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L’ARCHE : SOLIDAIRES FACE A LA DIFFERENCE

 http://www.arche-france.org /

 

Mikael CORRE

Le Monde des Religions, http://www.lemondedesreligions.fr /

 

 

 

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Un des foyers de la communauté d’Aigrefoin, près de Paris. Le partage et l’échange sont au cœur du projet de l’Arche.

 

L’Arche : solidaires face à la différence

mars-avril 2013 — Le Monde des Religions

 

Partager son quotidien avec des personnes handicapées mentales, échanger, tisser des liens avec elles, et leur permettre de retrouver une place dans la société. Cela fait bientôt 50 ans que l’Arche poursuit cette mission et invite des volontaires à vivre cette aventure humaine exceptionnelle.

 

Le but de l’Arche ? C’est le bien-être et la croissance des personnes avec un handicap mental. » Jean Vanier, fondateur de la première communauté de l’Arche en 1964 à Trosly-Breuil près de Compiègne (dans l’Oise), où il vit toujours aujourd’hui, parle de son œuvre avec des mots simples – tout docteur en philosophie qu’il soit. À la différence des communautés nouvelles qui fleurissent dans le catholicisme français (L’Emmanuel, les Foyers de charité, le Chemin neuf, etc.) l’Arche n’a pas été fondée sur le projet d’une nouvelle évangélisation. Le but est plus simple : vivre avec des personnes ayant un handicap mental.

 

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Une référence chrétienne très forte

« Chaque communauté est une communauté de foi », précise la charte de l’Arche. Différente d’une « communauté chrétienne » organisée autour d’une règle de vie fixe (celle de Saint Benoît par exemple), où les personnes prononcent des vœux de chasteté, d’obéissance ou encore de pauvreté). À l’Arche on ne joue pas aux moines et aux moniales, mais la référence chrétienne est très forte.

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Majoritairement catholiques, elles acceptent des personnes accompagnantes ou handicapées de toutes les religions. Certaines communautés se disent œcuméniques, une communauté près de Montpellier est même tenue par un père orthodoxe.

 

Une diversité qui n’exclut pas l’unité, au sein des Arches, et entre les différentes communautés de par le monde. Toutes se retrouvent autour d’un projet commun : vivre des « relations de réciprocité » avec des personnes ayant un handicap mental.

« Réciprocité », un terme qui revient inlassablement dans le discours de Jean Vanier, souvent accompagné des mots « échanges » ou « relation ». Ils forment la base des discours des membres de l’Arche.

 

Jean Vanier, fondateur de l’Arche, en 1964. l’association est aujourd’hui présente dans près de 40 pays.

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Une maison, un foyer

 

Ce projet de vie de communautaire est articulé autour d’une question anthropologique fondamentale : « Comment vivre ensemble ? » C’était par ailleurs le titre d’un séminaire que Roland Barthes tenait au Collège de France en 1977. Il y voyait l’alliance entre une question anthropologique fondamentale et une formidable utopie, qu’il analysait à travers la littérature. C’est aussi la question que pose l’ Arche depuis sa création : « Comment vivre ensemble, avec des personnes handicapées mentales ?»
À Aigtrefoin, on ne parle presque plus de « handicapé mental », mais de « personnes ayant un handicap mental » avec lesquelles des accompagnants non handicapés mentaux aux profils différents viennent vivre ou travailler : salariés ou bénévoles, externes ou personnes ayant fait le choix de vivre sur place dans la communauté ; on y rencontre quelques étudiantes allemandes qui effectuent une mission dans le cadre d’une VIE (Volontariat international en entreprise) ; un jeune ayant auparavant travaillé dans le marketing en Amérique du Sud et qui a fait le choix de devenir responsable d’un « foyer », c’est-à-dire d’une maison où vivent des personnes en  situation d’handicap et des accompagnants ; ou encore une mère de famille polonaise, diplômée en économie, qui reprend une formation pour devenir éducatrice spécialisée au sein de l’Arche.

 

 

 

 

À l’Arche d’Aigrefoin, des personnes handicapées
mentales travaillent dans
des établissements spécialisés,
ici l’atelier d’artisanat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Selon leurs capacités et leurs envies, les personnes handicapées choisissent
leurs activités, comme l’atelier
de maraîchage.

 

 

 

Promouvoir l’insertion sociale

 

Une communauté de l’ Arche n’est pas un simple établissement médico-social, ou un Esat (établissement et service d’aide par le travail). Même si le travail, l’insertion des personnes handicapées mentales dans la société et le professionnalisme médical sont primordiaux dans les communautés. Par exemple, à l’Arche d’Aigrefoin, 55 personnes handicapées mentales travaillent dans un Esat. Selon leurs capacités, goûts et âges, elles entretiennent et créent des espaces verts, travaillent à l’atelier de conditionnement, d’artisanat ou produisent divers légumes et plantes. Cette place du travail — quand cela est possible — témoigne d’une attention à l’insertion dans la vie locale. Pour autant, une Arche reste avant tout un lieu où les personnes, avec ou sans handicap mental, font l’expérience de vivre ensemble. C’est la relation entre personne « aidante » et personne « aidée » qui est au cœur de Vanier, en créant l’espace où elle puisse déployer sa propre parole – un projet. « Nous voulons permettre à la personne en situation de handicap d’être sujet de sa vie, explique Jean Vanier, en créant l’espace où elle puisse déployer sa propre parole – parfois sans mots – dire qui elle est et faire des choix. »

 

Une philosophie de l’homme

 

La tentative de vivre ensemble des communautés de l’Arche ne repose pas d’abord sur une vision de l’homme en communauté, sur une « sociologie » pourrait-on dire, mais d’abord sur une anthropologie et une philosophie de l’homme. La charte affirme que « toute personne (…) possède une égale dignité et les mêmes droits. Les droits fondamentaux de la personne sont : le droit à la vie, aux soins, à un chez-soi, à l’éducation, au travail , mais puisque le besoin le plus profond de l’être est d’être aimé, le droit à l’amitié, à la communion, à la vie spirituelle. » Un engagement fort dans la relation entre accompagnants et résidents handicapés présent dès la création de la première communauté de l’Arche.

 

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Au foyer d’Aigrefoin, tout le monde participe aux tâches domestiques, comme dans une famille où chacun aide à faire tourner la maison.

 

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À la fin de l’année 1962, Jean Vanier visite l’asile psychiatrique de Saint-Jean-les-Deux jumeaux (Seine-et-Marne) et y rencontre Raphaël Simi et Philippe Seux. Frappé par les conditions de vie dans l’asile, il achète une maison avec l’aide d’un ami prêtre, le père Thomas Philippe, et s’y installe avec les deux premiers résidents. Cet acte fondateur résonne dans le contexte des années 1960 et 1970 où naissent nombre de projets de fondations communautaires.

C’est aussi l’époque où les critiques de l’institution asilaire commencent à trouver une base théorique. À cette même époque, de l’autre côté de l’Atlantique, le sociologue américain Erving Goffman publie, en 1961, Asylums (Asiles), une étude

de terrain dans un asile qu’il voit comme une institution totale voire – selon les traductions – totalitaire. Comme l’expliquait le sociologue Robert Castel dans la préface du livre de Erving Goffman (Éditions de Minuit, 1968), Asiles marque une rupture théorique entre l’aliénation mentale et l’aliénation sociale. Il permet de remplacer une approche en termes de « fou-folie-délire-fantasme-autisme » par une autre en termes d’« interné-hospitalisé-asilisé-incarcéré-encaserné-cloîtré-reclus, etc. » la dimension de vie collective au sein de l’institut commence à être débattue dans la société. Médecins et psychologues perdent progressivement leur monopole à tenir un discours sur la personne internée. « L’aliénation du malade prend ici un sens nouveau, écrit Robert Castel, il est aliéné au second degré par la maladie parce que la maladie est institutionnalisée dans un espace social dont toutes les caractéristiques lui imposent les déterminations majeures de la servitude. »

Fonder l’ Arche, ce fut dont d’abord sortir des internés de l’asile et de cette situation de « servitude ». Au cœur de cet acte il y a, a minima, une résonnance avec les travaux précurseurs d’Erving Goffman. En ce sens, le projet de l’ Arche est porteur en lui-même d’une critique de l’exclusion sociale des internés dans l’asile des années 1970. Mais, pas plus à l’origine qu’aujourd’hui, cette critique ne se limite à un exposé théorique : la mobilisation politique ou le lobby pour les droits des handicapés mentaux ou contre l’avortement d’enfants touchés par le handicap ne sont jamais devenus le créneau de l’ Arche. « Lorsqu’au sujet du handicap mental, quelqu’un me parle d’avortement ou autre, je ne cherche jamais à entrer dans un débat d’arguments, assure le père Christian Maheas, aumônier national de l’ Arche en France.

Je lui dit simplement : « Viens à l’ Arche voir comment on vit. »

 

 

L’expérience de l’altérité

 

La critique sociale que porte le projet de l’ Arche ne se joue pas dans la revendication, et n’a de sens que dans la relation. « L’ Arche expérimente un paradoxe, explique Jean Vanier, les personnes que le monde juge inutiles et bonnes seulement à mettre dans les institutions – celles qui sont considérées comme un fardeau et un problème financier – sont en réalité des sources de lumière et de vie. Elles nous transforment en profondeur. » voilà en quelques mots l’utopie de l’ Arche. Pas au sens étymologique et littéraire du terme, un lieu qui n’existe pas, mais plutôt par rapport à la signification que le XIXe siècle lui a donné : une utopie pratiquée. Une tentative d’une vie « autre », dans un lieu « autre » (en l’occurrence des « foyers » de vie), avec ses « autres » handicapés – qui implique l’expérience d’une altérité parfois radicale, lorsque la personne handicapée ne peut par exemple plus parler. « L’utopie serait en quelque sorte un projet imaginaire d’une réalité autre, on est tenté de dire d’une société autre », écrivait le sociologue des religions Henri Desroche. Mais c’est dans les écrits de Roland Barthes que l’on trouve quelques lignes résumant le mieux l’utopie de l’ Arche : « L’utopie était celle d’un monde où il y aurait plus que des différences, en sorte que se différencier ne serait plus s’exclure », écrivait-il dans Roland Barthes par Roland Barthes. À la genèse de l’ Arche, il y a l’utopie d’un monde sans exclusion. Les différentes déclinaisons du projet tentent de mettre sur pied un idéal de vivre ensemble communautaire où l’exclusion serait exclue ; en particulier celle qui touche les personnes ayant un handicap mental. « L’inquiétude de
l’ Arche est grande devant la souffrance des personnes qui, à cause de leur handicap, subissent des injustices et des rejets »
, rappelle la charte des communautés de
l’ Arche.

 

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Prière du soir. D’inspiration chrétienne, la confiance en Dieu est au cœur de la philosophie de l’Arche.

 

Un avenir plein d’espérance

 

« L’ Arche sait qu’elle ne peut pas accueillir toutes les personnes ayant un handicap mental », précise aussi la charte. Elle n’est pas une solution mais un signe, le signe qu’une société réellement humaine doit être fondée sur l’accueil et le respect des plus petits et des plus faibles. » D’inspiration chrétienne, l’œuvre ne cherche pas à se réaliser pleinement dans un ici-et-maintenant, elle projette cette utopie d’un monde sans exclusion dans un avenir chargé d’espérance. Comme l’explique Jean Vanier : « L’expérience vécue dans les communautés de l’ Arche, leur rayonnement sont un signe tangible que la paix est possible entre les êtres humains quelles que soient leurs différences de religions, de capacités intellectuelles ou physiques, de cultures ou de nationalités. Les choix de vie proposés par l’ Arche transcendent les contextes culturels, économiques, religieux, nationaux. »

Des « signes de paix » qui renvoient directement à la biographie de Jean Vanier, auteur d’un livre sur la question, Recherche la paix (éditions Le Livre Ouvert). Tout juste sorti du collège de la Royal Navy à Darmouth (en Angleterre), il s’embarque dans la marine britannique puis canadienne avec laquelle il participa à la Seconde Guerre mondiale. Après avoir quitté l’armée, il reprend des études, soutenant une thèse de doctorat à L’Institut catholique de Paris sur l’éthique d’Aristode, en 1962, avant d’enseigner la philosophie au Collège Saint Michael de l’Université de Toronto. Son charisme, lié à son rôle de fondateur, est indéniable. Pourtant, en 1981 il fait le choix de quitter ses fonctions à la communauté de Trosly, en France, ainsi qu’à la Fédération internationale de l’Arche. Moins de 20 ans après la première pierre posée à l’édifice, il quitte ses fonctions, à l’âge de 53 ans. Depuis lors, son œuvre a gardé son élan de départ : celui de signifier par une vie communautaire réinventée qu’un autre monde est possible.

 

Mikael Corre

Photos Florence Brochoire pour Le Monde des Religions