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entré sur site en mars 2016
Le POINT, Février 2014
Le top 5 des sites santé
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Nombre de visiteurs uniques en novembre 2013,
en milliers
Part des internautes en
France
Santé-médecine.net |
4 025 |
8,7 % |
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Le Figaro santé |
1 308 |
2,8 % |
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Topsanté
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1 266 |
2,7 % |
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Medisite.fr/Planet.fr |
1 214 |
2,6 % |
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Eurekasanté/Vidal |
1 114 |
2,4 % |
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Sources :
Mediametrie/NetRatings/Nielsen.
Phénomène. Un nombre croissant de Français sont sujets à
l’hypocondrie. C’est grave, docteur ?
PAR JULIE
MALAURE
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Ce matin, Frédéric, 39 ans, dirigeant d’une
petite PME à Roissy, se lève avec la certitude que quelque chose ne va pas. Une
douleur brutale, dans l’occiput, comme la veille.
Là où chacun se contenterait d’un comprimé
d’aspirine pour que ça passe, Frédéric, lui, envisage le pire. Il se masse la
nuque, ressent une raideur, fixe l’ampoule du plafonnier, mais une sensation
désagréable, comme un flash, le force à détourner le regard. Cette fois, il en
est sûr, il s’agit d’une méningite. Et au ressenti de ces deux symptômes, qu’il
connaît par cœur, son pouls s’accélère ; le voilà pris de vertiges, de
bouffées de chaleur, dus, sans doute, à la fièvre qui va immanquablement
s’installer. Frédéric se passe mentalement le film de sa mort, imminente,
foudroyante, et ce matin encore il va devoir faire des efforts draconiens pour
prendre du recul, résister à l’envie de courir aux urgences, incapable de se
concentrer au travail tant qu’il n’aura pas eu, au moins, son généraliste en
ligne.
Frédéric, comme 2 à 4 % de la population
française, selon les estimations, souffre d’hypocondrie, un trouble de nature
anxieuse, une préoccupation centrée sur la crainte ou l’idée d’être atteint
d’une maladie grave.
Tuberculose,
leucémies, troubles cardio-vasculaires, scléroses en plaques et cancers : la
liste des maladies qui obsèdent ces Argan en puissance, comme dans la pièce de
Molière, est interminable. Adeptes du scanner, ils rêvent d’IRM, se damnent
pour une scintigraphie. Abonnés aux urgences, exégètes de la posologie
médicamenteuse,ils consultent à outrance, sans paradoxalement pouvoir faire
confiance aux médecins. Ultra-angoissés à l’idée d’être malades et dans
l’impossibilité de s’imaginer ne pas l’être, les hypocondriaques écoutent leurs
organes, examinent leur corps en permanence. Frédéric raconte les heures
passées à la recherche d’un ganglion, à se palper, se scruter, jusqu’à
découvrir un bouton « inquiétant », une langue « trop blanche ». Il
avoue sa terreur parce qu’il en est à sa seconde angine blanche de l’hiver («
ce qui pourrait cacher un début de glomérulonéphrite »), ne touche plus sa
femme depuis que sa masseuse l’a griffé par inadvertance (« et si j’avais le
sida ? »), masseuse dont le prénom lui échappe (« c’est sûrement un
début d’Alzheihmer »). Pis, la semaine dernière, son bilan sanguin lui
révélait un mal incurable : « Mes résultats montrent un déficit en LDH,
le lactate déshydrogénase bas. Or, associé à des myalgies, des douleurs
musculaires, il y a une possibilité de glycogénase musculaire qui, découverte à
l’âge adulte, peut dégénérer plus ou
moins vite dans un tableau de myopathie. » Un vrai Vidal ambulant ! ■ ■ ■
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L’avis
du psy
«
Molière est notre meilleur psychiatre et le plus grand hypocondriaque du
monde. Avec “Le malade imaginaire”, tout est dit. » |
■ ■ ■ Cette obsession le
pousse, lui et ses semblables, vers une forme d’errance, de cabinet en cabinet,
menant à l’hyper onsultation. « Ils demandent des tas d’examens
complémentaires », explique Philippe Houdart, généraliste à Paris, qui
s’inquiète moins des cas de la forme grave de la maladie que de « tous ces gens
borderline, à deux doigts de le devenir ». Car le phénomène est en train de
se généraliser. La plus vieille maladie du monde, identifiée depuis l’Antiquité
grecque, considérée par Freud comme « la troisième névrose actuelle », classée
aujourd’hui « trouble de nature anxieuse », selon le DSM, ouvrage
américain de référence sur les troubles mentaux, est en passe de devenir le mal
du siècle. Ce qu’une étude TNS, réalisée en 2012, ne dément pas en indiquant
que 30 % des actes médicaux pratiqués ne sont pas « pleinement justifiés ».
Plus d’un acte sur quatre pour « rassurer les patients », précise le
docteur Houdart.
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Pour le
professeur Lejoyeux, le bien-nommé, psychiatre à Bichat, auteur de « Réveillez
vos désirs » (à paraître le 27 février chez Plon), ce qui accentue encore plus le
phénomène, ce sont les « névroses médiatiques ». « C’est la société
tout entière qui nous pousse aujourd’hui en permanence vers l’hypocondrie ».
« On ne fait plus un vaccin sans peser le pour et le contre », explique-t-il,
faisant le compte des scandales et des crises de confiance sanitaires à
répétition surexploités par les médias : du bisphénol A aux sulfates, en
passant par le paraben, la mélamine, le Mediator ou les OGM. Pour preuve, le
journaliste Christophe Ruaults, dans son hilarant roman « Confession d’un
hypocondriaque » (1), relève de son côté qu’« entre 1999 et 2006 la rubrique
Santé est passée du 12e au 4e rang du JT ». L’auteur,
à raison, ne parle plus d’« information », mais de « harcèlement ».
Un matraquage médiatique qui a conduit beaucoup des hypocondriaques latents, borderline,
à franchir le cap par le biais, notamment, d’Internet, où prolifèrent les sites
et les forums consacrés à la santé.
Les
cybercondriaques
Aujourd’hui,
sept Français sur dix consultent le Web avant d’aller chez le médecin et
Internet est devenu le deuxième moyen de s’informer, devant le pharmacien.
Conséquence, les psychiatres ne parlent plus pour ceux-là d’hypocondrie, mais
de « cybercondrie ». Des malades compulsifs de l’info médicale, qui passent
leur temps à consulter sur Internet. De Doctissimo à Atoute.org, c’est sur la
Toile que ça se passe. Le forum du site Doctissimo représente la moitié de ses
visites, et le site du docteur Dominique Dupagne, Atoute.org, compte 1 400 000
visiteurs uniques par mois et préfigure le virage vers la télémédecine telle
qu’elle est pratiquée aux États-Unis.Parce que outre-Atlantique les «
cybercondrtiaques » ont une belle longueur d’avance. Abonnée depuis la France
au site américain MedHelp, Audrey, 29 ans, peut poser des questions à des
médecins directement en ligne et obtenir une réponse quasi immédiate. Sur la
page d’accueil, les titres des articles, « Les maladies neurodégénératives de
l’âge : la face obscure de la longévité », « Comprendre la dépendance aux
antalgiques », « Mon bébé souffre probablement de la mucoviscidose », donnent
le ton. Pour circonscrire l’addiction, le site restreint ses cyberpatients à
deux questions par semaine (20 dollars chacune), mais Audrey, dans son besoin
compulsif d’avis médicaux, arrive à « pirater le système », nous
dit-elle, en se créant de nombreux alias. Internet est devenu sa source de
savoir médical en même temps que son médecin traitant. Mais, entre les foires à
l’autodiagnostic des forums et la surabondance d’infos des sites (l’entrée «
Cancer » ouvre 194 millions de pages sur le moteur de recherche Google), Audrey
trouve un apaisement qui se trouve être aussi, et c’est le paradoxe, la source
d’une stimulation perpétuelle de son angoisse.
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Autre menace
dénoncée par les médecins, les « conduites incohérentes » des
hypocondriaques. « Ça peut être un
grand fumeur qui se scrute les orteils », explique le docteur Houdart. Un
danger sur lequel le professeur Lejoyeux insiste : « À cause de leur
grande vulnérabilité, les cybercondriaques s’exposent sur Internet à l’achat de
médicaments miracles et de poudres de perlimpinpin auprès de n’importe quel
charlatan ». Boris Cyrulnik, dans cette même veine, prédit « le
retour aux médecines pittoresques, à la magie, qui peuvent soigner aussi, mais
pas avec les techniques modernes ».
Guérir ?
De l’espoir, on en a à Bichat, puisque aux malades imaginaires on propose des
thérapies bien réelles. Les mêmes que pour l’addiction ou la phobie. Mais 30 %
seulement des patients verront une amélioration persister au-delà de sept mois.Une
amélioration, et non pas une guérison, nous dit-on. Surtout qu’avant d’en
arriver là l’hypocondriaque aura résisté. D’abord à se faire soigner l’esprit,
puisque c’est son corps qui souffre, ensuite parce que, nous dit Lejoyeux, il y
prend du « plaisir » : « Malgré la peur, le malade trouve, même s’il a
du mal à l’avouer, de la volupté. »
Gilles Dupin
de Lacoste, lui, s’en est à peu près sorti. Ce super-hypocondriaque, terrassé
plusieurs fois par jour, pendant des années, par des crises violentes, n’en
connaît plus aujourd’hui qu’une ou deux par an. Son secret au quotidien pour
lutter contre son angoisse : « Dès que j’ai une crise, je prends un
anxiolytique et celui-ci calme la crise, donc je constate que c’est une crise
d’angoisse, et non pas une maladie grave. »Dans son livre paru chez Payot
(2), il prétend même être un « hypocondriaque heureux ». Lorsqu’on
l’interroge, il met toutefois un bémol : « Je ne suis pas heureux au
sens où on entend le bonheur. Mais j’ai compris que mon anxiété s ‘exprime
par l’hypocondrie, et je l’ai accepté. »
Pour les
autres, ceux qui n’ont pas encore trouvé la voie de la guérison, quelle est la
marche à suivre ? « Très bonne question », répond le professeur
Lejoyeux. En attendant des réponses concrètes du côté de la santé publique,
l’hypocondrie, qui n’a décidément rien d’« imaginaire », bat des records ■
1. Michalon, 256 pages, 17 euros.
2. « L’hypocondriaque », de Gilles Dupin de Lacoste
(Payot, 2006).
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« Malgré la peur,
l’hypocondriaque trouve, même s’il a du mal à l’avouer, de la volupté. » Pr Michel Lejoyeux |
Comment savoir si l’on est
Qui ? Contrairement aux idées reçues, la moitié des
hypocondriaques sont des femmes. Un ratio hommes/femmes stable, avec une
augmentation du nombre ou de la gravité avec l’âge, due à l’approche ou la
peur de la mort. |
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Quoi ? L’hypercondrie répond à trois critères principaux.
D’abord la préoccupation excessive du fonctionnement du corps, ensuite la
crainte ou la certitude d’être atteint d’une maladie grave, enfin, la
résistance à la réassurance médicale. Parmi les comportements types, le
besoin de porter |
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soi-même un
diagnostic, le besoin de vérifier celui du médecin, celui de consommer des
médicaments, de multiplier les examens ou les consultations, d’interroger les
proches dans l’espoir d’être rassuré, l’impression de n’être pas compris, pas
écouté, etc. |
Quand ? Au sens
psychiatrique strict, la crise doit durer au moins six mois. |
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Comment ? La plupart des hypocondriaques sont
des hy- per consultants. Mais
ceux qui,à l’inverse, s’angoissent mais ne consultent jamais sont peut-être
atteints de nosophobie, c’est-à-dire la peur d’être frappés d’une maladie. Ce
qui dis |
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tingue la nosophobie de
l’hy- pocondrie (souvent
mêlées) : le nosophobe craint
d’attraper une maladie (évite les
person- nes qui éternuent, se
lave les mains fréquemment),
l’hypo- condriaque est persuadé
d’avoir déjà contracté la maladie. |
Cyrulnik :
« Désormais, la souffrance est moins physique que psychique »
Théorie. Pour le psychiatre, la flambée de l’hypocondrie
s’explique par les mutations de notre société.
Boris Cyrulnik Neuropsychiatre. |
Le Point : Les psys s’inquiètent du nombre croissant
d’hypocondriaques. Faut-il vraiment s’alarmer ?
Boris Cyrulnik : Les études montrent que 20 à 25 % de la population européenne souffre
de dépression ou d’anxiété, et notamment d’hypocondrie. Les épidémiologistes de
l’Organisation mondiale de la santé prédisent que l’augmentation des
dépressions et des angoisses est telle que dans moins de dix ans on ne pourra
plus les soigner.
Qu’est-ce qui a changé pour
que ce nombre augmente autant ?
Au XIXe siècle,
l’espérance de vie des femmes était de 36 ans, elles faisaient treize
grossesses, sept enfants mis au monde, dont la moitié seulement atteignaient
l’âge adulte. Les hommes vivaient plus longtemps, 55 ans, mais leur corps était
fracturé, voire polyfracturé. On disait aux femmes : « Tu accoucheras dans
la douleur » et aux hommes : « Un vrai homme ne se plaint pas. » La
douleur faisait partie de la condition humaine. Elle trouvait une explication
dans la métaphysique ou la religion.On donnait sens à la souffrance par la
rédemption. C’était bien de souffrir parce que Dieu l’avait voulu ainsi.
Nous n’acceptons plus de
souffrir ?
Aujourd’hui, la technologie a modifié les valeurs de notre culture.
Avec les progrès technologiques, scientifiques et médicaux, ces énoncés
culturels ont été de plus en plus contestés et nous sommes passés de la culture
de la culpabilité rédemptrice (c’est bien de souffrir, ça rachète les fautes) à
la culture du préjudice. C’est-à-dire que plus la technique, la science, la
médecine ont fait des progrès, plus les malades ont revendiqué de résultats,
puisque c’était possible.
Comme si la santé était
devenue un droit pour tous ?
Exactement. D’autant que ce
virage, qui s‘amorce depuis le milieu du XXe siècle, croise un autre
facteur hérité de la Révolution française. Il s’agit du fantasme de l’égalité,
ou de parité, laquelle est devenue une valeur forte de notre culture. Si je
souffre et pas mon voisin, c’est que mon médecin ne m’a pas donné le bon
médicament. Et plus on développe ces cultures de parité, qui sont une forme de
progrès, bien sûr, plus on développe ce sentiment de préjudice, et même
d’acrimonie, donc de douleur psychique.
Si la douleur est
psychique plutôt que physique, que devient le corps ?
Le corps était un outil de
travail pour les hommes. On redoutait d’avoir mal au dos, parce que cela
faisait perdre son travail. On n’était plus un homme si on n’arrivait plus à
travailler. Un homme serait mort de honte plutôt que de se plaindre de son
travail. Maintenant, on souffre de travailler, alors qu’avant on était heureux
de travailler, même en souffrant. La souffrance n’est plus valorisée. On
n’apprend plus aux femmes de souffrir en mettant des enfants au monde ni en se
laissant marier, ce qui était la fonction sociale de leur corps. Aujourd’hui,
nous faisons du social avec nos diplômes, nos machines, non plus avec le corps,
qui, lui, doit être mince, galbé. Ce souci du corps est le témoin de notre
nouvelle culture. Le corps ne fait plus du social, il fait du beau. On est
passé du corps œdipien au corps narcissique.
Comment cette différence
entre le corps « œdipien » et le corps « narcissique » influe-t-elle sur notre
rapport à la santé ?
Le corps œdipien, c’est le
petit garçon qui pense : « Quand je serai grand, je serai mineur, comme
papa. » Et la petite fille qui dit : « Je serai comme maman, je ferai des
enfants. » Le corps narcissique, c’est : « Moi, homme, qu’est-ce que je
suis beau ! Je prends parfois de la testostérone, je ne supporte pas
d’être malade, je ne supporte plus de souffrir. » Donc, la nouvelle valeur du
corps, esthétique, exige que j’aille tout le temps sur Internet demander le
médicament à la mode. On prend du Prozac pour être souriant, on prend des
hormones pour avoir des muscles galbés et on court tous les soirs pour ne pas
avoir de poignées d’amour. Désormais, on voudrait être tous égaux et en bonne
santé. Donc, la douleur existe toujours, bien que plus rare, mais elle est
davantage psychique que physique. ■ PROPOS
RECUEILLIS PAR J.M.
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JEAN-JACQUES ROUSSEAU
«… et je ne lisais pas la description d’une maladie que je ne crusse être la mienne. |
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Je suis sûr que si je n’avais été malade je
ne le serai devenu par cette fatale étude. Trouvant dans chaque maladie des
symptômes de la mienne, je pensais les avoir toues. » |
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ANTONIN
ARTAUD « Aussi loin que je plonge
dans le souvenir de moi, mes muscles, mes nerfs, mon sang sont un calvaire,
mon squelette un billot, un étal, un échafaud… (…) J’ai le corps blessé dans
les nefs des moelles et cela est irrémédiable, incurable, absolument
irrémis-sible, et il n’y a pas d’opération chirurgicale qui puisse rendre des nefs à un organisme qui les a rendus. |
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« Supercondriaque
»,
le film auto-inspiré de Dany Boon
Je suis malade et je n’ai
pas Google ! » Romain Faubert
(Dany Boon) panique. Hypocondriaque au plus haut degré, photographe pour un
dictionnaire médical, Romain ouvre les portes avec
les coudes, se lave les mains après avoir composé un numéro sur un Digicode, fait
ses ablutions au gel désinfectant, perd connaissance à l’idée d’embrasser les
invités au réveillon… On le chasse à coups de pieds des urgences, on le voit
rôder autour des pharmacies, harceler jour et nuit son médecin traitant, Dimitri
Zvenska (Kad Merad). Il faut dire que le bon docteur, qui s’est pris
d’affection pour Romain vingt ans plus tôt, s’en mord les doigts. À force
d’incursions dans sa vie privée, l’épouse du médecin, une psy, commence à se
poser des questions sur la véritable nature de la relation qu’entretiennent les
deux hommes. Pour Dimitri, il est temps d’aider Romain à trouver une compagne
et, par la même occasion, de retrouver la paix… Les sketchs de Boon sont
hilarants, le tandem des « Ch’tis » reformé fait mouche, et ce n’est pas un
hasard. Dany Boon n’a jamais été autant dans son sujet, puisque ce « Supercondriaque », c’est vraiment lui. Dès que je présente le moindre symptôme, je
suis persuadé que c’est extrêmement grave et définitif : à 38,5°C, je
suis à l’article de la mort ! » Comme son personnage, il a pourri
l’existence de ses proches, gâté les nuits de son médecin de vingt ans. « On
fait mieux rire les autres à travers soi », dit-il. Ce film, personnel, sincère », est une comédie,
mais c’est aussi une thérapie, « grâce à l’autodérision » ■ J.M.
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Henning Mankell
« Quand j’avais 17 ou 18
ans, et ni plus ni moins hypocondriaque que n’importe qui, je me
souviens d’avoir eu soudain un jour la sensation que mes jambes ne me portaient
plus. J’ai tout de suite pensé à une myopathie. C’était tellement affreux
que je suis allé voir un médecin. Il m’a ri au nez. Il m’a dit : “Tu
te fais trop d’idées. C’est ça, ton problème.” Je crois que tout le monde a connu
cela un jour ou l’autre : un petit bobo et clac ! les portes de l’enfer qui
s’ouvrent ! Effroi, danger mortel… Vu sous cet angle, nous sommes sans doute tous
des hypocondriaques. Ingmar Bergman, par exemple, était
hypocondriaque à un point colossal. Je le taquinais là-dessus, et il me répondait :
“Je me réserve le droit de l’être et de continuer à l’être.” Pas mal comme réponse,
non ? » (I) I. « Mankell (par) Mankell », de Kirsten Jacobsen (Seuil, 304 p., 19,90
€). |
Quand l’hypocondriaque se
transforme en tyran domestique
Épreuve. Obsédé par ses peurs, le malade imaginaire fait vivre
un enfer à ses proches et à son médecin.
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Cette fois-ci, j’arrête. Stéphane raccroche, il ne
demandera plus à sa compagne, Catherine, si elle a bien dormi. « Tous les
matins, c’est pareil, j’ai droit à la liste de tout ce qui ne va pas ; si
elle s’est réveillée et à quelle heure, ce qu’elle sentait et où… » Excédé,
épuisé par les « phases terminales à répétition » de sa
partenaire, il lui a finalement dit qu’il ne voulait plus rien savoir de son
état de santé…
Régimes spéciaux, examens médicaux, silence, horaires :
les hypocondriaques imposent leurs rythmes, leurs rites, leurs règles à
eux-mêmes comme à ceux qui les entourent et transforment n’importe quel paradis
en enfer. Car, mis à part ce qui concerne le corps et la santé —, ils se
désintéressent du reste du monde, se désengagent du social.
Comme
le mari de Sandrine. Cette dernière dit pouvoir dresser la « planisphère des
fausses alertes en vacances » de l’homme qu’elle épousé il y a vingt ans. «
D’abord il a enchaîné les fausses péritonites, toujours en France, chaque été.
Puis les AVC imaginaires en Amérique du Sud. L’an passé, nous sommes partis
deux semaines à Bali, et ça a été de nouveau des maux de ventre. Sauf que,
cette fois, ce n’était plus l’appendice, mais des amibes… » le malade est
un tyran qui fait tourner l’univers autour de ses organes. « Et le plus
terrible, explique celle qui a surnommé son mari “mon tamalou”, c’est que,
de retour à Paris, aucun médecin n’a jamais rien trouvé et ce qui l’a guéri,
c’est une coloscopie. Après cet examen, plus rien. D’ailleurs, ce qui le
soigne, ce sont toujours les examens, jamais les médicaments ! »
Le
maître et l’otage. Le médecin redoute
lui aussi l’autoritarisme de l’hypocondriaque. En 1967 déjà, le fondateur de la
psychiatrie dynamique, Henry Ey, décrivait la relation complexe qu’entretient
le patient avec un praticien quasi pris en otage : « Il s’agrippe au
médecin, le capte, entend le diriger, le traiter tout à fois comme un complice
et un responsable de son hypocondrie, il lui impose ses diagnostics, ses
théories psychopathologiques. Sa présence continuelle lui est indispensable,
moins pour l’apaiser que pour donner de nouveaux aliments à son anxiété, la
justifier et lui accorder plus de prétextes. » Une expérience confirmée par
le docteur Houdart, médecin généraliste à Paris : « Je les vois arriver
fébriles en consultation. Ils ont leurs résultats d’analyse à la main,
demandent des tas d’examens complémentaires, m’expliquent à l’avance ce
dont qu’ils souffrent et me donnent au passage un cours de médecine. »
Comme Argan dans
« Le malade imaginaire » : « Ma maladie, ma chère maladie, que
serais-je sans toi ? » ■
30 % c’est le taux d’actes médicaux injustifiés. Il atteint 40 % en Ile-de-France. Enquête TNS réalisée pour la Fédération hospitalière de France sur un échantillon de 803 médecins (mai 2012). |
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85 % des actes injustifiés sont demandés aux médecins par les patients hypocondriaques à des degrés divers. Un chiffre qui atteint 93 % chez les médecins libéraux. |
« Il s’agrippe au médecin, le
capte, entend le
diriger, lui impose
ses diagnostics. » Henry
Ey
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