Article entré sur site en Janvier 2016

 

LES PRODIGES DE LA MEDECINE PREDICTIVE

 

Violaine de MONTCLOS,Jérôme VINCENT,  avec Laurent Alexandre, Dominique Stoppa-Lyonnet, Olivier Caron, Arnold Munnich, Mathilde Reynaud

 

Référence d’origine : Le Point, 17/10/13, N°2144  , A voir dans : http://www.lepoint.fr/sante/

 

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Le choix d’Angelina

« Mes médecins ont estimé à 87 % le risque que je développe un cancer du sein et à 50 % celui des ovaires…  Dès que j’ai connu ces chiffres, j’ai décidé d’être proactive et minimiser les risques autant que possible. » Dans une lettre parue le 14 mai 2013 dans le New York Times, Angelina Jolie déclarait qu’elle était porteuse d’une anomalie génétique qui l’exposait au cancer dont décéda sa mère. Et qu’elle avait subi, pour déjouer le sort, une mastectomie bilatérale préventive. En révélant son choix chirurgical, qui réduisait dans son cas la probabilité de développer un cancer du sein à 5 %, la sculpturale actrice révélait au grand public le champ fascinant et encore balbutiant de la médecine prédictive : lire dans nos gènes, pour mieux les déjouer, nos maladies à venir. « La vie est pleine de défis. Ceux qui ne nous font pas peur sont ceux que l’on peut surmonter et contrôler. »

 

 

LES PRODIGES DE LA MÉDECINE PRÉDICTIVE

 

 

Révolution.

Lire nos maladies futures dans nos gênes, c’est déjà possible.

                                                                                                                                   

PAR VIOLAINE DE MONTCLOS

Tout est là, dans une petite clé USB qui le quitte jamais. Laurent Alexandre, énarque, médecin, ex-patron visionnaire et millionnaire du site doctissimo.fr et directeur de DNA Vision, tient dans le creux d’une main le séquençage de son propre génome : 21 000 gènes noyés dans les 3 milliards de paires de bases chimiques qui forment son ADN. Une cartographie vertigineuse de lui-même. Il a suffi d’un peu de salive et de quinze jours de patience, le temps que met aujourd’hui un séquenceur haut débit pour trier les paires de « bases », ces nucléotides désignés selon les lettres ATGC dont l’ordre de succession définit notre identité génétique. La plupart des combinaisons de ces quatre lettres sont communes à tous les hommes, mais certaines, entre 2 et 4 millions, sont propres à chacun. Or ces variants sont désormais repérés par notre informatique surpuissante et ils révèlent en quoi nous sommes uniques. En termes d’apparence physique, bien sûr, mais aussi, dans une certaine mesure, en termes de prédisposition à telle ou telle maladie. Angoissante boule de cristal… « Le jour du séquençage n’a pas été le plus jouissif de ma vie », dit l’industriel.

« Ce qui se passe est sans

doute comparable à la

découverte de l’Amérique. »

 

Verdict : à la grande loterie génétique, Laurent Alexandre n’a pas hérité, comme en atteste son épaisse chevelure, du gène de la calvitie. Ni de celui qui prédispose à la maladie d’Alzheimzer, résultat qu’il a longuement hésité à consulter. Mais il sait qu’il possède trois variants qu’il qualifie de « graves », gènes mutés dont la présence fait de lui un sujet un peu plus « à risque » que la moyenne pour des maladies dont il ne révélera pas le nom. Mais qu’il s’emploie désormais à déjouer. « Pour deux d’entre elles, je me fais dépister régulièrement. Pour la troisième, j’ai un peu modifié ma façon de vivre. » Quant aux millions d’autres variants, dont les milliers de potentiellement pathogènes que les logiciels ont isolés pour lui, Laurent Alexandre est un peu face à eux, comme tous les nouveaux industriels et chercheurs du génome, comparable au Champollion des premiers jours devant la pierre de Rosette : incapable d’interpréter. Quels gènes s’exprimeront ?
En fonction de quoi ? Selon quelle probabilité et quelles éventuelles interactions ?
« Ce qui se passe est sans doute comparable, dans l’histoire de l’humanité, à la découverte de l’Amérique. Mais il reste beaucoup à faire. Nous savons séquencer le génome, mais nous ne savons en lire que 1 % des informations. »

De

5 à 10 %

c’est la part

de cancers dits

héréditaires.

 

Nous voilà donc, encore analphabètes ou presque, au seuil d’un nouveau continent intérieur fait d’une succession infinie de lettres. Abasourdis d’y avoir accosté si vite… En 1990, 6 pays, 20 centres de séquençage, des dizaines de milliers d’experts décident d’allier leurs efforts pour parvenir à séquencer le génome : le Projet Génome Humain voit le jour. La somme des données à trier est monstrueuse, et certains spécialistes, à l’époque, estiment qu’il faudra plusieurs siècles. Or, à peine treize ans plus tard, les progrès exponentiels de l’informatique ont rencontré ceux de la génomique, et l’affaire est plié :
le séquençage intégral est terminé. Et les coûts, rapidement, dégringolent : 3 milliard de dollars il y a dix ans, à peine 1 000 aujourd’hui, et la chute continue : tous les six à douze mois, le prix est divisé par deux. En 2008, James Watson, découvreur de l’ADN, accepte que son génome – mis à part le gène prédisposant à Alzheimer – soit publié dans la revue Nature. Il est le second  individu à être intégralement séquencé. Cinq ans plus tard, plus d’un million de personnes dans le monde ont fait établir leur cartographie génomique. La banalisation est en marche

 

Un individu sur 500 est

porteur d’une mutation

du gène BRCA 1 ou 2.

 

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162

c’est le nombre de

maladies auxquelles

vos gènes vous pré-

disposent ou, à l’in-

verse, vous rendent

plus résistants, que

la firme américaine

23andMe propose

d’isoler à partir 

d’un simple kit

salivaire..

 

Et la technique nous prend de vitesse, nous précipitant dans des abîmes de questionnements éthiques et existentiels. Ainsi, à peine le génome cartographié, nous voilà déjà capables – personne n’en avait rêvé aussi vite – de distinguer grâce à un nouveau puissant algorithme les séquences ADN d’une femme enceinte de celles de l’enfant qu’elle porte. Une simple prise de sang et le génome intégral du fœtus est entre nos mains. Qu’en faire ? En France, le Comité national d’éthique, saisi sur la question, a donné en avril son feu vert pour que la trisomie 21 soit dépistée par séquençage. Mais il a mis en garde les pouvoirs publics. « Dans un avenir proche, il sera techniquement plus simple, et peut-être moins onéreux, d’effectuer un séquençage entier du génome fœtal que de sélectionner des régions d’intérêt et d’en réaliser un séquençage ciblé. » En clair : non seulement nous saurons, encore une fois par simple prise de sang, si l’individu à naître est atteint d’anomalies chromosomiques ou de maladies génétiques graves – mucoviscidose, myopathie – mais nous saurons aussi… tout le reste : prédisposition aux diabètes, cancers, maladies neurodégénératives et autres innombrables variants encore difficiles à interpréter. Qui pourra, alors que le tri d’embryons et de fœtus est déjà largement admis dans nos sociétés, résister à la tentation eugénique ? D’autant qu’il est déjà possible de se prémunir d’un certain nombre de risques avant même la conception d’un enfant. Pour 99 euros,la société Counsyl, l’une des innombrables entreprises, pour la plupart américaines,qui commercialisent sur Internet ces tests interdits en France, propose de passer les gènes de votre couple au crible et de déterminer si de votre union ne risque pas de naître un enfant malade. « Si j’avais eu mon génome entre les mains avant de devenir père, j’aurais certainement demandé à ma femme de se faire séquencer aussi, admet Laurent Alexandre. Certains de mes variants, s’ils avaient rencontré les mêmes chez mon épouse, auraient pu donner de graves maladies chez nos enfants. L’avenir est à la “Gonomeetic” : demain,les couples se feront aussi en fonction du profil génomique de chacun. »

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Cartographié. Laurent Alexandre, chirurgien, dirige une société spécialisée dans le séquençage. Il s’est lui-même fait séquencer.

Déjouer le futur. Détourner l’épée de Damoclès de sa cible. Allons-nous y gagner en maîtrise et en liberté ? Lorsque la prédiction génétique concerne une maladie incurable, n’est-elle pas plutôt un fardeau ? Les familles porteuses du gène de la terrifiante chorée de Huntington connaissent bien ce questionnement obsédant : savoir ou pas ? Alain, dont la mère et trois des frères et sœurs sont touchés, a mis près de dix ans à se décider à passer le test, par bonheur négatif. « Je l’ai fait, après des années à guetter avec angoisse les premiers signes de huntington, lorsque mon propre fils a atteint l’âge de devenir père.Si je m’étais avéré porteur, il était possible de faire un diagnostic préimplantatoire au moment de la conception de ses enfants et d’éviter le pire à la génération suivante. Mais, si cela n’avait concerné que moi, pour qui il était de toute façon trop tard, je n’aurais peut-être pas voulu savoir. »

Sur les 2 000 patientes que reçoit le professeur Stoppa-Lyonnet chaque année dans son service d’oncogénétique de l’Institut Curie, quelques unes, qui ont fait le test du gène BRCA, renoncent à venir chercher les résultats. En Occident, 1 individu sur 500 est porteur d’une mutation des gènes BRCA 1 ou 2, responsables d’une forme familiale de cancer du sein ou des ovaires. Apprendre que l’on est porteuse de l’un de ces gènes, c’est voir ses risques de développer ce cancer augmenter dans des proportions vertigineuses. Pour Angelina Jolie, qui vient de révéler au monde sa double mastectomie préventive,il était de 87 %. Mais Lara Croft a réécrit l’histoire. « En France, environ 30 000 femmes âgées de 30 à 70 ans sont porteuses, mais moins de 15 000 sont identifiées, explique le professeur Stoppa-Lyonnet. La difficulté est de savoir ce que la médecine peut leur proposer une fois le diagnostic de prédisposition établi. À une femme de 40 ans, en particulier si elle n’a pas eu d’enfants, il est difficile de parler d’ablation des ovaires, mais les tests génétiques vont s’améliorer dans un avenir proche et les risques s’affiner. Nous sommes encore au début de l’oncogénétique. »

 

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À qui appartiennent nos gènes ?

20 à 25 % des gènes humains ont déjà été brevetés. Notamment les gènes BRCA1 et BRCA2, impliqués dans certains formes de cancers du sein et des ovaires et brevetés par le laboratoire Myriad Genetics, qui détenait depuis le milieu des années 90 le monopôle des tests de dépistage aux États-Unis. D’où leur coût outre-Atlantique – 3 000 euros –, d’ailleurs critiqué vertement par Angelina Jolie lorsque celle-ci a révélé sa double mastectomie. En France, le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique à l’Institut Curie et professeur de génétique à l’université René-Descartes, est de ceux qui, avec l’Institut Curie, l’Institut Gustave-Roussy, l’APHP et plusieurs sociétés européennes de génétique, ont mené une fronde titanesque contre ce monopole. La bataille juridique a duré plus de dix ans et, en juin 2013, la Cour suprême des États-Unis a finalement invalidé les brevets de Myriad Genetics. « C’est un formidable signal de facilitation de l’exploration du génome humain, se réjouit le professeur Stoppa-Lyonnet. Les nouvelles technologies de séquençage de l’ADN opèrent une rupture sur nos capacités d’analyse. Cependant, s’il est maintenant très facile de générer de grandes quantités de séquences d’ADN, l’interprétation des séquences, au moins pour une grande partie d’entre elles, constituent un véritable défi. La décision de la Cour suprême, qui, on l’espère, sera suivie par l’Office européen des brevets, va permettre de le relever 

 

Partout dans le monde, une course contre la montre est lancée pour découvrir d’autres gènes, type BRCA1/2, ouvrant sur des probabilités importantes de risques quantifiés. En particulier en matière de pathologies cardiaques, dont on sait depuis longtemps que certaines sont liées à des antécédents familiaux, donc probablement à des mutations de gènes. Un véritable jackpot attend les découvreurs (voir encadré). Car la médecine prédictive est d’abord un immense marché de l’angoisse qui peut rapporter gros et sur lequel se ruent, depuis quelques années, un nombre considérable d’entreprises du Net. Le problème : pour quelques centaines de mutations donnant effectivement une forte probabilité de développer telle ou telle maladie, la plupart de nos variants génétiques ne se traduisent, pour le moment, que par des pourcentages infimes, non significatifs, impossibles à analyser et néanmoins hautement anxiogènes. Notre génome, pour une part écrasante, est à ce stade encore ininterprétable.

 

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50 000

c’est le nombre d’habitants des îles

Féroé, auxquels sera offert, dans les

cinq années à venir, un séquençage complet de leur génome.

CERVEAUX

L’usine à séquencer chinois le Beijing Genomic Institute,
le plus gros centre de séquençage au monde, s’est lancée dans l’analyse du génome des surdoués. L’ADN de 2 200 individus dont le QI est supérieur à 160 est en moment même séquencé et comparé à celui d’individus à l’intelligence moyenne. Le but de cette gigantesque entreprise, d’ailleurs controversée dans la communauté scientifique internationale ? Déterminer les variants génétiques associés à des intellects supérieurs…

100 dollars

d’ici à 2015, ce sera le prix du séquençage complet du génome

humain, qui coûtait 3 milliards de dollars
en 2003.

 

Destin. « Savoir que vous avez 2,1 % de risques de plus que votre voisin de développer un jour tel ou tel mal est une information dérisoire, sourit le professeur Sicard, président d’honneur du comité d’éthique. Mais le marché s’est engouffré dans ce dérisoire, le champ commercial est immense, et la médecine dite prédictive prend le pas sur la préventive. Pourtant, si vous fumez 60 paquets de cigarettes par mois, je peux vous prédire mieux que n’importe quel séquençage que vous développerez une bronchopathie précoce… Mais modifier un comportement, se préserver du soleil ou de la cigarette, bien que moins onéreux, semble beaucoup moins attractif, pour nos contemporains, qu’un chiffre fondé sur des éléments techniques. Aussi aléatoire soit ce chiffre… » Étrange arithmétique personnelle, souvent irrationnelle, du risque individuel face à la maladie. Comme s’il était toujours possible d’échapper aux cohortes de fumeurs dont on sait pourtant à coup sûr qu’ils tomberont malades, mais pas à ce tout petit pourcentage qui nous distingue génétiquement, face à tel ou tel mal, de notre voisin. Comme si, au fond, comme l’avait prophétisé le généticien François Jacob, nous préférions en remettre à nos gènes et leur demander ce que nous réclamions autrefois aux dieux : lire notre destin à l’avance. La médecine prédictive en est à son genèse. Et a, on peut le prophétiser, de beaux jours devant elle

 

SAVOIR OU PAS ?

Une mutation du gène ApoE peut signer une prédisposition à la maladie d’Alzheimer quinze fois supérieure à la moyenne. Sachant que la maladie ne bénéficie pour le moment d’aucun traitement, une équipe de l’université de Boston a testé 162 individus et a révélé 53 d’entre eux, avec toutes les précautions possibles, qu’ils étaient porteurs de la mutation. Au lieu des réactions de paniques attendues, les malchanceux, suivis régulièrement par des thérapeutes, ont pour l’essentiel fait face à la mauvaise nouvelle et ont changé de mode de vie.

 

 

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CHER WATSON

Le Nobel James Watson, découvreur de l’AND, est le premier individu à avoir fait séquencer intégralement son génome avec un séquenceur haut débit nouvelle génération. Les résultats furent publiés en 2008 dans la revue « Nature ». tout son génome… sauf le gène prédisposant à la maladie d’Alzheimer, verdict qu’il refusait de connaître.

AU BERCEAU

Le séquençage du génome à la naissance peut-il changer notre destin ? Pour répondre à cette question, les États-Unis viennent d’établir un programme massif de séquençage intégral de nouveau-nés. 25 millions de dollars ont été trouvés, et quatre programmes de recherche menés sur cinq ans sont désormais lancés. Le recrutement des futurs bébés et de leurs familles devrait commencer en 2004.

 

 

 

 

VERS UNE MÉDECINE PERSONNALISÉE

L’individu réagit aux traitements en fonction, entre autres, de son profil génétique, et certains médicaments sont d’ores et déjà prescrits et/ou dosés après que le patient eut été soumis à des tests génétiques. La première conséquence des progrès de la génomique est donc de nous projeter vers une médecine « sur mesure » plus efficace.  Le séquençage du génome a aussi des applications dans le traitement du cancer. Car un cancer résulte presque toujours d’altérations de l’ADN. Or le séquençage des tumeurs révèle que les mutations de gènes sont multiples, complexes et surtout propres à chaque patient. Connaître entièrement l’ADN d’une tumeur permet donc d’adapter précisément le traitement à chaque malade.Une révolution.

 

 

 

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Olivier Caron,

responsable de

la consultation

d’oncogénétique

de l’Institut

Gustave-Roussy.

 

Olivier Caron : « chiffrer le risque »

 

ADN. L’oncogénéticien s’attaque à l’hérédité de certains cancers.

 

Le Point : Quelle est la part de cancers dus à une mutation génétique héréditaire ?

Olivier Caron : Pour le moment, de 5 à 10 %. Mais je préfère parler d’anomalie que de mutation. Nous avons tous globalement les mêmes gènes, avec des variations individuelles. Certaines sont sans conséquences ; d’autres, en revanche, impliquent que le gène ne joue pas le rôle qu’il est censé de jouer et que la probabilité de développer tel ou tel cancer augmente de façon importante. Sont concernées certaines formes familiales de cancers de sein, des ovaires, du colon, de la thyroïde ou des glandes surrénales. Mais l’oncogénétique est une discipline très jeune, il reste beaucoup de choses à découvrir. Par exemple, préciser la probabilité pour chaque individu. Et trouver d’autres gènes responsables dans ces cancers-là, et peut-être dans d’autres tumeurs.

À qui s’adresse votre consultation ?

On ne teste pas les individus à l’aveugle. Les deux critères évoquant une anomalie génétique sont le nombre de cancers dans une même famille et l’âge précoce de survenue de ce cancer. Une fois le gène isolé chez celui que l’on appelle le cas « index », c’est-à-dire la personne malade ou qui a été malade, on propose aux membres de sa famille de se faire tester, mais c’est évidemment leur stricte liberté de refuser. On informe les enfants et les frères et sœurs qu’ils ont un risque sur deux d’être porteurs du gène et, s’ils se font tester, nous sommes capables de chiffrer leur risque de développer le cancer. Mais ce sont des moyennes statistiques qu’on ne donne que si la personne les demande, toujours en les commentant.

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Vous leur faites donc une forme de prédiction.

Même si c’est un peu jouer sur des mots, je réfute ce terme de prédiction. On ne peut accepter de faire de tests de ce type que si l’on a une prise sur le risque. Ce n’est pas une fin en soi de savoir si l’on est porteur ou pas de la prédisposition familiale ; ce qui compte, c’est ce que cela va changer à la prise en charge de l’individu : surveillance accrue et, dans certains cas, chirurgie préventive.

Comment procédez-vous pour déceler l’anomalie ?

On extrait l’ADN à partir d’une prise de sang. Mais on n’explore pas tout. Il faut se présenter le patrimoine génétique comme une bibliothèque qui comporterait de 25 000 à 30 000 volumes. Lorsque l’on sait quels gènes chercher, par exemple les gènes BRCA1 et 2 impliqués dans le cancer du sein et des ovaires, on se contente de passer au crible deux de ces volumes, et l’on y cherche ce que l’on pourrait comparer à une faute de frappe par rapport au texte d’origine. Une seule lettre différente peut suffire à faire augmenter les probabilités de cancer, mais ce peut être un chapitre entier qui a disparu. L’analogie avec un texte est assez réaliste, car ce sont bien des lettres que nous lisons, les fameuses lettres ATGC.

Et, avec le séquençage du génome, on sait désormais lire la bibliothèque entière !

Oui, nous assistons à une explosion technologique, les outils de séquençage sont devenus extrêmement performants. Au point qu’un séquençage intégral peut aujourd’hui aller plus vite que l’exploration d’un gène ciblé. Cela ouvre un champ d’exploration fascinant et qui donne le vertige. Mais attention, on sait lire toute la bibliothèque, on sait y déceler les dizaines de milliers de fautes de frappe, mais c’est une information brute que nous sommes encore loin de savoir interpréter. En tant que médecin, je n’ai pas envie, du moins à ce stade, d’amener les patients vers le séquençage intégral. Mais, du côté de la recherche, ces nouvelles technologies nous offrent des outils d’une performance sans précédent…

PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLAINE DE MONTCLOS

 

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Arnold Munnich, responsable du département de génétique de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris.

 

Arnold Munnich : « La médecine, ce n’est pas le tiercé »

 

Mise au point.

Le généticien met en garde contre les dérives de la médecine prédictive.

Le Point : Vous êtes un des pionniers français du conseil génétique. Un million de personnes dans le monde ont fait établir une cartographie génétique. La banalisation est en marche. Qu’en pensez-vous ?

Arnold Munnich : Cela me gène. J’ai le souci des patients. En tant que médecin, je suis inquiet. Aujourd’hui, on ânonne le génome. Nous savons en partie le lire, mais nous le comprenons pas. Nous sommes devant une masse de signes et nous nous demandons ce que c’est. Il y a un certain nombre de choses que nous savons identifier : la normalité. Mais imputer en toute rigueur l’anomalie d’un gène ou d’une séquence génétique est difficile. C’est cela qui m’inquiète, aller dire des choses aux gens qui ne sont pas vérifiées. Cette plaisanterie a assez duré.

Le Comité national d’éthique a donné son feu vert pour que la trisomie 21 soit dépistée par séquençage, une simple prise de sang chez la femme enceinte permettant de connaître le génome du bébé qu’elle porte. Êtes-vous d’accord ?

C’est un projet de recherche pour évaluer une pratique qui n’est pas encore en place.
Tout le monde a droit de chercher. Ça se fait d’ailleurs à l’hôpital Necker dans ce cadre, avec des professionnels de très grande qualité. J’ai toute confiance. Nous verrons l’issue de cette recherche. Quels seront les rapports entre les avantages et les inconvénients, ou le coût et l’efficacité, de cette voie en regard du dépistage mis en œuvre aujourd’hui ? Nul le sait. Tout ce qui est techniquement possible n’est pas économiquement faisable ni éthiquement supportable. Si nous nous tenons au seul dépistage de la trisomie 21 et pas à d’autres maladies, et si c’est fait dans de parfaites conditions médicales, d’explications aux personnes, je pense que nous sommes simplement dans l’optimisation d’une procédure qui existe déjà aujourd’hui, qui est acceptée et qui peut avoir des ratés.

Quelles sont, selon vous, les promesses de la médecine prédictive ?

Je n’en vois pratiquement pas. C’est peut-être mon ignorance. Comme nos compatriotes ne supportent pas le doute, l’incertitude, je cerne bien qu’il existe un terrain très favorable à un gigantesque marché lucratif pour des gens peu scrupuleux. Ce qu’on peut dépister, ou qui pourrait l’être, n’est pas forcément assorti de mesures préventives ou thérapeutiques. Dans ces conditions, ce n’est pas une médecine prédictive, mais une médecine malédictive. Quand on examine en détail ce qui est proposé, deux éléments de réserve scientifiques apparaissent clairement. Les résultats valent en population, mais pas pour un individu. Et ils sont exprimés comme la cote des chevaux, en termes de chance – non pas de gagner, mais de perdre. Or la médecine, ce n’est ni la loterie ni le tiercé.

Néanmoins, nous ne pouvons pas condamner la médecine prédictive. Elle va peut-être nous permettre de sélectionner des médicaments plus efficaces et mieux supportés pour chaque patient en fonction de sa constitution génétique. Peut-être existera-t-il à l’avenir une belle science de pharmacogénétique ? Mais nous n’y sommes pas, nous en sommes même encore très loin. La médecine prédictive est intéressante, mais elle doit être considérée avec la plus grande prudence au niveau individuel.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un voulant acheter à une société étrangère une prestation pour faire cartographier son génome ?

Franchement, cela frise l’abus de confiance. Je vais vous raconter une histoire. J’ai un collègue, un généticien américain, qui me dit un jour qu’il a fait tester son génome. D’après les résultats, il aurait dû être mort. Vous voyez le sérieux. Je suis là pour protéger les patients. Ce qui est proposé aujourd’hui les expose à davantage de souffrances.

Mais la ligne rouge n’est-elle pas déjà dépassée ?

Non. Bien sûr, les Français consultent Internet et, s’ils font tester leur génome par cette voie, ils vont recevoir un listing incompréhensible. Mais ils sont intelligents et ils disposent d’une bonne médecine. À nous de prendre le temps de leur expliquer. L’opinion a besoin d’être éclairée. Dans notre pays comme dans d’autres, il existe des garde-fous. Nous ne sommes pas aux États-Unis ni aux Pays-Bas. Ce n’est pas le côté lucratif qui doit guider la prescription d’un test, un bon médecin est celui qui prescrit le juste test

PROPOS RECUEILIS PAR JÉRÔME VINCENT

 

Ce qui est autorisé,

ce qui est interdit

 

La législation est assez stricte en France depuis l’adoption des lois bioéthiques en 1994, qui ont été révisées en 2011. Les tests génétiques sont autorisés et peuvent être effectués uniquement dans une visée médicale, judiciaire ou dans le cadre d’une recherche scientifique, et ils sont nécessairement prescrits par un médecin. La réalisation des tests est également strictement encadrée. Au préalable, il est impératif d’informer largement la personne sur les avantages, les risques,
les conséquences, bref les tenants et les aboutissement du test, et de recueillir son consentement éclairé. En outre, les laboratoires doivent posséder une autorisation et les praticiens validant les résultats doivent avoir obtenu un agrément.

L’utilisation des tests génétiques dans le domaine des assurances est exclue.
Les assureurs ne peuvent faire payer une surprime en fonction de résultats génétiques. Inversement, nul ne peut se prévaloir d’un profil peu risqué pour bénéficier de primes moins élevées.

Il n’a été prévu aucune mesure d’encadrement (interdiction, limitation, régulation) des tests sur Internet, étant donné la facilité avec laquelle il est possible d’en obtenir un… J.V.

 

 


 

 

Mathilde Reynaudi, chargée de mission au Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Auteur d’un rapport en 2012.

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Mathilde Reynaudi : « Une révolution dans les soins »

 

Le Point : Quelle est la réalité de la médecine prédictive à ce jour ?

Mathilde Reynaudi* : Les progrès vont vite. Le séquençage du génome humain, terminé en 2003, a coûté 3 milliards de dollars. Il y a un an, un test très simple, accessible à tous par Internet – on l’achète, on envoie son prélèvement de salive par la poste et on reçoit un profil de risques – valait 200 dollars. Il coûte aujourd’hui 99 dollars. Il y a déjà quelques applications concrètes de la médecine prédictive, mais elles sont très peu nombreuses en pratique quotidienne : le test des gènes prédisposant au cancer du sein héréditaire, le test du gène prédisposant à une réaction médicamenteuse mortelle chez certains malades du sida. Pour les maladies plurifactorielles (maladies cardiaques, neurologiques, diabète…) combinant plusieurs gènes et l’interaction avec l’environnement, beaucoup de scientifiques considèrent que la médecine prédictive restera du domaine de l’illusion.

Quel sera l’intérêt majeur de cette nouvelle médecine ?

Il y en aurait de multiples mais, s’il faut n’en sélectionner qu’un, disons que la façon dont on envisage le soin aujourd’hui dans notre pays serait révolutionnée. Nous sommes dans un système curatif, la médecine prédictive obligerait les patients, les médecins, la Sécurité sociale à s’orienter dans une démarche préventive.

Pourrait-elle être détournée de ses fins sanitaires ?

Peut-être. Aujourd’hui, nous adhérons au système de soins et de protection sociale parce que nous ne savons pas si nous allons vraiment tomber malade et devoir un jour aller à l’hôpital, donc nous cotisons solidairement. Si nous savons, le système de solidarité risque de ne plus tenir. La détermination de risque de santé pourrait aussi intéresser les employeurs, pour sélection à l’embauche ou pour gérer leurs ressources humaines. Mais ce ne sont que des hypothèses. Encore faut-il que les multiples incertitudes scientifiques soient levées et que le public adhère PROPOS RECUEILIS PAR JÉRÓME VINCENT

 

* Coauteur de « Médecine prédictive : les balbutiements d’un concept aux enjeux considérables », note d’analyse du CGSP, octobre 2012.

 

 

 

 

 

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Décryptage. Sergey Brin et Anne Wojcicki, créatrice de 23andMe, en avril.

 

 

 

Sergey Brin, futur tycoon de la génétique ?

 

Croisade.

Le cofondateur de Google investit en masse pour déjouer la maladie.

                                                                                                                                   

PAR GUILLAUME GRAILLET

 

F

aire reculer la mort. Jusqu’à la voir disparaître ? Il y a un mois, Google lançait une nouvelle société : Calico. Son nom est une contraction de California Life Company, mais c’est aussi le nom d’une ancienne vile-fantôme du désert des Mojaves, haut lieu des chercheurs de minerais à la fin du XIXe siècle, et qui revit aujourd’hui grâce à l’arrivée des nouveaux habitants. Calico s’attachera notamment à lutter contre
« la moindre mobilité et l’agilité intellectuelle qui diminue avec l’âge », à l’instar d’iPierian – spécialisée dans la lutte contre la maladie d’Alzheimer – une autre société dans laquelle Google Ventures a pris des participations.

Sergey Brin, le cofondateur de Google, a joué un rôle clé dans ces investissements.
Ce fils d’un mathématicien, né il y a quarante ans dans le Moscou soviétique de Brejnev, qui a rejoint les Etats-Unis à l’âge de 6 ans, est persuadé qu’il peut une nouvelle fois changer le cours de sa vie. Le déclic remonte à 2006 lorsqu’il avais appris qu’il avait une probabilité située entre 30 et 75 % de contracter un jour la maladie de Parkinson, dont souffre sa mère. Et ce grâce à l’analyse ADN conduite par 23andMe.com, le site que venait de lancer Anne Wojcicki, alors sa fiancée, une diplômée en biologie de l’université de Yale. « Depuis, il vit la présence du gène LRRK2 comme un bug dans son code personnel et est prêt à tout pour changer la donne », explique un proche. Cela passe par l’exercice intensif de la plongée ou par la pratique du vélo sur les chemins vallonnées de Santa Hill Road – « l’exercice peut faire baisser la proportion de risque de moitié », explique-t-il au journal Wired. Ou encore par l’investissement que fait Google dans la société 23andMe.com.

Car qui d’autre que Google peut s’affirmer dans la médecine prédictive ? La firme née en 1998 dispose à la fois de cash, mais surtout d’une capacité sans pareille de jongler avec les bases de données. C’est son analyse fine des renvois hypertextes entre les différents sites Internet qui nous pousse à l’utiliser chaque jour pour nos recherches en ligne.
Or décrypter son code génétique est devenu le dernier hobby à la mode chez les Américains : plus de 500 000 l’ont fait ces deux dernières années, en échange d’un chèque de 99 dollars. Résultat : ajoutées aux capteurs d’activité qui se multiplient, jamais des informations personnelles numérisées n’ont été disponibles en si grande quantité, ce qui permet de croiser itinéraires de vie et risques comme jamais auparavant. Du coup, tout deviendrait prévisible !

« Moonshot ». L’adepte de yoga qu’est Sergey Brin investit par ailleurs dans une foule de projets baptisés « Moonshot », c’est-à-dire censés changer la vie à long terme, comme les voitures sans conducteur qui devraient limiter les accidents, ou les Google Glass qui, utilisés par les chirurgiens en Espagne ou à Chennai, en Inde, permettent d’améliorer considérablement le déroulement d’une opération. L’entrepreneur a par ailleurs récemment investi dans un projet visant à créer des steaks en laboratoire. S’ils le pouvaient,
les bovidés applaudiraient des deux mains !

Croiser l’électronique et la biologie peut donner naissance à des progrès fantastiques. IBM l’a bien compris en mettant son super calculateur Watson à la disposition de chercheurs du monde entier, tout comme le cocréateur de Microsoft Paul Allen a investi un demi-milliard de dollars dans la recherche sur le cerveau. Il y a huit mois, pour montrer sa détermination , Sergey Brin a participé au recrutement de Ray Kurzweil, qui travaillera sur les interactions homme-machine, dans le langage notamment. Avec le croisement de la neuroscience et de prothèses reproduites grâce à l’impression 3D, ce dernier – âgé de
65 ans – est persuadé que, d’ici à dix ans, un être humain aura les capacités de vivre jusqu’à 600 ans. Pas encore KO la mort, donc, mais sérieusement bousculée