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Octobre 2013

 

LE SENTIMENT D’ABANDON.  SE LIBERER DU PASSE POUR EXISTER PAR SOI-MEME. S’ENRACINER EN SOI-MEME

                  

                   Saverio TOMASELLA

 

   Eyrolles  Edition, collection Les chemins de l’inconscient, 2010

 

Introduction

 

Saverio Tomasella est psychanalyste. Son ouvrage repose largement sur une étude de cas, qu’il a suivis en thérapie.

 

L’ouvrage est distribué en trois parties:

1. Les manifestations du sentiment d’abandon (chapitre 1 à 5)

2. Les origines infantiles du sentiment d’abandon  (chapitre 6 à 10)

3. Se libérer, pour exister par soi-même  (chapitre 11 à 15)

 

Il nous semblé que le chapitre 13: S’enraciner en soi-même,  peut souvent être mis à profit  dans  notre vie pratique;  nous l’avons retenu comme base de cet article.

 

 La lecture de l’ouvrage en son entier est cependant  recommandée. Pour qui se sent concerné par l’abandon : au passé ( en remontant à sa petite enfance) , au présent ( abandon bien réel où imaginé) , au futur aussi ( exemple de la peur de l’abandon, par la personne  vieillissante).

 

Henri Charcosset

°°°°°

 

S’enraciner en soi-même

 

« L’unique critère dont je dispose, c’est moi-même …Je souhaite maintenant prêter l’oreille la plus attentive au murmure de ma source intérieure au lieu de me laisser égarer par les propos de mon entourage »

                  

                   Etly Hillesum, Une vie bouleversée

 

Accepter d’être soi

 

Bien souvent, nous nous abandonnons, nous nous « laissons tomber », nous démissionnons : nous renonçons à notre désir, notre identité, notre capacité de discernement. Alors, nous sommes en colère, en rage contre nous-mêmes. Nous voudrions tellement être autres  ou autrement. Meilleurs et mieux : plus grands, plus puissants, plus riches selon les critères extérieurs des uns ; plus éclairés, plus sages, plus sensibles suivant la quête intérieure des autres. Cette rage exprime notre impuissance face à une réalité que nous ne pouvons pas changer, y compris un aspect de nous-mêmes qui nous rebute, mais que nous ne réussissons pas encore à transformer.

 

Véronique traverse une période d’amertume. «  Je constate combien je me polarise sur la maladie de mon fils. Maintenant, je me rends compte que cette fixation est de l’ordre du pouvoir que je voudrais avoir sur les autres. Ce n’est pas tant la maladie de mon fils qui importe, c’est mon besoin à moi, mon besoin impérieux de commander, ma volonté de tout contrôler. Je suis tellement gênée de dire cela… Je voudrais imposer à mon mari ce que je veux pour notre enfant parce que je  crois que cela me permettrait d’obtenir ce que je veux pour moi…J’ai l’impression de tenter l’impossible et de m’épuiser. Je voudrais forcer mon mari à changer, pour éviter de changer, moi.  Ce serait plus facile, mais ça ne marche pas! »

 

En effet, nous ne pouvons pas changer notre histoire, pas plus que nos parents, nos frères, nos sœurs, les drames d’abandon qui nous ont blessé, nos proches. Tous ces aspects de nos existences ne peuvent pas être effacés. En revanche, nous pouvons changer notre regard sur chacun d’eux et  choisir de transformer notre façon de considérer et d’apprécier nos qualités personnelles.

 

Délaissée par son compagnon, Chiara se croit sans valeur : «  C’est vraiment dur aujourd’hui. Laurent ne me répond pas depuis trois jours. Ce  «nous deux »‘qui n’existe plus! Il me manque tellement et en même temps je sais qu’il ne reviendra pas. Je me sens petite, nulle, incapable; triste, pas aimable… »

Chiara retourne à la conception d’elle-même héritée de ses parents et de ses années d’enfance. Elle ne se croit pas aimable parce qu’elle n’a pas été aimée. Elle a attendu «  la grande réparation » de la part d’un compagnon idéal qui l’aurait « comblée » et aimée inconditionnellement. Là, derrière sa colère, reste le fantasme que c’est l’autre qui la fait exister. Ce « autre » n’est alors qu’une prothèse, une béquille, un antidépresseur. Comme beaucoup, Chiara n’arrive pas à concevoir que, dans la réalité, chacun ne peut exister que par soi-même…

 

Pour me créer, il est nécessaire de m’engager dans un cheminement vers l’éveil.  Ce processus vital d’  « ouverture »et d’ « élargissement »de soi correspond à l’intériorisation de ce que je vis. Néanmoins, la capacité d’introjection peut être entravée par certains empêchements : le non-dit, le secret, la crypte, les fantômes (2)  au sein d’une relation ou dans la généalogie, les blessures d’abandon non guéries, les deuils non réalisés et certaines productions de l’imaginaire  (les « fantasmes », ces leurres qui faussent notre discernement).

 

Angélina se libère peu à peu de la honte silencieuse contenue secrètement en elle. Elle réussit à surmonter les deux obstacles majeurs qui l’empêchaient de se sentir en confiance dans un groupe, sous le regard des autres:

Ÿ  Angélina parvient mieux à maintenir son élan, à rester dans le mouvement de sa pensée à elle et à affirmer sa parole personnelle

Ÿ  Elle ne se laisse plus pétrifier par son angoisse d’être rejetée, sa peur d’être bannie ou même d’être « mise à mort » !

 

1.     L’ introjection est un processus de nomination et de compréhension de la réalité vécue. Cette forme d’intelligence de la situation se développe en parlant de ses expériences avec une personne de confiance : parent, frère, sœur, ami, professeur …ou psychanalyste

 

2.  «  La crypte désigne le caveau secret d’un vécu personnel. Le fantôme tient à un autre dont je porte le secret à mon insu », in Nicolas Rand,  « Renouveaux de la psychanalyse », Le coq-Héron, n° 159 ? 2000

 

Elle se sent moins souvent fatiguée, moins lasse. Elle commence à éprouver une fierté nouvelle.

 

Cette fierté nouvelle, c’est  la fierté d’être soi, l’amour de soi-même, avec ce corps-là, ces qualités particulières, ces différences, cette pensée qui n’appartient qu’à soi, jusque dans ses prises de positions de vie (1).

 

Une fois libérée des conceptions figées et des jugements des personnes de référence  dans son enfance (voir « casser le cercle infernal », p.134), il devient impossible de s’exprimer à partir de soi-même, sans faire l’impasse de sa fragilité (2).

 

Rinaldo avait oublié un aspect vital de l’existence, qui concerne la vulnérabilité, présente en tout être humain. La facilité de l’argent lui avait fait croire à une forme de surpuissance le mettant à l’abri de tout, et principalement de ses fragilités. En retrouvant le chemin des larmes, Rinaldo découvre peu à peu la tendresse, qu’il ne connaissait pas, puis le tact et la délicatesse, qui ne sont pas l’hypocrisie et les faux-semblants mondains, qu’il connaissait en revanche trop bien. L’homme rationnel et gestionnaire qui voulait « tout contrôler » s’ouvre ainsi à l’inconscient: au-delà de l’audible, du visible, de l’immédiat (3).

 

Cecilia n’a plus peur de dire sa vulnérabilité : «  Je me sens découragée, j’ai l’impression de m’éloigner de ce je commençais à atteindre. Je suis effrayée par le chemin qu’il me reste à parcourir. J’ai la sensation d’être entre parenthèse. Avant, je m’ étais  tellement blindée et endormie que je ne sentais rien, pas la moindre petite angoisse. C’est pour ça que j’étais si dure.  Malgré les angoisses, je vais mieux : je ne suis pas complètement déprimée ; simplement, maintenant je me rends compte que je suis à côté des choses de ma vie et apeurée par elles ».

 

Rinaldo, Cécilia, et d’autres comme eux, découvrent cette réalité :

Mon identité se constitue si j’accepte de me déterminer par moi-même, au-delà des dogmes, des discours, et des modèles. J’existe vraiment si je décide de parler et d’agir en mon nom, à partir de ce que je ressens et de ce que je pense.

 

Les noces avec le réel

 

«  La grande chose que vous avez faite, c’est que vous avez pu me remplacer un mensonge par du sincère et du vrai. Sinon votre victoire n’aurait été qu’un redressement moral sans portée, alors qu’elle correspond à une montée vers la vie. »

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète

 

Certaines personnes se figent dans l’attente d’une vie idéale : bonne fée, princesse ou prince charmant, meilleure situation professionnelle, déménagement, départ pour l’étranger…ou même de vivre enfin leur véritable orientation sexuelle  (nous y reviendrons au chapitre 5, « Connaître ses aspirations et les mettre en œuvre »).

Cette rétention des énergies conditionne les comportements, freine les élans et fait considérer l’existence selon un schéma répétitif d’insatisfaction et de revendications récurrentes.

 

Un amour peut renaître … Tel était l’espoir auquel Chiara s’était accroché pendant des années, pour accepter de s’en détacher désormais…  «  Je ne sais pas ce que lui et moi avons réellement partagé, quelle est la réalité qui se cache dans notre enfance, mais je crois que je ne dois rien attendre de lui pour le découvrir. Je dois plutôt me reconnecter avec cette enfance de six ans et tenter de la comprendre un peu mieux ».

 

Beaucoup confondent existence avec reconnaissance  et partent en quête d’une confirmation impossible de leur identité. L’identité vient de soi: elle ne peut être définie par les autres.

 

Jennifer découvre que «  renier sa douleur » d’enfant abandonnée l’a empêchée de se confronter à son histoire », à sa réalité. «  Je ne voulais pas voir ma détresse, je ne voulais pas laisser de place à mon chagrin. J’ai préféré tout occulter, mais aujourd’hui mon mal-être me saute à la figure.

 

«  Jennifer regrette d’avoir « perdu tout ce temps à rester sur le côté sans m’engager vraiment dans la vie ». Sans cesse disqualifiée par ses parents, comme Véronique ou William, Jennifer ne se sentait plus exister. «  Maintenant, je sais que moins je comprenais ce qui m’arrivait, moins je pouvais exister par moi-même. J’attendais que les autres me disent qui j’étais. »

 

 Chaque individu met un temps plus ou moins long à s’engager du côté du réel, quels  qu’en soient les risques et les désagréments. Un tel engagement consiste à se confronter à la réalité, malgré l’inconfort qu’une telle confrontation peut provoquer. Il devient possible de se remettre souplement en question et d’apprendre en assimilant de nouvelles informations, de nouvelles façons de vivre. S’il existait une définition de la santé, ce serait celle-ci : «  Utiliser l’action pour atteindre des buts précis  et être de plus en plus définissables comme les personnes spécifiques que nous sommes. » l

La santé découle en effet d’une présence personnelle concrète, définissable, tangible. Elle implique d’exister vraiment , au grand jour , en agissant , en parlant , pensant de façon spécifique et en étant «  à un endroit précis , à un moment précis , avec une personne précise , en train de faire une chose précise ».

 

Devenir soi-même est un long processus, qui va à la fois vers plus de sincérité  et plus de globalité. Il s’appuie sur une recherche spécifique qui consiste à nommer la réalité de ses problèmes.

 

L’exigence de vérité

 

Suivant beaucoup de philosophes et d’écrivains, Sigmund Freud pose l’exigence de vérité comme fondement éthique de la psychanalyse, et plus largement de toute existence  humaine libre. Sândor Ferenczi souligne la nécessité d’accueillir la réalité pour la faire sienne. Il nomme ce processus « élargissement du moi » ou «  intro projection » (voir la définition de ce terme, note 1 p. page 143). Nicolas Abraham et Maria Torok ont continué à œuvrer dans ce sens pour faciliter l’accès de leurs patients à un « degrés supérieure vérité ».

 

Après de longs moments de découragement, Sandrine jubile : «  Je suis contente de mieux connaître mon histoire. Je me défais chaque jour un peu plus de mes chaînes ; j’accorde à ma liberté d’individu, de femme…de mieux en mieux à m’octroyer des petits moments de bonheur qui m’appartiennent  qu’à moi. Ce sont des moments de découvertes d’un aspect de ma personnalité, de nœuds qui se défont, d’illumination … C’est fabuleux de se dire que l’on accède à un degré supérieur de connaissance de soi… je pense que, dans l’ atmosphère  tamisée de ma chambre, en étant dans une disponibilité d’écoute intérieure, je ressens un frémissement de bonheur! »

 

S’approcher peu à peu de la réalité requiert d’employer des mots de plus en plus concrets et  précis.   

En se dégageant des mots des autres, des mots usés et des mots tout faits des figures d’autorité, chacun trouve les paroles appropriées qui correspondent exactement à l’expérience vécue. Une fois que l’on est libéré de jugement qui collait à la peau de l’être, il n’est plus indispensable de chercher les appuis chez les autres. Il devient naturel de « s’appuyer »  et «  se centrer » sur soi. L’horizon s’ouvre et l’intelligence se déploie. La puissance intellectuelle se libère. L’être s’épanouit dans la clarté…

Les enfants, les adolescents, les adultes que j’écoute saisissent un jour la puissance de la vérité. Ils accueillent cette force du mot juste, de la parole vraie, avec la joie qui accompagne toute découverte vivifiante.

 

1. Sigmund Freud  « Le moi et le ça » (1922-1923) essai de psychanalyse, op.cit.