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Gaëlle MACKE et Malene
RYDAHL
Challenges N° 418, 29 Janvier 2015
Des revenus, un travail, de la
confiance, de la solidarité… Qu’est-ce qu’un pays heureux ? La question
est à la mode chez les économistes. Petit tour du monde des nations où
s’exprime un fort sentiment de bien-être.
|
En tournée dans les capitales européennes, Manuel
Valls a fait étape, le 28 novembre, à Copenhague. A-t-il profité de son
entretien avec sa collègue Helle Thorning-Schmidt
pour lui demander la recette du bonheur danois ? Car depuis un premier
sondage de l'Union européenne en 1973, le Danemark se distingue comme le pays
le plus heureux du monde. Peu importent les critères retenus, il caracole sur
le podium de la félicité. Un contraste saisissant avec la France qui,
invariablement, figure dans les tréfonds des classements, championne du
pessimisme. Le Premier ministre le reconnaît : « Les pays
nordiques, avec leur modèle associant protection sociale forte et libéralisme
économique, sont des sources d'inspiration. »
Parmi les autres ingrédients de l'extase danoise,
citons pêle-mêle : une école qui sélectionne moins qu'elle
n'encourage ; un État sans corruption qui veille sur des citoyens sans
incivilités ; une pratique du consensus en politique et du dialogue social
en entreprise ; une société progressiste et une cohésion sociale
exceptionnelle (lire encadré page 8)...
Quelle définition ?
Tout serait donc parfait au royaume du
Danemark ? Évidemment non. Là comme ailleurs, la crise a écorné le
modèle : la réforme des retraites a repoussé l'âge du départ à 67
ans ; les restrictions financières pèsent sur le système de santé, au
point que le Danemark a la plus courte espérance de vie d'Europe de
l'Ouest ; la vie chère porte l'endettement des ménages à des sommets. Et
si, contrairement à une rumeur tenace, les Danois se suicident moins que les
Français, en revanche, ils consomment encore plus d'antidépresseurs !
Pourtant, pas un Danois ne se plaint. « C'est culturel, explique le
sociologue danois Peter Gundelach. Nous sommes un
peuple pragmatique, simple, sans rêves de grandeur. Si nous sommes moins
désabusés qu'ailleurs, c'est que nos attentes sont plus modestes. » Il
suffit de déambuler dans les rues de Copenhague fin novembre pour s'en
convaincre : dans la grisaille sombre, sous le crachin glacial, les locaux
circulent à vélo avec le sourire, et les terrasses des bars sont bondées de
gens emmitouflés dans des plaids passant un bon moment à la lueur des
bougies !
Insaisissable
bonheur. Cela a-t-il un sens de vouloir le quantifier quand, à l'évidence,
d'une personne, d'une culture à l'autre, sa définition peut être si
différente ? Pourtant, l'étude du bonheur est à la mode chez les
économistes, pour faire pièce à la phrase de Robert Kennedy en 1968 : « Le
PIB mesure tout sauf ce qui fait que la vie vaut être vécue. »Dès
1972, le roi du Bhoutan invente un indicateur alternatif, le bonheur national
brut, qui, au développement économique, ajoutait la sauvegarde de la culture
nationale et de l'environnement, et la qualité de la gouvernance. Et puis,
quarante ans plus tard, les dirigeants de ce petit État himalayen ont abandonné
cet indice, « dont l'utilisation abusive a détourné l'attention des
problèmes économiques réels ». Comme le rappelle Woody Allen, « l'argent,
c'est mieux que la pauvreté, ne serait-ce que pour des raisons financières ».
Manuel Valls et Helle Thoming-Schmidt, à
Copenhague, fin 2014. Depuis 1973, le Danemark caracole en
tête des pays les plus heureux du monde. Un conseil de la Première ministre à
son homologue ?
Claudia Senik, professeure à l’université
Paris-Sorbonne et à l’École d’économie de Paris
L’exception française se confirme dans le temps et dans toutes les
enquêtes
Challenges :
Les études montrent que les Français sont
champions de la morosité. Est-ce un constat étayé ?
Claudia Senik : Ce déficit de satisfaction des
Français apparaît dans toutes les enquêtes et se confirme dans le temps. Sur la
carte mondiale du bonheur, il y a une « exception française » qui ne
s’explique pas par les conditions de vie objectives. A situation identique
(revenu, emploi, santé, éducation…), le seul fait d’être français réduit de 20
% la probabilité de s’estimer très heureux !
Comment
comprendre cette déprime nationale ?
On peut s’interroger
sur le système éducatif français, exigeant plutôt qu’encourageant, et qui, en
ne valorisant que le savoir – surtout en maths et en français -, empêche
l’épanouissement des enfants qui ont d’autres talents.
Un sentiment d’échec aiguisé par une porte d’accès à l’élite très étroite, en
contradiction avec la promesse d’égalité des chances. Les Français sont
exceptionnellement sensibles à cette question des inégalités.
Or si les inégalités de
revenus sont contenues, la mobilité sociale est en panne, et les rigidités et
corporatismes ont créé des rentes de situation : ce sera un CDI, un poste
de fonctionnaire, un statut de cheminot, de pilote d’Air France,
de taxi ou de notaire…
Les
Français sont particulièrement pessimistes pour l’avenir. Parce qu’ils vivent
dans le passé ?
La France vit
manifestement mal la mondialisation. Les Français souffrent de nostalgie d’une
grandeur perdue, du déclin de l’influence économique et culturelle de leur
nation. Et même s‘ils se défient de leurs institutions, ils attendent toujours
énormément de l’Etat, et s’effraient que la mondialisation amoindrisse sa
puissance et sa protection. ■
Le PIB ne suffit plus
Mais
l'idée que l'argent ne fait pas (tout) le bonheur a été validée par les travaux
de l'économiste américain Richard Easterlin : il
a montré qu'entre 1947 et 2002 le revenu moyen des Américains a quadruplé sans
que leur bonheur ressenti augmente. Le PIB, s'il est capable de répondre à la
question de la pauvreté ou de la richesse des nations, ne permet pas d'en
savoir plus sur le degré de bien-être des citoyens. Il faut donc d'autres
outils de mesure pour mieux orienter les politiques publiques. Ainsi, le Nobel
indien Amartya Sen a créé dès 1990 un indice de
développement humain fondé sur quatre critères statistiques : le PIB par
tête, l'espérance de vie, le niveau de formation et les inégalités.
A cette aune, le Danemark ne ressort qu'à la 10e place, et la France
à la 20e.
Mais
cet indicateur, certes plus complet que le PIB, échoue toujours à capter « ce qu'éprouve le cœur d'un
peuple », selon les mots du Nobel américain Daniel Kahneman,
pape de l'économie « comportementale ». D'où l'essor de sa méthode,
basée sur de vastes enquêtes, avec pour interrogation phare « quel est
votre niveau de bonheur dans la vie, sur une échelle de 1 à 10 ? »,
complétée par une longue liste de questions pour cerner les facteurs de
bonheur, objectifs (situation familiale, diplôme, emploi, revenus, logement,
santé...) et subjectifs (confiance dans les gens, les élites, l'avenir,
perceptions de sa sécurité, de sa liberté de choix...).
Depuis une décennie, ces enquêtes géantes se sont
multipliées. Parmi les plus renommées, portant sur plus de 100 pays, celles des
universités de Leicester, de Rotterdam et du Michigan, ainsi que celle menée
par l'institut de sondage Gallup sur qui s'appuient le « World Happiness Report » de l'ONU et le Global Well-Being Index élaboré avec la
société de consulting Healthways (voir tableau
page 2)
L'indice le plus ambitieux
En
France, le sujet a été mis à l'ordre du jour en 2009, quand Nicolas Sarkozy a
demandé à Amartya Sen et un autre Nobel, Joseph Stiglitz, de plancher sur « la mesure des
performances économiques et du progrès social ». Depuis, l'Insee et
Eurostat ont développé les enquêtes sur la qualité de vie. Et l'OCDE publie
depuis 2011 son Better Life Index, l'indice le plus
ambitieux de tous, avec une trentaine de critères (et davantage à venir),
mélangeant aux données déclaratives une batterie de statistiques, de la
participation électorale à la qualité de l'eau.
Le
résultat ? Il pourrait se résumer par ce bon mot de l'écrivain Jules
Renard : « Si l'on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande
pièce serait la salle d'attente ! » Mais derrière ce constat
mondial se dessinent des contrastes nationaux... ramenant le projecteur sur la
béatitude obstinée du Danemark. Tiendrait-elle à ce subtil dosage d'un État
providence qui sait aider sans assister ? Un exemple : la flexi sécurité. Grâce à cette politique du marché du
travail, qui allie des procédures de licenciement faciles que compense une
assurance-chômage généreuse assortie d'un accompagnement strict des chômeurs,
le chômage plafonne à 5 %... contre plus du double en France. Or le
chômage est un motif reconnu de mal-être. « À revenus égaux, un chômeur
est plus malheureux qu'un travailleur, car son estime de soi et son statut
social sont dégradés, relève Claudia Senik,
chercheuse en économie du bonheur (lire interview p 4). Et un niveau de
chômage élevé est anxiogène pour toute la société. »
Les vertus de la flexi sécurité
La flexisécurité est le
symbole de l'efficacité de ce modèle social dont le Danemark est si fier. Ses contribuables ont beau subir une imposition record
― l'impôt sur le
revenu dépasse 48 % de moyenne, la TVA frappe à 25 % ―,
nul ras-le-bol fiscal. « Ils trouvent normal de payer, car ils ont
confiance dans la manière dont les fonds sont utilisés, analyse Xavier
Landes, chercheur français au très sérieux think tank
Happiness Research
Institute de Copenhague. L’État assure son rôle redistributif
pour tous : le Danemark est l'une des sociétés les plus égalitaires du
monde, ce qui supprime frustrations et angoisses. »
Les autres pays scandinaves, la Suisse, l'Autriche,
les Pays-Bas, appliquant une recette proche, font aussi bonne figure dans les
classements du bonheur. Se distinguent également des pays anglo-saxons, plus
foncièrement optimistes, et les terres d'immigration du Nouveau Monde, comme le
Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, qui semblent tenir la promesse
d'une vie meilleure. Les pays d'Europe de l'Est, dont la structure sociale a
été bouleversée par la levée du rideau de fer, sont plus malheureux que les
autres ; de même les pays nostalgiques d'une grandeur passée, comme
l'Italie et la France. L'Asie est quasi absente de la carte du bonheur mondial.
Le paradoxe
latino-américain
En revanche, il y a un paradoxe
latino-américain : le Panama, la Colombie, le Costa-Rica, voire le Mexique
et le Brésil, se propulsent en haut des classements, malgré des conditions de
vie difficiles. Revoilà la singularité culturelle : « Dans ces
pays, les liens de famille, avec les amis, la communauté, sont puissants, note
Richard Layard, économiste britannique, auteur du Prix
du bonheur (2007). Cette solidarité est un facteur de bonheur bien plus
pérenne que l'augmentation de richesse, dont le plaisir s'éteint avec
l'accoutumance. »
Le bonheur garde donc sa part de mystère
irréductible, insensible aux conditions, aux circonstances... et aux politiques
publiques. Mais il semble mieux s'épanouir quand l’État est présent sans être
pesant. Un objectif qui convient parfaitement à la politique de réformes de
Manuel Valls. Helle Thorning-Schmidt
lui aurait-elle livré, en novembre dernier, les clés de la félicité ? Gaëlle
Macke
Malene Rydahl, directrice de la communication des
hôtels Hyatt |
Heureux
comme un Danois, Malene Rydahl, Grasset, 216 pages, 16 euros. |
Les
Danois détiennent le record mondial de la confiance dans autrui
Challenges : Pour vous,
Danoise en France depuis vingt ans, quelle est la clé majeure du bonheur
danois ? Malene Rydahl : La confiance. Huit Danois sur dix
estiment que les gens sont dignes de confiance, un record mondial ! Au
contraire, sept Français sur dix pensent qu’on n’est jamais trop prudent… Les
Danois sont aussi plus de deux fois plus confiants
que les Français en leurs institutions, le gvernement,
la police, la justice, l’administration. |
|
N’est-ce pas faire preuve de naïveté ? Non, l’honnêteté est la base de notre
vivre-ensemble. Le Reader’s Digest fait
chaque année le test d’ « oublier » des portefeuilles avec de
l’argent et les coordonnées du propriétaire dans une soixantaine de villes du
monde. A Aalborg, la ville danoise testée, 100 % des portefeuilles ont
été restitués avec l’argent. De même, dans tous les classements de
gouvernance des ONG, le Danemark se place au top grâce au bon fonctionnement
de la démocratie et de la justice ainsi qu’à une quasi-absence de corruption. Pourtant,
le Danemark a un parti d’extrême droite puissant et la politique
d’immigration la plus restrictive d’Europe : s’agit-il de signes de
défiance ? L’extrême droite, qui progresse
partout sur le continent, a trouvé son audience… justement parce que
l’immigration défie notre culture de la confiance. Le Danemark est un petit
pays avec une population homogène et une forte cohésion sociale. Une grande
famille. L’arrivée d’immigrés venus de pays où les rapports de confiance ne
sont pas la règle a suscité la peur qu’ils abusent de notre système social
très généreux, auquel les Danois sont viscéralement attachés. ■ |