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Juillet 2013

 

MAINTENIR EN VIE ? « LAISSER PARTIR VINCENT EST MA DERNIERE PREUVE D’AMOUR »

Mme LAMBERT, son épouse

Le Monde du jeudi 30 mai 2013

 

« Laisser partir Vincent est ma dernière preuve d’amour »

Alors que le maintien en vie de Vincent Lambert est l’objet d’un conflit familial, son épouse témoigne.

Entretien Reims (Marne)

Envoyés spéciaux

                                                                                                                                   

Elle avait jusqu’à présent gardé le silence. L’épouse de Vincent Lambert a choisi de s’exprimer. Son mari, 37 ans, est dans un état « pauci-relationnel », un état végétatif chronique, depuis un accident de la route, en 2008.

Dans le cadre d’une procédure collégiale prévue par la loi Leonetti, l’équipe médicale du CHU de Reims, où il est hospitalisé, a décidé, le 10 avril, l’arrêt de son alimentation et la limitation de son hydratation. Elle avait constaté des comportements d’opposition lors des soins, faisant suspecter un refus de vivre. Hostiles à cette décision, ses parents et deux de ses frères et sœurs ont saisi le tribunal administratif, qui a ordonné, le 11 mai, la reprise de l’alimentation et de l’hydratation normales, au motif que ceux-ci n’avaient pas été consultés (Le Monde du 18 mai).

L’arrêt du traitement, Mme Lambert (qui ne souhaite pas voir son prénom apparaître) l’avait accepté « pour Vincent ». Les traits tirés, la jeune femme de 32 ans raconte avec dignité son
« cheminement » et la « violence » de la situation.

« On a entendu un seul point de vue, celui de la  mère qui veut la vie de  son fils. Mais quelle vie ? Au nom de quels principes ? »

 

Qu’avez-vous ressenti en apprenant la reprise du traitement de votre mari ?

C’était une violence inouïe. Le matin même, et depuis un mois, il n’était plus alimenté, et d’un coup il l’était de nouveau. C’était inouï, au regard du long cheminement psychologique autour de sa fin de vie que nous avions parcouru, et des souhaits qu’il avait exprimés antérieurement. Je n’avais jamais vu Vincent autant apaisé que pendant l’arrêt des soins.

J’ai appris la décision du tribunal en allant lui rendre visite, je ne m’y attendais pas. Je n’avais eu connaissance que la veille de la procédure lancée par mes beaux-parents.
La dernière fois que l’on s’était vraiment parlé, avec ma belle-mère, nous avions pourtant évoqué les funérailles de Vincent.

Quel est votre état d’esprit ?

La médiatisation m’est tombée dessus, et ce n’était pas mon choix. Vincent et moi étions des gens assez discrets. J’ai été outrée que notre histoire soit mise sur la place publique, qu’on révèle l’existence de notre enfant et qu’une photo de Vincent sur son lit d’hôpital soit diffusée, notamment à la télévision.

J’ai été également choquée d’entendre, ici ou là, des absurdités sur son état ou que c’est moi qui aurais obtenu cette décision du médecin. On a entendu un seul point de vue, celui de la mère qui veut sauver son fils. Mais quelle vie ? Au nom de quels principes ?

Quelle est la situation médicale de votre mari ?

Il a été dans le coma après son accident, et il n’a pas fait de véritable progrès depuis.
Au niveau médical, nous sommes allés jusqu’au bout pour faire avancer son état cognitif.
Il a été pris en charge en 2009 au centre d’éveil de Berck (Pas-de-Calais) pendant trois mois et demi. Aucun signe n’a été détecté. En 2011, il a été diagnostiqué en « état de conscience minimal plus » au centre de recherche sur le coma (Coma Science Group) de Liège, en Belgique, dans le service du professeur Laureys.
On nous a laissé entendre qu’il n’y aurait pas d’évolution possible.

Quel a été votre cheminement ?

Le premier jour, vous subissez de plein fouet. Votre mari est dans le coma, sous sédation. Vous vous dîtes que ce n’est pas vrai, qu’il va s’en remettre. Vous venez d’avoir un bébé ; alors, pour vous, il n’y a pas d’autre option, il va revenir à la maison. Et puis, quand la sédation a été levée, j’ai vu qu’il enroulait ses bras. Etant infirmière, j’ai tout de suite compris que c’était un signe de souffrance neurologique, et donc que c’était bien plus grave que ce que je croyais.

Je ne connaissais pas la loi Leonetti sur la fin de la vie. Je me suis dit qu’il n’y aurait désormais pour Vincent plus rien d’autre que de la souffrance, pendant des années, jusqu’à ce qu’il s’éteigne pour une raison ou pour une autre. Je savais que c’était une vie dont il n’aurait pas voulu. Nous sommes tous les deux infirmiers, nous en avons parlé.

En tant qu’épouse de Vincent, en tant que mère de son enfant, est-il possible de donner son accord aux médecins ?

Je n’ai pas donné un accord, j’ai accepté la décision médicale après avoir témoigné auprès des médecins de ce que je connaissais de Vincent. Je l’ai accepté parce que j’ai compris qu’il n’y aurait pas de retour de Vincent à la conscience. Sa souffrance est reconnue par tout le corps médical et par un professeur d’éthique. C’est aussi une souffrance pour moi de le voir partir. Mais, comparé à ce qu’il peut endurer, ça ne peut pas être mis dans la balance.
Le laisser partir est la dernière preuve d’amour que je pouvais lui apporter.

Approuvez-vous le fait que la décision revienne aux médecins, et pas à sa famille ?

Dans ce genre de situation, c’est important. C’est une sécurité d’un point de vue psychologique de ne pas avoir à porter le poids d’une telle décision. La culpabilité qui pourrait en découler est bien trop importante.

C’est aussi une sécurité quand il y a désaccord au sein de la famille et que cela devient une affaire récupérée à des fins idéologiques.

C’est-à-dire ?

Avant même la décision du tribunal, il y a eu des articles sur des sites Internet, d’abord Riposte catholique [site traditionaliste]. Même avec l’utilisation d’un pseudonyme, notre histoire était reconnaissable. J’ai reçu un courrier d’un membre de la Fraternité Saint-Pie-X, dont les parents de Vincent sont proches, qui me disait que je cautionnais « un processus de mort » et qui me demandait de « laisser vivre » mon mari.
On peut dire, pudiquement, que Vincent a souffert physiquement et moralement de cette Fraternité. Il l’avait reniée. C’est donc d’autant plus nauséabond que son histoire soit aujourd’hui récupérée par ces gens. Mon époux n’avait pas les mêmes opinions que ses parents, notamment sur la question de la fin de vie.

Estimez-vous que votre avis doit davantage compter que le leur ?

Je considère que, en tant qu’épouse, j’ai une véritable légitimité. Que le tribunal ait pris une décision sans m’entendre, du fait de la procédure engagée,  cela m’a choquée, car seule une partie s’est exprimée. J’ai été évincée comme si je ne faisais pas partie de la famille de mon mari. Or nous sommes mariés, nous avons un enfant. Je représente sa première famille, celle qu’il a créée, celle qu’il a choisie.

J’ai accompagné Vincent chaque jour pendant quatre ans et demi. J’étais là quand il refusait les soins. On ressent une grande souffrance à ces moments-là. Ses parents, eux, venaient le voir trois ou quatre fois par an. Quand on n’a pas la réalité en face, on peut peut-être davantage fantasmer sur un devenir qui n’est pas.

Vous avez dû témoigner au commissariat, à la suite d’un signalement au procureur pour interrompre l’arrêt des traitements. Comment l’avez-vous vécu ?

Les parents de Vincent n’ont peut-être pas mesuré la violence des termes et des actes qu’ils utilisaient. Une telle convocation, alors que vous accompagnez votre mari dans sa fin de vie dans l’amour et le respect, que vous êtes abattue, c’est très violent.

Comment voyez-vous la suite ?

J’aimerais que Vincent soit entendu et respecté dans ce qu’il était avant. Je continue de  penser que cette décision d’arrêt des traitements est la bonne. Six de ses huit frères et sœurs partagent cette position. Et à ceux qui voudraient croire ou insinueraient, comme je l’ai lu, que j’ai intérêt à ce que mon mari parte, je voudrais dire que, malgré son handicap, il est toujours resté mon mari, et que la douleur de le perdre sera toujours aussi grande.
Je ne le laisse pas partir pour moi, je le laisse partir pour lui. ■

 

                                                                                     Propos recueillis par François Béguin et Laetitia Clavreul

 

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Statu quo sur le lieu d’accueil et la procédure

 

Vincent Lambert restera hospitalisé à Reims. Ses parents avaient exprimé leur volonté que leur fils change de lieu d’accueil,alors que son épouse souhaitait qu’il reste dans le service qui le suit depuis des années. Les deux parties ont été entendues par le docteur Eric Kariger, chef de sxervice. C’est là qu’il restera.
Il y a ses repères, et plusieurs membres de sa famille peuvent facilement venir l’y voir. La réflexion sur l’arrêt des traitements pourrait reprendre après l’été. « Il faut laisser le temps à chacun de se reconstruire », explique le médecin, souhaitant qu’au sein de cette famille éclatée, le dialogue puisse reprendre.

 

Deux camps sur l’arrêt de l’alimentation artificielle

 

La loi Leonetti sur la fin de vie proscrit l’acharnement thérapeutique, et permet l’arrêt des traitements. L’alimentation et l’hydratation artificielles étant assimilées à un traitement, celles-ci peuvent donc être arrêtées. Pour éviter que le patient souffre, il peut lui être administré des sédatifs et sa bouche est régulièrement rafraîchie.
Le décès intervient au bout de quelques jours ou semaines. Cette procédure est jugée inhumaine par les deux camps qui s’opposent dans le vif débat sur la question de l’aide à mourir. D’un côté, les opposants estiment que l’alimentation est un soin de base dû à toute personne, pas un traitement. Ils dénoncent une interprétation « euthanasique » de la loi Leonetti. De l’autre, les partisans de l’euthanasie souhaiteraient que « cesse l’hypocrisie », et plaident pour l’autorisation de pratiquer un acte létal, qui permettrait une mort rapide.

 

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En 2005, l’affaire Schiavo a divisé l’Amérique

Dissension au sein de la famille, débat religieux et politique, arrêt puis reprise du traitement… Plusieurs aspects de l’histoire de Vincent Lambert rappellent celle de Terri Schiavo, dont le sort avait divisé l’Amérique en 2005. Cette femme de 41 ans, dans un coma végétatif depuis quinze ans, après un accident cérébral, était maintenue en vie par un cathéter d’alimentation dans un hôpital en Floride.

Les médecins avaient diagnostiqué que Terri Schiavo se trouvait dans « un état végétatif permanent ». Son mari, Michael, avait donc fini par se résoudre, en 1997, à l’idée qu’elle ne retrouverait jamais une vie normale. Affirmant que son épouse lui avait confié son souhait de ne pas être maintenue en vie artificiellement, Michael Schiavo avait décidé de mettre un terme à ses souffrances, contre l’avis de ses parents.
A deux reprises, en 2001 et 2003, le tube d’alimentation avait été retiré et réinstallé après des décisions de justice.

Loi votée dans l’urgence

Sous l’impulsion de la droite religieuse républicaine, le Congrès et le président George W.Bush s’étaient emparés de cette histoire pour en faire un symbole du débat sur la vie et pour défendre des convictions religieuses. Contredisant le droit constitutionnel des patients de refuser d’être maintenus en état de vie artificielle, une loi spécifique a été votée dans l’urgence pour permettre à l’affaire ne plus relever seulement des tribunaux de Floride mais aussi des juridictions fédérales.

Une démarche inutile : la justice fédérale avait refusé de se prononcer, tout comme la Cour suprême, à six reprises. Un juge a finalement ordonné, le 18 mars 2005, que le tube d’alimentation soit débranché, une troisième et dernière fois. ■

FR. B. ET L.CL.