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POUVOIR BIEN VIEILLIR AVEC UN HANDICAP
»,trimestriel GIPHV. N°12; 04, 2007
Editeur :Henri Charcosset, E-Mail : charcohe@club-internet.fr
Site
web : http://bien.vieillir.club.fr/index.htm
Sociologue-anthropologue
Chargée de cours, Université de Rennes 2
Formatrice en Institut de Travail Social
Cet article est une
reproduction d’une publication dans Doc’Gérontologie Animation et Vie Sociale,
2006, publiée par Doc Editions, 14 rue Jean Jaurès, 55800 Revigny-sur-Ornain.
L’évolution de la société nous a fait
passer d’un décès à domicile à un décès en milieu hospitalier. La mobilité
géographique des personnes, l’anonymat des centres urbains, ont bouleversé les
relations de voisinage : le deuil n’est plus le fait de la communauté. Les
rites d’enterrements se sont diversifiés… Nous assistons à de nouvelles formes
de neutralisation de la mort.
La
mort n’a jamais été considérée comme un phénomène naturel et normal.
Par
contre, elle a été plus « commune » du fait des maladies infectieuses
souvent de type épidémiques qui décimèrent, jusqu’au XVIe siècle, des villages
entiers ; où jusque dans les années 1750, un enfant sur deux est condamné
à mourir avant l’âge de quinze ans : où les guerres très meurtrières
ponctuent notre histoire et ponctionnent tant les militaires que les civils –la
première Guerre Mondiale est un des conflits les plus meurtriers de notre
histoire-.
Il y a
donc eu non seulement une conscience, mais une présence très forte de la mort
qui n’exclut en rien la peine profonde pour les proches mais qui est encadrée
par la « communauté » paroissiale.
Lentement,
nos sociétés se sont pacifiées et les progrès de la médecine ont pu faire
croire à l’immortalité ici-bas, conduisant à une forme de renversement des
croyances et des valeurs : le bonheur est recherché au présent et
dans l’instant : les convictions d’une vie dans l’au-delà s’amoindrissent
même si 80 % des Français continuent à choisir des obsèques religieuses.
D’autres demandes sont exprimées quant aux funérailles : la crémation se
développe rapidement et la cryogénisation a fait émerger l’espoir qu’il sera
possible, un jour, lorsque les progrès médicaux le permettront, de
« réveiller » le mort.
Le
déplacement du lieu de la mort, qui s’accentue dans les années 1970, du
domicile à l’institution hospitalière, les changements de mentalité et de
sensibilité font que la mort est non seulement « moins visible »,
mais également « moins commune ». Elle concerne de plus en plus le
corps médical qui, d’ailleurs, ne vit pas forcément bien cette situation
puisqu’il est formé pour « soigner » ; la mort pouvant alors
être perçue comme un « échec » ou encore conduire à des risques
d’acharnement thérapeutique dénoncés par des associations de « droit à
mourir dans la dignité » et activant les débats éthiques sur l’euthanasie…
La promotion des soins palliatifs ces dernières années ouvre sur de nouvelles
approches du « soin » et de l’accompagnement. Les formes de
neutralisation de la mort se transforment.
« Le
deuil des veuves, le plus long de tous, dure
deux
ans. Le grand deuil austère, toute une année :
robe
de laine unie ou de crêpe anglais, chapeau à voile
tombant
sur le visage, châle en pointe, bas noirs, fil ou
laine,
gants de suède… »
Baronne Staff,
Guide des usages du
monde, 1899
L’étymologie du mot deuil, du latin
« dolore » -souffrir- signifie que la vie s’arrête un peu lors du
décès d’un être cher et que « faire son deuil » demande du temps pour
sortir de cet état. Jusqu’aux années 1975, il y a une reconnaissance de la
société pour cette étape douloureuse qui est marquée aussi par des tenues
vestimentaires spécifiques qui rappellent que la personne vit ce temps
particulier marqué d’étapes pour « sortir du deuil ».
Le
grand deuil, deuil et demi-deuil permettait de se situer par rapport à autrui
et à respecter sa souffrance. La société reconnaissait un droit à la douleur.
Le deuil est alors un rite qui s’inscrit dans un cadre strict et s’étale dans
le temps. Il concerne surtout les femmes qui sont vêtues de noir et qui fixent
à leur chapeau un voilage en « gros crêpe » qui descend sur le visage
jusqu’à la poitrine, avec un rythme particulier : il se conjugue avec les
messes de mort qui ont été offertes par les membres de la communauté
villageoise et la famille. Les visites au cimetière ponctuent également cette
période. Les hommes ne portent que quelque temps le brassard noir autour du
bras.
Une
habitante de Vitré de 80 ans, rencontrée en 1990, témoigne qu’ « A la trentaine, on était toujours habillées en noir. Il y avait toujours un membre de
la famille, de près ou de loin, qui mourait. C’est pas comme maintenant où, pas
trop sortie de l’église, la famille quitte le deuil ». Ce rite fait
sens et aide les familles à exprimer leur peine et à mieux accepter par la
suite la mort elle-même. Il y a une prise en charge collective de cette période
de renoncement. Puis, progressivement, le chagrin ne semble plus de mise dans
une société où prime le bonheur. Le sociologue Patrick Baudry résume ce
changement en ces termes : Ce qui
est nouveau, ce n’est pas la peur de la mort mais la peur de cette peur ».
Aujourd’hui, il faut masquer sa douleur afin de ne pas « gêner »
les autres, il faut que la personne « prenne sur elle ». Maintenant,
la prise en charge collective de la peine ne repose plus que sur les seuls
proches endeuillés. Le port de vêtements noirs ne symbolise plus la
disparition. Les messes, qui ponctuaient et rythmaient cette période,
deviennent rares. Les repères visuels et temporels se sont donc effacés.
Parallèlement le concept de « deuil pathologique » prend de
l’importance.
La
mort est moins commune dans le sens où elle se produit de plus en plus en
institutions. L ‘agonisant est entouré alors du corps médical : les
proches ont parfois du mal à y trouver leur place même si, avec la promotion
des soins palliatifs ces dernières années, ils deviennent acteurs, lorsqu’ils
le souhaitent, de l’accompagnement de l’être cher et que certaines équipes soignantes
les accompagnent également pour un meilleur travail de deuil. Mais la
communauté s’est retirée devant les « professionnels » de la santé
puis devant les professionnels de la mort : plus encore, la prise en
charge collective disparaît. Le temps du deuil n’est pas pris en compte dans
une société où le temps des morts est un temps mort. D’autres formes de prise
en charge individualisée apparaissent. Mais le travail de deuil perd alors son
caractère rituel pour n’être qu’un phénomène individuel accompagné par des
psychologues ou des psychothérapeutes. Il y a ici une forme de
« médicalisation » du deuil qui est pourtant une étape
« normale » lors de la perte d’un être cher.
Des formes « cooptatives » tendent à
prendre de l’importance également ces dernières années. Des associations
d’accompagnement au deuil réinscrivent légèrement le deuil dans sa dimension
« collective » mais elles ne créent pas le lien social que proposait
l’accompagnement collectif d’autrefois. Elles réunissent des endeuillés afin qu’ils
puissent passer cette étape et se reconstruire.
Ces deux nouvelles formes de prise en charge
répondent au développement des deuils pathologiques dans notre société.
Il y a une perte de symboles et de rites dans notre société.
Ils sont pourtant indispensables pour inscrire la mort dans un continuum. Le
chagrin n’est plus de mise ; il devient presque honteux d’afficher sa
peine, pourtant indispensable pour réussir cette période de renoncement. Il
nous faut donc apprendre à mieux soutenir les endeuillés, afficher les avis de
décès dans les maisons de retraite, ne pas avoir peur de l’évoquer en famille.
Et lorsque la crémation est choisie, il faut encourager les proches à prendre
le temps afin de réfléchir au devenir des cendres : la dispersion peut
parfois ralentir le travail de deuil car il nécessite un lieu de
recueillement ; quant à garder l’urne au domicile, cette trop grande
proximité peut aussi freiner ce travail.
(1) Ces épidémies n’ont malheureusement pas disparu dans les pays du Tiers
Monde ; s’y ajoute, ces dernières années, la pandémie de Sida aux
conséquences effroyables et ce, d’autant plus que l’accès à la tri-thérapie y
est très limité.
(2) Légalement en France, la cryogénisation qui consiste à conserver un
corps dans de l’azote, est interdite ; contrairement aux Etats-Unis.
(3) Dans le pays de Vitré en Bretagne, lorsque le défunt est un parent, les
femmes portent ce crêpe qui descend sur le visage pendant trois mois. Ensuite,
il est rejeté en arrière et descend dans le dos, cela pour trois mois
supplémentaires. Enfin, le gros crêpe est remplacé par un voilage plus fin,
accroché à l’arrière du chapeau, pour trois nouveaux mois. Si le défunt est un
cousin, le deuil est porté pendant un mois et le gros crêpe est accroché sur le
côté du chapeau.
(4) Intervention au colloque : L’homme et la mort, Paris, Institut Goethe.
(5) Nous reprenons ici la distinction de F.Tonnies qui différencie société
de communauté. Dans la communauté, l’inter- connaissance est importante, des
solidarités de quartier, villageoises sont réactivées au moment de la
mort ; les proches endeuillés sont encadrés. Dans la société, il y a un
repli sur l’individu, sur la famille, il n’est plus aussi opportun de venir
chez les voisins…