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Septembre 2009

VERS UNE HUMANITE RECIPROQUE A L’HOPITAL

 

Marie de HENNEZEL

 

Article extrait des pages 187 à 208 de son ouvrage « Le souci de l’autre » Ed° Robert Laffont 2004

 

Un nouveau modèle de relation entre ceux qui détiennent le savoir et le pouvoir médical et ceux qui, dans leur vulnérabilité, s’adressent à ce savoir et à ce pouvoir est en train de se mettre en place. Signe d’une maturité nouvelle, les malades demandent plus de partage et d’information dans la conduite de leur traitement.

L’ancien modèle, il faut bien le reconnaître, les maintenait dans une sorte d’infantilisation, cantonnés qu’ils étaient dans une dépendance au médecin doté d’un pouvoir divin. Celui-ci se devait d’être bienveillant en échange de la confiance absolue que lui faisait son malade…

Il faut se réjouir de la maturité dont font preuve les malades d’aujourd’hui. Même si certains préfèrent encore la passivité, la mutation est faite. Les malades sont devenus des adultes, sujets de leur santé et de leur corps.

On comprend qu’un tel changement bouscule les habitudes. Mais on ne peut pas se plaindre d’une évolution qui implique davantage de conscience, un partage des connaissances et des responsabilités, une exigence de respect réciproque.

 

 

La confiance est-elle en péril ?

 

Les malades sont mieux informés, moins passifs, moins dociles et plus exigeants. Ils ne font plus une confiance aveugle aux médecins et leur demandent des comptes. Ils veulent être des partenaires et des acteurs à part entière de leur traitement.

Cette exigence c’est la force des techniques et des savoirs médicaux qui la suscite. La médecine, jusqu’à maintenant avait une obligation de moyens ; sa puissance actuelle fait qu’elle a une obligation de résultats. Il s’est produit, dans les esprits, un renversement de la charge de la preuve. Désormais le principe dit de précaution et l’obsession du risque zéro obligent le médecin à prendre toutes les garanties. La perspective d’un contentieux judiciaire rend ainsi difficile le discernement entre la décision qui protège le médecin et celle qui serait la mieux adaptée au malade.

On assiste ainsi à une défiance mutuelle. Face aux nouveaux comportements de ses malades, le médecin se barricade derrière des positions défensives et peut être tenté d’abandonner ses responsabilités. Il a tendance à se couvrir, à prescrire plus qu’il ne faudrait. Il se sent moins libre. En outre, l’exigence consumériste des malades transforme le médecin généraliste en « machine » à prescrire……. On sent bien que sans confiance et sans dialogue, la relation médecin-malade risque de  perdre toute l’humanité.

 

Les médecins se plaignent de perdre la confiance de leurs patients. Mais ont-ils envisagé celle qu’ils pourraient à leur tour leur accorder ? S’ils s’intéressent davantage à la personne du malade, s’ils faisaient appel à ses ressources, s’ils pouvaient s’asseoir auprès de lui et laisser venir ses questions, cette attitude serait un véritable cadeau pour le malade. Le patient pourrait évoluer d’une confiance aveugle vers une confiance adulte et partagée.

 

… Si les médecins écoutaient davantage leurs patients, ils découvriraient que ce que ceux-ci attendent d’eux n’est pas si démesuré qu’ils le croient. Même si la tendance à projeter sur le médecin une omnipotence et une omniscience illusoires perdure, les malades savent bien, en leur for intérieur, que la médecine n’est pas toute puissante, qu’elle a ses limites. Cependant il faut que le médecin assume cette part d’impuissance dans la vérité et l’humilité. Alors, comme nous venons de le voir, le patient peut retrouver une forme de confiance, qui n’est pas une confiance aveugle, mais une confiance adulte……

 

Le médecin, au lieu de faire confiance à son patient en dialoguant avec lui, en lui expliquant ce qu’il peut faire et ne pas faire pour le soigner, ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas, en se risquant dans une relation authentique avec son patient, se barricade derrière des positions défensives et abandonne ses responsabilités….

 

La plainte  est une épreuve. Qu’il s’agisse d’une simple lettre ou d’une action en justice, cette expérience touche profondément le médecin qui la subit. Au-delà des conséquences matérielles, son honneur et sa réputation peuvent être atteints, et l’impact affectif et psychologique d’une telle expérience est plus profond qu’on ne l’imagine, surtout lorsque sa compétence n’est finalement pas en cause. Alors il aura tendance à se couvrir, à prescrire plus qu’il ne faudrait où, au contraire, à ne pas oser des thérapeutiques plus efficaces mais aussi plus risquées. La défiance mutuelle entre patient et médecin a pour conséquence de déresponsabiliser ce dernier…

 

Praticiens comme établissements de soins sont mis devant l’obligation de changer de culture : le dossier médical ne leur appartient pas ! Il appartient d’abord à la personne malade. En d’autres termes, le secret médical est là pou protéger le malade et plus pour protéger le médecin.

Pourtant, derrière la menace que perçoivent les professionnels de la santé, c’est bien le problème de l’information du patient qui est posé. Or l’information fonde la relation de confiance qui doit s’établir entre le patient et son médecin. Transmettre des informations demande un effort de précision et d’explication qui a un résultat positif : s’ils comprennent mieux, les patient adhèreront plus facilement aux propositions thérapeutiques qui leur sont faites. Ils courront moins d’un médecin à l’autre pour chercher un avis supplémentaire, ils seront moins tentés de déposer plainte.

 

Communiquer des informations médicales n’a pas seulement un caractère technique. L’acte a une dimension psychologique que les médecins ont sans doute du mal à maîtriser. Nous l’avons vu plus haut, les malades veulent être informés, mais pas n’importe comment, pas n’importe quand, pas n’importe où. Ils demandent à ce que l’information leur soit délivrée avec respect et délicatesse. Ils ne sont pas idiots, ils savent bien que la médecine n’est pas sans risque, et que presque tous les traitements comportent une marge d’incertitude. Ce qu’ils veulent ce n’est pas « tout savoir », c’est trouver une écoute et une disponibilité adaptées à leur cas. Ils veulent pouvoir s’adapter à leur rythme à ce qu’on leur apprend sur leur état de santé. Que signifierait pour eux une information « balancée » sans aucun ménagement, sans aucun accompagnement ?

 

… La reconnaissance du droit de savoir suppose aussi celle du droit de ne pas savoir. Nombre de patients et de familles ne sont pas toujours en mesure d’entendre des vérités trop fortes, ou de les entendre très tôt. Pour avoir travaillé des années auprès de personnes en phase terminale  d’une grave maladie, j’ai pu constater que beaucoup préféraient « ne pas savoir », ne posant jamais de questions. Ce refus d’être informé doit être respecté au titre du respect de l’autonomie et de la dignité de la personne.

 

On voit bien que cette question de l’information du malade s’inscrit à l’intérieur d’une relation de soin. Bien souvent, ce n’est pas tant l’information qui fait défaut qu’une certaine qualité de communication. Il serait vraiment regrettable que l’information se réduise à des dispositifs strictement procéduriers. Cela pervertirait cette relation humaine unique en son genre, qui lie un être vulnérable, malade, souffrant, et celui qui a fait profession de le soigner, de le soutenir et de l’accompagner…

On aimerait que les médecins fassent alliance avec la force intérieure du malade, qu’ils y croient, qu’ils la soutiennent.  On aimerait les entendre dire : « Je vais vous aider à être fort, à construire vos défenses. »….

 

Le règne de la confiance aveugle entre le médecin et le malade est donc quasiment terminé. Cela ne veut pas dire qu’aucune confiance n’est plus possible, mais, on l’a compris, qu’elle doit se construire, ou venir de surcroît, dans une relation de partenariat, où l’information est partagée, les décisions prises en commun, et les responsabilités assumées ensemble.

 

De la plainte à la conciliation

 

         Les malades et leurs familles ont moins peur désormais de pointer ce qui n’est pas acceptable à leurs yeux. Je crois qu’ils font évoluer les choses, que plus ils oseront manifester leur réprobation lorsqu’on les maltraite ou qu’on porte atteinte à leur dignité humaine, plus ils contribueront au réveil des consciences. Les conciliateurs des hôpitaux ont conscience du rôle que les « usagers » de la santé peuvent jouer pour faire évoluer les attitudes.

         La profession de conciliateur est relativement récente. Les premiers postes datent des années 1980. La loi impose maintenant aux établissements de santé d’avoir leur commission de conciliation.

Les plaintes viennent surtout des familles. Et presque toujours après l’hospitalisation ou le décès du patient. On n’ose pas se plaindre sur le moment, par crainte de représailles.

 

Vers une coresponsabilité de la relation

 

         …..    Si j’exige d’un médecin qu’il m’écoute et me respecte, qu’il m’informe et tienne compte de moi, je dois de mon côté lui accorder la même attention. Si je ne suis pas consciente de la réalité de celui qui me soigne, de ses difficultés, de sa vulnérabilité alors même que je l’investis d’une sorte de toute-puissance, si j’attends tout de lui sans me préoccuper un petit peu de lui, si j’exige une disponibilité absolue au mépris des autres patients, si je le rends responsable de tout ce qui ne va pas sans faire la part des choses, alors mon attitude est arrogante. Elle n’est pas humaine. Mon médecin sort peut-être d’une nuit de garde ou d’une réunion harassante avec la direction pour résoudre un problème crucial de personnel…

         Les médecins se plaignent souvent de l’égoïsme des malades…..

         La même réciprocité est valable à l’égard des infirmières. Celles-ci s’occupent de choses dont nous ne voulons pas entendre parler et que nous occultons : la vieillesse, la déchéance physique ou mentale, la misère, la folie, la mort.  Nous ne savons pas ce qu’elles vivent et nous sommes peu conscients de leurs conditions de travail…

 

         L’humanité des soins n’incombe pas seulement aux soignants. Soignants et soignés sont coresponsables de la relation de soin. Chacun doit savoir se mettre à la place de l’autre.

         La façon dont la plupart des malades s’abritent derrière leur statut de souffrant pour se plaindre, exiger, sans l’ombre d’un souci pour ceux qui les soignent, pour les difficultés qu’ils rencontrent, a quelque chose de choquant…

         Les soignants attendent une réciprocité des malades. Ils aimeraient qu’ils les reconnaissent comme des êtres sensibles, avec leurs valeurs, mais aussi leurs difficultés. Ils aimeraient qu’on ménage leur pudeur.

         Il faudrait évidemment commencer par abandonner un certain nombre de fantasmes que les uns nourrissent à l’égard des autres, au profit d’une reconnaissance mutuelle…..

         Les malades et leurs familles ne doivent pas oublier que les médecins et les soignants sont des êtres humains, avec leur histoire souvent parsemée de deuils et de chagrins, leurs blessures secrètes, des humains vulnérables comme les autres. Cette vulnérabilité. Ils la cachent. Ce n’est pourtant pas une raison pour ne pas la prendre en compte.

 

Ces malades qui soutiennent les soignants

 

         Au moment où je termine l’écriture de ce livre, mon amie, Christina Castermane vient de mourir. Depuis deux ans, elle se battait contre son cancer avec une énergie, une joie de vivre qui ont impressionné ceux qui la soignaient. Jacques, son mari, me raconte que les infirmières du service d’oncologie de l’Hôpital Sud de Lyon gardent un fort souvenir d’elle. Elles venaient s’asseoir sur le bord de son lit, parce qu’elle leur faisait du bien. Elles se confiaient souvent à elle. Pourquoi ? Tout simplement parce que cette femme, bien que gravement malade, s’ouvrait à elles, s’intéressaient à elles. Son chirurgien dit que lorsqu’il lui demandait comment elle allait, Christina répondait : « Et vous docteur ? » Aucun patient ne lui avait jamais fait cette réponse…

         Une infirmière auprès d’enfants cancéreux écrit : « Une maman, une nuit, qui veillait auprès de son enfant qui mourrait, m’a dit d’aller manger quelque chose, parce que je n’avais pas eu le temps de dîner. C’est une attention dont je me souviens encore. »……

        

Bien des malades, conscients de la charge de travail des soignants, aident leur voisin de chambre, parfois plus démuni qu’eux. C’est cette solidarité entre malades qu’il nous faut développer, puisque les soignants ne peuvent être sur tous les fronts.