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                                                JANVIER 2008

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LE REFUGE DES VIEUX GROGNARDS

 

Jean-Christophe MARTINEAU et José NICOLAS (Photos)

 

 

A Puyloubier (Bouches-du-Rhône), d’anciens légionnaires sans famille vivent leur retraite entre hommes, dans le giron de la Légion étrangère.

Notre temps juillet 2007

 

 

Entre les rangs de vigne, la petite équipe avance sous le soleil, arrachant les pampres au pied des ceps. Il a beaucoup plu ces derniers jours en Provence, la végétation pousse vite et il va falloir traiter. Au loin, la montagne Sainte-Victoire découpe ses crêtes sur l’azur.

 

Ils sont quatre, tous ex-légionnaires, menés par Guy Girard, 64 ans, ancien adjudant-chef, désormais responsable des travaux agricoles du domaine Capitaine-Danjou, l’Institution des invalides de la Légion étrangère (IILE), implantée depuis 1954 à Puyloubier, dans les Bouches du Rhône.

 « Après Vingt-cinq ans de Légion, on m’a proposé un poste ici. J’ai découvert la vigne et cela m’a plu. C’était il y a quinze ans ! explique-t-il. Le travail marche tout seul. On parle le même langage. »

 

Le premier vigneron interpellé poursuit sa tâche, lâchant dans un français rocailleux et bourru qu’il n’a pas envie de parler et ne veut pas être identifié. Rendu à la vie civile, il ne bénéficie plus de l’anonymat que lui offrait la Légion lorsqu’il était militaire d’active. Inutile d’insister. « Chacun a son histoire et ses raisons d’être là… nous les respectons », commente, laconique, le lieutenant-colonel Eric Hildebert, directeur de l’Institution depuis 2006.

 

L’IILE est une structure unique en France : ouvert aux légionnaires âgés, l’établissement est également un centre de réinsertion sociale.

 Il témoigne de la solidarité de la Légion étrangère envers ceux qui l’ont servie. « A sa création, l’Institution accueillait des invalides physiques, en particulier les blessés qui revenaient d’Indochine. Aujourd’hui, beaucoup de nos pensionnaires sont des invalides de la vie. Ils ont connu des difficultés de réinsertion dans le civil, n’ont pas ou plus de relations. Ils ont souvent perdu leur repères : nous les aidons à se reconstruire », assure l’officier supérieur.

 

 Dans cette maison de retraite pas comme les autres, les pensionnaires, exclusivement des hommes, ne restent pas les bras croisés et se doivent, en fonction de leur état de santé, de contribuer à la bonne marche de la communauté. Certains travaillent à la vigne. Le domaine produit 280 tonnes de raisin, vinifié par la cave coopérative de Puyloubier. L’IILE commercialise sous ses propres étiquettes 165 000 bouteilles de rouge, rosé et blanc AOC côtes-de-Provence.

 

 D’autres oeuvrent dans l’atelier de reliure et celui de céramique ou bien sont employés dans les services généraux (cuisine, standard…), à l’accueil du public dans la boutique ou au musée de l’Uniforme de la légion étrangère, installé au rez-de-chaussée du château massif planté au cœur du domaine.

 

Peter Kapai, 52 ans, une carrure imposante et quinze ans et demi de service – le temps nécessaire pour avoir droit à la retraite de l’armée – est le petit nouveau de Puyloubier. Cela fait trois semaines qu’il a posé son sac dans sa chambrette de l’hémicycle. Ce bâtiment en arc de cercle d’un étage, bâti par la Légion sous le modèle des hôpitaux d’Indochine, comporte 100 chambres individuelles simples et fonctionnelles, dotées d’une salle de bains privée.

 

Une solidarité indéfectible qui fait partie du code d’honneur.

 

Dans les vignes, Peter Kapai reprend goût à la vie, aux choses simples. « Je travaille la terre en plein air ; on me dit ce que je dois faire… Je suis heureux », confie-t-il en souriant. A l’instar de bon nombre de pensionnaires du lieu, il ne s’étend pas sur les raisons qui l’ont conduit ici. « C’est une longue histoire compliquée. J’ai essayé l’aventure de la vie civile, cela n’a pas marché, glisse-t-il. Ici c’est quand même la Légion : il y a de la solidarité. Je me sens chez moi. »

Tout comme les 95 autres résidents, qui ont trouvé sous le soleil de Provence un cadre de vie propice à leurs vieux jours. Et bien souvent un havre de tranquillité après des années généralement mouvementées passées hors du giron de cette formation combattante mythique qu’est la Légion étrangère.

 

Petit, fine moustache poivre et sel, Jean-Emile Cazabonne a roulé sa bosse à Madagascar, à Djibouti, au Tchad, en Guyane… C’est le parcours classique de nombreux Képis blancs de sa génération. « Des voyages que je n’aurais jamais pu faire ! » s’exclame-t-il, les yeux brillants. A 69 ans, il s’occupe maintenant de la production de sérigraphies destinées aux céramiques fabriquées par l’atelier de Puyloubier, où il réside depuis vingt-quatre ans. « J’ai quitté la Légion à 45 ans. Il y avait du chômage. Je ne trouvais rien, se souvient-il. La Légion c’est carré : il y a la discipline, la camaraderie. Dans le civil, c’est la pagaille ! Alors, plutôt que de rester tout seul chez moi, je suis venu ici. »

 

Bien que l’ILLE ne soit pas une unité opérationnelle, les relations entre les pensionnaires et l’encadrement, constitué d’officiers et de sous officiers d’active, restent empreintes d’une certaine discipline martiale. Au passage du lieutenant-colonel Hildebert, les vieux soldats, imperceptiblement, rectifient leur position.

« Celui qui pose problème ou se comporte mal, je le convoque au rapport, comme n’importe quel légionnaire, explique ce dernier. Mais ils sont demandeurs de ces relations. Ils ont besoin de liens hiérarchiques. C’est leur planche de salut, ils s’y accrochent. »

 

Des résidents plutôt jeunes mais malmenés par la vie

 

Brinquebalés par l’existence, cabossés par les coups du sort, nombre de pensionnaires de Puyloubier sont prématurément usés. On y compte 30% d’invalides. La moyenne d’âge des résidents- dont une poignée a moins de 50 ans- n’est que de 62 ans et demi. Rien à voir avec celle des maisons de retraite civiles, où elle dépasse souvent 80 ans. L’IILE n’est pas médicalisée. Son équipe soignante comprend cinq infirmiers et brancardiers-secouristes. Ne pouvant prendre en charge les personnes trop lourdement dépendantes, elle travaille en collaboration avec des médecins libéraux des environs et avec les hôpitaux militaires et civils de la région.

 

Penché sur sa table de travail, concentré et méticuleux, Jean Malenfant, 58 ans, colle la mousseline sur le dos du livre dont il réalise la réfection. « Il faut de la minutie, ça me plaît. » Il a passé treize ans à la légion, précédés de cinq ans dans l’armée de terre, « la régulière », comme il dit. Son divorce l’a laissé KO, à la dérive. « J’étais scié, confie-t-il dans un souffle. J’avais tout perdu, j’ai tout retrouvé ici. Une famille. Je vais rester maintenant. J’ai coupé tous les ponts avec l’extérieur… » Silence. « Je suis en sécurité. »

 

 « La Légion n’abandonne jamais les siens, conclut le lieutenant-colonel Hildebert, ni au combat, ni dans la vie. »

 

Institution des invalides de la Légion étrangère, domaine Capitaine-Danjou, 13114 Puyloubier. Tél. 04 42 91 45 01 et 04 42 91 45 06 (boutique).

Ouvert tous les jours de 10 h à 12 h et de 14h à 17h.

 

Cent trente nationalités au service de la France

 

Fondée en 1831 par Louis-Philippe, la Légion étrangère est l’héritière des régiments composés de soldats étrangers de l’Ancien Régime et du Premier Empire. Sous la devise : Legio patria nostra (la Légion notre patrie), elle regroupe 7600 hommes, sous commandement français. Elle ne compte pas moins de 130 nationalités dans ses rangs. 32% des engagés viennent du monde slave et des balkans, 22% sont français, 11% issus du reste du monde occidental. Le solde comprend des volontaires d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique noire et des pays arabes.