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Janvier  2014

 

UNE AUTRE PHILOSOPHIE DE LA PEINE

Anne CHEMIN

Le Monde samedi 9 novembre 2013

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Le 11 octobre, pose d’un bracelet électronique au domicile d’un jeune homme,
à Bobigny (Seine-Saint-Denis)

 

Soins, bracelet électronique, périmètres interdits, indemnisation de la victime : la probation comporte de nombreuses contraintes, mais elle rompt avec la tradition de l’incarcération. D’où son aspect controversé

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Au premier rang des justifications de la peine figure souvent un discours sur le devoir moral, voire sacré du châtiment. Selon le philosophe Frédéric Gros, auteur d’un livre sur la peine, le premier sens de cette peine est le « rappel à la loi » : la punition répond,par principe, à la transgression d’un interdit. Cette dimension est à son apogée chez Kant, qui refuse de faire entrer la peine dans le moindre calcul d’utilité : la punition n’est pas destinée à dissuader le criminel ni même à susciter son amendement, elle est simplement un « devoir moral absolu et catégorique » destiné à réaffirmer la « majesté de la loi outragée ».

Cet impératif est-il présent dans la probation ? À droite, beaucoup d’élus en doutent : ils estiment que cette peine « cousue main » qui s’effectue en liberté est un véritable cadeau fait au délinquants. « La dimension punitive est pourtant présente dès le prononcé de la peine de probation, rétorque le magistrat et essayiste Denis Salas, secrétaire général de l’Association française pour l’histoire de la justice et directeur de la revue trimestrielle Les cahiers dela justice. Le juge dit : “Je vous déclare coupable et je vous condamne à une peine de probation.” Cet acte de langage prononcé dans le cadre d’un tribunal symbolise la réprobation de la société et réaffirme l’ordre social. La société parle, la loi est posée, la peine est inscrite dans le casier judiciaire. Tous les éléments de la punition sont là : l’audience, le juge, le rituel, le casier. »

Mais la dimension punitive ne s’arrête pas aux symboles. Pour les défenseurs de la probation, les obligations qui seront imposées aux condamnés n’ont rien d’une faveur ou d’un bienfait. « Il y aura une effectivité réelle de la sanction, souligne l’avocat et professeur de droit Jean Danet. Le condamné devra, par exemple, porter un bracelet électronique, ne pas  se rendre dans les lieux où il a ses habitudes de vie, indemniser la victime, respecter une obligation de soins en matière de toxicomanie ou d’alcool, toutes choses qui sont souvent très difficiles à faire. » « Pendant sa peine, le condamné sera en liberté, mais il sera constamment encadré et surveillé, renchérit la philosophe Myriam Revault d’Allonnes, membre du jury de la conférence de consensus. Il ne s’agit pas de le mettre dans un jardin d’enfants. »

« Pendant sa peine, le condamné

sera en liberté, mais sera

constamment encadré et surveillé.

Il ne s’agit pas de le mettre

Dans un jardin d’enfants »

Myriam REVAULT D’ALLONNES

philosophe

La magistrate Nicole Maestracci, présidente du comité d’organisation de la conférence de consensus, insiste, elle aussi, sur le fait que la peine de probation est une « peine à part entière ». Ce n’est toujours pas évident à saisir car les murs de prison sont visibles, alors que les obligations de la probation ne le sont pas, remarque-t-elle. Il faut cependant sortir de l’idée que les peines en milieu ouvert sont plus douces que l’enfermement. Pour beaucoup de délinquants, les contraintes imposées par la peine de probation seront plus difficiles à supporter que la prison, un endroit où certains détenus passent des journées entières en cellule à regarder la télévision. La prison, c’est souvent la déresponsabilisation. »

Si la dimension punitive n’est pas absente de la peine de probation, son inspiration principale vient cependant d’ailleurs. « Cette peine s’inscrit complètement dans la philosophie de la réhabilitation », résume Denis Salas. Amendement, régénération, éducation, réinsertion : les mots ont varié, mais, au XIXe siècle, l’idée que le délinquant doit être éduqué finit par s’imposer. À l’époque, la réhabilitation « se comprend comme re-moralisation ou resocialisation, écrit le philosophe Frédéric Gros dans Et ce sera la justice : punir en démocratie (Odile Jacob, 20014). Punir serait réinjecter dans l’individu coupable des normes sociales ou morales. »

Depuis le XIXe siècle, cette notion a évolué : il est nullement question, aujourd’hui, de défendre une vision rédemptrice, voire salvatrice, de l’âme du condamné. Mais si la dimension religieuse s’est éloignée, l’idée de la réhabilitation est toujours très présente.La peine de probation vise la restauration sociale, pas morale, précise Myriam Revault d’Allonnes. Il ne s’agit pas de transformer un délinquant en un être vertueux en supprimant en lui toute envie de faire le mal : la psychanalyse, avec Freud, nous a montré que l’on ne pouvait pas éradiquer le désir du mal. La peine de probation cherche, plus simplement, à rendre le condamné apte aux exigences de la vie sociale. Elle repose sur des considérations politiques, pas sur des considérations morales. »

Nicole Maestracci, qui a, depuis la conférence de consensus, été nommée membre du Conseil constitutionnel, rejette, elle aussi, les discours moralisateurs : selon elle, la peine de probation ne vise pas à régénérer intérieurement le condamné mais à lui permettre, plus modestement, de « mener une vie compatible avec la société telle qu’elle est ». « Elle est fondée sur une idée nouvelle, la “désistance”, c’est-à-dire l’étude des raisons pour lesquelles les personnes sortent de leur parcours de délinquance. En encadrant les condamnés, elle les aide à retrouver des points d’appui : sortir de la toxicomanie ou de l’alcoolisme, trouver un logement, renouer des liens familiaux, suivre une formation professionnelle ou chercher un travail.C’est long car il est souvent très difficile de changer de mode vie, mais le délit peut être l’occasion d’amorcer ce virage. »

La dernière source d’inspiration de la peine de probation vient du monde anglo-saxon : c’est la philosophie de la « restorative justice », une doctrine tellement éloignée de la mentalité française que sa traduction est hésitante – les spécialistes parlent indifféremment de justice  « restaurative », « réparatrice » ou « restauratrice ». Apparue il y a une trentaine d’années au Canada et aux Etats-Unis, elle cherche à retisser les liens sociaux altérés par l’infraction. « Cette justice vise à assurer la resocialisation de l’auteur de l’infraction et, in fine, le rétablissement de la paix sociale, résume le Rapport de la conférence de consensus. Elle entend de ce fait redistribuer les rôles entre l’Etat responsable du maintien de l’ordre et la communauté civile. »

Conférences de groupe en Nouvelle-Zélande, cercles de soutien et de responsabilité au Canada, rencontres détenus-victimes en Belgique : la justice réparatrice tente de faire naître des gestes ou des paroles de réconciliation. La peine de probation ne va pas jusque-là mais elle est, elle aussi, attentive à la réparation des liens sociaux. « Avec la probation, la société devientun acteur de la peine, souligne Denis Salas. Ce n’est plus la société sondagière et vengeresse de l’utopie sécuritaire et du populisme pénal, mais une société apaisée, qui participe activement à la mise en œuvre de la sanction — une municipalité, par exemple, qui organise
un stage de sécurité routière pour les délinquants de la route ou une association qui met en place de groupes de paroles pour les auteurs de violences conjugales. »

Si elle est votée, que deviendra, au fil des ans, cette peine de probation qui emprunte à des registres philosophiques si différents ? Nul ne peut encore le dire. Car une peine se construit peu à peu, au travers des circulaires rédigées par le ministre de la justice, de la jurisprudence délivrée par les tribunaux, des pratiques des conseillers d’insertion et de probation, des réactions d’une société conviée à participer à la mise en œuvre de la sanction. Le législateur vote la loi mais ce texte n’épuise pas le sens de la peine, conclut Denis Sarlat. L’histoire de la peine de probation, comme celle de toutes les sanctions, sera le fruit d’une écriture collective. ■

Anne CHEMIN

 

« Aujourd'hui, le concept majeur de la sécurité, ce n'est plus l'enfermement, c'est la traçabilité »

 

Frédéric Gros est professeur de philosophie éthique à l'université Paris-Est Créteil et chargé de cours à l'Institut d'études politiques de Paris. Ce spécialiste de Michel Foucault a publié en 2001, Et ce sera justice, punir en démocratie (Odile Jacob). Il retrace ici l'histoire des châtiments créés par les hommes et le sens qu'ils revêtaient aux yeux de leurs contemporains.

« Aujourd'hui, la prison est la peine de référence, au point que nous oublions parfois est qu'elle est très récente ̶ elle est née au XIXe siècle. Pendant très longtemps, les hommes ont imaginé d'autres châtiments et ils en inventent encore. Ces peines relèvent de trois philosophies très différentes.

Le premier groupe rassemble les peines corporelles que l'on dit “d'Ancien Régime” ̶  les supplices, les coups de fouet, les mutilations, les galères, les travaux forcés. Ces châtiments organisés comme des spectacles tentaient d'inscrire dans le corps du condamné la loi bafouée et d'impressionner l'imaginaire des hommes  ̶  il s'agissait de frapper l'imagination pour retenir le bras des criminels.

« Avec la protection, ce n’est plus

la société vengeresse de l’utopie

sécuritaire mais une société

apaisée, qui participe activement

à la mise en œuvre de la sanction »

Denis SALAS

magistrat

Le deuxième type de peine, c'est l'enfermement, qui, au XIXe siècle, est devenu la modalité pénale majeure. Au départ, la prison a été conçue comme une décorporation : au nom de la lutte contre la barbarie, on ne blessait plus le corps du condamné, on se contentait de le priver de liberté. L'idée était d'obliger le détenu à un retour sur soi, une réflexion, une pénitence  ̶ le mot “cellule” renvoie d'ailleurs à l'univers religieux. À cette fonction de régénération et de correction, s'ajoutait une fonction de neutralisation : il fallait éloigner les criminels.

Dans Surveiller et punir. Naissance de la prison (1975), Michel Foucault voit dans la prison la signature d'une société disciplinaire : si elle devient une évidence, au cours du XIXe siècle, c'est parce que l'ensemble de la société (les écoles, les hôpitaux, les casernes) fonctionne, dans cette période-là, à la discipline.

Le troisième groupe rassemble les peines en milieu ouvert. Elles sont très modernes, car elles correspondent à nos sociétés de contrôle : aujourd'hui, le concept majeur de la sécurité, ce n'est plus l'enfermement, c'est la traçabilité. On laisse les gens circuler puisque, dans un monde globalisé, le mouvement est censé créer de la richesse, mais on les accompagne, on les suit, on les évalue sans cesse et on infléchit leur trajectoire quand elle commence à déraper. La peine de probation appartient à ce modèle de gouvernementalité. ■

PROPOS RECUEILLIS PAR A.CH.

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Station de métro Hyde Park Corner, Londres, le 29 avril 2011. un délinquant condamné pour un délit mineur nettoie ce mur en vue de la préparation du mariage royal de Kate Middleton et du prince William.

SANG TAN/AP

Antoine Garapon : « C'est une sanction néolibérale »

 

Antoine Garapon, magistrat, est secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice. Membre du comité de rédaction de la revue Esprit, il a notamment publié Le Gardien des promesses (Odile Jacob), 1996) et Les nouvelles sorcières de Salem. Leçons d'Outreau (avec Denis Salas, Seuil, 2006).

Vous estimez que la peine de probation sera difficile à acclimater en France. Pourquoi ?

La première difficulté, c'est que cette sanction est née d'une démarche pragmatique à l'anglo-saxonne : son but n'est pas de faire la morale au condamné mais de résoudre les obstacles concrets à son insertion sociale – l'alcoolisme, les crises familiales, l'absence de logement, de travail ou de formation professionnelle. La probation se résume finalement à une série de mesures de sûreté supervisées par un juge. Pour un Français, cette conception de la peine est difficile à admettre : la République française est une communauté morale, la sanction doit impérativement avoir une dimension symbolique et rétributive.

La seconde difficulté, c’est que la peine de probation est mise en œuvre en étroite collaboration avec la community, mot qui désigne, pour les Anglo-Saxons, les associations,les voisins et les institutions locales. Il est difficile de le retraduire en français, ce qui n'est pas un hasard : la « community » correspond à une conception de la sanction très différente de la nôtre. En France, la peine relève des pouvoirs régaliens de l'État, elle renvoie à cette part de souveraineté et de majesté qui rassure les citoyens en affirmant la prééminence de la loi.La probation, avec sa dimension « communautaire », n'est pas facile à transposer dans un pays où les corps intermédiaires sont fragiles et où l'imaginaire symbolique tourne toujours autour de l'État.

Vous affirmez cependant qu'elle est très bien adaptée à notre modernité. Pour quelles raisons ?

C'est une peine « néolibérale » au sens où elle repose sur l'idée de la performance : elle dit au condamné que les ressources sont en lui et qu'il peut être son propre agent de probation, faisant ainsi l'écho à l'idéologie moderne du do it yourself. C'est aussi une peine « ambulatoire », qui permet au condamné de rester en liberté et donc de continuer à circuler : dans un univers mondialisé qui valorise le mouvement et les échanges, le contrôle, y compris dans l'univers de la peine, passe de moins en moins par l'immobilisation physique de personnes, et donc par la prison.

Enfin, c'est une peine adossée à un système de calcul des risques très répandu dans le monde contemporain : pour limiter la récidive, les juges qui mettent en œuvre des peines de probation au Canada et en Angleterre utilisent des tableaux statistiques fondés sur le profilage des délinquants, comme le font les sociétés d'assurance.

PROPOS RECUEILLIS PAR A.CH.


 

À LIRE

« DEALS DE JUSTICE.

LE MARCHÉ

AMÉRICAIN

DE LOBÉISSANCE

MONDIALISÉE »

d’Antoine Garapon

et Pierre

Servan-Schreiber

(PUF, 200 p., 19€).

 

« VERS UNE AUTRE

POLITIQUE PÉNALE »

de Denis Salas

(revue Etudes,

tome 419-4, 11€).

 

« LA JUSTICE

DÉVOYÉE. CRITIQUE

DES UTOPIES

SÉCURITAIRES »

de Denis Sarlat

(Arènes, 2012)

 

« LA CRISE SANS FIN.

ESSAI SUR

L’EXPÉRIENCE

MODERNE

DU TEMPS »

de Myriam Revault

d’Allones

(Seuil, 2012)

 

« LA RÉPONSE

PÉNALE, DIX ANS

DE TRAITEMENT

DES DÉLITS »

coordination de Jean Danet

(Presses universitaires

de Rennes, 542 p., 24€).