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Olivier RAZEMON
Le Monde , rubrique SENIORS, vieillir
jeune, des dimanche 17 – lundi 18 avril 2005 –
« morbleu ! », aurait dit le vieil homme ; « putain ! »,
s’exclamera l’adolescent. Question d’âge. Question d’époque. Question aussi de
lien étymologique, le juron ne devant pas être confondu avec l’injure, qui vise
à blesser une personne précise, quand l’autre « est une exclamation de
colère ou de surprise, qui n’a pas de destinataire particulier », explique
le lexicographe Pierre Enckell.
Il est passé le temps où les anciens ne disaient pas de gros mots. Les seniors d’aujourd’hui ne cachent pas qu’ils emploient parfois un langage très vert. « Quand on se frappe le doigt d’un coup de marteau » assure Alain, 62 ans. « Contre un outil qui ne fonctionne pas », avoue Francis, 64 ans, en pensant à son ordinateur, qu’il lui arrive d’insulter. « Lorsque je fais tomber quelque chose », ajoute sa femme, Chantal, 65 ans.
Le juron est fondamentalement la transgression d’un interdit :
celui du VIe commandement du Décalogue. Sous l’Ancien Régime, les jurons
étaient blasphématoires. « Mon Dieu ! » était même interdit,
explique Pierre Enckell. « Puis, dès
Les
jurons blasphématoires, tels que « morbleu ! », « vingt
dieux » ou « sacré nom de Dieu » sont désormais tombés en
désuétude, ou ne sont plus utilisés que par de très vieilles personnes. Quant
aux enfants élevés dans les années 1940, pas question qu’ils jurent. Chantal se
souvient : « Avec ma jeune sœur, nous avions inventé une petite
phrase que nous répétions le soir, en cachette de nos parents. C’était « zut !
flûte !
berlute !
merde !
crotte !
brin ! ». C’était strictement interdit, mais nous
étions très satisfaites. Ensuite, nous nous endormions apaisées ».
Nombre
de seniors ne se souviennent pas d’avoir entendu leurs propres parents jurer.
« Ma mère disait « crotte ! » et
« zut » ! ». C’était le summum de la grossièreté et, quand cela arrivait, on sentait que les limites étaient
dépassées », raconte Jean, 61 ans. « Quand mon père se tapait sur le
doigt avec un marteau, on entendait : « bon d’la ! de bon d’la », ou alors « nom d’une petite pomme
en bois ! », se souvient pour sa part Marie-Hélène, 59 ans.
Pour
les adolescents d’alors, jurer, c’était transgresser. Jean se souvient.
« La première fois que j’ai dit « merde », j’avais 14 ans et
c’était le jour du BEPC. Je me suis soudain aperçu que j’avais oublié mon
compas. J’ai eu le sentiment de rompre un pacte avec moi-même, et cela m’a
totalement déconcentré. C’était une telle faute que je pensais ne jamais
l’avouer à personne ».
Certains
restent marqués par l’influence de la religion. « Quand j’entends un
« nom de Dieu » ! » sortir de la bouche de mon mari, alors
qu’il est croyant, je trouve que c’est vraiment dommage », admet
Marie-Hélène. Elle reconnaît pourtant une évolution de son propre
langage : « Merde était vraiment interdit quand j’étais petite, c’est
devenu pas beau quand j’étais adolescente, et c’est aujourd’hui tout à fait
courant, y compris pour moi ».
Les
quinquagénaires et les sexagénaires vivent avec leur temps. Ils ont pour la
plupart délaissé les « saperlipopette ! » et « nom d’un
chien ! » de leur enfance et se sont faits aux jurons les plus
communs, ceux que l’on entend dans la rue, au travail ou à la télévision. Un
autre événement, beaucoup plus récent, a marqué la truculence langagière des
sexagénaires. « C’est à partir de mai 1968, avec la parution de Charlie
Hebdo et, plus tard, les sketches de Coluche, que la parole s’est
libérée », indique le lexicographe. « Par exemple,
« foutre », qui était grossier, a perdu de sa force et est devenu un
synonyme de « faire », ajoute-t-il.
« Aujourd’hui, les plus populaires sont
merde ! putain ! et
bordel ! », assure, en spécialiste,
Pierre Enckel. Les seniors demeurent toutefois
réceptifs à l’origine de certains mots. « Je dis
« putain » ! », même si je sais le décalage entre ce mot et
la compassion que j’ai pour les personnes que l’on appelle ainsi »,
analyse Jean-Marie. Pour les plus jeunes, en revanche, « putain ! »
est devenu une exclamation banalisée, voire une ponctuation de la phrase, sans
lien avec la prostitution.
Les
femmes sexagénaires demeurent moins grossières que les hommes du même âge.
« Quand j’étais ado, les jeunes filles ne juraient pas. Aujourd’hui, elles
n’hésitent plus », remarque Francis. Certaines femmes ont d’ailleurs
conservé de leur enfance un goût pour les substituts, comme
« crotte », qui remplace volontiers « merde ». « Elles
disent « mince ! » ou « miel ! ». Ce ne sont pas
les hommes qui emploient ces mots », remarque Francis.
Parfois, la bonne éducation et l’âge interdisent à une femme de se montrer grossière. Pierre Enckell raconte : « Je connaissais une dame d’un certain âge qui ne pouvait se résoudre à jurer. Lorsqu’elle se mettait en colère, elle disait, très vite et très fort : « Bagnères-de-Bigorre ! » Cela ressemble à « bougre de bigre ! », mais n’a évidemment rien de grossier ».