Sections du site en Octobre 2009 :  Ajouts successifs d’articles -- Sujets d’articles à traiter – Pour publier --  Post-Polio -- L'aide à domicile -- Internet et Handicap -- Informatique jusqu’à 100 ans – Etre en lien -- L’animal de compagnie --  Histoires de vie  --  Donner sens à sa vie – A 85 ans aller de l’avant -- Tous chercheurs -- Liens –Le  webmestre.

RETOUR A LA PAGE D’ACCUEIL : CLIC   AUTEURS, TITRES DE TOUS ARTICLES : CLIC    SYNTHESE GENERALE: CLIC

……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

Juillet  2014

 

         UN  NOUVEAU  REGARD  SUR LES MALADIES MENTALES

 

                                        Katia VILARASAU

 

                                      Valeurs mutualistes  mai-juin 2014

 

OÙ SE TROUVE LA FRONTIÈRE ENTRE LA TRISTESSE ET LA DÉPRESSION, LA TIMIDITÉ ET UNE ANXIÉTÉ GÉNÉRALISÉE ? LES PATHOLOGIES MENTALES SONT-ELLES EN AUGMENTATION OU EST-CE NOTRE CONCEPTION DE LA « NORMALITÉ » QUI A CHANGÉ ?

                               Dossier réalisé par Katia Vilarasau

 

         Assistons-nous à une épidémie de troubles de la bipolarité ? Les enfants sont-ils réellement de plus en plus touchés par l'hyperactivité ? Pour le Pr Bruno Falissard, psychiatre et épidémiologiste à l'Inserm, si les manifestations  des plaintes changent, le paysage de la santé mentale a peu évolué dans son ensemble depuis une vingtaine d'années. « L' incidence de la schizophrénie a tendance à diminuer un peu, du fait, sans doute, d'une plus grande surveillance des grossesses et d'une meilleure protection contre les virus due à la vaccination. L'anorexie mentale est en légère hausse  selon les données épidémiologiques, mais sans que ce syndrome explose comme on peut l'entendre. »

 

 Les vraies modifications tiennent plutôt à la définition des maladies et à la façon de les conceptualiser. Ainsi, note le chercheur, si l'autisme a considérablement augmenté, c'est en partie dû au fait que son concept a été élargi à d'autres manifestations, rattachées aux « troubles du spectre autistique ». Longtemps considéré à tort comme un trouble de la relation affective, l'autisme est aujourd'hui reconnu comme un handicap neuro-développemental, grâce aux progrès des neurosciences. Tandis que le trouble bipolaire est aujourd'hui mieux diagnostiqué, après avoir été longtemps sous-évalué. Autre avancée, la perception sociale de ces maladies a changé : « Elles sont devenues moins taboues. » Même si la plupart restent difficiles à quantifier.

 

                   Les maladies mentales sont mieux acceptées .

 

Les failles des outils de mesure

 

 « Les maladies mentales se classeraient au troisième rang des pathologies les plus fréquentes en France, mais il n'existe pas d'études qui le corroborent précisément », note de son côté le Dr Rachid Bennegadi, psychiatre anthropologue au Centre Françoise Minkowska* à Paris. En cause le défaut de fiabilité des instruments  qui mesurent leur fréquence. « Les enquêtes par téléphone , utilisées couramment en épidémiologie, ne sont pas satisfaisantes pour définir les besoins de soins, souligne Bruno Falissard. Elles devraient comporter un volet clinique permettant de déterminer l'impact de la maladie sur la vie du sujet. Mais ce type d'études coûte très cher, et en fonction des seuils utilisés, les prévalences peuvent varier du simple au double.»

 

Le diktat de la performance

 

 En effet, qu'est-ce qui est pathologique et qu'est-ce qui ne l'est pas ? Les maladies mentales ne manquent pas de nous interroger sur notre société, qui nous demande d'être toujours plus performants et adaptables. «On estime, même s'il n'existe pas pour l'instant d'enquêtes épidémiologiques pour le valider, qu'il y a une augmentation importante des troubles psychiatriques chez les enfants et les adolescents, avec une problématique de suicides de plus en plus forte chez les jeunes, souligne Rachid Bennegadi. Chez les adolescents , beaucoup d'équivalents d'états dépressifs peuvent aussi être cachés par des problèmes d'addictions.» Le psychiatre constate également une augmentation des troubles liés à la précarité et à l'exclusion. « Beaucoup de personnes laissées pour compte peuvent développer une souffrance psychique dans un premier temps, des désordres psychologiques ensuite, puis éventuellement des troubles psychiatriques.»

 

         " Les maladies mentales ne manquent pas de nous interroger sur  notre société qui exige toujours plus de performance et d'adaptation "

 

Une société hypernormée ?

 

Parfois encore, la souffrance est anticipée. Ainsi, si les données épidémiologiques ne révèlent pas d'augmentation majeure de la prévalence  de l'hyperactivité en France, Bruno Falissard constate néanmoins une hausse des consultations la concernant. Effondrement de l'autorité dans la famille et à l'école, exigence accrue des performances aboutissent à des situations limites. « Nous voyons arriver des demandes de prescription pour des enfants présentant des déficits attentionnels sans souffrance manifeste, mais dont les résultats scolaires pourraient être améliorés grâce aux traitements contre l' hyperactivité , déplore le chercheur. Mais ces enfants sont-ils vraiment des patients au sens où ils ont besoin d'un traitement ? »

Est aussi pointée la pression des laboratoires pharmaceutiques, qui se serviraient des outils de classification des maladies mentales, comme le DSM

( Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ) comme cheval de Troie pour surmédicaliser le quotidien. « On a reproché au DSM de classer des comportements habituellement considérés comme réactionnels ( tristesse, colère, sautes d'humeur …, avec le risque de stigmatiser  les patients, explique Rachid Bennegadi. Mais s'il est vrai que les firmes pharmaceutiques incitent les médecins à prescrire leurs traitements, il y a peu de risques qu'en France ou à l'étranger, un patient non schizophrène soit diagnostiqué comme tel pour écouler des médicaments. Là où le bât blesse, c'est que l'industrie pharmaceutique est parfois présente dans les milieux universitaires et de recherches sans s'être clairement déclarée.»

 

Pensée unique

 

 Un avis partagé par Bruno Falissard pour lequel ce risque de surdiagnostic existe peu en France, à la différence d'autres pays où les traitements sont remboursés seulement si le trouble est inscrit dans le DSM.

« Le vrai problème dans notre pays est plutôt que les psychothérapies, qui sont très efficaces, ne sont pas prises en charge en libéral, alors qu'il nous est reproché de prescrire trop de médicaments », déplore l'épidémiologiste, qui pointe un autre risque concernant l'usage du DSM américain comme unique système de classification enseigné aux futurs médecins. « Il serait bien de montrer aux étudiants d'autres classifications qui n'expriment pas la même chose, et qui permettent de nous interroger sur ces outils. Avec une seule classification, les médecins peuvent penser que les maladies sont vraies, alors qu'elles ne sont que des constructions dont les contours changent sans arrêt.»

 

Le poids des mots

 

 « J'avais 31 ans lorsque le diagnostic m'est tombé sur la tête. À l'époque, la maladie était nommée « psychose maniaco-dépressive », ce qui n'a pas du tout la même résonance que le terme actuel de « trouble bipolaire ». Le mot «psychose» m'a semblé effrayant, lourd d'implications, stigmatisant. Il m'empêchait de m'approprier cette maladie. Je me suis dit « Je suis foutue ». Depuis qu'il a changé de nom, ce trouble me paraît davantage admis socialement : les malades sont considérés comme faisant partir intégrante de la société et capables de vivre normalement. Le fait de pouvoir en parler est important même s'il existe un risque de galvaudage, de banalisation ,et donc de véhiculer des idées fausses. D'où l'importance de ne pas employer le terme   « bipolaire » à tort et à travers. Il ne s'agit pas d'un simple état d'exaltation qui pourrait distinguer des êtres de manière positive. Cela reste une maladie, qui rend la vie compliquée.»

Marie Alvery, auteure, avec Hélène Gabert, de « J'ai choisi la vie »,Payot.

 

  EN  CHIFFRES

 

La probabilité de développer une dépression au cours de l'existence s'élève à 10% chez les hommes et 20% chez les femmes.

 

Le trouble bipolaire concernerait 1 à 2% de la population française.

 

Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) touchent environ 2% de la population.

 

La schizophrénie est la plus répandue des psychoses chez l'adulte. Sa prévalence se situe entre 0,5 et 2% de la population selon les pays. En France,  400 000 malades environ sont concernés.

 

Selon l'OMS, une personne sur quatre aura besoin de soins de santé mentale à un moment ou à un autre de sa vie. Entre 76 et 85% des personnes atteintes de troubles mentaux graves ne reçoivent aucun traitement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, contre 35 à 50% dans les pays à revenu élevé.

 

« Des outils, et non des dogmes »

 

Sujettes à polémique, les classifications des maladies mentales ont-elles une utilité ?

Réponses du Dr Rachid Bennegadi, psychiatre anthropologue au Centre Françoise Minkowska ( Paris )

 

Quel est l'intérêt d'établir des classifications des maladies mentales ?

 

Avec la mondialisation qui nous met en situation d'échanger tous les jours avec des confrères et des chercheurs de tous pays , et de confronter nos pratiques, est apparue le nécessité d'identifier les pathologies autrement qu'à travers le prisme de la société dans laquelle on vit. Mais, s'il n'est pas très difficile de croiser les différents symptômes pour établir un diagnostic de schizophrénie, plus on s'éloigne de la pathologie psychiatrique lourde, plus les critères pour caractériser les maladies peuvent devenir flous. Cette catégorisation des pathologies est donc nécessaire pour parler de la même chose partout dans le monde.

 

Ne proposent-elles pas un cadre trop rigide ?

 

Les classifications, comme le DSM et la CIM établie par l'OMS, sont des outils intéressants pour établir des politiques de santé publique et mener des études épidémiologiques, et non des dogmes. Il ne s'agit pas de ranger les patients dans des classifications ! En France, les praticiens travaillent en majorité avec  la CIM-10, qui reprend en grande partie les éléments du DSM, avec toutefois des contextes plus ouverts.

 

Les principales classifications

 

La CIM : Classification internationale des maladies. Sa 6ème version, publiée en 1949, est le premier manuel contenant une classification des troubles mentaux.

 

Le DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Publié le 18 mars 2013, la 5ème version ( DSM5 ) en vigueur à ce jour, remplace la 4ème édition qui date de 1993. Apparu en 1952 aux États-Unis, il a été profondément remanié en 1980 pour aboutir à un modèle exclusivement syndromique des maladies mentales.

 

La Classification Française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent (CFTMEA ), qui s'inspire des théories psychanalytiques, est essentiellement utilisée en clinique.

 

Le PDM ( Psychodynamic Diagnostic Manual ), issu de la collaboration de plusieurs associations psychanalytiques, reprend les troubles du DSM.

 

Ces classifications sont-elles amenées à évoluer ?

 

Il existe actuellement un débat dans le monde entier entre anthropologues, sociologues et le le monde psychiatrique concernant l'introduction dans la nouvelle version de la CIM qui paraîtra en 2017, d'éléments contextuels, tels les déterminants sociaux et culturels, dans l'approche diagnostique.

Ce nouveau concept de « santé mentale globale » ( global mental health » ) , assez déboussolant pour les psychiatres, n'est pas négatif : il les incite à prendre en compte plusieurs approches, à dépasser les traditionnels affrontements  entre les tenants de l'approche neuropsychiatrique et ceux de l'approche psychanalytique, et à s'interroger sur leurs pratiques, pour le bien des patients.

 

Des  parcours  thérapeutiques  chaotiques

 

Difficile à diagnostiquer, la maladie mentale nécessite une prise en charge pluridisciplinaire, compliquée pour le patient.

 

Il arrive souvent que les personnes bipolaires soient diagnostiquées après de longues années, et des hospitalisations à répétition. Un parcours du combattant qui tient à la difficulté de déceler cette maladie, à la frontière du visible et de l'invisible. D'autant plus que loin d'être une explosion soudaine, la crise maniaque peut évoluer sur une période de plusieurs semaines. Si cette pathologie semble aujourd'hui mieux connue et détectée par le corps médical, la difficulté à poser un diagnostic se révèle accrue en santé mentale. En cause, le manque de formation et de temps des médecins généralistes, qui constituent pourtant la première porte d'entrée du système de soins. D'où par exemple, les difficultés à faire la différence entre une période transitoire de mal-être et un épisode dépressif majeur, à l'origine de dysfonctionnement dans la prescription d'antidépresseurs … Résultat, bien que la dépression touche près de trois millions de personnes en France, 40% d'entre elles ne seraient pas soignées, selon un rapport sur la surveillance et la promotion du bon usage du médicament en France remis en 2013 au ministère de la Santé.

 

Pauvreté  des  moyens

 

 « Avec toujours moins de moyens alloués et de personnes qui s'impliquent dans la psychiatrie, la santé mentale est encore le parent pauvre de la santé publique, observe Rachid Bennegadi psychiatre anthropologue au centre Françoise Minkowska de Paris. Celle-ci doit s'organiser pour garantir l'accès aux soins à toute personne en situation de détresse psychologique ou sociale. En corollaire, il est indispensable d'évaluer les pratiques professionnelles pour optimiser la formation des professionnels de la santé mentale et permettre la généralisation des bonnes pratiques, afin de proposer une offre de soins adaptée à chaque problématique. »

 

 

Une  vision du  patient  trop  fragmentée

 

Autre écueil, le défaut de communication entre praticiens, au détriment d'une approche globale du patient pourtant primordiale dans la prise en charge des pathologies. Différents plans d'actions sont nécessaires pour soigner cette maladie qui ne se guérit pas mais qui peut se stabiliser. La thérapie médicamenteuse, indispensable, mais qui ne suffit pas, la psychothérapie, les thérapies comportementales et cognitives, précieuses pour éviter les rechutes, la psycho-éducation qui permet au patient de connaître sa maladie, d'en repérer les symptômes pour essayer de parer la rechute et de mieux vivre au quotidien. Autant de traitements « vitaux »  et « un gage d'avenir » pour Hélène Gabert, diagnostiquée bipolaire à 31 ans et qui a choisi de témoigner pour exprimer sa « souffrance face à l'ignorance et à la méconnaissance de son entourage » *. Et par là même, démystifier l'image de personne atteinte de ce trouble. « Parce que je ne suis pas réduite à une maladie et que ma vie n'est pas réduite à des crises.»

* auteure avec Marie Alvery,de «J'ai choisi la vie », Payot.

 

 LES  PRINCIPALES  MALADIES  MENTALES

 

Chez les adultes :

. la dépression, qui allie insomnie ou hypersomnie, manque d'énergie, isolement, idées suicidaires …;

. le trouble bipolaire, qui se caractérise par une alternance d'épisodes maniaques (exaltation de l'humeur et excitation psychique et motrice) et dépressifs ;

. les troubles anxieux, qui rassemblent l'anxiété généralisée, les troubles obsessionnels-compulsifs, les phobies ;

. les troubles psychotiques comme la schizophrénie, dont les symptômes peuvent toucher la pensée, les perceptions, le comportement social, la motricité ;

. les troubles de la personnalité paranoïaque, borderline, narcissique … qui peuvent affecter la cognition, l'affectivité, le fonctionnement relationnel et le contrôle des impulsions.

 

Chez les enfants :

.l'autisme, l'hyperactivité, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC ), les troubles anxieux, les problèmes de comportement alimentaire ( anorexie et boulimie ).