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Avril   2015

INSERTION PROFESSIONNELLE EN INDEPENDANT : DE L’ART D’ETRE POLYVALENT. TEMOIGNAGE

Marie SCHNEIDER

Introduction

Le parcours dans la vie de Marie Schneider, âgée de 27 ans seulement, est déjà riche, et  à tout le moins surprenant! Arrivée  au cumul de cinq activités « auxiliaire de vie, auteur, écrivain public, animatrice d’ateliers d’écriture et  rédactrice web », c’est comme si cela ne lui suffisait pas ! Elle est devenue en plus, chef de choeur pour une chorale amateur. Comme exemple d’insertion socioprofessionnelle originale, difficile de trouver mieux ! HC

 

Texte :

Si quelqu’un m’avait dit au début de mes études que je cumulerais pas moins de cinq activités différentes, assorties d’une certaine précarité, afin de vivre de ma passion, je ne l’aurai sans doute pas cru. Sans doute parce qu’en ce temps-là, je n’avais pas encore consciemment mis le doigt sur ce qui allait devenir le cœur de ma profession, à savoir l’écriture.

À mon sens, il est présomptueux de la part des équipes éducatives de demander à un lycéen ce qu’il fera plus tard. Rares sont les adolescents qui ont une idée précise de la direction qu’ils souhaitent donner à leur vie, à moins de choisir une voie généraliste qui mène aux métiers « classiques » – je pense à l’ingénierie ou au professorat, qui ne me convenaient pas, sans pour autant dénigrer ces professions. Je faisais partie de ces jeunes qui ne souhaitent pas sortir trop vite du système scolaire, car il offre une stabilité et une sécurité à l’opposé de ce que promet le monde du travail dans notre société actuelle, tout en refusant les voies « royales », telles que les classes préparatoires et autres grandes écoles, où la pression exercée sur les étudiants me paraissait trop forte.

C’est pourquoi, dans un premier temps, j’ai opté pour un cursus universitaire, fondé sur les deux matières qui me plaisaient le plus, à savoir la littérature et le chinois. À l’époque, mon projet était de devenir Docteur ès Littérature chinoise, car je trouvais que ce titre rendait bien sur un CV. J’envisageais donc les études les plus longues possibles, et un avenir toujours en lien avec l’école au sens général, même si je savais depuis le début que l’enseignement ne serait pas fait pour moi.

Ce rêve un peu idéaliste – surtout compte-tenu du nombre de postes de recherche en littérature chinoise – s’est vite évanoui quand j’ai été prise dans le tourbillon des cours et des devoirs à rendre. En effet, n’en déplaise à la rumeur qui dit que l’université est le repaire de ceux qui ne veulent pas trop se fouler, celle où j’étais, l’Université Jean Moulin Lyon 3, ne laissait guère aux étudiants le temps de se reposer sur leurs lauriers, surtout dans le cas d’un double cursus comme le mien. Entre un volume horaire hebdomadaire de quarante heures de cours plus le travail personnel et les tracasseries administratives liées à l’originalité de mon parcours, je n’ai que très peu profité des joies de la vie étudiante.

Au bout de trois ans, mes deux diplômes de Licence en poche, j’étais beaucoup moins sûre de vouloir m’engager dans des études toujours plus longues, qui me mèneraient sans doute à la case chômage, où un conseiller d’orientation viendrait m’annoncer que je suis trop diplômée. J’ai donc tenté de m’inscrire dans une voie menant à une profession, en l’occurrence un IUP (Institut Universitaire Professionnel) spécialité Métiers du Livre. J’avais alors dans l’idée d’ouvrir une librairie dans laquelle je proposerais des ateliers de lecture et d’écriture. Ç’a été la première fois que j’envisageais d’inclure l’écriture dans mon parcours professionnel.

Malheureusement – ou par chance –, j’ai essuyé un refus de la part des universités que j’avais visées, par « manque d’expérience professionnelle ». Sans entrer dans le débat, je tiens à souligner le gros problème que rencontrent les étudiants en faculté, à savoir qu’on leur demande toujours plus d’expérience, mais que depuis une dizaine d’années, il leur est interdit d’effectuer des stages s’ils ne sont pas compris dans leur cursus. Comment est-on censé s’y prendre, dans ce cas, pour acquérir cette expérience que l’âge nous refuse également ?

Après avoir retourné le problème de nombreuses fois dans ma tête et ne me sentant pas prête à me lancer dans le monde du travail, j’ai donc tout de même poursuivi mes études dans une section recherche, en Lettres seulement cette fois-ci, en attendant de voir venir.

Mes années de Licence m’avaient vu essuyer plusieurs périodes difficiles sur le plan personnel, ce qui m’a forgé le caractère et m’a permis de lâcher prise sur ce que je ne pouvais pas contrôler. Le décès de mon grand-père paternel en janvier 2008 a été un événement décisif, car il m’a permis de trouver une assise affective et philosophique : j’ai soudain réalisé que je n’avais rien à perdre à essayer de vivre selon mes choix, et que bien souvent, la vie avait tendance à s’équilibrer entre le bon et le mauvais.

C’est sur cette base que j’ai abordé mon Master. Ces deux années m’ont appris à aborder les événements tels qu’ils arrivent, à ne jamais fermer aucune porte avant d’y être obligée, et à relativiser les échecs. Je ne garde pas un souvenir impérissable de mon sujet de recherche – « La représentation des religions chinoises dans les dictionnaires du xviiième siècle ». En revanche, humainement, j’ai fait de belles rencontres, notamment avec des étudiantes étrangères avec lesquelles je suis toujours en contact, j’ai conforté des amitiés et j’ai osé dépasser ma timidité à de multiples occasions.

Un jour, dans le hall de la faculté des Lettres et Sciences humaines, j’ai vu une affiche qui faisait la publicité du Prix du Jeune Écrivain de langue française. Je n’avais encore jamais participé à un concours d’écriture, et la simple idée de me faire relire me retournait l’estomac. Deux ans auparavant, j’avais suivi un atelier d’écriture destiné à apprendre comment retravailler ses textes. Les autres stagiaires avaient été bienveillants et cela m’avait un peu rassurée sur l’accueil qui serait réservé à mes nouvelles, mais pas au point d’envisager me lancer « dans le grand bain ». Plus tard, j’ai continué à écrire des récits et des poèmes que je lisais à un cercle d’amis restreint en rêvant du jour où je parviendrais à le dépasser et à me faire publier.

Ainsi, à la fois tentée et effrayée par l’aventure, j’ai tout de même noté les coordonnées du site Internet de l’association qui organise ce Prix et j’ai commencé à chercher une idée d’histoire. Avec mes amies, nous avions élu domicile sur les quais du Rhône, et nous nous rendions sur les planches sous la Piscine du Rhône au moindre rayon de soleil. C’est en regardant le fleuve assise sur un banc que j’ai trouvé l’inspiration. En moins d’une semaine, j’ai rédigé une nouvelle que j’ai lue et relue, puis fait relire à une quinzaine de personnes pour être sûre qu’elle vaudrait le coup, j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai envoyée. Quatre mois plus tard, en juin 2009, le verdict tombait : sur plus de 800 textes, à défaut d’être lauréate, je faisais partie des 30 finalistes ! Au-delà de la fierté d’obtenir une reconnaissance, cette nouvelle a été mon vrai premier pas dans la vie d’écrivain.

J’ai bien sûr partagé ma joie avec mon entourage, mais aussi avec mon voisin, propriétaire et futur patient, Bernard Gaudon ( voir http://bgaudon.tetraconcept.com/ pour une autobiographie de Bernard Gaudon, handicapé polio). Je crois pouvoir dire que cette récompense a été le sujet de notre première véritable conversation. À la suite de cela, il m’a fait découvrir son univers informatique. Comme j’aime bien bricoler, il m’a proposé de l’aider à trier une soixantaine d’unités centrales, qui attendaient entassées les unes sur les autres que quelqu’un veuille bien décider de leur sort. C’est ainsi que j’ai commencé à devenir « ses mains ».

En décembre 2009, Sylvie, l’une de ses auxiliaires de vie, a été victime d’un grave accident de voiture qui l’a empêchée d’exercer son métier pendant plusieurs mois. J’ai donc proposé d’assurer l’intérim, ce qui nous arrangeait tous les deux, moi parce qu’il m’accorderait un petit revenu salarié ; lui parce que, mon studio jouxtant le sien, je serais à portée de voix à tout instant. Finalement, Sylvie ayant dû déménager dans l’Ouest lyonnais, l’intérim s’est transformé tacitement en CDI.

Dans le même temps, Bernard est devenu l’un de mes premiers lecteurs et mon premier mécène, car il m’a toujours offert le papier et l’encre nécessaires à mes envois, chaque résultat étant l’occasion pour lui de me faire ouvrir une bouteille – pour le fêter ou pour l’oublier, mais surtout pour tenir sa résolution de début d’année consistant à boire du champagne une fois par mois. Je lui parlais régulièrement de mes projets en cours, ce qui me permettait de les affiner ou de les faire évoluer.

Au cours de l’une de nos discussions, la fin de mon Master approchant, il m’a transféré le lien d’un site d’orientation professionnelle. Après un test gratuit, ce site établissait une liste de métiers assortis de pourcentages de compatibilité. Ainsi, le seul métier qui ressortait avec un pourcentage de 100% était écrivain public. Je me suis donc renseignée sur cette profession, pour en savoir un peu plus. Hasard ou coïncidence, dans les semaines suivantes, Arte a diffusé une émission qui lui était consacrée. Mêlant l’écriture et le social, elle était effectivement parfaite pour moi, qui aime à la fois la solitude de la création et le contact humain – en parallèle, j’écrivais mon premier roman, publié aux éditions Kirographaires (qui n’existent plus depuis) en septembre 2011 et intitulé Le Train qui regardait passer les vaches.

Comme il n’existait aucun diplôme reconnu par l’État pour ce métier, j’ai fait le tour des formations possibles et mon choix s’est arrêté sur celle dispensée par le CNED (Centre National d’Éducation à Distance). D’une durée de six mois ou moins selon le rythme d’étude, elle m’a permis de m’exercer aux différents types de rédaction auxquelles je serais confrontée et à la manière de mener un entretien avec un demandeur. J’aurais souhaité en apprendre davantage sur l’écriture administrative et juridique, mais malheureusement, cette partie du cours se limitait pour ainsi dire à un cours d’éducation civique niveau collège.

Au bout de quatre mois au lieu des six prévus, j’avais validé toutes mes unités d’enseignements et reçu mon attestation de suivi de cours (faute de diplôme). Je suis donc passée à la phase suivante, consistant à créer mon auto-entreprise, chose faite le 20 octobre 2011. À partir de là a commencé le long travail de publicité : flyers dans les lieux publics, création de mon site Internet, dépôt d’annonces sur les sites dédiés à cet effet… Je n’ai pas vu mon premier client avant la fin du mois de décembre. Et le second n’a été nul autre que mon grand frère. Il y avait de quoi se décourager.

J’ai donc décidé de laisser les choses se faire pour me concentrer sur d’autres projets personnels, notamment la sortie de mon livre et sa promotion, mais aussi d’autres nouvelles pour des concours – j’ai participé jusqu’à 15 concours par an pendant trois ans, avant de me restreindre à trois ou quatre qui délivrent des prix un peu renommés ou des éditions à compte d’éditeur. J’ai également commencé la rédaction web, pour me constituer un complément de revenu. Sur un site, j’écris des articles sur mes lectures, et sur un autre des fiches commerciales à destination de sites marchands. Au bout d’un certain temps, des clients réels (plutôt que virtuels) ont fini par arriver et mon activité n’a cessé de se développer depuis lors.

En septembre 2012, j’ai eu l’occasion, par l’intermédiaire de la mère d’une amie, de monter un atelier d’écriture dans une classe préparatoire intégrée à l’école CPE (Chimie, Physique, Électronique) de Lyon. Cet atelier fait partie des « modules d’ouverture », de même que la chorale, le développement personnel, le théâtre, etc. Les étudiants doivent choisir une « matière » parmi les différentes propositions qui leur sont faites et suivre huit séances d’une heure et demie assorties d’un semblant d’évaluation.

Mon atelier s’inspire des pratiques d’écriture de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), groupe littéraire fondé par Raymond Queneau, François Le Lionnais et Georges Pérec, qui place la contrainte formelle au centre de son travail de création. Fervente adepte de leurs exercices, tordus pour les profanes, mais extrêmement amusants quand on se prête au jeu, je participe en effet depuis cinq ans à des ateliers intensifs d’une semaine, dirigés par des membres de ce groupe, qui donnent naissance à des textes parfois improbables et à de franches parties de rigolade.

À l’issue des huit séances qui me sont allouées, mes étudiants procèdent à une lecture en public de leurs œuvres, tâche qu’ils redoutent chaque année depuis trois ans, mais qui leur apporte aussi le plus de fierté lorsqu’ils se rendent compte que leurs textes sont appréciés.

Je me suis arrêtée là dans la diversification de mes activités pendant deux ans, cumulant donc les métiers d’auxiliaire de vie, d’auteur, d’écrivain public, d’animatrice

d’ateliers d’écriture et de rédactrice web, sous le statut à la fois de salariée, d’auto-entrepreneur et d’indépendant freelance, ce qui remplissait considérablement mon emploi du temps.

Mais depuis deux ans, passionnée de chant choral et titulaire d’un Diplôme de Fin d’Étude du Conservatoire National de Région de Clermont-Ferrand, j’ai accepté un nouveau poste de chef de chœur pour une chorale amateur, que j’ai contribué à créer et qui travaille un répertoire pop, rock, jazz et chants du monde. D’abord bénévole, j’ai ensuite accepté la rémunération que m’offrait le bureau, ce qui rajoute encore une corde à mon arc.

À la suite du décès de Bernard Gaudon en décembre 2014, j’ai perdu une partie de mon activité en même temps qu’un ami, mais fort heureusement, la demande dans le secteur de l’aide à domicile va croissant et je pense retrouver la part salariée qui me manque dès que j’aurai fini d’aider sa famille à vider son appartement.

Ainsi, d’une situation un peu particulière et précaire, j’ai fait mon mode de vie quotidien. Je ne me vois pas revenir à quelque chose de plus classique et reprendre une activité unique. Même si l’absence de certitudes quant à l’avenir peut parfois être inquiétante, la diversité des rencontres et la richesse des expériences que me procure cette polyvalence me sont chères et le soutien de mes proches, qui m’assureraient en cas de catastrophe économique, me pousse à poursuivre dans cette voie.

 

Marie Schneider (née en 1987)

marieschneider@wanadoo.fr

Site d’écrivain public : http://oiseaulyvre.free.fr

Cursus et projets en cours : https://www.linkedin.com/pub/marie-schneider/68/a21/724