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Septembre  2010

IL Y A 150 ANS ,  « L’ORIGINE DES ESPECES »

 

Charles DARWIN LE SACRILEGE

 

                                                                  Michel DE PRACONTAL

 

 

      Le Nouvel Observateur 22/28 Janvier 2008

 

 

Pour faciliter une première lecture  de cet article, on peut déjà lire les extraits surlignés en cette couleur-ci 

 

Comment un ancien séminariste, naturaliste, grand voyageur et amateur de trictrac provoqua en plein XIXème siècle un séisme dans les milieux cléricaux et scientifiques.

 

« Est-ce par votre grand-père ou par votre grand’mère que vous descendez d’un singe, Monsieur Huxley ? »La légendaire algarade qui opposa l’évêque d’Oxford Samuel Wilberforce à Thomas Henry Huxley, ardent défenseur de Charles Darwin, est devenue un symbole du combat contre l’obscurantisme religieux que durent mener les défenseurs de la théorie de l’évolution. La scène se déroule le 30 Juin 1860. Dans une salle d’Oxford où se pressent plus de 700 personnes, Wilberforce, dit Soapy Sam, ou Sam la Savonnette, déploie des trésors de rhétorique pour tourner en dérision les idées de Darwin. Huxley réplique du tac au tac : « Je n’aurais pas honte d’avoir un singe pour aïeul, mais  d’être apparenté à un homme qui utilise son talent pour obscurcir la vérité ! »

Suffoquée par tant d’insolence,  ou par le manque d’air, une dame s’évanouit…..

 

« L’Origine des espèces »(1), l’œuvre maîtresse de Darwin est parue sept mois plus tôt suscitant une violente controverse. Pour un esprit religieux traditionnel, le propos de Darwin est doublement sacrilège : il prétend expliquer la diversité des formes vivantes par un mécanisme purement matériel, la sélection naturelle, sans postuler l’intervention d’un dieu créateur ni d’aucune force transcendante ; pis, le naturaliste met l’humanité sur le même plan que n’importe quelle espèce animale, la dépouillant du statut d’exception qu’elle s’est arrogé depuis l’Antiquité.

Rien, pourtant, ne semblait prédisposer Charles Darwin à devenir celui par qui le scandale est arrivé. Cet homme modeste et discret,  bourgeois victorien reconverti en gentleman-farmer, fuit la vie sociale et les distractions citadines pour la tranquillité de la campagne.

Petit-fils d’Erasmus Darwin, médecin et libre-penseur célèbre, fils du riche et puissant docteur Robert Waring Darwin, le jeune Charles a du mal à se montrer à la hauteur. D’un caractère tranquille et introverti, il ne manifeste pas une intelligence particulièrement brillante. Le paléontologue Stephen Jay Gould le qualifie de « cancre rusé ». Il n’a qu’une passion : la nature. Il collectionne les coléoptères, avant de se découvrir un goût pour la chasse. Son père l’envoie faire sa médecine à Edimbourg, mais la tentative échouera après que Charles s’est enfui de l’hôpital, terrifié à la vue d’une opération chirurgicale. Faute de mieux, le docteur décide d’en faire un pasteur de campagne, et l’expédie à Cambridge. « Quand je vois avec quelle brutalité j’ai été attaqué par les religieux, il semble grotesque que j’aie eu autrefois l’intention d’être pasteur », notera Charles dans son autobiographie (2). Entre-temps, il y a renoncé, avant de devenir agnostique. En 1831, à 22 ans, il s’embarque comme naturaliste à bord du « Beagle » pour un tour du monde de cinq ans qui le fera passer à l’âge adulte et bouleversera son existence.

A bord du « Beagle », Darwin croit encore au récit biblique de la Création. Ce n’est qu’une fois revenu à Londres, en 1837, qu’il se met à construire sa théorie. Il réalise que les espèces voisines qu’il a observées, notamment aux Galapagos,  se ressemblent parce qu’elles sont apparentées. Il élabore son cadre d’explication : les espèces varient en permanence, au hasard, et les formes les plus adaptées sont retenues par la sélection naturelle. Darwin conçoit celle-ci par analogie avec la sélection artificielle que pratiquent les éleveurs de chiens ou de chevaux. Profitant d’une vie confortable à la campagne, à l’abri des soucis grâce à sa fortune personnelle, il se consacre tout entier à son travail. Avec une minutie obsessionnelle, il accumule faits et arguments, projetant d’écrire une œuvre monumentale en quatre volumes. Seuls ses proches sont dans la confidence : son maître le géologue Charles Lyell, qui a montré les inconvénients d’une interprétation littérale de la Bible; ses amis Joseph Dalton Hooker et Thomas Henry Huxley; et son épouse Emma, aimante et pieuse, avec qui il jouera au trictrac tous les soirs pendant trente ans, notant scrupuleusement le résultat de chaque partie….

La crainte de choquer Emma a sans doute été l’une des raisons qui a poussé Darwin à différer très longtemps la publication de sa théorie. Peut-être n’aurait-il jamais publié si, en 1858, il n’avait reçu un mémoire envoyé par Alfred Russel Wallace. Naturaliste, Wallace avait étudié l’archipel de la Sonde,  et élaboré une théorie très voisine de celle de Darwin. Pressé par ses amis, craignant de perdre le bénéfice de l’antériorité, Darwin décide d’écrire un « résumé » : ce sera « l’Origine des espèces ».

Paru le 24 novembre 1859, le livre remporte un succès immédiat. Les 1250 exemplaires de la première édition se vendent dès le premier jour (plus tard, l’ouvrage sera traduit dans toutes les langues européennes , et en japonais). Mais les attaques pleuvent. Elles ne viennent pas du seul milieu ecclésiastique, contrairement à l’impression que donne le récit légendaire de la dispute entre Huxley et Wilberforce. Selon l’historien britannique J.R.Lucas, les propos attribués à Soapy Sam et Huxley seraient apocryphes ; Wilberforce ne s’est pas montré méprisant, et c’est Huxley qui a cherché, après coup, à transformer l’affaire en une querelle entre l’Eglise et la science.

En réalité, beaucoup de savants fulminent contre « l’Origine des espèces ». Face aux alliés de Darwin, on compte Richard Owen, le plus grand anatomiste britannique, l’inventeur du terme « dinosaure »., Louis Agassiz, naturaliste américain d’origine suisse, est aussi anti-darwinien, comme le physiologiste Pierre Flourens, défenseur de Pasteur dans sa controverse contre Pouchet.

Darwin n’a pas accédé rapidement à la reconnaissance universelle dont la communauté scientifique le gratifie aujourd’hui. En 1860, ce n’est pas tant l’idée d’évolution qui choque. Elle a été proposée bien avant. Darwin l’a découverte en lisant la « Zoonomie » de son grand-père Erasmus, fervent partisan du transformisme de Lamarck. Mais la théorie de Lamarck est très loin de celle de Darwin : le Français invoque une « force organisatrice », sorte de concept laïque du Dieu créateur, pour expliquer la complexité des formes vivantes et leur évolution vers un niveau d’organisation croissant. L’originalité radicale de Darwin, c’est l’idée que l’évolution soit régie par le jeu aveugle du hasard et de la nécessité, sans que se manifeste la moindre finalité dans la nature. Seule une infime minorité d’esprits, scientifiques ou non, sont prêts à accepter cette vision.

On a souvent avancé que les idées de Darwin étaient « dans l’air » au moment de la parution de « l’Origine des espèces », en arguant de la publication simultanée de Wallace. Cependant, Wallace est une exception et, même s’il a compris l’idée de sélection, il n’en a pas perçu toutes les implications. En vérité, la pensée de Darwin a provoqué un extraordinaire choc sur les mentalités.

Le premier, certes, après une longue hésitation, il a osé sauter dans le vide, rompre avec le finalisme qui dominait la philosophie occidentale depuis 2 000 ans. Par cette rupture, Darwin a changé définitivement  notre vision du monde vivant et de la place de l’homme dans la nature.

Un fil ininterrompu relie toutes les formes de vie, des plus simples aux plus perfectionnées, explique Darwin en conclusion de « l’Origine des espèces ».

« il est intéressant de contempler un rivage luxuriant, tapissé de nombreuses plantes appartenant à de nombreuses espèces abritant des oiseaux qui chantent dans les buissons,  des insectes variés qui voltigent çà et là, des vers qui rampent dans la terre humide, si l’on songe que ces formes si admirablement construites,  si différemment conformées, et dépendantes les unes des autres d’une manière si complexe,  ont toutes été produites par des lois qui agissent autour de nous (…),écrit-il. N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans  cette manière d’envisager la vie ??? »

 

                                                                  Michel DE PRACONTAL

 

 

(1)    « l’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la Lutte pour l’existence dans la nature », La Découverte, Paris

(2)    Seuil, 2008

 

 

DARWIN, dépassé et indépassable

 

La théorie de l’évolution n’est pas, comme l’électromagnétisme de Maxwell, un édifice somptueux auquel on voit mal comment ajouter une pierre. Si elle fournit un cadre conceptuel pour penser le monde vivant,  elle reste, en un sens, inachevée. Pour Darwin, les formes vivantes varient spontanément et de manière aléatoire, ces variations sont transmises par l’hérédité,  et la sélection naturelle retient les formes le plus adaptées. Mais la théorie, telle que Darwin l’a formulée, n’explique pas d’où vient la variation ni comment fonctionne l’hérédité. Et pour cause : Darwin ignore la génétique.

C’est seulement dans les années 1930, après les découvertes de Morgan sur les gènes de la drosophile et les travaux de génétique des populations, que la synthèse « néodarwinienne » sera effectuée notamment par Julian Huxley, Ernst Mayr et John Haldane. Ainsi, les variations peuvent s’expliquer par des mutations aléatoires des gènes. Mais il faudra attendre la découverte par Watson et Crick de la structure en double hélice de l’ADN, la molécule qui constitue le support matériel des gènes (1953), pour comprendre comment se produisent les mutations génétiques. L’évolution peut désormais s’observer au microscope, et l’on découvre que les gènes peuvent être manipulés artificiellement.

Dans les décennies suivantes, les progrès exponentiels de la biologie moléculaire semblent donner au génie génétique un pouvoir sans limite. On séquence le génome, on décortique le virus du sida, on modifie des gènes dans l’intention de pratiquer des thérapies géniques. Pourtant, ce déploiement technologique ne livre pas tous les résultats espérés. Cela incite certains biologistes moléculaires à revenir aux concepts de base de Darwin, mais cette fois, à l’échelle de la cellule. Ainsi, le neurobiologiste Jean-Pierre Changeux a suggéré, au début des années 1980, un mécanisme expliquant la formation des circuits du cerveau par un processus de sélection darwinienne de certains groupes de neurones. Plus tard, dans « Ni Dieu, ni gène » (Seuil), le biologiste Pierre Sonigo suggère que les lymphocytes du système immunitaire n’obéissent pas à un programme génétique, comme l’affirme la biologie moléculaire orthodoxe, mais se comportent comme des organismes luttant pour leur survie, selon un pur schéma darwinien. De telles hypothèses n’ont pas encore abouti à une nouvelle théorie complète, mais elles illustrent le rôle que continue de jouer le darwinisme : celui d’un cadre universel pour penser  le monde vivant qui, même s’il est daté et souffre de nombreuses lacunes, reste en un sens indépassable.                                                                                       M.P.