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 «POUVOIR BIEN VIEILLIR AVEC UN HANDICAP », trimestriel GIPHV,  N°10.10. 2006                                Editeur  : Henri Charcosset, E-Mail : charcohe@club-internet.fr                                                                              Site web : http://bien.vieillir.club.fr/index.htm

 

 

LES  SEXAGENAIRES  JURENT  DESORMAIS  SANS  COMPLEXES

 

                                                             Olivier RAZEMON 

 

 Le Monde  , rubrique SENIORS, vieillir jeune, des dimanche 17 – lundi 18 avril 2005 –

 

« morbleu ! », aurait dit le vieil homme ; « putain ! », s’exclamera l’adolescent. Question d’âge. Question d’époque. Question aussi de lien étymologique, le juron ne devant pas être confondu avec l’injure, qui vise à blesser une personne précise, quand l’autre « est une exclamation de colère ou de surprise, qui n’a pas de destinataire particulier », explique le lexicographe Pierre Enckell.

         Il est passé le temps où les anciens ne disaient pas de gros mots. Les seniors d’aujourd’hui ne cachent pas qu’ils emploient parfois un langage très vert. « Quand on se frappe le doigt d’un coup de marteau » assure Alain, 62 ans. « Contre un outil qui ne fonctionne pas », avoue Francis, 64 ans, en pensant à son ordinateur, qu’il lui arrive d’insulter. « Lorsque je fais tomber quelque chose », ajoute sa femme, Chantal, 65 ans.

 

         Le juron est fondamentalement la transgression d’un interdit : celui du VIe commandement du Décalogue. Sous l’Ancien Régime, les jurons étaient blasphématoires. « Mon Dieu ! » était même interdit, explique Pierre Enckell. « Puis, dès la Révolution, et au cours du siècle qui a suivi, le tabou s’est effacé, et on est passés au registre scatologique ou sexuel ». Voyez Cambronne. Mais est-il l’auteur du « mot » qui l’a rendu célèbre ? Assurément, prétend Victor Hugo, qui a popularisé l’anecdote dans Les Misérables. Pourtant le mot « merde » existait déjà avant cette date », rappelle Pierre Enckell.

 

         Les jurons blasphématoires, tels que « morbleu ! », « vingt dieux » ou « sacré nom de Dieu » sont désormais tombés en désuétude, ou ne sont plus utilisés que par de très vieilles personnes. Quant aux enfants élevés dans les années 1940, pas question qu’ils jurent. Chantal se souvient : « Avec ma jeune sœur, nous avions inventé une petite phrase que nous répétions le soir, en cachette de nos parents. C’était « zut ! flûte ! berlute ! merde ! crotte ! brin ! ». C’était strictement interdit, mais nous étions très satisfaites. Ensuite, nous nous endormions apaisées ».

         Nombre de seniors ne se souviennent pas d’avoir entendu leurs propres parents jurer. « Ma mère disait « crotte ! » et « zut » ! ». C’était le summum de la grossièreté et, quand cela arrivait, on sentait que les limites étaient dépassées », raconte Jean, 61 ans. « Quand mon père se tapait sur le doigt avec un marteau, on entendait : « bon d’la ! de bon d’la », ou alors « nom d’une petite pomme en bois ! », se souvient pour sa part Marie-Hélène, 59 ans.

         Pour les adolescents d’alors, jurer, c’était transgresser. Jean se souvient. « La première fois que j’ai dit « merde », j’avais 14 ans et c’était le jour du BEPC. Je me suis soudain aperçu que j’avais oublié mon compas. J’ai eu le sentiment de rompre un pacte avec moi-même, et cela m’a totalement déconcentré. C’était une telle faute que je pensais ne jamais l’avouer à personne ».

 

Coluche  et  « Charlie  Hebdo »

 

         Certains restent marqués par l’influence de la religion. « Quand j’entends un « nom de Dieu » ! » sortir de la bouche de mon mari, alors qu’il est croyant, je trouve que c’est vraiment dommage », admet Marie-Hélène. Elle reconnaît pourtant une évolution de son propre langage : « Merde était vraiment interdit quand j’étais petite, c’est devenu pas beau quand j’étais adolescente, et c’est aujourd’hui tout à fait courant, y compris pour moi ».

         Les quinquagénaires et les sexagénaires vivent avec leur temps. Ils ont pour la plupart délaissé les « saperlipopette ! » et « nom d’un chien ! » de leur enfance et se sont faits aux jurons les plus communs, ceux que l’on entend dans la rue, au travail ou à la télévision. Un autre événement, beaucoup plus récent, a marqué la truculence langagière des sexagénaires. « C’est à partir de mai 1968, avec la parution de Charlie Hebdo et, plus tard, les sketches de Coluche, que la parole s’est libérée », indique le lexicographe. « Par exemple, « foutre », qui était grossier, a perdu de sa force et est devenu un synonyme de « faire », ajoute-t-il.

         « Aujourd’hui, les plus populaires sont merde ! putain ! et bordel ! », assure, en spécialiste, Pierre Enckel. Les seniors demeurent toutefois réceptifs à l’origine de certains mots. « Je dis « putain » ! », même si je sais le décalage entre ce mot et la compassion que j’ai pour les personnes que l’on appelle ainsi », analyse Jean-Marie. Pour les plus jeunes, en revanche, « putain ! » est devenu une exclamation banalisée, voire une ponctuation de la phrase, sans lien avec la prostitution.

         Les femmes sexagénaires demeurent moins grossières que les hommes du même âge. « Quand j’étais ado, les jeunes filles ne juraient pas. Aujourd’hui, elles n’hésitent plus », remarque Francis. Certaines femmes ont d’ailleurs conservé de leur enfance un goût pour les substituts, comme « crotte », qui remplace volontiers « merde ». « Elles disent « mince ! » ou « miel ! ». Ce ne sont pas les hommes qui emploient ces mots », remarque Francis.

         Parfois, la bonne éducation et l’âge interdisent à une femme de se montrer grossière. Pierre Enckell raconte : « Je connaissais une dame d’un certain âge qui ne pouvait se résoudre à jurer. Lorsqu’elle se mettait en colère, elle disait, très vite et très fort : « Bagnères-de-Bigorre ! » Cela ressemble à « bougre de bigre ! », mais n’a évidemment rien de grossier ».