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Mars 2012
ENQUETE
SUR LA PRATIQUE DES MEDECINS FACE A LA FIN DE VIE
Emeline
CAZI
Le
Monde, Jeudi 08 Septembre 2011
La majorité des praticiens hospitaliers estiment que la loi Léonetti leur permet
d’accompagner dignement leurs patients jusqu’à la mort.
Le cas du docteur Nicolas Bonemaison, cet urgentiste de Bayonne soupçonné d’avoir pratiqué des
euthanasies actives sur sept patients en fin de vie , pose la question des pratiques des médecins dans
l’accompagnement de la mort de leurs patients.
Selon les premiers éléments de l’enquête,
l’urgentiste aurait agi seul, sans respecter la procédure collégiale voulue par
la loi Léonetti du 22 avril 2005 sur la fin de vie.
Une attitude qui tranche avec la grande majorité des accompagnants de fin de
vie, des praticiens hospitaliers qui s’appuient au contraire sur la loi pour
encadrer leurs pratiques médicales.
En France, le cadre législatif offre en
théorie au patient l’assurance que sa volonté sera respectée s’il n’est plus en
mesure de la formuler. Il peut désigner
une personne de confiance, et rédiger
des directives anticipées sur ce qu’il souhaite si son état de santé
se dégrade.
Mais encore
faut- il qu’il le fasse, car la loi Léonetti
souffre d’ être
largement méconnue .Les médecins hospitaliers qui reçoivent des patients en fin
de vie sont ainsi souvent confrontés à de difficiles questionnements
éthiques. Concrètement, les urgentistes
et les réanimateurs, qui reçoivent le résident grabataire en maison de retraite
dont l’état s’aggrave subitement ou le patient en difficulté respiratoire
atteint d’un cancer, n’ont presque jamais ces directives anticipées entre les
mains. Comment prendre alors la décision de réanimer ou pas, sans tomber dans
l’acharnement thérapeutique ou choisir à tort de tout arrêter?
Eric
Maury , réanimateur à l’hôpital Saint Antoine, à Paris, décrit ses nuits
de garde à chercher les numéros des familles sur internet pour essayer de
savoir ,par exemple , si le patient était autonome, s’il marchait , s’il avait
exprimé un souhait quelconque.
Aux urgences cérébrovasculaires
de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpétrière, Sophie Crozier, neurologue, se pose la
question en d’autres termes. Les patients qu’elle recoit, victimes
d’une attaque cérébrale, se réveilleront peut-ètre avec des lésions neurologiques sévères .Auraient ils accepté cet état, faut-il
poursuivre les traitements? « On
est conscient de décider de la vie ou de
la mort. On se demande si la vie avec ce handicap mérite d’être vécue, si la
mort n’est pas préférable… »
Dans tous les cas ,
le médecin ne doit pas se retrouver seul pour décider. Aux urgences de Nantes,
ils sont au moins deux à se mettre autour de la table. « Et on associe le plus souvent, l’interne et l’infirmière ».précise
Philippe Leconte, responsable de l’unité d’accueil de médecine aux urgences.
A l’hopital Bichat , à Paris, l’équipe mobile de soins palliatifs
apporte un regard extérieur, et répond
au besoin de collégialité imposé par la loi.Sophie
Crozier a instauré une réunion « AVC
grave » avec l’ensemble du service, lorsque le cas d’un patient le
nécessite .
Autant de bonnes pratiques relativisées
par l’urgentiste Philippe Leconte .Une étude
qu’il avait menée sur les morts aux urgences en 2005 lors de l’entrée en
vigueur de la loi sur la fin de vie, montrait que dans 20% des cas , la décision de limiter
ou d’arrêter le traitement, avait été prise en solitaire. « Il n’est pas certain que dans les
petites unités cette situation ait beaucoup évolué »
Une fois une première orientation
esquissée, les familles sont informées de la situation. Elles se rangent bien
souvent derrière l’avis médical de ne pas poursuivre les traitements puis de mettre en place les soins
palliatifs. « On met très
fréquemment de la morphine pour soulager le patient. Cela va probablement
diminuer le temps de vie , mais il partira dans la
dignité » explique ainsi
Philippe Leconte, qui se défend de toute pratique d’euthanasie. « C’est l’application de la loi qui
exige de répondre à la douleur ». « La loi n’a pas transformé nos pratiques mais les a clarifiées.
Elle a fait avancer les choses sur le
devoir de soulager le patient, même si cela
doit altérer son état, aborde Christine Tournigand,
praticien hospitalier en oncologie médicale à Saint Antoine. On utilise beaucoup plus simplement l’hypnovel,un anxiolytique de la classe des benzodiazépines,
pour apaiser des situations très douloureuses », ce qui aboutit à les
plonger dans le coma .
Quant aux demandes claires d’euthanasie
active, les hospitaliers affirment n’ y être quasiment jamais confrontés. « Des patients qui disent
: « J’en ai marre, je voudrais que ça se termine docteur », c’est plus fréquent .Mais il ne faut pas
aller trop vite .Cette phrase ne signifie pas forcément qu’ils veulent en finir »
met en garde le Dr Tournigant. A l’Institut de
cancérologie Gustave-Roussy, à Villejuif ( Val- de
Marne), une équipe de psycho-oncologues forme les infirmières et les médecins à
interpréter ces demandes, « qui sont
rarement des demandes euthanasie », assure Sarah Dauchy,
psychologue-oncologue. « Il
faut chercher à savoir si cette demande vient du patient et non de la famille
ou des soignants qui n’en peuvent plus ,détaille-t-elle. Est-ce que le patient n’est pas confus,
comme c’est souvent le cas en fin de vie ?La demande n’est pas liée à une
souffrance physique ou une angoisse, que l’on peut calmer ?Il ne s’agit pas de
juger, mais il faut permettre au patient de retrouver sa dignité et avoir le
même raisonnement qu’avec un jeune.Pourquoi lorsque
qu’un adolescent formule cela, on parle d’idée suicidaire, et dans le cas d’un
vieux, c’est une demande d’euthanasie? »
Une des difficultés du débat provient de
l’absence de données épidémiologiques
fiables. Pour essayer d’y voir plus
clair, l’Obervatoire de la fin de vie devrait
prochainement publier une étude sur la réalité des pratiques euthanasiques et
des prises en charge en fin de vie menée avec l’Institut national d’études
démographiques.
AFFAIRE BONNEMAISON DECISION
LE 13 SEPTEMBRE
Le docteur Nicolas Bonnemaison
a comparu mardi 6 septembre devant la chambre de l’instruction de la cour
d’appel de Pau .Le parquet de Bayonne avait fait appel du maintien en
liberté de l’urgentiste de Bayonne, mis
en examen pour « empoisonnements sur
personnes particulièrement vulnérables ».Cette mise en examen vise le cas de quatre patients
sur lesquels le praticien est soupçonné d’avoir pratiquer une euthanasie
active .Mais le parquet a délivré un
réquisitoire supplétif portant sur trois nouveau cas. Aux juges de la cour
d’appel, le docteur Bonnemaison a indiqué avoir voulu
« abréger des souffrances ».Mais
il s’est défendu d’être « un
militant de l’euthanasie ».Accusé
ne pas avoir communiqué avec la famille, il a expliqué que « dans le cadre de fin de
vie, on vit des choses fortes, avec les familles on sait que ça se fait dans un
regard,une poignée de main ».L’avocat
général a requis sa mise en détention.
« ON POSE DES
ANTIDOULEURS AU RISQUE D’ENDORMIR ET HATER LE DECES
Deux médecins racontent comment ils font
face aux situations de fin de vie.
Christophe Tournigant,
praticien hospitalier en oncologie à Saint -Antoine ( Paris) :
« La patiente avait une trentaine d’années, je la suivais
pour une tumeur au petit bassin. Elle avait été traitée en chimiothérapie, à
plusieurs reprises, avec succès, mais la maladie a fini par envahir les
vaisseaux On a décidé de ne pas relancer de chimiothérapie .Elle a été admise
en soins palliatifs. La morphine la soulageait bien, jusqu’au jour ou elle a fait une chute qui a déplacé la
tumeur .C’était des cris de douleur
extrême.
« Achevez- moi », disait-elle. La morphine même à forte
dose, n’y faisait rien .La douleur était telle qu’il ne restait plus que l’hypnovel .Le temps de la ramasser, on a appelé sa mère pour lui expliquer ce qu’on allait
proposer. Elle a bien compris, elle ne
voulait pas voir sa fille souffrir. L’hypnovel posé , l’état de conscience de la jeune
femme a diminué, mais elle n’avait plus
mal. Sa mère était à ses cotés, elle l’a accompagnée .Sa fille est morte
deux jours plus tard.
J’avais assuré à une autre patiente , atteinte d’un cancer de l’ovaire , et que je
suivais depuis des années que si ça n’allait pas, je continuerais à la prendre
en charge .Le jour où la douleur fut trop aigue on a mis l’hynopvel,
qui a diminué l’état de conscience. ».Et
la dame s’en est allée, doucement.
Dans
ces deux situations, la sédation a précipité la fin. « Mais l’intention était de soulager la souffrance .Je suis resté
dans mon rôle de médecin , qui est de répondre à un
symptôme .Il peut y avoir des dérivés avec la morphine et l’hynopvel, on est
parfois sur le fil du rasoir .Mais si cela a été discuté de façon collégiale
,énoncé au patient et à la famille , que l’intention est de soulager un
symptôme , c’est justifié »
François Falachas, neurologue à la Pitié - Salpêtrière ( Paris)
«
Je suis des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique
. Communément appelée maladie de Charcot, cette maladie neurologique
dégénérative paralyse progressivement les muscles volontaires. Lorsque le
diagnostic tombe, la médiane de survie est de trois ans .Paradoxalement, nous
ne sommes pas confrontés à des demandes d’euthanasie active. »
Le docteur François Falachas explique
que c’est plutôt lui qui engage le dialogue sur la limitation des
traitements avec le patient. Car un jour ou l’autre ,
les muscles respiratoires seront atteints .Et viendra le moment où le masque à
oxygène, qui permet de gagner quelques mois, voire deux-trois ans, de vie ne
sera plus efficace .Faut-il alors faire une trachéotomie? Sur le papier, cette
technique repousse l’inéluctable. Des patients peuvent être maintenus des
années ainsi .Mais rester alité, chez soi, sans bouger, branché à un
respirateur, a-t-il du sens ? « Peu
s’ y résolvent .Lorsque les encombrements se répètent,
le patient est hospitalisé. On pose des antidouleurs et des anxiolytiques, de
la morphine et de l’hypno le plus souvent, au risque de l’endormir et
de hâter son décès. Mais il ne rentre
pas pour mourir.( Même si c’est une question de
jours), on a encore l’espoir d’améliorer
les choses ».
La fin est plus soudaine lorsqu’un patient«
trachéotomisé » à bout, demande
l’arrêt de la machine. « Nous prenons le temps d’en discuter avec
lui, sa famille, avec l’équipe soignante, pour qui cette décision n’est jamais simple ».Lorsque
la demande persiste , le médecin et le patient
conviennent du jour où ce dernier rentrera à l’hôpital pour qu’on l’endorme , avant l’arrêt de la
machine.
Le législateur demande que les doses d’antalgique
soient administrées de manière
proportionnée pour ne pas hâter la mort. « On a tendance à ne pas augmenter les doses si l’on est persuadé
qu’il ne souffre pas, mais on peut être tenté d’utiliser des doses importantes
d’emblée pour ne pas prendre le risque qu’elles soient insuffisantes .Les
puristes de l’éthique diront que nous
tuons le patient car les doses ne sont pas proportionnelles. Ces situations
d’arrêt à froid sont rares .La loi introduit le droit au remords en donnant
cette possibilité d’arrêter les traitements, mais on ne doit pas faire
l’économie des discussions sur les
directives anticipées en amont.
« LEGALISER L’EUTHANASIE, C’EST LE SEUL MOYEN D’EVITER LES
DERIVES ACTUELLES »
Jean -Luc Romero, président de
l’Association pour le droit de mourir dans la dignité( ADMD)
L’Association pour le droit de mourir dans la dignité,ADMD, regroupe 48000
adhérents. Elle milite pour la
légalisation de l’euthanasie, considérant que
la loi Leoneti 2005 est insuffisante.
Les médecins semblent
satisfaits des modalités de la loi Léoneti sur la fin
de de vie .Pourtant des demandes d’euthanasie persistent,
pourquoi?
Certes en France, la loi va plus loin, puisqu’en
quelque sorte elle légalise l’euthanasie
active indirecte ,mais le vrai problème
, c’est qu’elle a été faite par des médecins pour des médecins, qui confisquent
le débat. Or, avant d’être une affaire médicale, l’euthanasie est une affaire
de citoyenneté et d’éthique .Ce que nous constatons, c’est la méconnaissance
des dispositions législatives. Or, une bonne loi , la
société s’en empare, ce qui n’est pas le cas de celle -là .Beaucoup de médecins le reconnaissent d’ailleurs :une
loi non appliquée au bout de six ans , c’est une loi qui ne répond pas aux
problèmes de fin de vie.
La loi Leonetti a- t-elle eu pour conséquence une baisse des recours auprès de
ADMD?
C’est tout le contraire, dans nos réunions partout
en France, les salles sont pleines .Le nombre d’adhérents n’a pas cessé
d’augmenter parce que les gens , même parfois
d’anciens militants des soins palliatifs , se rendent compte que tout le monde
ne meurt pas soulagé et « heureux » dans les unités
spécialisées .Le problème est qu’on est passé , dans les discours, de
l’acharnement thérapeutique à
l’acharnement palliatif. Or, les soins palliatifs ne sont pas l’alpha et
l’oméga, mais une solution. Il faut que le choix possible .
Aux Pays Bas, où l’euthanasie a été légalisée et où
l’accès aux soins palliatifs est quasi universel ,il demeure 2% de demandes d’euthanasie ,
essentiellement de personnes atteintes de cancer ou de malades du sida .Si les
demandes persistent , c’est parce qu’il existe chez certains patients des
douleurs réfractaires face auxquelles la médecine ne peut rien , nous
l’estimons à 4000 patients par an en France.
Il y a aussi la souffrance psychique que beaucoup de
mandarins sous -estiment. Je pense notamment à ces gens qui n’en ont plus que
pour quelques jours et qui disent au revoir aux leurs. Pourquoi les obliger à
vivre ces heures supplémentaires dont ils ne veulent pas tant ils sont à bout?
Que faudrait
-il changer à la loi?
Si le patient n’est pas conscient, il aura beau
avoir rédigé des directives anticipées ( qui précisent par écrit ses souhaits quant à sa
vie) et choisi une personne de confiance, les deux devant être consultées
par les médecins, ce sont toujours ces
derniers qui ,eu final, décident.
En outre , il n’existe toujours pas de fichier national des
directives anticipées auquel les médecins , donc les urgentistes, peuvent avoir
accès .Ils prennent ainsi souvent leur
décision selon leur propre conviction.
Aller plus loin en légalisant l’euthanasie, c’est le
seul moyen d’éviter les dérives
actuelles, ou les euthanasies « illégales » qui existent comme le montre l’affaire Bonnemaison,
et qui sont dues au flou de la loi.
Seule la volonté de la personne mourante doit primer. Alors les patients s’approprieront
la loi et rédigeront des directives anticipées.
Propos
recueillis par Laetitia Clavreul