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Novembre
2010
LA NAISSANCE
DES DIEUX
Dossier LE
MONDE DES RELIGIONS, Mars-Avril 2008, n° 28
24 Quand les dieux étaient des déesses, par Djenane Kareh Tager
26 Mésopotamie, l’homme au service des dieux
30 Egyte, à l’aube de la « première fois »
34 Grèce, le culte
de l’Olympe
38 L’esprit du polythéisme
40 La naissance du monothéisme, par Jan ASSMAN
Nous reproduisons ici la première et la dernière de ces six
contributions
Quand il est sorti des grottes pour construire ses premières
maisons, l’homme a remplacé les esprits de la nature par des entités créées à
son image : les dieux.
Il
y a 15000 ans de cela, le Proche-Orient est l’une des premières régions à bénéficier
du réchauffement qui met fin à l’ère glaciaire dans laquelle est entrée la
planète 100 000 ans plus tôt. Le climat est humide mais doux, les céréales
sauvages abondantes, et les animaux semblent à l’homme moins
féroces que ceux qu’il avait jusque-là l’habitude de chasser en bandes.
Notre ancêtre émerge doucement des grottes du paléolithique pour commencer à
apprivoiser une nature qu’il n’avait jamais connue si peu hostile.
S’ouvre
alors l’ère néolithique. L’homme cueille des céréales qu’il apprend à moudre et
à stocker, bientôt à cultiver. Il construit en même temps ses premières maisons
–dont les traces les plus archaïques ont été retrouvées à Khiam,
un village sur les rives de la mer Morte, qui a donné son nom à la civilisation
dite khiamienne. Il invente en parallèle de nouveaux
outils, se familiarise avec les bêtes, se fait éleveur. Il reste certes soumis
aux caprices d’une nature dont il ne comprend pas les rouages, mais il est
moins démuni face à elle. Ses animaux et ses réserves alimentaires lui
permettent de ne plus connaître les affres de la faim qui le tourmentait si
souvent au paléolithique, pour peu que le dégel se fasse trop attendre, que
tempête ou sécheresse dévastent le paysage où il n’a d’autre choix que de
ponctionner sa subsistance. Il « sort » en quelque sorte d’une nature
à laquelle il était complètement intégré, au sein de laquelle il se considérait
comme un élément parmi d’autres. Il se sent désormais supérieur à elle,
puisqu’il est capable de la maîtriser, de soumettre à sa volonté les roches,
les plantes, les animaux, en construisant, en plantant, en élevant. Ses conditions de vie changent radicalement, et le
bouleversement sur le plan religieux n’en est pas moins important : c’est
ce que nous racontent les peintures, les fresques et les sculptures, qui sont
autant de livres dans lesquels se lit l’histoire de l’humanité.
Revenons
un peu en arrière. Trente ou quarante mille ans plus tôt. Un passé dont
témoignent les millions de peintures découvertes dans des grottes réparties sur
les cinq continents, que le paléoethnologue Emmanuel Anati qualifie de « cathédrales »,
au sens religieux du terme. Nos ancêtres
lointains peignaient et dessinaient. Nous n’avons pas la preuve absolue
du sens qu’ils donnaient à leurs œuvres, mais des rapprochements avec les
pratiques religieuses des ultimes populations de chasseurs-cueilleurs
permettent d’affirmer que celles-ci étaient le mode
de communication privilégié avec les esprits : ceux des arbres, du
vent, de l’orage, des montagnes, des animaux. Avec ces esprits-là, l’homme
avait établi des échanges selon un principe de donnant-donnant, comprenant les
prélèvements de nourriture qui lui étaient indispensables par des dons de
forces vitales –dons d’où découlaient la maladie et la mort. Il n’était alors
pas encore question de prières ni de sacrifices, pas plus que d’une supériorité
d’un élément de l’univers sur les autres : l’échelle du vivant, visible et
invisible, restait horizontale, chaque entité étant toutefois dotée de ses
propres capacités et compétences.
Les premiers dieux sont des déesses.
Veillant sur la fécondité des champs, des hommes et des troupeaux, elles sont
les probables héritières de Vénus rudimentaires.
Mais quand il
commence à dominer la nature, l’homme redresse aussitôt cette échelle. Dans
cette verticalité toute fraîche, il est normal, pense-t-il, que la hiérarchie
se prolonge au-dessus de lui, qu’il soit lui-même dominé par tout ce dont il
n’a pas la maîtrise. Il continue probablement de fréquenter les esprits avec
lesquels il a appris à négocier depuis des millénaires, mais ceux-ci se
révèlent insuffisants pour répondre à ses besoins de sacré et à ce qui est pour
lui un nouvel impératif : maintenir l’ordre du monde, l’empêcher de
basculer dans le chaos. Parce qu’il se vit désormais au centre de l’univers, la
nouvelle religion dont il forge les contours se fait à son image. C’est une
religion anthropomorphique où les esprits cèdent le
pas devant des entités qui ressemblent à l’homme, qui ont son physique, mais
qui ont aussi ses envies, ses désirs, ses violences, son ego. Ce sont les dieux.
A
vrai dire, les premiers dieux sont des déesses, ainsi qu’en témoignent les
innombrables statues retrouvées au Proche-Orient jusqu’en Anatolie à partir du
IXe millénaire avant notre ère et dans l’Indus ou dans la Crète du IIIe
millénaire avant notre ère. Veillant sur la fécondité des champs, des hommes et
des troupeaux, elles sont les probables héritières de Vénus rudimentaires,
vieilles pour certaines d’une trentaine de milliers d’années, découvertes en
Europe et en Sibérie. Mais à la différence de celles-ci, la déesse du
néolithique, aux marques sexuelles fortement affirmées (puisqu'elle est d’abord
une donneuse de vie), fait l’objet d’un véritable culte, prélude aux rituels
des premières religions établies, qui naissent avant notre ère, d’abord en
Mésopotamie puis en Egypte et dans le reste du monde. Quasi systématiquement
associée à une figure bovine incarnant la puissance de la force mâle, elle « porte en germe toutes les
constructions ultérieures de la pensée mythique d’Orient et de
Méditerranée », écrit le préhistorien Jacques Cauvin (Naissance des divinités, naissance de
l’agriculture, Flammarion, 1997).
Désormais, la divinité est un recours pour les hommes : ils
peuvent la supplier, la prier comme ils le feraient avec un supérieur
hiérarchique. Ils peuvent l’attendrir par
des offrandes : de fleurs, de fruits, bientôt de ce qu’ils ont de plus
précieux, une bête prélevée dans leur troupeau. Dans
les premiers bourgs qui se constituent, la plus vaste construction,
probablement la plus belle aussi, est le temple, où l’on vient en communauté
prier la déesse et lui demander sa protection.
Les siècles
passent, les bourgs se transforment en cités. Erido,
la première grande ville connue, construite en Basse-Mésopotamie, compte près
de quatre mille habitants vers 4000 avant notre ère. Le développement des
techniques agraires engendre les premiers surplus, prélude aux débuts du
commerce ; des classes sociales se forment ; des hiérarchies
s’instaurent : les hommes gèrent la vie extérieure, les femmes s’occupent
de la maisonnée. Le patriarcat se consolide. Aux mâles qui régentent la vie de
la société, il devient de plus en plus difficile de s’accommoder de divinités
qui ne soient pas à leur image, virile et protectrice. Vénus rentre à la
maison, pour s’installer au cœur des cultes domestiques. Dans le grand temple
d’Erido, Enki l’a détrônée pour s’ériger protecteur
de la ville et de ses habitants. Dans les autres cités qui bourgeonnent,
d’autres dieux mâles naissent et commandent. Ils sont riches et forts. Des
individus se mettent pleinement à leur service. Une
classe de « professionnels du sacré » se constitue et établit les
rituels les plus aptes à complaire aux dieux : ce sont les premiers
prêtres.
La suite de l’histoire, que nous déclinerons au fil de ce
dossier, est une longue épopée au cours de laquelle se forment les premiers
royaumes terrestres et les premiers panthéons divins créés à leur image. Car
désormais, et pour longtemps, les dieux et les rois iront de paire, chacun se
nourrissant de la puissance de l’autre, et vacillant quand l’autre trébuche.
Djénane Kareh Tager
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LA NAISSANCE DU
MONOTHEISME
Entretien
avec Jan Assmann
Professeur
d’égyptologie à Heidelberg et membre de l’Institut allemand d’archéologie, Jan Assmann dresse, dans le
Prix du monothéisme, un « portrait » du monothéisme, dont il
avait raconté la naissance dans Moïse
l’égyptien (Aubier, 2001). Selon lui, sa caractéristique principale n’est
pas la distinction entre un dieu unique et des divinités multiples, mais entre
la vérité et l’erreur. Entretien.
Peut-on dire que le
monothéisme est né du polythéisme et d’une évolution de la pensée, ou plutôt
qu’il est une « invention » indépendante des religions
précédentes ?
Il
procède des deux. Du polythéisme, dans un long processus d’évolution (l’Egypte
en est le meilleur exemple) et d’un acte révolutionnaire d’abandon de toutes
les traditions. On distingue ainsi le monothéisme
évolutionnaire et l’autre, révolutionnaire. La devise du monothéisme
évolutionnaire se résume en « tous les dieux sont un » et la
révolutionnaire en « pas de dieu, sauf Dieu » ou encore « pas
d’autres Dieux ». On parle donc de monothéismes inclusif et exclusif.
L’exemple le plus ancien et le plus clair de monothéisme exclusif est celui du
culte d’Aton, introduit par le roi égyptien Amenophis
IV-Akhenaton. Mais même ce monothéisme révolutionnaire n’est pas tombé du ciel.
Il présuppose une tradition plus ancienne, de laquelle il s’éloigne de façon
polémique. Akhenaton a seulement radicalisé une « nouvelle théologie du soleil » qui existait déjà. Quant
au « mouvement de Jéhovah
seul » (Bernhard Lang), révolutionnaire, il s’impose par étapes avant
que ne se constitue le monothéisme pur.
Les
religions de l’Ancien monde ne connaissaient pas un joyeux bazar de divinités,
mais un monde structuré de dieux, un panthéon. Cela implique déjà l’idée
d’unité. Œuvre d’un seul créateur, le monde est plein de dieux, mais il n’y a
qu’un Dieu incréé, autoconstitué, d’où tout provient.
Cette perspective monothéiste est très prononcée en Egypte. La conception
d’Akhenaton était que le monde, non seulement provenait d’une origine, mais
qu’il était maintenu au quotidien par cette source unique d’énergie vitale
cosmique, Aton, le soleil. Par son mouvement, celui-ci générait le temps, et
par son rayonnement, la lumière et la chaleur. C’est un monothéisme
cosmologique, très différent de celui que la Bible associe à Moïse,
c’est-à-dire un monothéisme politique, celui de la loi et de la fidélité à un
seul Seigneur. Ce dernier présuppose l’existence d’autres dieux. Quel sens
aurait sinon la loi de la foi ? Bien plus décisive que l’affirmation de
l’un, que l’on retrouve dans les textes « païens », est la négation
des multiples (« Nul autre n’existe
que toi » chez Akhenaton, « tu
ne dois pas avoir d’autres dieux près de toi » pour Moïse).
Le « l’un
l’unique » des Egyptiens, le « Yahvé est un » du Chema hébraïque et le « Dieu est un » de
l’Antiquité gréco-romaine sont-ils le même dieu ?
L’un
l’unique égyptien célèbre le dieu duquel tout le monde, les dieux et les
hommes, provient. La prière du Chema se rapporte,
avec « Jehovah,
notre Dieu est un », au dieu unique qu’Israël doit aimer de tout son
cœur, de toute son âme et de toutes ses forces. La devise « heis theos »
(« un dieu ») des
inscriptions gréco-romaines varie entre les deux significations : un dieu
en ou au-dessus de tous les dieux et un dieu seul qui peut nous sauver.
L’affirmation d’un dieu
unique par Akhenaton peut-elle être considérée comme la première vraie
tentative de monothéisme ?
C’est le premier
vrai monothéisme car il abolit et persécute les autres dieux, c’est-à-dire
leurs cultes. Contrairement à ce qui se passe dans le monothéisme biblique, il
s’agit d’un dieu qui s’occupe du monde dans sa totalité, mais pas des
individus. Le dieu d’Akhenaton est le soleil, et rien que le soleil, qui brille
sur le Bien et le Mal, sans se préoccuper de la justice, de l’injustice et de
la manière de vivre de chacun. Seul Akhenaton peut entrer en relation
personnelle avec cette puissance, et le soleil n’apparaît qu’à lui sous des
traits personnels. Pour le commun des mortels comme pour le reste de la
création, le dieu Aton est seulement énergie cosmique. On peut se demander s’il
s’agit d’un théisme et pas plutôt d’un déisme, d’un acte qui relève moins de la
fondation d’une religion que d’un « désenchantement » du monde.
Dans Moïse l’Egyptien, vous dites que, malgré l’avènement du
monothéisme, le cosmothéisme a traversé les siècles
et accompagné la spiritualité occidentale, « courant
vivace » doté d’une « fascinante
capacité de renaissance ».
Le
cosmothéisme postule la divinité du monde, le
monothéisme considère que Dieu est extérieur au monde. Les deux positions
s’excluent, pourtant, il y a des degrés intermédiaires, des lignes de
communication. Le cosmothéisme connaît l’idée de la
divinité « hypercosmique », qui dépasse le cosmos visible, dans la
mesure où elle le précède comme origine et elle ne se manifeste à lui que « dans des reflets colorés »
(Goethe). Le monothéisme insiste sur la radicale extériorité au monde du dieu
transcendant, reliant Dieu et monde à travers la création. L’idée de création
sépare Dieu et monde comme sujet et objet, et pourtant le monde peut être
compris comme un acte de la révélation, comme le présente l’enseignement
chrétien. Cette tension caractérise l’histoire spirituelle et religieuse
occidentale.
Le monothéisme
n’engendre-t-il pas l’intolérance avec une affirmation étrangère au
polythéisme : « Tout ce qui est
extérieur à moi relève de l’erreur et du mensonge » ?
Vous
tenez comme ouverte l’idée de religio duplex (religion
double). Que recouvre-t-elle ? Le
problème du monothéisme exclusif est l’intolérance. La distinction entre
vrai et faux n’autorise pas de degré intermédiaire. Cette distinction était
étrangère aux religions païennes de l’Ancien monde, et avec elle, l’idée de
faux dieu et de fausse religion. Les
religions monothéistes doivent s’éloigner de ce concept de vérité absolue. Les
vérités de la foi ne peuvent jamais être universelles et absolues.
Pourtant, elles sont vraies pour ceux qui y croient et nous devons nous tenir à
cette vérité. C’est une vision du XVIIIe siècle et une tâche que les religions
actuelles n’ont intellectuellement pas encore accomplie : la conception de
religio duplex faisait la différence entre la
religion du peuple qui devait s’en tenir à des vérités absolues, et la religion
des initiés qui avaient compris le caractère relatif des vérités de la foi,
mais tenaient à la représentation d’un Etre Supérieur et à l’obligation de
règles morales. Aujourd’hui, la différence entre « peuple » et
« initiés » n’a naturellement plus de sens. Mais nous devons
reconnaître qu’il existe, au-delà des religions et de leurs croyances,
certaines règles du jeu universelles dans le rapport à l’autre, qui sont
inhérentes à la nature de l’Homme.
Propos recueillis par
Florence Quentin