantasmes qui nourrissent quelques-uns de nos rêves ou de nos cauchemars. Il s’agit, d’une part de l’idée, voire du souhait de l’autoreproduction, en ce sens qu’il n’y aurait plus d’écart marqué entre les générations, entre soi et ses parents, entre soi et ses enfants. C’est l’image du clonage, de la reproduction à l’identique et de l’effacement des différences. D’autre part, nous connaissons bien la séduction qu’opère la perspective du « sosie », du double de soi-même, comme s’il y avait là la possibilité d’éviter de se confronter à l’unicité de soi, à l’extériorité totale et irréversible de l’environnement humain.

Le retrait est une mise à distance qui ne rompt rien, qui étire la relation, comme pour l’aérer, un peu comme s’il était question ici de solitude souhaitée, voire de solitude recherchée comme une réponse nécessaire à la pression d’un environnement trop proche et quelque peu étouffant.

Tout semble se passer comme si le retrait procédait d’une démarche volontaire, active et salutaire. En revanche, à retrait peut aussi correspondre la notion de retraite. Or, on sait à quel point le terme de retraite est passé d’une connotation de quasi-vacances à l’écartement, l‘éloignement. Il s’agit donc d’une notion particulièrement équivoque.

Le détachement correspondrait plus à la possibilité pour une personne de s’accommoder d’une perte, d’une séparation et relèverait de cette manière de la capacité de l’individu concerné à élaborer un travail de deuil. Il est plus particulièrement question à ce sujet d’un travail psychique de reprise des investissements au moins en partie, qui avaient été dirigés antérieurement vers l’objet maintenant perdu. Cette question du détachement est très précisément à l’oeuvre dans le travail du vieillir, et à l’occasion des crises développementales telles que les a étudiées E. Erikson ou E. Jaques.

L’arrachement relève de la séparation brutale, non préparée et qui fait terriblement souffrir. Il intervient là même où la relation était du type fusionnel et faisait de l’individu un être totalement dépendant de ce lien. L’arrachement est une sorte d’impossible détachement. Nous pourrions évoquer l’arrachement à l’occasion de la perte brutale des habitudes, de son domicile ou d’une mère encore tellement nécessaire pour vivre.

Pour interroger la question de la solitude, il faut revenir à D. W. Winnicott et au concept de « capacité d’être seul en présence de quelqu’un ». En effet, la séparation est la condition pour que l’autonomie se construise et que l’individualité émerge. Mais cette expérience est extrêmement difficile et risquée dans la mesure où l’enfant va devoir prendre le risque de lui-même, et de l’éloignement de ce qui a été la source de son confort psychique et psychosomatique jusque là. L’enfant va effectuer ce que nous pourrions nommer un détachement par étayage au sens où il se tient à distance tout en ne perdant pas de vue l’objet rassurant et nécessaire. Il s’agit d’un contact à distance autorisant une sorte de prise d’appui, à condition que l’enfant ait pu maintenir la confiance en l’objet. Tout le monde a pu observer ces scènes au cours desquelles les jeunes enfants aiment jouer à «cache-cache » en camouflant leur visage de telle sorte qu’ils voient au travers des mains qu’ils se collent sur le visage en écartant soigneusement leurs doigts. L’autonomie et la singularité de soi sont acquises grâce à la confiance qui a été faite et qui est encore maintenue dans l’objet dont on se détache. Il semble y avoir là tout un programme d’attitudes et de réflexion pour l’accompagnement de fin de vie et le moment du mourir. La belle image de F. Mauriac, évoquant la vieillesse, en la comparant à une île. Détachée, éloignée mais pas perdue, l’île offre cette perspective de la solitude maîtrisée et rendue nécessaire à un moment de la vie, selon l’expression consacrée : « j’irais bien vivre sur une île ».

La solitude comme « épreuve de soi » est une réalité de nos sociétés individualistes, alors même que d’autres organisations sociétales ne semblent pas autoriser une telle dimension de la personne humaine. En effet, les sociétés dites holistes sont organisées de telle sorte qu’elles ne laissent que peu de place, pour ne pas dire aucune, à la singularité de chacun. Le groupe est la valeur insécable de la société et la personne n’apparaît alors que comme un élément du tout, dénué de sens s’il est détaché du groupe.

Ces sociétés ne connaissent pas la solitude, comme elles ne connaissent pas non plus les valeurs de l’individualité. La communauté est à chaque fois privilégiée par rapport aux attentes ou aux exigences de l’individu. Nous pouvons considérer comme un progrès indéniable, l’évolution de notre culture en direction de l’individualité, mais cette avancée s’accompagne d’un risque. Le point de fragilité se situe au niveau des liens du groupe, tel que la structure familiale nous en donne un exemple.

Les profonds changements qui ont touché la famille au cours de ces dernières décennies ont largement fait place à l’enfant, à la femme, à l’épanouissement personnel et aussi à la protection de l’individu contre les excès du groupe. En revanche, la famille est devenue un lieu de solitude parfois, tel que la période d’adolescence le montre souvent. On voit bien d’ailleurs combien les adolescents ont vite recours au groupe, à la bande au sein desquels ils se glissent au risque d’y perdre momentanément leur singularité et leurs originalités individuelles. Nous retrouvons là la fonction écran du groupe.

Enfin, il semble important de repérer, au cours de la vie d’une personne quels peuvent être les moments particulièrement propices à l’émergence du sentiment de solitude. Les deuils, les séparations ou les changements profonds du cadre de vie, des modalités du lien social sont autant de périodes qui peuvent être considérées comme des époques à la fois privilégiées et exposées pour se constituer en véritables creusets pour que se forme le sentiment de solitude.

La dernière expérience au cours de laquelle se rencontrera ce mouvement de crise de soi, du soi indivisible (individu) et original, singulier (non confondu à son environnement) est certainement l’époque préliminaire à la fin de vie. La mort est en ce sens, l’ultime moment de l’expérience de soi.

 

Points forts abordés au cours de la Table Ronde

 

- Le sentiment d’être bon à rien relève de deux paramètres.

 

Le premier paramètre c’est celui que j’appellerai le lien social. On a le sentiment de sa valeur relativement aux services qu’on peut rendre, à la place qu’on peut occuper dans un groupe et à ce que le groupe nous en renvoie. C’est pour cela que souvent des personnes âgées, des gens qui sont « marginaux » nous disent : «je ne suis plus bon à rien ». En réalité, ils nous reflètent là la lecture qu’ils ont de nos réponses. Ils nous positionnent par rapport à eux.

Le deuxième paramètre, c’est ce qu’on appelle d’un terme technique en psychologie sociale, l’attente de rôle. Quand on a un rôle dans la société et c’est bien l’un des vecteurs du lien social, il y a trois dimensions à ce rôle : la compétence, la motivation et l’attente de rôle.

La compétence. Ce qui caractérise le rôle, c’est ce que l’on sait faire. Cela suppose un apprentissage, un exercice.

La motivation, c’est l’attachement que l’on a à son rôle. Même si l’on est très compétent, si l’on n’a pas de motivation, le rôle n’est pas mis en exercice. Pour mettre le rôle en situation, il faut qu’il y ait une motivation. C’est l’investissement qu’on en fait, c’est la part de nous en tant qu’individu qu’on loge dans son rôle et qui lui donne une âme en quelque sorte, qui lui donne son énergie.

La troisième dimension très fréquemment oubliée, souvent quasiment occultée bien qu’elle soit extrêmement efficace, c’est ce que nous appelons l’attente de rôle. C’est-à-dire ce que le groupe en face attend du rôle, pas forcément de la personne qui occupe le rôle, mais du rôle en question, on attend un certain nombre de choses. Imaginez une mère qui a donc un rôle de mère à l’égard de ses enfants, vous pensez bien que ce rôle se définit aussi par l’attente que les enfants peuvent avoir du rôle en question. Imaginons que la mère ne se conduise pas selon l’attente de ses enfants, le courant ne passerait pas non plus.

Alors, j’en arrive à dire que finalement, ce sentiment d’être bon à rien, il faudrait l’interroger, non pas tant au niveau de la compétence de la personne - parce que l’on sait que même des personnes qui se disent « bonnes à rien » ont des ressources - pas forcément non plus au niveau de leur motivation, mais surtout au niveau de l’attente que nous nous en avons. Je crois qu’actuellement, un certain nombre de personnes souffrent de ce sentiment d’être bon à rien tout simplement parce que l’entourage ne leur manifeste aucune attente. On n’attend rien d’eux et ils peuvent continuer à vivre, on leur autorise de continuer à vivre malgré tout mais on n’attend rien d’eux. Ils ne seraient pas là, ça ne dérangerait pas. Cela ne causerait pas de problème, simplement ça ne dérangerait pas. Je crois que c’est ça le sentiment d’être bon à rien.

L’attente du rôle me semble d’un point de vue de la méthodologie, du travail social, qu’il soit bénévole ou salarié, ça me semble un point fondamental. Avant d’interroger la motivation, la compétence des gens, interrogeons d’abord ce que l’on attend de ces gens.

Cela interroge profondément nos motivations, notre activité sociale, bénévole, professionnelle, qu’elle soit dans le domaine du soin, de l’accompagnement aux autres. Nous sommes des gens qui avons du mal à assumer la solitude et dans l’une des motivations de l’action sociale en général, on va vers l’autre. On projette sur l’autre sur lui tous nos défauts, tous nos manques et toutes nos incapacités. Focaliser sur l’attente du rôle c’est se recentrer sur soi, c’est réinterroger sa propre démarche sur l’action sociale. Cela est très difficile.

 

- L’ultime moment de l’expérience de soi

 

Ce travail d’élaboration que fait une personne âgée, ce n’est pas quelque chose qui va de soi. C’est quelque chose qui est très engageant pour elle, qui mobilise en elle beaucoup d’énergie avec une dimension de risque : risque de soi-même, risque de sa propre personnalité, risque de s’autoriser à vivre indépendamment de son entourage.

On n’est pas dans la même logique que celle de l’autonomie, qui est la manière de gérer notre dépendance. L’indépendance, c’est être capable de vivre sans personne autour de soi et ça c’est quelque chose qui est de l’ordre d’un grand risque. L’âgé fait un travail extrêmement difficile de construction de lui-même qui s’est commencé au moins à la naissance, qui s’est poursuivi toute la vie et qui s’accélère, s’accentue dans ce moment là. Des réactions du type « on m’abandonne », « je ne vaux plus rien », « je n’intéresse plus personne », ce sont à la fois autant de tests pour la personne elle-même de sa capacité à être seule, que d’appels dans un climat d’ambivalence, d’appels pour que l’on ne l’abandonne pas quand même non plus, qu’elle puisse bénéficier de cette proximité...

Il faut savoir que par rapport à une personne plus âgée que soi, on est toujours dans un rapport énigmatique et il y a quelque chose qu’on ne peut pas savoir. Je ne sais pas si la personne âgée sait mais en tout cas moi, en face d’elle, je sais moins qu’elle. Et ça c’est assez énigmatique. Ce caractère énigmatique, on le retrouve aussi dans la relation avec les mourants. Je ne sais pas si c’est la question d’âge ou la question progression et l’âge peut être un élément qui entre dans le critère progression mais il y a des gens qui peuvent progresser très fort et d’autres moins fort, ce n’est pas un problème d’âge chronologique, c’est un problème d’âge par rapport à soi-même.

 

- Qu’est-ce qui nous amène vers des personnes plus âgées ?

 

Question un peu difficile, on est soi-même et on pense trouver chez l’autre plus âgé un peu comme un guide, un modèle un peu inconscient qu’on n’a pas affiché comme tel... Dans la recherche de l’aide à un plus âgé, il y a plus une recherche d’être initié à quelque chose. On cherche à explorer ce qu’on imagine devoir ou pouvoir être un jour mais avec toujours quelque chose qui est un fil conducteur entre maintenant et ce moment là, et entre autre, pour moi ce fil conducteur, c’est mon identité. Est-ce que je serais toujours moi-même si j’ai les cheveux tout blancs, si je suis en fauteuil roulant, si je suis grand-père, si je suis à la retraite ?... Est-ce que je serais encore moi-même ?