Sections du site en Octobre 2009 : Ajouts successifs d’articles -- Sujets
d’articles à traiter – Pour publier -- Post-Polio -- L'aide à domicile --
Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien --
L’animal de compagnie -- Histoires de vie -- Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de
l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –
Le
webmestre.
RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC AUTEURS, TITRES DE TOUS
LES ARTICLES : CLIC SYNTHESE GENERALE: CLIC
……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..
DES NOCES
DE DIAMANT
Muriel FLORIN,
Le Progrès du mardi 14 février 2006
Un
coq et une poule qui se regardent, quatre poussins qui picorent, et un énorme
cœur rose vif au milieu. Ce tableau a été réalisé par Lucas, six ans, avec
l’aide de « mémé Rose ».
Le gamin l’a offert à Eugénie et Adrien Louis, ses
arrières grands-parents pour leurs noces de diamant. Une vision enfantine de
l’amour, toute simple, comme la fin espérée des contes de fée.
A
la manière des contes, l’histoire d’Eugénie et Adrien débute dans la tourmente.
En l’occurrence, la guerre.
« On s’est rencontrés dans la même usine, à
côté de Leipzig. On y travaillait douze heures de suite, de jour ou de
nuit ».
Adrien était parti au STO en Allemagne. Eugénie,
native de Stalingrad, avait atterri là après maintes péripéties.
« C’était un sacré coureur. Il chantait la sérénade
derrière chaque machine » lance la dame. J’avais 23 ans. A cet âge là, on
cherche à se placer, on fait la cour à toutes sortes de filles.
« Je chantais, c’est vrai, du Tino Rossi ou du
Charles Trenet, et tu m’as un peu répondu » affirme le monsieur.
Version aussitôt démentie par Eugénie :
« on était copain-copain. Adrien avait des cartes d’alimentation et nous
apportait des gâteaux. Pour le remercier, je lui raccommodais ses
chaussettes ».
De fil en aiguille, les jeunes gens se retrouvent un
jour bloqués par les bombardements chez la logeuse d’Adrien.
« Ce
soir-là, il m’a un peu saoulée avec du vin. Je suis restée dormir. Et, du
premier coup, je suis tombée enceinte de ma première fille ». Ils se
marient vite fait, avec deux témoins de hasard, puis attrapent le dernier train
des rapatriés, qui les emmène à Lyon.
« On a la joie d’avoir quatre enfants, six petits
enfants, dix arrière petits enfants »
Un
départ encore lourd dans le souvenir d’Eugénie : « Je ne savais pas
où étaient les miens, mes parents, ma sœur. Je suis allée avec lui. Notre
destin est fait comme çà ».
A l’arrivée, le jeune marié file chez ses parents,
dans le septième arrondissement lyonnais. « Je leur ai annoncé que je
n’étais pas revenu seul, mais avec une étrangère… ». Son épouse est restée
dans un camp, installé dans le troisième arrondissement. « Je l’ai attendu
toute la nuit, incapable d’avaler une bouchée, en pensant que je ne le verrai
plus ».
Mais
Adrien tient parole, et revient la chercher, non pas dans un carrosse, mais
avec une carriole d’un charbonnier. « Mon beau-père faisait la grimace et
sa mère a mis longtemps à m’accepter » commente Eugénie.
Installé dans un grenier à Bellecour, puis dans un
deux pièces à Caluire, avec bientôt quatre enfants,
le jeune couple a du mal à joindre les deux bouts.
Eugénie fait des ménages et de la couture pour des
particuliers. En sus de son travail dans l’imprimerie, Adrien vend des journaux
ou fabrique des soldats de plomb le soir. Mais un jour, sa vue déjà mauvaise,
faiblit encore. Il doit cesser son activité. Eugénie reprend alors une place
d’infirmière, son métier d’origine. Aujourd’hui, c’est son mari, presque
aveugle, qu’elle soigne dans une jolie maison, acquise il y a une trentaine
d’années.
Ont-ils
des regrets ? « On ne peut pas dire que tout va toujours bien, et
d’ailleurs ce serait mauvais signe dans un couple. Il y a eu des obstacles.
« Un jour, j’ai su par hasard qu’il jouait aux courses, alors que j’avais
du mal à faire tourner le ménage. Il y a eu aussi des soirs où il rentrait
saoul avec son père, là j’ai tapé du poing sur la table » gronde encore
Eugénie.
« J’ai plus souvent patienté. J’ai parfois fermé les yeux. Du moment
que j’étais Madame Louis, je n’ai pas fait de drame. On sait ce qu’on perd mais
on ne sait pas ce qu’on trouve ». La conclusion d’Adrien commence comme
celle d’un conte de fées. « On a la joie d’avoir quatre enfants, six
petits enfants, dix arrière-petits enfants ».
Et elle s’achève d’une voix douce et tranquille.
« L’amour c’est au début. Et puis
ça s’émousse. Mais à l’époque, on ne raisonnait pas comme aujourd’hui. On
s’engageait pour la vie ».