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NOVEMBRE 2008
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UN OBSERVATOIRE
DES FINS DE VIE- Bernard Devalois et Gilles Antonowicz-
ACCOMPAGNER
ET LAISSER MOURIR- Marie de
Hennezel-
Bernard
DEVALOIS : Médecin à l'unité de soins palliatifs de Puteaux
(Hauts-de-Seine)
Gilles
ANTONOWICZ : Avocat, vice-président de l'Association pour le
droit de mourir dans la dignité
Marie de HENNEZEL : Psychologue , spécialiste de
l’accompagnement en fin de vie
Le Monde, Samedi 22 mars 2008
Bernard Devalois et Gilles Antonowicz
Que l'on veuille ou non modifier la loi Leonetti, il est urgent de mettre
en place une politique sérieuse d'évaluation des pratiques médicales.
Le rapprochement de nos deux signatures au bas d'un texte commun était a priori
hautement improbable. En effet, nous avons, sur les questions de fin
de vie, des conceptions très opposées. L'un est médecin dans une unité de soins
palliatifs et ancien président de la Société française d'accompagnement et de
soins palliatifs (SFAP). Il est opposé à une légalisation de l'euthanasie et,
ou à l'instauration d'un droit au suicide médicalement assisté.
L'autre est avocat de Chantal Sébire et le vice-président de l'Association
pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Cette association milite en
faveur de la légalisation d'une aide active à mourir, sous contrôle médical, à
la demande expresse de patients "en phase avancée ou terminale d'une
affection grave et incurable".
Nous avons notamment une analyse très opposée concernant la situation de Mme
Sébire (Voir par exemple : http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/03/19/01001-20080319ARTFIG00554-chantal-sebire-est-morte.php
). L'un dénonce l'hypocrisie du code de
la santé publique et considère, au nom du respect de la dignité du malade,
qu'elle aurait dû pouvoir bénéficier de l'aide du médecin acceptant de mettre
définitivement fin à ses souffrances selon un protocole autre que celui dit de
la "sédation terminale". L'autre soutient que, comme pour des
milliers de situations toutes aussi tragiques, il convient de déployer les
moyens nécessaires au contrôle de la douleur physique, d'entendre et
d'accompagner la souffrance psychologique de la patiente et de ses proches,
pour leur apporter une réponse adaptée. Pour lui, un "droit au suicide
assisté" ne saurait se substituer à la liberté de se suicider, et la
société ne peut pas confier cette mission aux médecins.
Néanmoins, nous pensons tous les deux que la loi d'avril 2005 dite loi Léonetti
est une avancée considérable en faveur du respect des droits des patients.
Elle met la question du sens des actes médicaux au coeur de son dispositif. Elle reconnaît à chaque patient le droit de
refuser toute forme de traitement. Elle permet aux médecins de ne pas prolonger
sans raison la vie artificielle de certains patients en coma végétatif.
Pour soulager les souffrances, elle autorise l'utilisation de traitements
pouvant avoir pour effet secondaire d'abréger la vie.
Le problème majeur que pose aujourd'hui cette loi est qu'elle est très mal
connue par nos concitoyens et même par une partie importante des professionnels
de santé. Combien de personnes à ce jour ont désigné une personne de confiance
? Combien de personnes ont rédigé des directives anticipées permettant, en cas
d'inconscience, de faire connaître leurs souhaits en matière de limitation ou
d'arrêt des traitements ?
Combien de patients se heurtent aujourd'hui au refus de certains médecins
d'appliquer la loi ? Combien de familles, de proches, ne peuvent obtenir une
délibération collégiale pour examiner la question d'une éventuelle situation
d'obstination déraisonnable pour un patient en état végétatif chronique ?
Combien de patients cancéreux acquiescent à une énième ligne de
chimiothérapie "palliative" par crainte d'un abandon en cas de refus
?
Malgré nos opinions fort divergentes sur la nécessité de faire ou non
évoluer la loi, nous nous accordons sur
un point fondamental : la nécessité -urgente- d'une évaluation rigoureuse des
conditions dans lesquelles se déroulent les fins de vie en France. A
quelques exceptions près, comme celle d'Edouard Ferrand
(anesthésiste-réanimateur à l'hôpital Henri-Mondor, à Créteil), les études en
ce domaine sont trop rares pour ne pas laisser la place à des convictions
assénées avec passion plutôt qu'à l'analyse rationnelle de la réalité.
Nous insistons donc sur la place d’ un observatoire national des pratiques
médicales en fin de vie. Sa mission pourrait être un outil de médiation et de
recours pour tous ceux qui se sentent éventuellement concernés par une
situation d'obstination déraisonnable, voire, si nécessaire, exercer des
missions d'expertise de manière à éviter tout risque de judiciarisation de ces
questions.
Si la loi venait à être modifiée (ce que l'un souhaite et l'autre pas), cet
observatoire pourrait éventuellement préfigurer la haute autorité qui, en
Belgique comme aux Pays-Bas, contrôle et évalue les actes d'euthanasie. Il
permettrait de recueillir les paramètres nécessaires à une véritable politique
d'évaluation des pratiques médicales en fin de vie afin d'offrir des outils
validés pour alimenter la réflexion des citoyens et de leurs représentants.
Seule une évaluation précise de la situation nous semble pouvoir permettre
d'éclairer le nécessaire débat citoyen et politique qui s'impose à
nous. .
Marie de
Hennezel , auteur du rapport "La France palliative"
La
loi sur les fins de vie doit permettre de généraliser les bonnes expériences. A
condition d'être mieux connue du public et soutenue par le gouvernement
Il y a des choses qu'on ne peut pas laisser dire
sans réagir : des contre-vérités sur la loi Leonetti et sur les réponses
qu'apporte aujourd'hui une bonne médecine palliative aux situations les plus
douloureuses et aux souffrances extrêmes des grands malades.
Pendant dix ans, en ma qualité de psychologue dans une équipe de soins
palliatifs, j'ai été témoin de fins de vie extrêmement douloureuses, et de
détresses aux limites du supportable. Nous avons accueilli des personnes
souffrant d'une détérioration profonde du visage, à la suite de cancers de la
sphère ORL. Des altérations tout aussi bouleversantes que celles dont souffrait
Chantal Sébire. Ces personnes, pour la plupart, nous ont exprimé leur désir de
mourir. Parce qu'elles étaient, comme Chantal, mangées par la douleur, et
parce qu'elles ne supportaient plus d'imposer leurs souffrances à leur
entourage.
Nous avons été confrontés à ces situations limites devant lesquelles on
s'incline humblement. Nous avons éprouvé alors le sentiment qu'il peut être
plus humain d'accéder au vœu de mourir de celui ou celle qui n'en peut plus.
Oui, cela nous est arrivé. Mais nous ne pouvions pas pour autant donner
délibérément la mort à nos patients. Pas seulement parce que ce n'était pas
légal. Parce que notre mission était d'être le plus créatif possible pour
trouver des solutions aux situations les pires. Nous pratiquions alors le
"laisser mourir" bien avant qu'il ne soit institué par la loi
Leonetti. Nous endormions la personne, grâce à une sédation contrôlée, et nous
encouragions les proches à l'accompagner dans une veille pleine de
douceur.
Notre expérience nous autorisait à dire aux familles qu'elles pouvaient
continuer à parler, à bercer, à témoigner cette ultime affection qui laisse
ensuite le cœur apaisé. Car, même si cela n'est pas scientifiquement prouvé,
trop d'exemples nous avaient convaincus que, même dans le coma, la personne
perçoit la qualité affective des présences qui l'entourent, des gestes tendres
prodigués et des mots d'adieu murmurés à son oreille.
Cette veille attentive pouvait durer quelques jours, mais jamais très
longtemps, car on sait que les paroles d'amour dites au mourant l'aident à
partir. Ce sont des paroles qui délivrent. Jamais les familles n'ont trouvé ce
temps inutile ou absurde. Elles se relayaient au chevet de la personne en train
de mourir, dans ce dernier rituel d'oblation qui donne du sens à ces derniers
moments. Leur deuil ensuite était marqué par l'apaisement et un sentiment
d'accomplissement.
Reconnaissances des proches
Ce dont je témoigne là n'a rien à voir avec l'acte de donner la mort. Même si
la mort est au bout, il s'agit d'accompagner et de laisser mourir. Je sais bien
que certains trouveront cette réponse hypocrite. Je crains qu'ils n'aient pas
compris qu'en agissant ainsi nous permettions à une personne au bout de ses
souffrances de partir doucement, et non pas violemment et brutalement, comme c'est
le cas lorsqu'on injecte ou administre une potion mortelle. La
reconnaissance et l'apaisement des proches qui avaient pris le temps
d'accompagner en étaient la meilleure preuve.
La vérité est que cette loi n'est pas connue du grand public ni des professionnels
de santé. Elle est encore moins appliquée. La vérité est que les bonnes
pratiques en fin de vie ne sont pas suffisamment diffusées, et que la culture
de l'accompagnement n'est pas encouragée au sein des familles. Je l'ai constaté
lors du tour de France des régions que j'ai effectué ces deux dernières années.
Le rapport "La France palliative" que j'ai adressé à la ministre de
la santé, Roselyne Bachelot, en septembre 2007, fait état de l'inégalité de la
diffusion de la culture palliative dans notre pays. Les moyens qui avaient
été promis, lors du vote de la loi Leonetti, ne sont pas arrivés dans les
régions. L'article 13 de la loi qui oblige les établissements pour personnes
âgées dépendantes à mettre en place des soins palliatifs n'est toujours pas
appliqué. Le numéro Azur "Accompagner la fin de la vie, s'informer, en
parler" (0811-020-300), installé par Philippe Douste-Blazy en mai 2005,
pour répondre aux questions et à l'angoisse de la population face aux fins
de vie difficiles, n'a pas été soutenu par une campagne de communication !
Résultat : un service public inconnu de ceux qu'il est censé aider !
Mais ce rapport ne se limite pas à une radiographie des avancées et des retards
de la culture palliative en France. Il met en valeur des initiatives
intéressantes dont on pourrait s'inspirer comme la création d'un groupe de
réflexion sur l'accompagnement au sein d'un hôpital local, l'adaptation de la
démarche palliative dans un service de réanimation, la création d'une équipe
d'urgence palliative, qui a fait chuter de 40 % à 10 % le taux de
transferts in extremis de personnes mourantes vers les urgences !
Il fait, enfin, des propositions, et notamment celle d'inviter tous les
établissements sanitaires et médico-sociaux à organiser d'urgence un forum
d'information sur la loi Leonetti et les bonnes pratiques en fin de vie.
Cette mesure ne coûterait pas cher mais suppose la volonté politique de faire
de cette pédagogie de la loi une priorité. Qu'attend donc le gouvernement
?