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Juillet  2009

 

            UN NOUVEAU REGARD SUR LES SENIORS. LES SETRA, SEFRA,  BOOBOS.

                                     

                                           Serge GUERIN

 

Article extrait de l’ouvrage de cet auteur : « L’invention des seniors », Hachette Littératures Editions, 2007

 

Les trois figures du senior

 

La notion de senior est trop restrictive pour décrire une réalité complexe. Elle fait l’impasse sur l’histoire sociale et culturelle, sur les antagonismes économiques et les différences de formation et d’accès au savoir.
On compte au moins trois typologies de seniors :les SeTra (Seniors Traditionnels), les Boobos (Boomers Bohèmes) et les SeFra (Seniors Fragiles).

 

*Les SeTra conservent à 55, 70 ou 85 ans peu ou prou le même type de comportement : plutôt conservateurs ils donnent la priorité aux valeurs sûres et consomment sans ostentation. La transmission et l’héritage restent des objectifs structurant . Ils restent très consommateurs d’autant qu’ils ont fini de rembourser les emprunts contractés et qu’ils sont souvent propriétaires de leur logement. En terme de volumes, ils sont dominants : 12 millions de personnes environ.

 

*Les SeFra constituent la partie la moins médiatisée des seniors car ce sont les plus fragiles et les moins « médiatiquement corrects ». Ils représentent une consommation plus spécifique à travers une demande pour des biens et services d’accompagnement, de sécurité et à très fort contenu médicalisé. Ils sont et seront fortement générateurs de création de nouveaux emplois. En termes de volumes, ils représentent près de 1,5 millions de personnes.

 

* Les BooBos,  ces jeunes seniors issus du babyboom, sont les gagnants du début du millénaire et s’apprêtent à former le groupe dominant à travers la détention du pouvoir économique et de l’influence culturelle. Cette population est de plus en plus en capacité d’orienter la consommation globale, de faire et défaire les modes et les tendances.     En termes de volumes, ils représentent environ 8 millions de personnes et chaque année, 140 000 foyers supplémentaires viennent les rejoindre.

 

 

La fin des normes

 

Les bouleversements récents ne sont pas toujours indolores : ils laissent de nombreux seniors, quel que soit leur âge, dans le dénuement et la solitude. La distanciation des liens, la mobilité de la structure familiale entraînent un surcroît de solitude. L’explosion de la représentation du couple comme norme a aussi pour conséquence de laisser des hommes, et surtout des femmes, sur le carreau. Sans compter qu’il subsiste des poches de misère. La pauvreté n’a pas disparu du fait de la croissance du revenu moyen des seniors.

 

Mais la révolution des repères entraîne également des effets surprenants. Ainsi, succès du Viagra aidant – dont l’âge moyen d’utilisation est de 57 ans -, une partie des seniors développe des comportements sociaux et sexuels imprévus, fort éloignés des images d’Epinal.

Ainsi, le site Internet « Seniorscopie » a dévoilé qu’aux Etats Unis, le taux de séropositivité des plus de 50 ans augmente deux fois plus vite que celui des autres générations ; alors qu’en Grande-Bretagne, depuis 1995,le taux des maladies sexuellement transmissibles a augmenté de 55% en moyenne, il a crû de plus de 300% chez les 65 ans et plus.

La longévité, la multiplication des divorces, l’amélioration de la forme et de l’attractivité physique ne peuvent pas entraîner que des effets bénéfiques. Tout processus humain produit des phénomènes multiples et contradictoires. Selon Clotaire Rapaille, ce senior improbable qui est à l’origine du concept de la PT Cruizer « les seniors n’ont jamais été visés par les campagnes de prévention et considèrent pour une bonne part d’entre eux qu’ils doivent profiter de la vie tout de suite sans s’embarrasser de leur avenir et de celui des autres ».

 Ainsi, lorsque la culture du jeunisme s’étend à toute la société, elle peut aussi entraîner des troubles et des difficultés de positionnement des différentes générations entre elles.

La fin du jeunisme devra contribuer à redéfinir les rôles dans une approche de respect mutuel.

De la même façon, tout indique que les comportements marginaux vont s’accroître de la part des seniors comme cela est déjà apparu de l’autre côté de l’Atlantique. Poussés par des considérations économiques, ou par l’ennui, les gens âgés vont multiplier les opérations délictueuses ; du détournement de fonds au braquage. Les seniors, profitant à la fois de la confiance qu’ils inspirent et des compétences acquises, seront dans les années à venir de plus en plus abonnés à la colonne faits divers des médias.

 

 

L’aventure,  la création à tout âge

 

Pour en revenir à des considérations plus positives, s’il st nécessaire de changer le regard porté sur les seniors, c’est aussi en raison du nouveau rôle qu’ils arrachent à force de talent, de travail et de désir. Il faut vraiment avoir des œillères pour ne pas déceler que cette population conjugue la modernité au futur. Ainsi du rapport des seniors à Internet. Non que le « réseau des réseaux » soit l’aune de la capacité d’adaptation de l’individu à la modernité, mais simplement en raison de l’aspect totémique pris par ce support de communication au cours de la période récente.

         Depuis plusieurs années, les seniors sont la catégorie qui connaît la plus forte progression d’utilisation du Net.

La fracture numérique n’est guère générationnelle. Les nouveaux seniors se sont familiarisés avec l’outil par leur activité professionnelle et les plus anciens ont suivi des formations dans des clubs informatiques ou de façon informelle via des amis ou leurs enfants et petits-enfants.

Internet et intergénération avancent dans le même sens. De même, les seniors restent plus longuement que les autres sur le Net.

 Il se dégage de cette analyse que, logiquement, les seniors prennent le temps d’explorer le réseau, avec chez les hommes (comme pour les autres générations) une attention particulière pour les sites « de charme ».

Même s’ils s’attachent d’abord à leurs centres d’intérêt (généalogie, finances…)  et à la recherche d’une nouvelle expression du lien social à travers les forums et l’utilisation du mail. Si le senior estime que le Net a une utilité pour lui, rien ne lui interdit, au plan psychologique ou intellectuel, d’utiliser ce nouveau moyen de communication.

L’image accolée au Net  explique aussi le désir de certaines personnes, y compris très âgées,  de le découvrir et de l’utiliser. Le succès de l’opération initiée par la RATP des « jeudis de la découverte » où depuis 1998, des centaines de seniors ont pu s’initier au Web, est la marque de l’appétit des seniors pour les signes de la modernité.

Plus largement, les seniors sont des candidats enthousiastes à la création. Le capital culturel et la curiosité naturelle sont des facteurs explicatifs bien plus forts que l’âge pour discriminer les attitudes vis-à-vis de l’innovation et de la création.

 Il suffit pour s’en convaincre de prendre le temps de regarder le monde comme il va. Ecoutez des chanteurs comme Henri Salvador,  qui a retrouvé le succès et la faveur de toutes les générations à 82 ans, Charles Aznavour et Brigitte Fontaine  ou encore Cheikha Rimitti, qui, à 78 ans, revisite toujours le Raï, sans oublier Compay Segundo, 94 ans au compteur. Sont-ils des petits vieux sans avenir ??

         Cette jouvence créative ne se limite pas à la musique et à la chanson. Il faudrait une sacrée dose de mauvaise foi pour considérer que les derniers albums de photos du nonagénaire Willy Ronis sentent le troisième âge !!!  Côté cinéma, personne ne peut contester que, ces dernières années,  de Manoel de Oliveira, 90 ans, à Claude Lanzmann, 74 ans, en passant par Jeanne Moreau, l’actrice des actrices, les seniors ont joué un rôle décisif.

De la même façon, combien d’écrivains, de philosophes ou d’artistes continuent de construire une œuvre et de susciter le débat bien au-delà de l’âge officiel de la retraite ? Il n’est que de penser à un Albert Jacquard, à un René Girard, ou encore à un Edgar Morin. Tous trois frisent ou dépassent les 80 ans et conservent la même capacité d’indignation, la même intelligence des choses, le même désir de comprendre et de faire comprendre.

Après Geneviève De Gaulle-Anthonioz, Hélène Cixous ou Germaine Tillon poursuivent chacune une œuvre abondante et utile, un combat contre l’indifférence et la bêtise.  Qui pourrait dire qu’elles ne tiennent pas leur rang, qu’elles n’apportent pas quelque chose d’essentiel aux autres ?

 L’âge ne fait rien à l’affaire, si le talent est là, si le désir et l’envie existent toujours, chacun peut continuer d’ajouter sa petite musique au concert social.