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 «POUVOIR BIEN VIEILLIR AVEC UN HANDICAP »,trimestriel GIPHV,APF69.N°5;07.2005 Editeur :Henri Charcosset, E-Mail : charcohe@club-internet.fr

 MON P’TIT BOUT DE CHEMIN, 1ère partie

Anne CHASSAIN

        

« Tu en as eu une drôle d’idée : naître un dimanche soir en août, à l’heure où le médecin était parti. A la clinique, seule la sage femme était là, et moi je souffrais beaucoup de contractures. Alors elle m’a fait une piqûre et à ce moment-là tout s’est passé très vite. Tu es arrivée, mais dans un grand silence. Ah ! si tu avais braillé comme tous les bébés ! Le médecin est finalement revenu. Autour de nous c’était la panique. On a utilisé tous les moyens pour que justement tu cries, tu respires. On t’a fouettée, pendue par les pieds… ». Ainsi commence ce que je sais de ma vie, c’est le récit de ma mère, j’avais huit ou neuf ans à l’époque. Par la suite, mes parents se sont aperçus que je ne m’asseyais pas à l’âge normal et de quantités d’autres anomalies. Le pédiatre disait toujours après une courte visite : rassurez-vous, ce n’est qu’un petit retard, votre enfant se développe très normalement. Quelques mois passèrent, mes parents n’étaient toujours pas de cet avis. J’avais quinze mois quand ils me conduisirent pour la première fois dans ces grands hôpitaux parisiens, que je connaîtrai par la suite beaucoup mieux, mais où j’aurai l’impression d’être toujours perdue. A cette époque-là seuls mes parents et surtout ma mère ne me considéraient pas du tout comme une enfant irrécupérable, ce qui était souvent annoncé à mes parents… Et une fois ma mère (elle me le raconta quand je fus adulte) faillit nous précipiter tous les deux dans la Seine.

         Entre-temps ma sœur était née mais la pauvrette, les parents s’en occupaient comme ils pouvaient. Ils avaient tellement à faire avec moi au quotidien ! Il fallait s’occuper de moi comme un bébé, et puis il y avait ces aller-retours Quimper-Paris plusieurs fois par an. Je fis connaissance avec les électroencéphalogrammes qui me faisaient très peur parce qu’il fallait une salle sombre pour me faire dormir !

         Mes parents décidèrent enfin de s’assurer de mon développement intellectuel qu’ils étaient seuls à voir dans mes yeux. Heureusement ! car la psychologue, très gentille, diagnostiqua un résultat tout à fait normal malgré ma tête qui ne se tenait pas, ma langue que je tirais, mes yeux qui ne fixaient pas un point précis. J’avais aussi un petit retard de langage dû sans doute à une prononciation difficile. Bien sûr je ne marchais pas seule, mais tenue par une main, mon plaisir était de faire quelques pas voire même comme tous les enfants de trois ans, de barboter dans une flaque d’eau. A la maison, j’apprenais peu à peu à faire une partie de ma toilette toute seule, à l’aide d’une cuvette d’eau déposée devant moi. Je commençais à manger toute seule les aliments solides, peu à peu j’apprenais aussi à m’habiller sans confondre l’endroit et l’envers ! Bien du temps se passa comme cela, mes parents ne perdaient pas une occasion de me faire marcher, accrochée au landau de ma petite sœur.

 

         Mais un jour, (ce sont toujours mes parents qui me l’ont dit plus tard) ma grand-mère entendit à la radio parler d’un « grand médecin » qui travaillait à l’hôpital de Garches. Cette nouvelle allait être pour nous un point de départ décisif. En effet, mes parents me conduisirent vers le savant professeur, qui, après quelques tests, nous promit de me prendre dans son service dès que celui-ci s’ouvrirait, quelques mois après.

         Et un matin de février mon père me conduisit jusqu’à de grands bâtiments de brique rose peuplés de femmes toutes en blanc. J’eus très peur, mon père dût partir au bout de trois jours, me laissant dans cet univers inconnu… Je pleurais, pleurais, pleurais (j’avais cinq ans et demi). Je n’étais pas la plus jeune loin de là, certains avaient deux ans, mais il faut dire que le fait de porter un uniforme et de n’avoir aucun objet personnel est extrêmement traumatisant.

         Ma mère m’avait appris à lire, elle toute seule, mais après cinq mois d’hôpital impossible de retrouver ce plaisir précieux : mon séjour à Garches a été complètement axé sur la rééducation. Kiné et ergothérapie chaque jour, orthophonie moins souvent. Dans les salles de rééducation, je criais et pleurais souvent de peur. Assise au bord d’une table, je me voyais me fracassant la tête sur le carrelage. Et la rééducatrice, pourtant gentille, s’énervait quelquefois de ces effrois exagérés. Pourtant un jour, je fis quelques pas, d’abord entre deux barres parallèles que j’apprenais peu à peu à lâcher. Une autre étape a été de me tenir debout à la table, sans la présence de la rééducatrice, mais quelle frayeur ! Puis elle me mit debout devant une glace, me disant d’appuyer mes mains contre le mur ; cela aussi a été très dur, et elle m’a dit : « tu n’es pas belle quand tu pleures ! ». Mais un peu plus tard, entourée d’oreillers mis au sol, je chassais ma frayeur et fis mes premiers pas, d’abord tenant un énorme ballon. Mais ça bouge un ballon ! Si bien que j’abandonnais assez vite la partie pour me déplacer toute seule ! et au bout de quelques pas tomber sur les oreillers sans me faire mal ! La kiné m’apprit très bien à tomber en protégeant ma tête, le ventre, le dos. Elle me faisait tenir debout et me poussait de plus en plus fort en avant, en arrière, d’un côté de l’autre. C’est ainsi que mon équilibre se renforçait progressivement. Les premiers appareils orthopédiques avaient été jetés au placard, remplacés par d’autres, qui montaient jusqu’aux genoux, et qui me maintenaient les pieds à angle droit. De plus, ces chaussures me convenaient bien, car très lourdes, elles stabilisaient ma station debout, et m’obligeaient à des efforts qui développaient les muscles.

         De l’ergothérapie je garde moins de souvenir sinon le fait d’avoir eu beaucoup de mal à apprendre à boutonner un pull over par exemple, mais surtout un chemisier où les boutons sont si petits. Je pressais une orange avec peine, mais ma grande fierté était de pouvoir écrire de la main droite, comme tout le monde !

         La rééducation se poursuivit sans problème majeur jusqu’à un événement : mon petit frère venait de naître. L’éducatrice me lut la lettre de mes parents, quelques mois avant la naissance : « comment s’appellera-t-il ? ». Pour moi, c’était déjà François, et à partir du jour où ce petit respirait, il paraît qu’en rééducation, je ne fis plus aucun effort. Et c’est ma mère, venue me chercher pour les grandes vacances au mois de juillet, qui me fit vraiment marcher sur la pelouse de l’hôpital. « Vas tomber sur ma veste, me dit-elle, tu vois elle est tout près de toi ». Nous nous sommes amusés tout l’après-midi, si bien que le soir je faisais trente pas, ce qui ne s’était jamais produit. Dans ma tête d’enfant, j’avais fort bien compris : si je savais marcher, ma mère allait me sortir de cet hôpital. Ce qui se produisit.

 

         Commença alors une autre étape, celle de la scolarité. Ma mère m’inscrivit en maternelle en octobre suivant. Mais je me suis endormie au fond de la classe, et l’institutrice a décidé que je pouvais très bien suivre un cours préparatoire. J’avais d’ailleurs six ans, et bien aidée par mes parents et l’institutrice, je progressais normalement. Il en fût ainsi pendant toute ma scolarité primaire, mes parents s’investissant beaucoup pour me donner mes dictées, à mon rythme, me faire faire problèmes de mathématiques et opérations supplémentaires. La rééducation n’était pas abandonnée pour autant, mes parents assumant un rôle absolument énorme pour mon développement. Aussi je me disais que je devais faire de mon mieux et les épreuves passées à l’école (les compositions comme on disait à l’époque) généraient toujours pour moi une anxiété énorme. De plus, étant en tête de classe régulièrement derrière trois garçons imbattables, je me voyais très mal vue par les filles de la classe, qui riaient à chacune de mes chutes dans la cour de récréation.

         Je grandissais, j’avais maintenant onze ans, ma mère avait tout prévu : elle est entrée en tant que sous-directrice, dans l’administration des lycées, pour que nous soyons logés sur place. Ainsi je pourrais suivre pratiquement tous les cours. C’est ainsi que s’est déroulée ma scolarité secondaire de la sixième à la terminale, avec toujours beaucoup d’aide de la part de mes parents. Bien entendu, il n’était plus question de rééducation, je ne pouvais pas tout faire ! Au plan relationnel, mon handicap est moins intervenu que ma position de fille de la sous-directrice et de l’enseignant qu’était mon père. (J’ai été son élève en histoire, géographie, en 6ème, 5ème puis en 1ère). Pour être précise, disons que mon handicap à l’époque me gênait pour la marche, mais aussi beaucoup pour l’écriture (ma machine à écrire de l’école primaire n’était plus assez aidante).

         Il avait été décidé (surtout par ma mère !) depuis longtemps que je ferais mon droit. Je m’inscrivis donc comme dispensée de cours, à l’Université de Brest…..Suite et fin de mon histoire jusqu’à ce jour, au prochain Numéro !

Anne CHASSAIN, contacts par Henri Charcosset, charcohe@club-internet.fr