Septembre  2012

LES MEMBRANES DANS LE DOMAINE DES TECHNIQUES BIOMEDICALES

 

Catherine CHARCOSSET

Directrice de Recherches au CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, Laboratoire d’Automatique et de Génie des Procédés (LAGEP), UMR-CNRS 5007, 43 Bd 11 Novembre 1918, 69622 Villeurbanne

charcosset@lagep.univ-lyon1.fr

 

Introduction par Henri Charcosset, HC

 

L’internet offre de multiples possibilités pour plus de relation entre la recherche fondamentale en tous domaines et ses applications.

Sur ce site, nous l’illustrons via la publication d’articles en direction d’un large public, des travaux de chercheurs et enseignants chercheurs, en activité.

 

Ici, Catherine Charcosset, Directrice de Recherches au CNRS, nous fait partager les bases de son domaine d’activité. Son texte ne manque pas d’attiser notre curiosité, quand on lit par exemple, que les membranes jouent un rôle majeur dans des applications aussi variées que la dialyse ou ....le dessalement de l’eau de mer !

 

Texte de Catherine Charcosset    

 

Lorsque que l’on entend parler de membranes dans les médias, il s’agit souvent de membranes de cellules biologiques. Le journaliste ou le scientifique explique l’effet d’un nouveau médicament sur la paroi membranaire des cellules ou bien de nouvelles découvertes sur son fonctionnement. La membrane biologique a en effet un rôle clé pour un grand nombre de phénomènes comme le contrôle de l'entrée et de la sortie de différentes molécules et ions entre l'intérieur et l'extérieur de la cellule.

 

Par « membrane », on désigne des matériaux très différents dont le point commun est de permettre un transfert entre deux milieux. Avec des fonctions proches des membranes biologiques, les membranes synthétiques sont conçues et fabriquées dans des centres de recherche et des industries. Elles sont très souvent employées pour produire et purifier dans l’industrie alimentaire, l’industrie chimique ou le génie biomédical. Mais, pas facile de les voir: on ne peut pas acheter des membranes dans les supermarchés !

 

Dans la suite de ce texte, nous considérerons uniquement les membranes synthétiques. Nous verrons tout d’abord quelques généralités sur ces membranes: leur structure et leur géométrie. Nous nous intéresserons ensuite à trois techniques dans les cliniques et hôpitaux : la plasmaphérèse (prélèvement du plasma sanguin), le rein artificiel et l’oxygénation extracorporelle du sang. Nous décrirons plus précisément comment fonctionne une membrane. Nous verrons que ces trois applications sont très différentes bien qu’utilisant des membranes similaires.

 

Les membranes

 

Ce sont la plupart du temps des matériaux poreux, c'est-à-dire comportant des trous très petits que l’on appelle des « pores ». Les pores ont une taille généralement inférieure à,  ou de l’ordre de,  quelques microns. Ils ne se voient pas à l’œil nu et pour les observer il faut utiliser des microscopes sophistiqués qui mettent en œuvre des champs d’électrons à des tensions très élevées. On parle alors de microscopie électronique. Lors de la Journée de la Science, chaque année, les Universités françaises ouvrent leurs portes et l’on peut voir de minuscules objets avec ces microscopes très performants, comme les yeux d’une mouche ou la structure d’une bactérie. Etonnement garanti !

 

Les membranes sont classées suivant la taille de leurs pores. On parle de membranes de nanofiltration (la dimension d’un pore est de quelques nanomètres : 1 million de fois plus petit qu’un millimètre), les membranes d’ultrafiltration (quelques dizaines de nanomètres) et microfiltration (quelques centaines de nanomètres à quelques microns).

 

Le matériau qui constitue la membrane est un autre paramètre qui les différencie. Il existe un grand choix de membranes polymériques, céramiques, ou en carbone par exemple. Les membranes utilisées en agroalimentaire sont souvent des membranes céramiques car elles résistent à des chaleurs élevées nécessaires à la stérilisation de produit comme le lait. Il y a aussi leur géométrie : les membranes existent sous la forme de tube, fibre creuse, spirale, et de membrane plane. Elles sont commercialisées avec des configurations qui permettent différentes surfaces utiles, par exemple un empilement de membranes planes ou bien un grand nombre de fibres creuses mises en parallèle.

 

La figure ci-dessous montre deux exemples de membranes constituées de différents matériaux.

 

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Ces images ont été obtenues par microscopie électronique à balayage. Elles représentent respectivement : (1) membrane mélange d’esters de cellulose 0.22 mm ; (2) membrane polycarbonate 0.2 mm.

 

 

Plasmaphérèse 

 

Le sang est constitué majoritairement de plasma (liquide de couleur jaune qui contient un grand nombre de molécules comme les protéines) dans lequel on trouve des globules rouges, globules blancs et plaquettes. Les centres de transfusion sanguine prélèvent à partir des donneurs le sang, ou bien le plasma seul, les autres éléments (globules rouges, globules blancs, plaquettes) étant retournés au donneur. Le plasma ainsi prélevé peut être utilisé pour administration aux patients, soit sous forme de plasma, soit après transformation en médicaments dérivés du sang comme les facteurs et inhibiteurs de coagulation et les immunoglobulines. La plasmaphérèse peut être également utilisée comme traitement thérapeutique par exemple pour des patients atteints de maladies auto-immunes (le plasma du malade contient des anticorps à l'origine de la maladie). On parle alors d’échange plasmatique. Le plasma prélevé est remplacé soit par un plasma issu de donneurs de sang, soit par une solution reconstituée à partir de molécules.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


La figure ci-dessus montre ce qui se passe à l’intérieur d’une membrane fibre creuse lors d’une plasmaphérèse: les globules rouges, globules blancs et plaquettes sont retenus par la membrane, tandis que le plasma passe à travers.

 

Cette technique est une opération de filtration classique : les éléments plus gros que les pores de la membrane sont retenus à sa surface et les éléments plus petits ainsi que le liquide passent à travers les pores de la membrane. En plasmaphérèse, le module membranaire est constitué de plusieurs fibres creuses placées en parallèle dans un module cylindrique. Une vanne placée en sortie du module membranaire permet de créer la force (ou pression) qui permet le passage du liquide à travers les pores. Le sang circule à l’intérieur des fibres grâce à une pompe. Ce dispositif permet de limiter le dépôt  qui peut se faire à la surface de la membrane et qui boucherait les pores. On parle alors de « colmatage » de la membrane qui doit être réduit le plus possible.

 

Reins artificiels ou dialyse

 

Le rein artificiel est une autre application des membranes dans le domaine des dispositifs biomédicaux. Cette méthode de purification extracorporelle aussi appelée dialyse permet de palier aux déficiences d’un rein malade (insuffisance rénale). En France, la dialyse peut être pratiquée soit dans un centre de dialyse, soit en autodialyse, soit en dialyse à domicile. Le rein a pour fonction l’élimination des substances nocives de l’organisme qui s’accumuleraient sinon dans le sang. La dialyse consiste à mettre en contact le sang avec un liquide stérile (le dialysat) dont la composition est proche de celle du plasma. Pendant la séance de dialyse, on peut simultanément retirer du sang des substances en excédent (par exemple le potassium), ajouter au plasma des substances qui manquent au patient (par exemple le calcium), et retirer l'eau qui s'est accumulée dans l'organisme. Des membranes de forme fibres creuses sont utilisées dans un dispositif appelé dialyseur.

 

Par rapport à la figure précédente, le sang circule à l’intérieur des fibres creuses et les globules rouges, globules blancs, plaquettes et la majorité des constituants du plasma sont retenus par la membrane. Le dialysat circule de l’autre côté de la membrane. L’eau et certaines molécules toxiques sont éliminées par passage à travers la membrane (du sang vers le dialysat). D’autres molécules que l’on cherche à injecter au patient font le chemin inverse (du dialysat vers le sang). Nous voyons ainsi que le rein artificiel implique un transfert au niveau de la membrane plus compliqué que lors d’une plasmaphérèse : d’une part la majorité des composés du sang est retenue d’un coté de la membrane et d’autre part des petites molécules du dialysat circulant de l’autre côté de la membrane peuvent passer dans le sang.

 

 

Oxygénation extracorporelle du sang

 

L’oxygénation extracorporelle du sang est une technique qui fournit une assistance en oxygène aux patients dont le cœur et les poumons sont gravement malades ou endommagés. Cette méthode est souvent utilisée dans des unités de soins intensifs néonatals, pour des nouveau-nés atteints de détresse pulmonaire, ou bien des adultes qui ont besoin d'être oxygénés jusqu'à ce que leur corps soit de nouveau capable de s'en charger. Le sang du patient circule en continu à travers une membrane qui simule le processus d'échange gazeux des poumons, c'est à dire apporte de l'oxygène et retire le dioxyde de carbone du sang. Le sang ainsi oxygéné est alors remis en circulation dans le corps du patient.

 

Ce dispositif utilise des membranes poreuses constituées de fibres creuses en parallèle. Par rapport au schéma précédent, le sang circule toujours dans des fibres creuses mais il n’y a pas de passage de liquide vers l’extérieur de la membrane. L’oxygène mis sous pression à l’extérieur de la membrane passe à travers les pores, des petites bulles se forment et se dissolvent dans le sang du patient. Le dioxyde de carbone fait le chemin inverse. Cette application montre une autre façon d’utiliser des membranes : ce n’est plus une filtration qui est réalisée, ni un passage sélectif mais un transfert d’un gaz dans un liquide par l’intermédiaire  des pores de la membrane.

 

Conclusion

 

Dans ces différentes applications, le terme membrane n’apparaît pas : on parle de plasmaphérèse, de rein artificiel, et d’oxygénateur extracorporel du sang. Pourtant, la membrane est l’élément clé de ces techniques indispensables pour certains d’entre nous. De nombreux autres domaines utilisent des membranes sans que nous nous en rendions compte. Par exemple, l’osmose inverse est un procédé de dessalement d’eau de mer utilisant des membranes constituées de pores très petits pour la rétention du sel. Cette technique de dessalement connaît un développement considérable autour du bassin méditerranéen.

Ces différents exemples montrent en quoi tient la richesse de ces techniques : la membrane est un outil de séparation et de transfert qui possède la propriété de s’effacer devant les applications proprement dites ouvrant ainsi un champ considérable d’applications.

 

Pour en savoir plus 

 

Le Club Français des Membranes possède un site internet : http://www.cfm-membranes.fr/ Le club édite des petits fascicules en langue française.

 

Pour un savoir plus sur les procédés membranaires dans l’industrie pharmaceutique et les biotechnologies, le livre suivant paru en 2012 :

http://store.elsevier.com/Membrane-Processes-in-Biotechnology-and-Pharmaceutics/Catherine-Charcosset/isbn-9780444563347/

En anglais et plutôt pour des lecteurs déjà familiers du domaine.