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Avril 2014
UN METIER D'ENFER :
PRETRE EXORCISTE
Louise COUVELAIRE / Illustrations Edward del
ROSARIO
Le magazine du Monde, 11 Janvier 2014
Vade retro,
satana ! Repoussé depuis plus de deux mille ans, le Malin revient
toujours. Et en France comme ailleurs en Europe, les exorcistes catholiques
n'ont jamais eu autant de travail. Mi-guides spirituels, mi-psy, ces prêtres
expérimentés sont confrontés à la souffrance d'une société en perte de repères.
Enquête sur un ministère délicat assez éloigné des fantasmes cinématographiques.
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IL le traite de
« salopard », le compare à une « créature rusée », le dit «
redoutable et menteur ». À 74 ans, le Père Maxime d'Arbaumont
sait de quoi il parle. Ou plutôt de qui. Lucifer, Satan, le Malin, Belzébuth...
Quelque soit le nom qu'on lui
donne, à lui ou à ses légions de subalternes (entendez, les démons),
il s'agit du diable. Cela fait plus de six ans que ce prêtre aux allures de grand-père
idéal déloge le prince des ténèbres des âmes tourmentées. L'homme n'a rien d'un
illuminé égaré. Costume gris, sourire bienveillant et timbre rassurant, il
occupe la fonction − très
officielle − de prêtre exorciste du
diocèse de Paris. Un titre aux accents moyenâgeux. Pourtant, depuis quelques
années, il est débordé par la multiplication des appels à l'aide émanant de
personnes convaincues d'être « possédées ».
La capitale n'est pas un cas isolé. Pour faire
face aux demandes toujours plus nombreuses, tous les diocèses de France sont
dotés d'au moins un exorciste. Il y a trente ans, l’Hexagone comptait une
trentaine de ces chasseurs de démons professionnels. Aujourd'hui, ils sont plus de cent vingt, qui se
retrouveront fin janvier à Lyon, pour une réunion annuelle.
Le phénomène ne se limite pas à la France. Un peu partout en Europe, les exorcistes font le plein. En juillet
2013, en Pologne, 58 000 adeptes se sont rassemblés dans le stade de football
de Varsovie pour assister à une prière libératrice organisée par l'évêque du
diocèse de Varsovie (où la liste d'attente pour voir un exorciste est de trois
mois) et prononcée par un prêtre
ougandais. Une gigantesque croix haute de quinze mètres et un autel en
forme de cœur avaient été installés sur le terrain. « Si des manifestations
sataniques se produisent au cours de la prière exorcisante,
n'ayez pas peur, des prêtres exorcistes s'occuperont des personnes atteintes
dans un endroit spécial », avait alors expliqué un des organisateurs en
préambule. Un an plus tôt, face à l'engouement pour la question diabolique, un
groupe de prêtres polonais lançait un magazine mensuel consacré à l'exorcisme
et sobrement baptisé Egzorcysta.
Parmi les articles publiés : « Satan – réel et personnifié », « Les crimes
commis au nom de Satan », « La faiblesse du diable, impuissant face à Dieu ».
En Espagne, l'archidiocèse de
Madrid, qui ne dispose « que » d'un seul exorciste, cherche désespérément à en
« recruter » sept autres. Même chose à Milan, où l'Église a mis en place un
numéro vert destiné à trier les demandes. Le nombre d'exorcistes est passé de
six à douze en quelques années
À Rome, le
Père Gabriele Amorth, exorciste star depuis vingt
huit ans et auteur à succès, raconte à qui veut l'entendre qu'il a vu des personnes
« marcher sur les murs ou ramper au sol comme un serpent » et conserve
dans son bureau des trésors de guerre, comme des boîtes de clous que les
possédés auraient recrachés pendant le rituel de délivrance.
Même les États-Unis sont
gagnés par la fièvre maligne. En 2000, le pays ne comptait qu'une dizaine
d'exorcistes, aujourd'hui, ils sont plus de 85. Surfant sur la vague, certains
n'hésitent pas à politiser le diable. Le 20 novembre dernier, l'évêque de
Springfield, dans l'Illinois, John Paprocki, a
défrayé la chronique en appelant ses fidèles à assister à une prière
d'exorcisme publique visant à lutter contre ce qu'il considère être une
intrusion évidente du Malin dans la société : le mariage gay.
« Ce
phénomène est le syndrome d'une
société en crise, en perte de repères »,
estime l'historienne Florence Chave-Mahir. « Les personnes qui viennent sont en grande
souffrance, insiste le Père Jean Bernardi, prêtre
exorciste de Nice, qui a vu sa « consultation » presque doubler en cinq ans (de
300 à 500 appels par an). Elles ne savent plus à quel saint se vouer, si on
peut dire, et pensent qu'on va miraculeusement les guérir. »
Pour le porte-parole de la
Conférence des évêques de France, Mgr Podvin, «
face à l'impasse existentielle resurgit l'hypothèse maléfique. Le choc
du 11 septembre 2001 et la crise de 2008 ont accéléré le phénomène ».
Quarante ans après sa sortie
(le 25 décembre 1973), L'exorciste, de William Friedkin,
continue de hanter les esprits. Avec son interprétation sensationnaliste de la
possession, ce classique du cinéma d'épouvante a autant embarrassé l'Église
catholique qu'il l'a propulsé au rang de super combattante du Malin. «
Depuis, lorsqu'il y a une présence diabolique dans un film, c'est un prêtre
catholique, présenté comme quelqu'un doté d'un pouvoir spécial, qui délivre du
mal », explique le Père Gahl, professeur à
l'université pontificale de la Sainte Croix à Rome. La recette reste efficace.
C'est dans la capitale italienne, à l'université de l'athénée pontifical Regina
Apostolorum, que le Père Gary Thomas, 60 ans,
aujourd'hui prêtre à Saratoga, en Californie, est allé se former à l'exorcisme
il y a huit ans. De son apprentissage (quatre heures par semaine pendant trois
mois), Hollywood a tiré un film, Le Rite, sortie en 2010. Spasmes violents,
visages déformés, propos insultants, vomissements de clous... «
Tout ce que vous croyez dans le film, je l'ai vu !, affirme le Père
Thomas, presque étonné qu'on puisse s’interroger. Et je continue d'y
assister lors des exorcismes que je pratique. » De quoi faire, une fois de
plus, grincer les dents des membres de l'Église réfractaires au folklore. Reste
que « lorsqu'il est admis que le diable existe, celui qui cherchera la
protection viendra trouver de l'aide auprès de la figure la plus puissante qui
a déjà vaincu », poursuit le Père Gahl. La plus
ancienne aussi. Les évangiles de saint Matthieu, saint Marc ou encore saint Luc
en attestent : Jésus-Christ fut le premier exorciste. C'est avec
l'apparition des sorcières (associées à des démons), à la fin du Moyen Age, que
l'Église a ritualisé son face-à-face avec le mal. « Les prêtres pratiquaient
en public afin d'affirmer la puissance de l'Église », explique
l'historienne Florence Chave-Mahir.
Avec les Lumières, le diable − et Dieu − a perdu peu à peu du terrain au profit de la science
et de la psychanalyse. On croyait dès lors Satan enterré par le scepticisme,
vaincu par la raison, terrassé par la science. Il n'en est rien.
D'un point de vue théologique, rien n'a
changé : le
diable est dans la place. « On a trop vite cru que la science
avait réponse à tout », juge Mgr Podvin. Dans son
livre Sobre el cielo y la tierra
(Sur la terre comme au ciel), paru en espagnol en 2010 et publié en France en
mai 2013, le pape François lui-même écrivait : « Le plus grand succès
du diable a peut-être été de nous faire croire qu'il n'existait pas. »
LE SOUVERAIN PONTIF N'EST
PAS ÉTRANGER au regain d'intérêt que
suscite le diable. Depuis son élection le 13 mars 2013, il ne cesse de faire
référence au pouvoir destructeur de « Satan », du « Démon » ou du
« Malin » dans ses homélies. Le 19 mai, lors de la messe de la
Pentecôte, sur la place Saint-Pierre de Rome, alors qu'il remonte la file des
malades, il s'approche d'un homme sur un fauteuil roulant, écoute les paroles
du prêtre qui se tient à ses côtés, se concentre, puis appose ses deux mains
sur la tête de ce Mexicain de 43 ans, un père de famille « possédé » par quatre
démons (selon le prêtre accompagnateur), avant, semble-t-il, d'appuyer avec
force. Cette scène a troublé certains fidèles et prêtres, qui l'interprètent
comme une séance d'exorcisme. Le Saint-Siège dément mais la rumeur continue
d'enfler. Le 22 mai 2013, l'Associated Press titre un dépêche ainsi : « Le pape et le
diable : François est-il un exorciste ? »
DISCRET, LE PÈRE MAXIME
D'ARBAUMONT n'aime guère parler de sa
fonction et encore moins se montrer. « Trop de demandes, résume-t-il. Pas
besoin de publicité. » Et pas question d'alimenter les fantasmes que
suscite le « métier ». Dans son petit bureau dépouillé de l'Accueil
Saint-Michel, dans le 11e arrondissement de Paris, il conserve
précieusement un petit livre rouge de 110 pages au titre écrit en lettres
dorées : Rituel de l'exorcisme et prières de supplication. Un mode d'emploi, en somme, revisité en 1999 par
le pape Jean Paul II et distribué exclusivement aux prêtres chargés de délivrer
« les proies » du Malin. Nommé par son évêque (comme tous les exorcistes) pour
sa « sagesse » et son « discernement », le Père d'Arbaumont s'est surtout formé « sur le tas ». «
Pour être exorciste il faut être mature et avoir de l'expérience, ce serait fou
de nommer un jeune prêtre »,insiste
Mgr Podvin.
« Les vrais cas de possession sont rarissimes
», précise l'exorciste de Paris. Une
dizaine par an, confie-t-il, sur les 2400 appels reçus cette année. L'Église a
établi une liste de « symptômes » : une femme qui parle soudain avec une
voix d'homme, quelqu'un qui blasphème avec virulence, connaît une langue
inconnue, fait preuve d'une force herculéenne, d'un talent divinatoire
vis-à-vis du prêtre... Et la marche à suivre pour chasser le démon qui l'habite
est précise : prières de délivrance, imposition des mains, bénédiction,
aspersion d'eau bénite, signes de croix... Si, en Italie, comme aux
États-Unis, les adeptes des mises en scènes spectaculaires de l'exorcisme
divisent, en France, ce type de « dépassement personnel », comme le dit
diplomatiquement Mgr Podvin, est proscrit. Un prêtre
exorciste un peu trop « enthousiaste » serait vite remercié. Ici, pas d'histoires
de clous ou de corps contorsionnés, pas de possédés qui jouent les hommes
araignées ni de femmes qui profèrent des insanités. L'« exorcisme majeur » ou «
grand exorcisme » est manié avec précaution, et raconté à reculons. Du bout des
lèvres, le Père d'Arbaumont accepte d'évoquer le cas
d'une femme. C'était il y a quelques années. Âgée de 35 ans, bourgeoise et
adepte du spiritisme, elle poussait des cris stridents, se roulait par terre et
explosait quand le nom de Dieu était évoqué. Il a fallu multiplier les séances
d'exorcisme pour la délivrer, seize en tout.
« Chaque exorcisme est différent, explique
le Père d'Arbaumont. Certains prennent une heure,
d'autres des années. Mais la plupart ne consistent qu'à prononcer quelques
prières de délivrance. »
À mi-chemin entre le confesseur, le conseiller spirituel et le psy, le prêtre exorciste se voit confier une tâche délicate. Impossible de répondre personnellement à toutes les sollicitations. Une équipe de treize « écoutants » (douze femmes et un homme, religieuses et laïcs) se charge d'un premier « tri ». Sorte de standard SOS possession, ils suivent un processus très balisé, une discussion d'environ une heure trente au cours de laquelle ils s'enquièrent de la vie affective de la personne, de son anamnèse, de ses maux, de son parcours médical... Ils ne transmettent au prêtre que les cas les plus difficiles à trancher, et à gérer.
TOUS LES JEUDIS MATIN, ILS
PASSENT EN REVUE les dossiers les plus sensibles
. Épaulés par des
psychologues et des psychiatres, le Père
d'Arbaumont ne diagnostique jamais de possession
avant d'avoir écarté toutes les hypothèses de désordre mental. « Notre
pratique ne se fait jamais sans lien avec la science du moment, insiste le
porte-parole de la Conférence des évêques de France. Il n'existe pas de
guerre de tranchées comme autrefois. Nous comptons beaucoup sur les
psychologues. » Les exorcistes sont formés pour être sceptiques. La
consigne émane de Rome. « C'est ce que l'on nous apprend, confirme le
Père Thomas, en Californie. Cela fait partie du processus du discernement. »
Qui sont les personnes concernées ? Une minorité est athée ou issue d'une
autre religion. 75 % sont des femmes –
dont une très large majorité a été victime d'abus sexuels (viols, incestes...) – issues de toutes les classes sociales. « Ça se
passe chez les Le Quesnoy comme chez les Groseille », souligne le Père d'Arbaumont, en référence au film La vie est un long
fleuve tranquille. Schizophrènes, paranoïaques, bipolaires, dépressif ou
tout simplement une personne tout simplement perdue... 20 % à 25 % des
personnes que le Père d'Arbaumont reçoit souffrent, selon lui, d'une vraie
pathologie. Le prêtre, qui les accueille en moyenne une demi-heure, ne peut
cependant pas toutes les expédier chez un médecin. Sans empiéter sur le
territoire des psychologues, il répond à la demande spirituelle. Un véritable
d'exercice d'équilibriste. « Les
populations qui viennent voir ces prêtres sont des gens que nous, les psys,
nous ne verrons jamais dans nos consultations, explique la psychiatre
Alexia Levrat Noël, qui travaille depuis douze ans
avec le diocèse de Lyon. “Je ne suis pas fou !”, disent-ils,
mais ils se croient possédés ou entravés par une puissance extérieure. Attribuer ses
problèmes à quelque chose d'extérieur à soi est une façon de ne pas se
responsabiliser. » Beaucoup espèrent un miracle, un « quick fix » comme
l'appelle le prêtre exorciste du diocèse de Chicago, le Père Jeffrey Grob, «
une réparation minute » : « Ils pensent qu'avec quelques
prières, ou plus, tous leurs problèmes s'envoleront. »
Dans la grande majorité des
cas, le Père d'Arbaumont, comme les autres
exorcistes, « récupère » ces âmes en détresse, adeptes de l'occultisme,
après les voyantes, gourous et autres faux prêtres qui tarifient leur « délivrance
» au prix fort. Le 11 octobre 2013, devant la cour d'assises de l'Essonne,
quatre Antillais accusés d'avoir séquestré et torturé une jeune femme de 21 ans
qu'ils pensaient possédée par le diable ont été condamnés à des peines
allant de trois à six ans de prison. La victime a passé sept jours ligotée dans
la position du Christ sur un matelas posé au sol, sans rien boire ni manger. «
Le mal-être actuel fait le jeu des charlatans, constate Jean-Louis Dorey, 67 ans, psychologue clinicien bénévole qui assiste
l'exorciste de Lyon. Au début, je me suis même demandé si les exorcistes
n'étaient pas des charlatans. Mais j'ai été surpris de constater que les
prêtres abordent les choses de façon très cartésienne et logique. » Pour la
psychiatre Alexia Levrat Noël, « l'exorciste est
le dernier recours, comme une figure sécurisante et paternelle reliée à une
institution. Il agit au service d'une mission plus grande, et
gratuitement ! »
Le Père Jeffrey Grob, de Chicago, parle de « pop religion », un phénomène parallèle à la pop culture. « C'est devenu presque tendance d'aller chez l'exorciste, dit-il. Un peu comme si on allait voir son gourou New Age dans les années 1970. » « En 1968, l'Église a reçu le choc culturel de toutes les remises en question, analyse Mgr Podvin. Nous avons cru que la sécularisation était actée. En réalité, ce qui a muté, c'est le rapport à la pratique religieuse, mais pas la foi ni la croyance. Si la pratique hebdomadaire disparaît, la religion populaire, elle, proche de la superstition, n'est pas morte. »
“L'exorciste est le dernier
recours, comme une figure sécurisante paternelle. Il agit au service d'une mission plus grande, et gratuitement !” Alexia Levrat Noël,
psychiatre |
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