FAIRE LA PAIX
AVEC SON PASSE.
MIEUX VIVRE
AVEC SES SOUVENIRS
Jean-Louis MONESTES
Editons Odile Jacob, 2009
Extraits par Henri
Charcosset
Introduction
Cet article est extrait du
chapitre VI « Mieux vivre avec ses souvenirs », pages 165 à 203, de l’ouvrage
« Faire la paix avec son passé », de Jean-Louis Monestes, psychologue
clinicien et psychothérapeute.
Texte
Il est maintenant clair
qu’il est vain d’essayer de nous débarrasser de nos souvenirs. Cela est
impossible. Mais alors que faire ? Sommes-nous condamnés à souffrir
éternellement ?... Et si simplement nous essayions de laisser un peu de
place à ces souvenirs, de tolérer qu’ils existent ? Au moins, cela
permettrait d’éviter de déployer une énergie considérable à les museler et à essayer
de les empêcher de refaire surface...
Pour cela, il faut commencer
par prendre l’habitude d’arrêter à user notre intelligence à nous demander
comment nous pourrions mieux vivre sans ces souvenirs, ce que serait notre vie
sans eux, comment nous en débarrasser, ce qu’ils signifient, ce qu’ils
impliquent, etc. Autant de démarches intellectuelles sur lesquelles nous nous
sommes cassé les dents.
La solution est de limiter,
voire d’éliminer toute analyse, réflexion ou prise de décisions qui nous semble
rationnelle par rapport à ce qui pose problème dans un souvenir que nous
souhaitons voir disparaître. Constatons simplement que cela ne fonctionne pas,
et même que cela augmente notre souffrance, et essayons de ne plus réfléchir
à sons souvenirs...
C’est parce que nous sommes
capables d’analyser et d’anticiper les émotions désagréables que nos problèmes
apparaissent. Comme le soulignent deux spécialistes des troubles anxieux et
dépressifs, les êtres humains peuvent
avoir peur de la peur, être déprimés de leur anxiété, avoir peur du futur,
être tourmentés par leur passé, et lutter pour éviter ou échapper aux pensées
déplaisantes, aux images, aux sensations, aux sentiments, à leurs habitudes et
aux circonstances qui les ont provoquées ou à celles qui pourraient les provoquer
dans le futur...
1.
Les mots qui
évoquent des mots qui évoquent des émotions.
Et tout cela, nous le devons
au langage... avec ses avantages, et ses inconvénients...
2.
Etre ici et
maintenant.
« Tu ne peux pas modifier le passé et le futur ne
se déroulera jamais exactement de la manière dont tu le prévois ou tu le
souhaites [...]. Tes chagrins, tes peurs et colères, regrets et culpabilités,
tes désirs et tes pleurs n’existent que dans le passé ou dans le futur ».
De Milleman, dans le Guerrier pacifique...
Difficile de rester centré sur le présent. Et pourtant, nombreux sont
les psychologues qui pensent que la clé du bonheur se trouve dans l’ici et le
maintenant... Mais nous ne faisons pas toujours ce que nous voulons de notre
pensée qui passe son temps entre le passé et le futur.
3. Devenez psychologue : faites de votre propre
pensée votre objet d’étude.
Vivre dans le présent, c’est
devenir progressivement capable d’observer ce qui nous entoure, mais c’est
aussi observer notre vie intérieure : notre vie psychique, nos mécanismes
de pensée et comment ces pensées ainsi que nos souvenirs nous arrivent...
« [...] il est inutile
d’imaginer en nous une région entièrement obscure où la conscience n’existerait
pas. Il n’y a pas de vide, pas d’insensibilité complète, pas d’obscurité
absolue dans notre conscience. [...] Il y a des nébuleuses de la
conscience. »...
Habituellement, nous ne
parvenons pas à simplement repérer l’apparition de nos pensées et de nos
souvenirs sans y attacher des significations particulières ou sans les croire. Nous n’avons pas l’habitude de nous décentrer par rapport à notre vie
psychique... Et cela peut se révéler particulièrement problématique quand
des souvenirs désagréables apparaissent ou réapparaissent sans cesse... Repérer
des événements de pensée pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire de simples produits
de notre activité psychique, constitue une démarche salutaire mais complexe...
Nous avons pris l’habitude de recourir en permanence à notre pensée. Mais, dans
certains cas, particulièrement lorsque nous ne sommes pas à même de modifier le
cours des choses, il est préférable de
sortir de cette perpétuelle analyse et de devenir simple observateur de ce qui
se passe en nous... Il est particulièrement complexe de contrôler sa pensée.
Parfois, cela peut même conduire à celui qui est recherché. Dans ces conditions
précises, celles qui consistent en des contenus psychiques indésirables qui
surgissent malgré nous, vouloir les analyser et leur donner sens, chercher à
les contrôler, les supprimer ou les modifier, est particulièrement
contre-productif.
La démarche la
plus pertinente consiste alors à simplement repérer leur apparition, sans les
critiquer ou les juger, mais en se contentant de les « regarder
passer », à en devenir simplement témoin. C’est cette démarche qui est
mise en avant dans certaines formes de méditation dans lesquelles les pensées
sont considérées comme des nuages passant dans le ciel. Et, pour prolonger
l’analogie météorologique, il s’agit alors de se considérer comme le ciel, et
non comme « le temps qu’il fait ». Plutôt
que de vivre nos souvenirs comme des vérités accablantes que nous subissons,
apprendre petit à petit à en prendre note depuis une position d’observateur
extérieur. Au lieu de revivre le souvenir d’un décès par exemple, chercher
à observer que ce souvenir m’apparaît et que j’en observe l’apparition comme si
ma pensée était le théâtre d’événements psychiques que je considérerais d’un
point de vue extérieur.
Devenir
son propre psychologue n’est pas simple (même pour les psychologues !), car
nous avons tous l’habitude de faire intégralement confiance à notre analyse
langagière. Il est très rare que nous la discutions. Il est encore moins
fréquent que nous nous contentions de l’observer de façon neutre.
4. Prendre pleinement
conscience de ses souvenirs, même les pires d’entre eux
Nous
avons vu que nos principales difficultés apparaissent lorsque nous tentons
d’oublier nos souvenirs ou d’éviter d’être conscients de nos événements
psychologiques. À l’opposé de cette habitude que nous avons tous, prendre
conscience pleinement de ce qui nous arrive, à l’esprit comme au corps, est au
centre de nouvelles démarches thérapeutiques appelées « thérapie de pleine conscience » et « thérapie d’acceptation et d’engagement
», qui commencent à donner des
résultats fort intéressants dans des domaines variés. Leur but principal est
d’aider à prendre volontairement et complètement conscience de nous-mêmes, de
nos pensées, de nos émotions et donc de nos souvenirs, même les plus
désagréables d’entre eux.
Et
c’est peut-être bien là que se trouve la solution à nos souvenirs douloureux.
Il est important de parvenir à une régulation émotionnelle, mais cette
régulation passe plus par une acceptation volontaire de nos émotions
que par une tentative de contrôle de celles-ci. La cible centrale de ces
nouvelles thérapies est constituée des évitements et notamment les évitements
d’expériences, cette tendance à tout mettre en oeuvre pour que n’apparaisse
aucune émotion ni sensation désagréable.
Ces
thérapies passent par une exposition volontaire et mesurée à ces souvenirs qui
nous hantent, mais aussi et surtout aux pensées et aux émotions qui s’y
rattachent. Elles passent également par l’apprentissage d’une concentration
sur ce que nous vivons dans l’instant présent. Elles impliquent enfin de parvenir à changer notre mode de relation à
nos événements psychologiques et de leur laisser vivre leur propre vie, sans
chercher à lutter contre eux.
Lâchez
prise !
Puisqu’il
est impossible de contrôler sa mémoire, mieux vaut y renoncer et arrêter de
gaspiller autant d’énergie vers ce but inaccessible.
Si
je parviens progressivement à observer mes événements psychiques depuis un
point de vue extérieur, je peux également renoncer à essayer de les contrôler,
d’éviter qu’ils apparaissent, de m’en distraire, de les faire disparaître. Là
encore, ce n’est pas chose aisée car nous sommes habitués à appliquer un
raisonnement sur ce qui nous pose problème. Toute notre activité psychique a
été préparée et entraînée pour résoudre des problèmes, chercher des solutions.
Mais, nous l’avons vu, cela conduit au pire pour ce qui concerne les événements
qui se déroulent en nous (émotions, sensations, pensées, souvenirs), qui sont
vraisemblablement incontrôlables. Aussi faut-il essayer de parvenir à « lâcher prise », c’est-à-dire accepter que nous ne parvenons pas à contrôler ces
événements psychiques et arrêter de nous épuiser à essayer de le faire, cesser
de nous battre contre eux.
Schématiquement,
la démarche à adopter se trouve à mi-chemin entre les ruminations, au cours
desquelles on cherche à tout contrôler, à résoudre la moindre manifestation émotionnelle
désagréable, et la distraction, au cours de laquelle ce qui est recherché est
de chasser le problème de son esprit, de faire comme si la difficulté
n’existait pas. La position à atteindre
consiste à placer son curseur sur le « laisser-faire » et le « lâcher-prise »
...
Le « lâcher-prise » c’est renoncer à discuter le contenu d’un souvenir
ou chercher à le comprendre ou à le juger... Arrêtez de vous épuiser à tenter
d’utiliser votre intelligence pour résoudre des problèmes qui n’ont pas de
solution, abandonnez la lutte contre vous-même, et commencez à vivre pleinement
votre vie.
Le message est clair :
arrêtez de vivre votre passé. Laissez-le vivre. Nous ne pouvons pas modifier
nos souvenirs, alors arrêtons de les entretenirs.
5. Au
quotidien : quels exercices faire seul pour mieux vivre avec ses
souvenirs ?
Développer sa conscience
Le
développement de la conscience va se réaliser au moyen d’une augmentation de la concentration et de
l’attention sur tout ce que nous vivons. Cela permet de vivre le moment
présent.
En
pratique, cela passe par un apprentissage progressif de concentration de notre
attention sur certains actes que nous accomplissons automatiquement, ainsi que
sur les perceptions auxquelles nous ne faisons plus attention, en les acceptant
pour ce qu’elles sont.
...
Les méthodes présentées ici correspondent à des adaptations de pratiques
bouddhistes... Parmi elles, une pratique consistant essentiellement à focaliser
son attention sur un point particulier, un élément du paysage ou un détail de
la pièce dans laquelle on se trouve. Une autre forme de méditation consiste à
devenir de plus en plus conscient de tout ce qui se passe à l’intérieur de
nous, nos sensations, nos émotions et nos pensées.
Respirations
en pleine conscience... Elle peut servir à revenir dans l’instant présent quand
notre pensée vagabonde.
Balayage
corporel. Il s’agit cette fois de focaliser son attention en la déplaçant sur
les différentes parties du corps... Ne soyez pas agacé d’une distraction de
l’attention, elle fait partie de l’exercice. Ne cherchez ni à la juger ni à
l’interpréter, mais prenez-en juste conscience, remarquez que votre pensée
s’est égarée, et centrez de nouveau votre attention sur la partie du corps à
laquelle vous étiez resté.
Pleine
conscience au quotidien...Il est possible de se concentrer sur chacun des actes
de la vie quotidienne : manger, marcher, conduire, etc...
Observer ses pensées
...
Attachez-vous à diriger votre attention sur la détection d’apparition de
pensées ou de souvenirs. Observez-les apparaître, et contentez-vous de les
regarder passer. Certains méditants conseillent par exemple d’imaginer que vous
êtes au bord d’une rivière qui transporte des feuilles mortes. Lorsqu’une
nouvelle pensée surgit, déposez-la en imagination sur une des feuilles et
regardez-la s’éloigner au gré du courant. Essayez de ne pas rester fixé sur une
pensée ou un souvenir particulier en l’analysant ou en le discutant. Si cela
vous arrive, constatez-le et déposez cette pensée ou ce souvenir sur une
nouvelle feuille morte qui passe et qui va progressivement s’éloigner.
Contentez-vous d’« observer » cette
rivière qui s’écoule paisiblement, en continuant de détecter toute nouvelle
pensée qui fera son apparition. Prenez-en note, et laissez-la passer son chemin
sur une de ces feuilles.
Observer ses
souvenirs et les émotions qu’ils évoquent.
...S’exposer
volontairement à des souvenirs, aux émotions et aux pensées qu’on redoute et
qu’on évite d’habitude, n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’être
confronté involontairement à ce qui nous fait peur ou souffrir...
S’entraîner à
repérer l’apparition de pensées et de souvenirs... L’intérêt principal en est
de moins subir les vagabondages de votre pensée qui vous mènent parfois à
ressentir les émotions du passé et à lutter contre elles. Au contraire, vous
parviendrez davantage à repérer la survenue de ces événements de votre vie
psychique, l’évocation de vos souvenirs. Vous ne pouvez pas les contrôler ,
mais rien ne vous oblige à leur donner du crédit en écoutant systématiquement
ce que ces pensées, ces souvenirs et ces émotions ont à vous dire. Acceptez leur
présence, ne cherchez pas à lutter contre eux car cela leur donnerait de la
force. Ne les fuyez pas, mais ne les cultivez pas non plus. Laissez-les
simplement apparaître et repartir...