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SEPTEMBRE 2008
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LE TEMPS DU
MOURIR (Marie de Hennezel) – TEMPS, PERSONNE ET SOCIETES (Joseph Maïla) – DE LA
VIE A LA MORT, DE LA MORT A LA VIE (Bertrand Vergely)
Article
fait d’extraits par Henri Charcosset, de l’ouvrage « Penser le temps pour lire la vieillesse », Claudie
Attias-Donfut, Boris Cyrulnik, Etienne Klein, Robert Misrahi, Fondation Essai,
PUF, 2006
LE TEMPS DU MOURIR
Vieillir c’est aussi se préparer à mourir. On tente
de l’oublier, car le déni de la mort est tenace…
Nous appellerons ici « temps du mourir »
ce temps où l’individu est conscient qu’il approche la mort…
Ce temps est évidemment variable. Il peut aller de quelques heures à quelques années. Etre conscient que l’on va mourir ne signifie pas pour autant que la mort est imminente. On le verra, nombre de personnes dans ce cas prolongent en quelque sorte ce « temps du mourir ». Le temps qui reste à vivre ne dépend pas uniquement de paramètres biologiques ou organiques. Il dépend en grande partie des échéances intimes de chacun. Nous nous plaçons donc ici dans la perspective d’un temps qui n’est pas prolongé par la médecine. Les traitements inutiles sont arrêtés. Cependant, la personne vit son mourir, parfois sur un temps médicalement inexplicable, car il est au service d’une dernière tâche, d’un dernier travail psychique, qui lui donne précisément son sens… On peut savoir que l’on va mourir et ne pas y croire tout à fait… temps paradoxal qui correspond, semble-t-il, à un savoir paradoxal. La réalité psychique ne connaît pas les limitations spatio-temporelles…
Le « temps du mourir », on le sait, est trop souvent perçu comme un temps qui n’a aucune valeur et aucun sens, un temps pénible, une attente stérile et douloureuse de la mort. Pourquoi ne pas l’abréger ? entend-on. La bonne mort n’est-elle pas aujourd’hui la mort brutale, rapide, si possible inconsciente, la plus discrète possible pour ne pas déranger ? Car elle dérange, c’est incontestable. Qui est prêt, aujourd’hui, à apprendre de ceux qui vont mourir ? Les rares personnes qui ont été témoins de ce « temps du mourir » et qui l’ont respecté disent pourtant combien il est potentiellement porteur de sens.
L’approche de la mort semble marquée ainsi par un
autre paradoxe : c’est au moment où la vie nous quitte que nous
pressentons le plus que nous sommes cette vie et non pas ce futur cadavre, ce
corps biologique qui part en morceaux et auquel nous nous sommes identifiés si
longtemps. C’est au moment où l’on accepte l’inévitable fin que se produit ce
mouvement paradoxal : une envie de
vivre, un regain d’énergie, une « appétence relationnelle » d’une
puissance qui parfois surprend.
Ce mouvement paradoxal – appelé d’ailleurs communément le « mieux de la fin » - correspondrait à ce que le psychanalyste Michel de M’Uzan qualifie de « travail de trépas », dernier travail, travail d’accouchement de soi, puisqu’il parle de « tentative de se mettre complètement au monde avant de disparaître ».
Travail d’accomplissement de soi, d’intériorisation, de transmission. Il s’agit de déposer quelque chose de soi chez l’autre, l’autre qui accompagne, l’autre qui va nous survivre… Il est intéressant de noter, en effet, ce regain de vitalité, cette expansion du désir, au moment où il faut précisément se détacher, s’arracher à soi-même… Pour se détacher, ne faut-il pas avoir vécu pleinement, avoir joui pleinement, consciemment, de la vie ?…
Ainsi, le plus souvent, ce sont les autres qui entravent le « travail du trépas », en refusant de reconnaître au temps qui reste une valeur aveugle en effet, car n’ayant pas appris à voir au-delà de l’image, au-delà des apparences… Les autres, qui ne peuvent ou ne savent pas aider la personne âgée à se percevoir comme sujet désirant, psychiquement intègre, capable de donner et de recevoir jusqu’au bout.
TEMPS,
PERSONNE ET SOCIETES
Joseph Maïla
Il est sans doute plus aisé de parler du temps social de la vieillesse que de sa temporalité propre. Le premier relève de l’organisation collective… La seconde, de l’intériorité psychique… La catégorisation des âges de la vie est l’apanage de toutes les sociétés. Non seulement elles distinguent les « classes d’âge » qu’elles repèrent, structurent, … , mais elles valorisent , chacune à sa manière, la « pyramide » des âges en fonction des valeurs qu’elles imputent aux différentes étapes de la vie. La frontière entre les sociétés dites modernes et celles plus traditionnelles tient à la polarisation statutaire de la vieillesse et à l’appréhension en termes de valeurs des positions et des rôles qui s’attachent à cette phase de la vie.
Dans les sociétés traditionnelles, la vieillesse est
maturité. Elle n’est pas tant l’achèvement
de la vie que la perfection de l’art de vivre. Les Anciens, dans les
cultures grecque et romaine, connotaient positivement le temps de la vieillesse
au point d’en faire un temps stylisé de la vie
personnelle : une manière de vivre et de montrer une façon de vivre. Temps
de vie, la vieillesse est par excellence la « vie montrée »… Dans les
figures de l’ « Ancien », de l’ «Aîné », du
« Vieux », le temps advenu, le temps montré définissent le sens d’une
temporalité désormais vécue pour les
autres après qu’elle a épuisé toutes les potentialités de la vie
individuelle et de la réalisation de soi… La vieillesse était la posture de
ceux qui n’avaient plus rien à démontrer et tout à montrer. Détachée de
l’agitation de vivre, la vieillesse est certes jouissance sereine. Non pas
exubérance mais vertu. La maturité est sérénité… La sérénité est le vivre
serein au milieu des autres et avec eux… Outre la marque que le Sage entendait
donner à sa vie comme trajectoire individuelle, sa stature sociale résultait
d’un savoir et d’une méditation à finalité et à portée plus larges… Les vieux
pouvaient transmettre car ils demeuraient au sein de la vie sociale les
passeurs privilégiés du relais social. Plus
qu’un âge, la vieillesse était une posture. Une médiation.
Le regard que nos sociétés portent aujourd’hui sur la vieillesse a changé. Il ne relève pas de la désaffection : nos sociétés honorent et entourent leurs vieux de tous les égards dus à ceux qui ont achevé un parcours de vie active, la vie professionnelle s’entend…
Nos sociétés ne sont pas sans rationalité. Elles ne sont pas pour autant sans cœur. Le problème qu’elles affrontent tient tout d’abord à ce décalage crucial, sans cesse creusé, entre une science et une technologie qui classent, répartissent et utilisent autant qu’elles classent et marginalisent. Le déclassement de la vieillesse est l’effet et l’impact de l’évolution. Le dilemme social de la vieillesse dans les sociétés contemporaines vient de l’accélération de la connaissance et de la technologie. Cette accélération rend le savoir et la déclinaison des compétences qui en découlent proprement intransmissibles par contiguïté ou mimétisme… Transmettre n’est plus le propre d’une classe d’âge mais celui d’une caste de compétences… Interprété symboliquement, le « départ à la retraite » ne découle pas seulement de la nécessité de faire place à de nouvelles générations en recherche d’emploi, il est sur un plan de civilisation le signe vécu du divorce entre le temps de la connaissance et le temps du travail…
Il reste qu’une société n’épuise pas ses finalités dans l’aménagement qu’elle fait du travail social… Réinventer une société de solidarité c’est repenser les liens de socialisation hors de la seule hégémonie du rendement. C’est par là même rendre leur place à tous les âges de la vie. Et rendre sa place au temps et à la personne.
DE LA VIE
A LA MORT, DE LA MORT A LA VIE
Bertrand Vergely
Il n’est guère facile de penser le temps. Spontanément, nous le pensons comme quelque chose d’évanescent et d’extérieur à nous… Le temps est intérieur et pas simplement extérieur… Il y a un temps de la vie derrière le temps de la mort. Ce temps se dévoile, quand on s’arrête en vivant de l’intérieur et pas simplement de l’extérieur.
Le temps a l’allure d’une fatalité. Dès qu’il s’agit de le penser, notre premier réflexe consiste à voir en lui l’image de la mort…
Une chose sont les réflexions intellectuelles que nous faisons, une autre l’expérience de la vie. Quand l’intellect dit que la « mort est la seule chose de certaine dans le monde, personne n’en étant jamais revenu », la vie dit le contraire. Personne ne vit en se faisant de la mort l’unique vérité… La vie, pour vivre, a besoin de se dire qu’elle va vivre. Elle se le dit en fabulant sur elle-même. Il n’est de vie que fabuleuse. C’est elle que l’on désire vivre. La vie se trouve dans la vie vivante de ceux qui sont engagés dans la vie…
Le temps n’est pas que mort. Il est aussi vie. Il est une chance et pas simplement un handicap. Il est beau d’avoir du temps. Et il n’est pas forcément mauvais que tout passe et change. La volonté de vie éclaire ce paradoxe. Toute vie veut la vie. Toute vie qui veut la vie cherche à durer… Elle révéle ainsi que l’éternité n’est pas le contraire du temps, mais ce qui le motive…
C’est parce que l’on réagit au temps au lieu de vivre que l’on envisage celui-ci sous l’angle de la mort. C’est parce que l’on voit le temps que l’on voudrait avoir et que l’on n’a pas, au lieu de voir le temps que l’on est, que celui-ci fait peur. L’homme qui vit le temps de l’extérieur sous l’angle de la mort est l’homme extérieur, l’«homme pressé » de l’avoir… Comme il ne peut pas tout avoir pour toujours, il se lamente. En se trompant sur l’existence. Ce n’est pas le temps qui véhicule la mort. C’est le désir de pouvoir qui introduit de la mort dans le temps. L’ingrat. Au lieu de bénir la vie pour ce qu’il a déjà eu, il la maudit en ne voyant que ce qu’il aurait voulu avoir et qu’il n’a pas eu. La vision du temps caduque se révèle être une réaction de consommateur frustré. Elle cache de l’aigreur… Remercions la vie d’être ce que nous sommes et d’avoir eu ce que nous avons eu, au lieu de maugréer à cause de ce que nous n’avons pas. On se met à s’arrêter et, comme on s’arrête, on voit un autre monde. Qui s’arrête voit ce que l’on ne voit pas, quand on ne fait que passer. Cette immobilité dévoile la vertigineuse mobilité de la vie.
Comme on ne prend pas le temps, on est pris par le temps. Quand on n’est pas le temps, on n’a plus le temps de rien… Nous n’accédons au temps que par la conscience. Il y a le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur et non simplement le passé, le présent et le futur. C’est sur fond de présence que le temps devient accessible…
Tout ce qui passe est unique et pas simplement mortel. Tout ce qui est unique est inoubliable… Chaque existence murmure quelque chose d’unique, du fait qu’elle vit et passe. Le temps dit aussi le contraire de ce qu’il a l’air de dire. Tout parle d’éternité derrière le temps qui passe. Et, quand on croit que tout finit, voilà que tout commence sur un plan inaperçu jusqu’alors. Le temps n’est donc pas la marque de la fatalité. La seule mort existante le concernant vient de ce que l’on n’est pas encore né à lui. Cela invite à voir les choses autrement. Notamment nos limites. Le temps de nos vies qui s’avance dessine peu à peu les traits de notre visage unique. Qui sait jusqu’où va cet unique ? Tout n’a donc pas encore été dit.
Note : Marie de Hennezel, Joseph Maïla, Bertrand Vergely ont, chacun de son côté, publié de nombreux ouvrages, faciles à identifier sur l’Internet.