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Juillet 2010
LE CONTEXTE HISTORIQUE ET SOCIAL AU XXème SIECLE
VU A PARTIR DE TEMOIGNAGES
Groupe « Sol » de l’Université du 3ème
âge, Genève
Article
extrait des pages 9 à 14 (Chapitre I) de l’ouvrage :
« Vivre
sans elle. Le veuvage au masculin »
Collection La
vie à inventer, Editions Georg, 1996
Introduction, Henri
Charcosset
Le
groupe « Sol » comprend une quinzaine de membres.
L’étude
a été conduite non seulement sur et pour les aînés, mais par des aînés.
Trente
et un veufs, âgés de 69 à 85 ans, ont été interrogés.
Plan
avec des rappels :
-
La guerre de 1914-18
-
La crise des années 30
-
La mobilisation « Mob », de la guerre 1939-1945
-
Les progrès des lois sociales (assurances)
-
L’accroissement du pouvoir d’achat pendant les « Trente Glorieuses »
(1950-1980)
-
La révolution technologique
-
L’évolution des mentalités
Au
travers de ces témoignages, dont il est fait synthèse, on se rafraîchit la
mémoire, et réfléchit un peu, aux « énormes » événements et transformations
ayant marqué la vie courante au XXème siècle.
Qu’en
sera-t-il au XXIème siècle : Wait and See, Attendre et Voir.
Le
contexte historique et social
Les itinéraires des 31 veufs âgés qui seront évoqués dans ces
pages ont été influencés par les grands événements politiques et sociaux du
XXème siècle : pour les plus âgés, par le souvenir de la guerre de 14-18 vue de
Suisse ; pour tous, par la crise
économique des années 30, la «Mob» de 39-45, puis l’introduction de 1’AVS
(Assurance Vieillesse et Survivants), l’accroissement du pouvoir d’achat et des
possibilités de promotion professionnelle pendant les « Trente Glorieuses »
(1950-1980), l’actuelle récession, enfin par les modifications des conditions
de la vie quotidienne et des mentalités qui ont marqué les soixante-dix
dernières années.
La
guerre de 14-18
Pour la moitié des veufs que nous avons interviewés, la «
Grande Guerre »
- celle de 14 - est un souvenir d’enfance. Le père
mobilisé, les difficultés économiques de l’époque ont parfois marqué leur
entrée dans la vie.
L’un d’eux nous dit ce que cela représenta pour lui : Quand est arrivée la guerre, un 16, mon père
a dû partir de Genève en Italie. Il nous a laissé tomber, ma mère et moi, il
est parti faire la guerre en Italie. J’avais quatre ans. Cet après-midi-là, on
avait mangé avec ma grand-mère. C’était l’hiver ; il y avait un mètre de neige.
Et mon père m’a dit : « Je vais te faire un petit souvenir : un tunnel dans
cette neige. » Il a fait un tunnel qui avait deux-trois mètres de long. Il a
tassé la neige, il un a enlevé une partie, et il a fait un trou. Et je passais
à quatre pattes dedans ! Ça, je m’en rappelle...
Et le lundi
matin - ça devait être 5
heures du matin, il n’y avait pas de tram, il n’y avait pas de bus -, il va prendre
le train à Cornavin : j’entends mon père m‘embrasser quand il a monté les
escaliers avec ma mère qui pleurait. Et quand il est parti, ma mère a fermé la
porte, elle est descendue vers moi, elle a dit : « Maintenant, les roues
l’emmènent ; chaque tour de roue l’emmène de nous. » J’avais quatre ans.
Et j’ai des
souvenirs de cette époque de la guerre ou ma mère faisait des ménages, parce
qu’on n’avait pas un rond, pas de salaire du tout. Ce n’est pas comme maintenant,
qu’on a la Caisse de compensation. Elle a fait des ménages dans la maison et
dans la maison d’ à côté, et c’est avec ça qu’on a vécu toute cette période de
guerre.
Et quand la
guerre a été finie, il n’a pas pu rentrer, parce qu’il y avait du chômage. A
force de démarches, ma mère a enfin obtenu l’autorisation du retour de son
mari.
Et le
souvenir le plus formidable de cette époque, c’est quand mon père est revenu.
Je devais avoir sept ans - il est
resté absent trois-quatre ans : tout d’un coup, c’était 9 heures du soir, il y
a un gros coup de sonnette, ça a fait
sauter ma mère, qui avait la trouille, toute seule avec moi, en bas, dans la
loge de concierge. Tout d’un coup, la fenêtre qui s’ouvre et on entend un coup
de sifflet. Ma mère monte : c’est le papa qui rentre ! Je suis resté au moins
cinq minutes sans avoir de voix. Ça, c’est resté.
Mon père
avait chopé l’emphysème à la guerre. Le matin, il se levait, il commençait à
tousser, c’était des quintes... Il est mort à cinquante ans. Il est resté deux
ans malade. Ce qu’il y avait de tragique
: moi, je finis mon apprentissage au mois de décembre, le 1er
décembre. J’apporte ma première paye d’ouvrier le 15 décembre. Mon père apporte
sa paye sept jours plus tard. Ça fait qu’on avait deux payes l’une à côté de
l’autre. C’était sa dernière paye ! Ma première paye coïncidait avec sa
dernière paye! C’est fou, ça ! Mon père a eu l’assurance maladie qui lui a
versé trois francs par jour pendant nonante jours, je crois. On n’allait pas
loin avec ça !
La
crise des années 30 et la « Mob » de 39-45
La crise économique des années 30 apparaît dans
plusieurs récits. La plupart de nos interlocuteurs abordaient alors leur vie
professionnelle, et ce ne fut pas toujours facile. Pour certains qui, plus
tard, feront pourtant de bonnes carrières, le souvenir du chômage et de la
recherche d’un emploi reste douloureux. La période de mobilisation de guerre
qui suivit n’était pas faite pour arranger les choses.
Ecoutons l’un d’eux : J’ai fait trois ans d’apprentissage d’électricien, et puis trois ans
comme ouvrier. Et puis, là, en 35, il y a eu le chômage. Le patron m’a foutu à
la porte. Il m’a dit : « Toi, tu es jeune ; moi, j’ai des pères de
famille que je suis obligé de garder. Alors maintenant il faut aller voir
ailleurs. Avec une place ailleurs, tu verras d’autres méthodes. » Je me suis
trouvé au chômage. Il aura la chance de découvrir rapidement un autre
emploi : J’ai eu la pêche ! La
Providence, aussi !
Arrive la
guerre. Parti le premier jour. Alors, la Maison X., « par gentillesse », au Nouvel An, m’a donné
mon congé ! Alors, je me suis trouvé sur le carreau. Pendant toute la mob -
j’ai fait mille jours ! Quand je suis revenu, pas de boulot ! A ce moment
j’étais marié, j’avais une fille d’un an. Ma femme a commencé à courir pour le
charbon à la mairie ; il y avait le machin des mobilisés pour le loyer... Non,
tout ça, ç’a été une période dure. Ma femme faisait de la couture à la maison.
Alors, là, mon beau-père a été formidable : « Ton mari est au service
militaire, tu es toute seule : tu viens à la maison !» Alors, il a pris ma
femme et la gosse à la maison. Ma femme a travaillé comme vendeuse. Ensuite,
avec la Caisse de compensation, ç’a été un peu mieux.
A la fin de
la mobilisation, j’ai trouvé une place comme électricien. C’était l’époque du Plan
Wahlen : les apprentis, toutes les semaines, allaient passer un jour à
labourer, pour planter. Comme j’avais ma femme, ma fille et un garçon, on était quatre, j’avais droit à quatre
poireaux ! Plus un sac de pommes de terre, de temps en temps une salade,
de temps en temps un chou ! Et les allocations familiales : j’avais 12 francs
pour la fille, 12 francs pour le garçon. Et quand j’ai eu le troisième, je n’ai
plus eu que 10 francs, parce que le troisième enfant, il use ce que les deux
premiers n’ont pas usé !.......
L’évolution
des conditions sociales
Parmi nos interlocuteurs, plusieurs ont connu la pauvreté
dans leur enfance, avec une brève scolarité et le travail dès l’adolescence.
Quelques-uns mentionnent l’aide qu’il leur a bien fallu apporter à leur mère
veuve, dans cette période de crise économique où ils avaient eux-mêmes juste de
quoi vivre. Ils sont donc bien placés pour apprécier les progrès réalisés dans
le domaine de la prévoyance vieillesse au cours des cinquante dernières années
: c’est leur génération qui a conquis ces droits….
Cependant, sauf exception, les veufs que nous avons
interviewés ne figurent pas parmi les plus défavorisés financièrement. En
effet, ils appartiennent en principe à la classe moyenne urbaine, définie dans
un sens assez large en fonction de leur emploi juste avant leur retraite.
Aujourd’hui, quelques-uns bénéficient d’une bonne aisance, la majorité d’entre
eux s’en tirent bien, sans faire de folies, ou encore tout juste. Le seul qui ait vraiment parlé de difficultés
financières est un indépendant qui géra naguère une série d’entreprises
commerciales, acceptant parfois une faillite et retombant toujours sur ses
pieds : Financièrement, il ne faut pas
que je fasse le fou... Je suis assez limité maintenant. Je ne me sens pas
pauvre, mais je n’ai plus l’argent que j’avais. L’argent fond comme neige au
soleil !
L’impression se dégage de nos
entretiens - qui n’étaient pourtant pas spécialement centrés sur cet
aspect : aucun des 31 veufs de la classe moyenne avec qui nous nous sommes
entretenus ne s’est plaint d’un réel dénuement.
La
révolution technologique
Cette génération a aussi vécu la révolution technologique, en
particulier l’introduction de ces merveilles pour les personnes âgées
solitaires que sont le téléphone, la radio et la télévision. Les veufs que nous
avons interrogés ont tous le téléphone et la plupart en font un large usage,
tant pour demeurer en liaison avec parents et amis que pour assurer leur
sécurité. A Genève, selon une enquête du Groupe de travail « Logement » de l’Université du 3e âge,
moins d’une personne âgée sur cent n’avait pas le téléphone dans son
appartement en 1987 ; c’était le cas pour près d’un tiers vingt-cinq ans plus
tôt.
La diffusion de la télévision est plus impressionnante encore
: en 1962, 28% seulement des personnes âgées un possédaient un poste ; en 1978
et 1987, cette proportion est passée à 86 % et 89 %. Sur les 730 personnes
interrogées par les enquêteurs de l’Université du 3e âge en 1987, 18% n’avaient pas la radio et 11 % n’avaient pas la télévision ; mais
seuls 2 hommes et 7 femmes, qui dépassaient tous soixante-quinze ans, n’avaient
ni l’une ni l’autre.
Les appartements sans eau chaude, toilettes ou salle
de bain ont presque disparu (environ 2% pour chacune de ces catégories, alors
qu’il y en avait 12% un 1962 et
beaucoup plus au début du siècle). Néanmoins, notre enquête sur les conditions
de logement des aînés montre que de nombreuses personnes âgées aux moyens
modestes se concentrent dans d’anciens immeubles sans ascenseur ou sans
chauffage central. C’est là un obstacle au maintien à domicile - et
l’une des raisons pour lesquelles le taux de placement en institution est
beaucoup plus élevé (jusqu’à 13 fois) parmi les plus démunis que parmi les plus aisés
L’évolution
des mentalités
Enfin, ces veufs âgés ont été les témoins d’importants
changements dans les mentalités. Ils ont grandi dans un monde où le travail
représentait « la » raison d’être : « C’est le travail qui fait l’homme », leur
a-t-on appris dès l’école. Jeunes adultes, ils ont vécu dans une société où,
pour la plupart, l’argent était relativement rare, les salaires et le pouvoir
d’achat modestes ; on en était à la semaine de 48 heures, sinon plus. Et voilà
que, dès les années 1950, ils ont découvert cette société de consommation où le
but de l’existence, ce n’était plus le travail, mais le confort et les loisirs.
Plusieurs ont manifestement bénéficié de cette période
de prospérité économique grâce à l’amélioration de leurs conditions
professionnelles - passant de modestes emplois à des fonctions de
responsabilité, bénéficiant d’importants avancements dans leur entreprise ou
parvenant de l’état de travailleur non spécialisé à celui de commerçant
indépendant. Parfois, cette ascension socioprofessionnelle se poursuit aux
générations suivantes, où des études universitaires ont mené à de belles
situations les fils et les petits-fils d’ouvriers de campagne ou de manoeuvres
nés dans la pauvreté.
Il a une
énorme différence de mentalité d’une génération à la suivante, beaucoup plus
qu’autrefois, dit un de nos interlocuteurs pourtant large d’esprit et très
bien entouré par des enfants affectueux. Plusieurs sont heureux d’avoir pris
leur retraite avant la généralisation de l’informatique. Pendant des
générations, on avait trouvé ses modèles auprès des « anciens », riches d’une longue expérience grâce à l’immuabilité
des techniques. Mais aujourd’hui, s’intéresse-t-on à l’avis du vieil employé,
dépassé par les méthodes modernes ? Pour nos interlocuteurs, les modèles, ce seraient
plutôt leurs enfants. Avec eux, ils ont découvert les voyages lointains, voire
tout simplement les vacances (ne l’oublions pas : il a fallu attendre 1938
pour que se généralise la semaine annuelle du congé obligatoire). Ils sont les
premiers à pouvoir envisager une longue période de retraite : du temps de leurs
pères, on travaillait d’ordinaire tant qu’on en était capable, et on mourait
généralement peu après. Et les voilà, eux, retraités à soixante-cinq ans - sinon
plus tôt - avec de longues années devant eux en raison de l’allongement
de l’espérance de vie...
Génération-charnière, les aînés d’aujourd’hui sont
appelés à inventer une nouvelle façon de vieillir - au bénéfice de
nouvelles conceptions des loisirs et du confort et dans le souvenir d’un monde
révolu, à la fois admiratifs et un peu étonnés devant les mentalités et le
style de vie de leurs enfants.
Il leur a fallu admettre que le
divorce est devenu monnaie courante, et ne pas s’étonner que leur petit-fils
vive avec une copine : ils n’en font pas un drame, mais ça ne les enchante
pas... La paroisse n’est plus la grande famille d’antan ; certains déplorent
que les pasteurs ou les curés ne soient plus ce qu’ils étaient. Néanmoins, la
plupart d’entre eux font preuve de sagesse et d’un remarquable esprit
d’adaptation dans un monde en rapide mutation...