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OBSERVANCE : aider les patients À SE PRENDRE EN  MAIN ?

Séverine BOUNHOL

VALEURS MUTUALISTES, Septembre-Octobre 2015

 

Bien suivre son traitement lorsque l’on souffre d’une maladie chronique : simple affaire de volonté ou d’outils numériques ? Que nenni ! Les solutions pour favoriser « l'observance thérapeutique » sont à chercher ailleurs.

 

 

> L'inobservance ou incapacité à respecter les prescriptions médicales dans les maladies chroniques(1) préoccupent autant les professionnels (médecins, pharmaciens…), les institutionnels (ministères, assurance maladie, mutuelles…), les industriels que les patients eux-mêmes. À juste titre. Car un traitement mal ou non pris fonctionne bien sûr moins bien. Cela peut entraîner effets indésirables, néfastes voire mortels, rechutes, escalade thérapeutique, hospitalisations, pharmaco-résistance… bref, de lourdes conséquences humaines et financières. Or, seul 1 % de patients ne ferait aucune erreur sur un mois de traitement : un chiffre avancé par Jean-Luc Harousseau, président de la Haute autorité de Santé (HAS), lors d’un colloque organisé par le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), Coopération patients et [Im]patients, chroniques & associés, le 1er juin dernier. D’où une volonté largement partagée de renforcer l’observance thérapeutique.

 

Zone de Texte: ‟Des traitements
mal ou non pris
ont un retentissement
important sur
l'économie de la santé”

 

Mais les pistes pour y parvenir diffèrent selon les acteurs : les uns appréhendent ce sujet complexe essentiellement sous un angle comptable ; les autres mettent l’accent sur l’aspect et la relation de soins.

 

Des arrêtés ministériels controversés

Ce débat autour de l’observance a été relancé l’hiver dernier avec l’annulation par le Conseil d’État d’arrêtés pris en 2013 par les ministères de la Santé et du Budget. Pour la première fois, la prise en charge d’une maladie était conditionnée par son télésuivi : en l’occurrence le traitement de l’apnée du sommeil par pression positive continue (PPC).

Ce dispositif était loué par un prestataire aux malades et son utilisation contrôlée par un système électronique de transmission de données à distance. Si celle-ci ne correspondait pas au seuil fixé, l’appareil n’était plus remboursé. De quoi insurger les associations :elles y avaient vu une volonté de fliquer et de pénaliser les patients. Selon Dominique Polton, conseillère auprès du directeur général de la Caisse d’assurance maladie (Cnam), « ce n’est pas tout à fait cela. […] La réalité est qu’on ne paye pas des prestataires qui ne rendent pas le service. (…) Nous cherchons des moyens d’utiliser l’argent public d’une façon plus efficace (…) ». Quoi qu’il en soit, les inquiétudes soulevées demeurent car les arrêtés ont été annulés pour une raison de forme et non de fond (défaut de base légale). Pas sûr que, demain, les pouvoirs publics ne développent des systèmes similaires obligeant à « bien se traiter » selon une norme standardisée.

Lors du colloque, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, s’est voulu rassurante : « Il s’agit de favoriser l’observance, non de la contraindre. » Elle a exprimé son « attachement » à la liberté des malades, qui ont « le droit d’arrêter [leur] traitement, quand bien même ce n’est pas recommandé ».(2)

 

ÊTRE OBSERVANT,
C’EST QUOI ?

Réponse : un ensemble de comportements. Cela englobe la prise des traitements médicamenteux et régimes prescrits, mais aussi le fait de se rendre aux rendez-vous des médecins, d’avoir une alimentation saine, de faire de l’exercice physique, d’éviter de fumer…

« En droit de la protection sociale, l’observance est venue dans le jargon de l’assurance maladie et des complémentaires santé du projet de gestion du risque.

Cela consiste en un ensemble d’actions destinées à responsabiliser les acteurs de santé − professionnels et patients −, de sorte à ce qu’ils adoptent un comportement vertueux », explique Vincent Vioujas, chargé d’enseignement à la faculté de droit et de sciences politiques d’Aix-en-Provence.

 

L'observance

thérapeutique

est un phénomène

complexe et

insuffisamment

étudié

 

 

Une question de mots

Le problème prend une dimension sémantique. Comme l’a rappelé Aline Sarradon-Eck, anthropologue de la santé, chercheuse au centre Norbert Elias, le terme « observance » vient de l’univers religieux (= obéissance à une loi). Il est la traduction du mot anglais compliance, désignant un comportement de santé en fonction d’une norme médicale. En Français, ce terme connote une idée de soumission(3). Pour les associations de patients, il sous-entend qu’il existe des « bons » malades ‒ les « observants », ceux qui font tout ce qu’on leur dit ‒ et des « mauvais » - les « inobservants », ceux qui sont réticents. Elles lui préfèrent le mot d’ « adhésion » qui reflète une approbation réfléchie à prendre en charge sa maladie, en dépit des contraintes assorties. Changer de terminologie reviendrait à prendre en compte la subjectivité du rapport à la maladie et aux traitements. Rapport soumis à de multiples facteurs fluctuant dans le temps : complexité, durée et visibilité sociale de la maladie, effets secondaires des traitements, savoirs transmis aux patients, événements de vie, traits de personnalité, environnement social et culturel…

On peut être observant le temps d’une hospitalisation et ne plus l’être une fois sorti. Cesser son traitement le dimanche, le temps de ses vacances ou de gérer sa sexualité. Etc. « Les patients ne sont pas non-observants par plaisir », résume Danièle Desclerc-Dulac, présidente du Ciss. Et Christian Saout, son secrétaire général délégué, de surenchérir : « Ce n’est pas une question d’envie mais de capacité à. »

 

 

 

 

 

L’OBSERVANCE, UN PHÉNOMÈNE MESURABLE ?

Pas vraiment. Pour la mesurer, il existe des méthodes directes (dosages sanguins, etc.) et indirectes (questionnaires, techniques de comptage des comprimés, etc.). Mais elles ne tiennent pas compte, des différences métaboliques individuelles. De plus, à partir de quel seuil estimer l’observance quand celle-ci oscille dans la durée ? Oublier un traitement un jour n’est pas pareil que l’oublier trois jours de suite ou que le prendre à demi-dose. Bref, l’interprétation des études existantes est sujette à caution.

 

 

L'observance renvoie

à la conformité thérapeutique

alors que l'adhésion évoque

une approbation réfléchie.

 

 

Les leviers de l’observance

Alors, que faire ? Aboutir à une décision éclairée, consentie, partagée dans le cadre de la relation patient-soignant. « Ce qui n’est pas toujours le cas », reconnaît la ministre de la Santé. Quatorze ans après ans après la loi Kouchner sur les droits des malades… Ces derniers réclament toujours et encore davantage d’écoute, de respect, de tact, d'implication dans leurs traitements, d'information, de pédagogie, d’accompagnement(4). Autres leviers à actionner pour tendre vers une « alliance » thérapeutique : des prescriptions pertinentes, des dispensations correctes (cf. ruptures de stocks),des médicaments à prix abordables et des restes à charge mieux couverts, des délais moins longs pour prendre rendez-vous, etc. Sans oublier l’innovation thérapeutique (mise à disposition de produits aux galénique et posologie adaptées) et technologique (développement d’objets connectés tels des piluliers, des injecteurs, des applications pour Smartphone…) Car, à l’heure du Big data, « des algorithmes de décisions » et de l’ « automesure de soi » (« quantified-self »), la technologie peut aider les patients à être véritablement acteurs de leur choix de vie et de santé, plutôt que servir une médecine de la surveillance.

Séverine Bounhol

 

(1) Diabète, asthme, psoriasis, épilepsie, sida, sclérose en plaques, cancers, maladies cardiovasculaires, rénales…

(2) Elle a confié à l’Igas la mission d’analyser ce sujet de la télésurveillance, dont une base législative pourrait être introduite dans le cadre du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2016 qu’examineront les députés du 20 au 27 octobre 2015.

(3) En mécanique, il désigne la capacité d’un métal à se laisser distordre !

(4) Cf. la longue liste des recommandations émises par un panel de 50 personnes concernant les enjeux de responsabilisation et d’autonomie dans les soins, suite au colloque du 1er juin, sur ciss.org.

 

Des traitements

mal ou non pris

ont un retentissement

important sur

l'économie de la santé

 

 

L'observance

thérapeutique

est un phénomène

complexe et

insuffisamment

étudié

« IL FAUT BÂTIR

LA RELATION DE SOINS

SUR LA CONFIANCE »

Philosophe et diabétique depuis l’âge de seize ans, Philippe Barrier* croit en la vertu de l’exemple. Son expérience de malade chronique l’a conduit à forger le concept d’ « auto-normativité » dans le cadre de ses travaux théoriques.

 

Valeurs mutualistes : Selon vous, comment garantir l’observance ?

Philippe Barrier : Pour être efficace et éthique, la relation de soins ne peut pas être une relation d’obéissance. Les malades chroniques ne se soignent pas par soumission mais parce qu’ils veulent se soigner, qu’ils en ont compris eux-mêmes la nécessité interne.

V.M. : C’est en cela que vous parlez d’ « une prise de conscience auto-normative » ?

P.B. : Dans le vivant, il y a une force inhérente à lutter contre le pathologique, une capacité à créer et à adapter les conditions de sa survie et de son épanouissement. Chez les humains, cela se prolonge dans la conscience. Conscience de leur capacité à comprendre leur norme de santé, les exigences de leur traitement et les bienfaits que celui-ci leur procure. Comme une nécessité interne. Ce, grâce à leur expérience propre et leur intuition de la maladie.

 

Ce n’est pas un dressage

comportemental qui donnera

des effets positifs.

 

V.M. : Quelle solution face à l’inobservance, majoritaire chez les malades chroniques ?

P.B. : Ce n’est pas un dressage comportemental qui donnera des effets positifs. Il faut renverser la relation de soins. Faire confiance à l’intuition des patients, respecter leurs connaissances. Les médecins doivent prendre en compte les exigences de vie des patients et celles du traitement, et trouver un compromis. Trouver le juste équilibre pour que tout le monde soit gagnant.

Propos recueillis par Séverine Bounhol

 

* Auteur de Le patient autonome, éditions PUF, coll. « Questions de soin », 2014.

 

 

 

Des expérimentations en préparation

En juillet dernier, le secrétaire général délégué du Criss a remis à la ministre de la Santé un rapport sur les expérimentations d’accompagnement à l’autonomie, prévues dans le cadre du projet de modernisation du système de santé (art. 22). Un sorte de cahier de charges, intitulé « Cap santé », devant préparer les conditions opérationnelles de leur mise en œuvre. Parmi ses propositions : avoir une approche non normative, conduire ces actions « dans un territoire » : en visant un public déterminé et en y associant des acteurs variés (associations, collectivités locales, professionnels et établissements de santé, chercheurs…), les évaluer dès le début.