Sections du site en Octobre 2009 :  Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour publier --  Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie --  Histoires de vie  --  Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –Le  webmestre.

 

RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC   AUTEURS, TITRES DE TOUS ARTICLES : CLIC    SYNTHESE GENERALE: CLIC

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Mai 2013

 

 « LE REJET D’UN DIEU PERSONNEL » Dossier la France devient-elle athée?    

                  

                             Frédéric LENOIR

 

Philosophe, sociologue et directeur de la rédaction du Monde des religions, il est l’auteur de Le christ philosophe (Plon, 2007 ), de Socrate Jésus , Bouddha (Fayard, 2009 ) et du Petit traité de vie intérieure (Plon, 2010 )

 

Septembre -octobre 2011 - Le monde des religions

 

 

En France , l’un des pays européens les plus atteints par la crise des religions, la rupture de la transmission de la foi et la progression de l’individualisme ont favorisé la montée en puissance de l’athéisme et un retour au pluralisme des valeurs.

 

Pensez-vous que l’athéisme puisse à court terme devenir majoritaire?

 

C’est fort possible . La France est l’un des pays européens les plus atteints par la crise des religions. Selon une enquête très fiable menée depuis trente ans tous les dix ans en Europe par une équipe de sociologues européens (1), on assiste en France à une très forte érosion du catholicisme , puisque 70% des Français se disaient catholiques en 1981 et ils ne sont que 42% en 2008.

 Dans ce même laps de temps, les autres religions  ( judaïsme , protestantisme , islam, orthodoxie, bouddhisme ) ont progressé de 3 à 8%, mais cela tient essentiellement à l’essor démographique de l’islam en France.

 Parallèlement, les personnes se déclarant «  sans-religion » ou « athées » sont passées de 27 à 50%. La proportion des athées convaincus a fortement augmenté au détriment des agnostiques, qui font aujourd’hui jeu égal (24% chacun).

 La France est , avec la Tchéquie, le pays qui compte le plus fort taux d’athées en Europe. Le parisien a publié au printemps 2011 un sondage qui fait état de 36% d’athées.

 Il faut rester prudent, car la formulation du sondage peut inclure une partie des agnostiques. Parmi ceux qui continuent d’avoir la foi  en un Dieu «  impersonnel » - « une force », une « énergie » -progresse fortement au détriment de la foi en un Dieu «  personnel », qui est au fondement même de la Révélation Biblique et coranique.

 

 

Quelles sont, selon vous, les principales raisons de ce recul de la foi?

 

Depuis la Renaissance, l’esprit critique et l’individualisation des modes de vie n’ont eu de cesse de se développer. Le discernement personnel, le questionnement, l’esprit critique nous amènent à remettre en cause un certain nombre de fondamentaux de la foi en Dieu et certaines explications religieuses du monde.

 L’individu prend désormais ce qui lui convient dans la religion et rejette  ce à  quoi il n’adhère pas.

Ensuite, les modes de vie devenus très différents de ceux du passé. On a quitté un monde rural. N’oublions pas qu’au début du XXe , 80% de la population française vivait à la campagne , de manière très enracinée . L’appartenance à la communauté était puissante et l’on ne s’émancipait pas facilement du groupe. On grandissait dans un lieu stable, où la transmission des valeurs religieuses était assurée.  Dans un monde citadin , le discours exclusif fonctionne nettement moins bien et la transmission se perd.

 Le mélange des communautés amène un certain pluralisme , qui conduit au relativisme .

 De plus, dans les villes anonymes, les gens ne connaissent pas leur voisin, les enfants partent souvent faire leurs études loin de chez eux , et donc loin des modes des moules. Ce type de comportement fragilise la transmission de la foi. Même si certains individus continuent de s’insérer au sein d’une communauté religieuse, ils sont minoritaires  vis-à-vis de la masse des individus qui progresse dans l’indifférence religieuse et dans l’individualisation du croire, avec tous les bricolages que cela comporte.

 

«  La morale transcendante, les arguments d’autorité religieuse ne font plus recette et les aspirations individualisent »

 

Le fait qu’une large majorité de Français soutient aujourd’hui l’idée du mariage homosexuel laisse à penser que les valeurs judéo-chrétiennes n’irriguent plus de la même manière notre société .

 Cette évolution des mentalités va dans le sens de l’épanouissement personnel de l’individu.  La morale transcendante, les arguments d’autorité religieuse ne font plus recette et ces aspirations se mondialisent.

 L’hypothèse de Dieu apparaît à au moins un Français sur deux comme la plus improbable aujourd’hui.  En d’autres termes, ce n’est plus aux athées d’apporter la preuve de la non-existence. Aujourd’hui, la grande majorité des jeunes de disent :  « Qu’est-ce cela apporte de croire en un Dieu invisible ? Cela  ne  nous aidera pas à trouver du travail, à aimer, à être dans le sens de nos passions… » Les groupes religieux qui progressent sont ceux qui s’adaptent au discours de l’épanouissement individuel: « Crois en Jésus et tu seras plus heureux. ». Ce n’est plus la peur de l’enfer qui convertit les gens, mais cette volonté d’ épanouissement individuel.

 

Quel rôle la science a-t-elle joué dans la progression de l’athéisme ?

 

Depuis Copernic, nous vivons une série de découvertes scientifiques qui entraînent un recul de l’explication religieuse du monde. C’est l’une des raisons fondamentales du succès croissant de l’athéisme.

 Le darwisme explique la naissance de la vie et la croissance de la complexité du vivant jusqu’à l’homme. De même, les télescopes  nous apprennent que le ciel est rempli de galaxies, d’univers variés mais que Dieu n’y a pas élu  domicile. La bible qui nous enseignait que le monde avait été créé  il y a environs 5800 ans n’est plus crédible sur la vérité des textes .  La bible, le coran , le Nouveau Testament étaient révélés par Dieu , ils incarnaient la parole. Les études scientifiques nous ont permis de découvrir que ces textes étaient imprégnés de sources diverses,

maintenant que des fossiles nous prouvent que la vie existe  depuis des millions d’années.

Mais les sciences archéologiques , historiques et philosophiques ont aussi largement contribué au déclin de la religion. La foi a longtemps

reposé sur des influences extérieures indiscutables . C’est vrai pour la Thorah qui emprunte , par exemple , le récit du Déluge à un mythe mésopotamien bien plus ancien.  Le Coran a , de son côté , puisé dans des textes apocryphes juifs et chrétiens  . On ne peut dés lors plus dire de façon rationnelle que Dieu a dicté les textes sacrés …

Par ailleurs , si la violence contre autrui , très présente dans l’ancien Testament et dans le Coran était liée à la violence de l’époque , aujourd’hui , au temps des droits de l’homme , elle n’est plus acceptable . Une lecture littérale est donc devenue d’autant,  impossible .

Pour ces raisons, des personnes éclairées se sont détachées des textes à partir de la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe .

D’autres , de plus en plus nombreux , ont perdu la foi.

  Bien que les évangiles chrétiens ne contiennent pas de message violent, des hommes d’Eglise ont réussi par le biais de la théologie à justifier la guerre sainte , l’Inquisition , la persécution des juifs ! Aujourd’hui , les religions se crispent et font peur . Ces constats incitent de plus en plus de personnes à se tourner vers les sagesses orientales, qui n’affirment pas découler d’une révélation porteuse d’un vérité unique.

 

Le polythéisme était sans doute plus tolérant que le monothéisme. Observe-t-on un retour aux sagesses antiques?

 

Oui et de deux manières . La naissance du monothéisme s’est inscrite dans un processus de rationalisation.

 

Ce processus constitua un progrès intellectuel, mais il a entraîné le développement de l’intolérance.

 

Aujourd’hui, la plupart des individus ne croient plus en une  vérité unique et reviennent à une forme de polythéisme , non pas des dieux , mais des valeurs. On assiste , comme le disait Max Weber , à une nouvelle « guerre des dieux » à travers le polythéisme des valeurs. Chacun oppose des valeurs à l’autre et s’appuie sur des fondements divers: on le voit dans les débats sur l’avortement , l’euthanasie, la procréation médicalement assistée , le mariage homosexuel, l’homoparentalité , etc. D’autre part , on constate un regain des sagesses antiques et de la philosophie à travers la question de la « vie bonne » qui rejoint la quête du bonheur et de l’accomplissement de soi.

 

L’ athéisme militant , intolérant, dogmatique est une religion qui a ses martyrs , ses héros et ses persécuteurs.

 

 N’oublions pas que des millions de croyants ont été combattus de manière épouvantable dans des pays comme la Chine et l’URSS et ce , au nom de l’athéisme .

Il faut distinguer cet athéisme idéologique d’un athéisme philosophique issu d’un raisonnement, celui de Meslier, de Nietzsche , de Feuerbach, de Freud, de Comte-Sponville,  d’Onfray.

 Mais il y a aussi une troisième forme d’athéisme que j’assimilerais à une forme d’indifférence est voué à se développer chez des jeunes qui ne sont pas en réaction contre la religion, mais qui s’en sont désintéressés .

Je trouve cela regrettable lorsque l’on ne se pose parfois même plus les questions du sens de la vie, l’origine du monde. Nous ne sommes pas pleinement humains si on ne se pose pas ces questions , disait  Albert Einstein . Que ces questions se posent dans un contexte beaucoup plus ouvert , plus critique me semble en revanche un progrès . Le fait que les individus ne croient plus pour des raisons culturelles pour appartenir au groupe ou par crainte de l’enfer, laisse la place à des motivations plus profondes , beaucoup plus sincères.

 

                                      Propos recueillis par Jennifer Schwarz

 

                             (1) Les valeurs des Européens , revue Futuriste , 2009