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Mai 2012
POURQUOI EST- IL SI
DIFFICILE DE PARLER DE LA MORT ?
FabienTRECOURT et Marie le MAROIS
Psychologie Magasine avril
2011
Introduction par Henri Charcosset :
On trouvera un certain nombre d’articles sur ce site, autour de la
mort, à partir du lien : CLIC
Dans
cet article-ci, de Psychologies Magazine, on verra tout particulièrement les témoignages de trois
professionnels, pour l’approche de la mort, les soins aux morts, les urnes
funéraires.
TEXTE
La vie a une fin, c’est notre seule certitude, mais c’est aussi la
plus difficile à admettre. Même le mot
« mort » nous fait peur! A
l’occasion du premier Salon qui lui est dédié nous avons rencontré
trois personnes qui travaillent avec elle au quotidien et qui en parlent sans
tabou.
L’annonce d’un décès suscite souvent
silences gênés, condoléances de circonstances, compassion appuyée. Pas facile
de trouver les mots justes… « Il est impossible de réagir par
l’indifférence affirme le sociologue Patrick Baudry(1).Aucune société n’a
développé une vision de la mort qui
permettrait d’en parler comme de la pluie et du beau temps.»
Dés l’antiquité, le philosophe grec
Epicure écrit qu’elle est « celui d’entre les maux qui nous donne le plus
d’horreur ». Et,des maux aux mots, il n’y a qu’un pas: ainsi, chez les
Amérindiens navajos, dire le nom d’un défunt est soupçonné de déclencher des
maladies.
La psychologue et psychothérapeute Marie de
Hennezel (2) membre de l’Observatoire
national de la fin de vie, note que beaucoup d’entre nous ont une
peur irrationnelle de prononcer le mot
« comme s’ils allaient attraper la mort de la même manière que l’on
attraperait la grippe ».La création cette année d’un Salon de la mort s’est heurtée à de telles résistances
: « On me conseillait d’appeler ça
le « Salon du départ ».s’étonne encore Jessie Westenholz, coorganisatrice de l’évènement.
Une forme de déni
Historiquement, religions et philosophies
ont toujours évité le cœur du sujet « Les questions de la vie après sa fin
sont omniprésentes , atteste le maitre d’œuvre du Dictionnaire de la mort
, Philippe Di Folco .Mais il existe très peu de choses sur la biologie ,
le traitement des corps, les personnels funéraires» … Comme si nous ne
parlions jamais autant de la mort que lorsqu’il s’agit d’en éluder la
possibilité .
Dans les religions, par exemple, nous ne
disparaissons pas , nous poursuivons notre vie dans l’au- de delà ou nous nous
réincarnons « C’est une forme de déni, analyse le philosophe Pierre Le Coz (3)
Vice- Président du Comité consultatif national d’éthique. Pour mieux
l’accepter, nous imaginons que la mort est le commencement de la vraie vie. »
Pour certains, elle ne serait pas à
craindre car nous ne serons plus là pour en souffrir. « J’aimerais
voir ces moralisateurs à leurs derniers instants», ironise Pierre Le Coz . Il est plus facile de parler de la mort
en général que d’affronter la sienne. « Le philosophe Heidegger
dénonce l’attitude qui consisterait à se défaire de cette peur en feignant de
croire qu’elle ne nous concerne pas, souligne la philosophe Raïssa Maillard
dans le Dictionnaire de la mort. Souvent cette peur est refoulée dans
un¨ On meurt ¨ impersonnel qui ne nous menacerait jamais en
propre. »
Une absence de rites
Pour Pierre Le Coz, c’est l’instinct qui
commande de détourner le regard: « Cela a permis à l’humanité de survivre
.Celui qui ne craint pas la mort se met en danger. » Ce rejet se retrouve
dans le cercle familial, où le psychiatre Jean Santonja constate une véritable
occlusion de la parole: « Quelqu’un qui se sait sur le point de mourir subit une
pression involontaire de son entourage. On lui répond que ça va aller, qu’il va s’en sortir…Ce qui est une
manière de passer à autre chose. »
S’il a toujours été difficile de parler
de la mort, il semble que notre siècle y soit encore plus rétif que les
précédents. « Lorsque que l’on mourait chez soi, entouré de sa
famille, de ses voisins et de ses amis, cela faisait partie du quotidien,
rappelle Marie de Hennezel. Et elle était plus visible: on voilait de noir la
porte d’entrée, on venait , en voisin, passer un moment au chevet du
mourant… »
Ces
rites ont quitté l’espace public. On s’éteint à l’hôpital, le plus souvent
seul, et les symboles du deuil ont disparu. Pour Marie-Frédérique Bacqué(4)
psychologue et vice-présidente de la société de
thanalogie, « le rejet des
pratiques mortuaires est flagrant depuis
la première guerre mondiale .Avant, on en plaisantait facilement .Lorsque le
pays a été décimé, il n’y a plus eu que dans les salles de garde des médecins
que cela s’est fait ». Aujourd’hui, moins d’un Français sur deux estime
probable qu’il y ait quelque chose après la mort.(5)
« Nos contemporains sont
sceptiques, confirme Pierre Le Coz .Ils ont surtout peur de ne pas voir
vécu. »Une opinion que partage le psychiatre Christophe Fauré (6) , membre
du Conseil de l’administration de l’association Vivre son deuil :« La mort agit
comme un puissant rétroviseur. En parler, c ‘est revenir sur ce que l’on a
vécu, accompli, choisi…Et l’exercice n’est pas aisé! Des regrets peuvent venir
nous hanter à ce moment-là, surtout en fin de vie. » D’autant que la mort
est avant tout une question intime : «
Il faut que la personne qui va mourir et son entourage soient d’accord,
ensemble, pour l’aborder, estime Christophe Fauré. C’est un espace de parole
difficile, et le désir doit venir des deux cotés, sinon le dialogue ne
s’établira pas.» Une photo, un objet, une anecdote …« Autant de manières
de mettre en scène le nouveau statut du défunt par rapport à
nous ».explique Patrick Baudry, qui ajoute aussitôt que la meilleure réponse à apporter à ces
adieux est parfois …le silence. Une chose est sûre, ceux qui en parlent le
mieux de la mort sont ceux qui l’ont apprivoisée .Avec beaucoup d’émotions ,
nos témoins nous expliquent comment. F.T
A lire
Dictionnaire de la mort sous la directionde Philippe Di Folco
« D’abandon » à « zombie », plus de mille
articles et de deux cents collaborateurs
pour une approche passionnante des différentes façons de penser la mort (
Larousse,2010)
Références :
1.Patrick
Baudry, auteur de La place des morts, enjeux et rites ( L’Harmattan,2006)
2
.Marie de Hennezel, auteure de Mourir les yeux ouverts
(Pocket « Spiritualité »,2007)
Lire
également sa chronique p.154
3.Pierre Le Coz, auteur du Médecin et la Mort , approche éthique et philosophique (Vuibert,
2006)
4.Marie - Fredérique Bacqué , auteure avec Michel Hanus du Deuil
(PUF, « que sais-je? », 2009)
5.Sondage TNS.Sofres-Philosophie magazine, novembre
2010
6.Christophe Fauré, auteur de Vivre le deuil au jour
le jour( Albin Michel,2004)
Sabine, 48 ans, infirmière en Ehpad
«Mon rôle est d'aider à traverser ce passage angoissant»
«J'ai toujours travaillé auprès de
patients en souffrance: malades du sida ou du cancer, enfants dénutris au
Kurdistan et, aujourd'hui, personnes âgées.
Je reste persuadée qu'il est essentiel d'accompagner
un être en fin de vie. Car il n'est pas forcément prêt à mourir- surtout s'il y
a des regrets-, et l'entourage
n'est pas forcément prêt à le laisser partir. Mon
rôle est d'apaiser et d'aider à traverser ce passage angoissant. J'ai suivi des
formations en soins palliatifs,
lu des ouvrages; je pense savoir soulager la
douleur, masser ces corps endoloris, tenir la main jusqu'au dernier souffle.
Mais mes mots et mes gestes me
semblent plus justes depuis que j'ai apprivoisé la
mort. Ce fut un long chemin entrepris avec ma psychothérapie.
J'ai réalisé
que je choisissais cette voie extrème pour réparer une blessure intérieure.
J'ai compris aussi que la mort m'angoissait.
Chaque fois qu'une personne dans mon service
mourait, j'étais effondrée. Quelle parole aurais-je dû dire ? Quel geste
aurais-je dû faire ?
Comprendre que je ne pouvais pas être le sauveur du
monde m'a permis de m'ancrer dans mon métier d'infirmière. Et dans ma vie.
Je sais désormais pourquoi je choisis la fin de vie:
je me sens profondément aidante dans l'accompagnement.
Je ne
sais pas comment je réagirai face à la mort. Une certitude: je ne serai pas
grignotée par le regret car j'aurai vécu
pleinement ce que j'avais à
vivre.»
Ehpad: Établissement d'hébergement pour personnes
âgées dépendantes.
Joaquin, 40 ans, thanatopracteur et thanatologue
«Mon métier dérange mais ,moi, il me remplit»
«
J'avais 20 ans quand j'ai entendu parler des soins de conservation pour les
défunts. C'était pour ma grand-mère. Un grand monsieur est venu s'occuper de
son corps.
Son
intervention m'a profondément touché car elle avait apaisé ses traits. Cette
rencontre, rangée dans un coin de ma mémoire, est ressortie dix ans plus tard:
je me
destinais à devenir analyste vocal dans
la police quand un accident a brisé mon projet. Un bus m'a écrasé la jambe.
À l'issue de l'opération, une surdose de morphine a
provoqué un quasi-arrêt respiratoire, et j'ai vécu une expérience de mort
imminente.
Mon hospitalisation a duré un an: mon pied s'est
nécrosé, j'ai dû être amputé. Je ne pouvais plus intégrer la police. J'ai mis
deux ans à me retrouver.
Le souvenir du "grand monsieur" a alors
resurgi. J'ai aussitôt passé le concours de thanatopracteur. Mon métier dérange
mais, moi il me remplit.
Je suis utile pour le travail du deuil des familles,
mais surtout pour les défunts. Avec l'expérience que j'ai vécue et mon savoir
sur la mort,
je crois qu'à
son décès une personne n'est pas encore "partie". Elle est dans
l'incapacité de communiquer.
Cette vision influence ma pratique. Je reste un
technicien- l'émotion ne m'envahit jamais-, mais mes gestes sont attentionnés.
Je prodigue les derniers soins avec la même
délicatesse, je pense, qu'une sage-femme donne les premiers soins à un
nouveau-né.»
Joaquin Lopez, auteur avec Lionel Monier du
documentaire Curriculum Mortis, achevé
en Mars(2011),et fondateur de sosthanatopracteurs.com.
Sandra, 40 ans, créatrice des urnes funéraires Extra-Céleste 1
«Il m'a fallu embellir la mort pour
l'apprivoiser»
«Il y
a un an et demi, je cherchais une idée pour concilier mon savoir-faire
commercial, artistique et artisanal. J'ai toujours aimé "faire du
beau"
autour de moi
et l'idée de créer des urnes m'est apparue. Cette créativité originale m'a tout
de suite convenu. Avec mes urnes, je me sens à ma place.
J'ai l'impression d'avoir une mission: donner de
l'esthétique à un objet funéraire pour adoucir le deuil. Il est parfois si violent! Mon projet
a perturbé mon entourage.
Ma démarche était -elle si morbide ? Cette
éventualité m'a troublée au point que j'en ai parlé à une psychothérapeute.
Je me doutais qu'il y avait un lien avec les décès
brutaux que je vis depuis l'adolescence: neuf de mes proches ont disparu
violemment.
Mais la mort ne me faisait pas peur. Aux enterrements, je ne versais aucune larme.
J'étais même positive: n'allaient-ils pas trouver la paix ?
Avec ma psy, j'ai pris conscience que je bloquais
mes émotions tant j'étais choquée. Ces
drames avaient été une telle source d'angoisse qu'il me fallait embellir la
mort pour l'apprivoiser.
Les urnes me
permettent d'exprimer mes émotions et de faire le deuil d'un vécu pesant. Ma
mort ? J'en parle désormais sans tabou.
Je pense de plus en plus à la crémation et, si je
devais choisir une de mes urnes, je prendrais celle en mosaïque.
C'est un ruissellement de beauté et de lumière. Un
écrin d'éternité.»
Propos
recueillis par M.L.M.
1 Extra-Céleste:01 46 35 99 03 et
extra-celeste.com.
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