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Mars 2012
DE L’IMPORTANCE D’ETRE UNE GRAND-MERE. LES NOUVEAUX DEFIS
Maryse VAILLANT
Extrait de son ouvrage « Au bonheur des grands-mères »,
Editions Erès, 2010
Introduction, par Henri Charcosset
Cet ouvrage de Maryse
Vaillant, psychologue clinicienne, est de lecture très agréable, et je le
recommande. Dans l’extrait ci-dessous, on verra en particulier la partie
concernant la différence entre grand-mère du milieu du siècle passé et
grand-mère d’aujourd’hui( Paragraphe : La jeunesse comme idéal).
°°°°°
Aujourd'hui comme hier,il est
des femmes qui se réjouissent de devenir grands-mères et d'autres que
l'aventure déconcerte voire dérange.Il est des grands-mères de proximité qui
sont très vivement sollicitées-par leurs filles le plus souvent-et d'autres qui
comptent les jours les séparant de leurs petits-enfants .Il en est qui
découvrent en elles des trésors de tendresse pour les bébés qu'on leur met dans
les bras,d'autres qui attendent qu'ils parlent pour s'intéresser à eux,et
d'autres ,enfin qui préfèrent leur chat,leur chien ou leur voiture.Il en est
que la vue des bambins fait rajeunir et d'autres qu'accable le poids des jours
d'une vieillesse par eux annoncée.
Il est toutes sortes de
grands-mères.Certaines comme la mienne,sont mises à contribution sans
ménagement,sans avoir rien demandé,mais y trouvent finalement leur
compte.D'autres comme moi, que l'aventure saisit par surprise,se prennent
rapidement au jeu et y trouvent un nouveau souffle.
LES NOUVEAUX DÉFIS
Elles ont 50 ou 60 ans,en
avouent dix de moins,et on les croit sans problème.Pour la plupart,les
grands-mères d'aujourd'hui sont pimpantes et actives.Beaucoup travaillent
encore et n'ont franchi aucun des seuils symboliques qui ouvrent sur la vieillesse,ménopause,soixantaine,retraite,carte
Vermeil...
Leurs enfants élevés,elles
savourent ce nouveau bel âge qu'est celui de la jeunesse d'automne.
Ce sont des femmes jeunes,aux
allures de jeunes femmes.En pleine forme,elles voudraient bien profiter d'un
long palier de maturité active,paisible et enjouée avant que sonne l'heure de
la sénescence.
On ne choisit pas d'être grand-mère
Même les plus mères poules
d'entre elles,celles qui ont craint le départ de leurs enfants,la tristesse
d'un appartement silencieux et bien rangé et surtout l'inévitable confrontation avec un époux un
peu oublié ou une solitude honnie,voudraient
jouir de la liberté nouvelle qui s'offre à elles. Elles trouvent des
occupations,des loisirs,apprivoisent l'absence de leurs enfants et retrouvent
enfin une respiration personnelle.
Autrement dit,elles ne sont
pas pressées de rejoindre le camp des mamies.Un bon nombre d'entre elles,qui se
sont battues pour avoir le droit de rester femmes tout en étant
mères,voudraient bénéficier d'un moratoire,d'un temps égoïste,rien que pour
elles,avant de réendosser le harnais de la famille.
Mais les enfants ne leur
laissent pas le choix.Ils ne leur demandent pas leur avis pour les faire
reculer sur l'échelle générationnelle.La pression généalogique est de celle qui
ne se décrète pas.Bombardée grand-mère,la femme de 50 ou 60 ans prend
conscience que son temps de jeune femme et de femme jeune est révolu et qu'il
lui faut se définir par rapport à quelqu'un d'autre.Elle avait peut-être souffert d'être la fille de ses parents ou la
femme de son mari,la mère de ses enfants,et aspirait à n'être qu'elle-même le
temps d'un bel automne doré.La voilà à nouveau définie par rapport à une place
généalogique familiale.Par rapport à une fonction .On comprend donc le besoin
de se faire appeler par son prénom ou par n'importe quel joli surnom inventé
pour l'occasion.
Elles décident toutefois
d'affronter le sort et vont même jusqu'à en faire un nouveau défi.Certaines
vont jusqu'à vouloir réussir leur vie de grand-mère comme elles avaient voulu réussir
leur vie de femme et de mère.Etre des grands-mères parfaites ? S'épanouir dans
la grand-maternité ?Etre plus grand-mère que mère,plus grand-mère que femme
?Attendons-nous à voir fleurir ce genre de questions dans les magazines
féminins ou familiaux.Les préoccupations des femmes ayant dépassé 50 ans ne
devraient pas tarder à sortir de l'ombre,sous la pression de leur actuel
incontestable pouvoir d'achat.En effet,avec le recul de l'emploi des jeunes et
celui du départ à la retraite,les générations futures ne bénéficieront
peut-être pas du niveau de vie de celles d'aujourd'hui.La quinquagénaire et la
sexagénaire sont donc de magnifiques cibles commerciales toutes trouvées.Car
elles sont au cœur d'une double gageure, personnelle et sociétale,spécifiquement
féminine,spécifiquement familiale.Rester jeune le plus longtemps possible,vivre
intensément le rayonnement de leur maturité,tout en répondant avec ou sans
empressement aux sollicitations et aux besoins de leurs enfants et
petits-enfants. Le désir de rester jeune ou celui d'être grand-mère se mariant
selon les priorités de chacune.
La jeunesse comme idéal
Le souci de paraître jeune
n'a jamais effleuré ma grand-mère ni aucune des femmes de sa génération.Elle
aurait pu comprendre que l'idée puisse naître dans le cerveau fatigué de
quelque nostalgique du passé,l'aurait compris comme un signe de gâtisme,mais
n'aurait jamais supposé que cela puisse
devenir une obsession généralisée.Pour elle,la jeunesse ne peut être un
idéal,car c'est loin d'être une valeur.Avoir
l'air jeune n'est pas un atout,bien au contraire.La jeunesse,c'est
l'immaturité,la maladresse,l'incompétence,ce n'est qu'un passage,un mal
nécessaire en attendant mieux.Importent plus la respectabilité,le
sérieux,l'expérience,ce qui donne confiance,annonce
stabilité,efficacité,sécurité.L'âge et les marques visibles de l'âge annoncent
la modération,le discernement,la prudence,une forme de sagesse fondée sur
l'expérience.Autrement dit,pour qui a su conforter son bas de laine et acquérir
des terres,les années confèrent un statut et assurent une forme de liberté,de pouvoir,d'influence
et d'autorité.Car importe plus la possession que la jeunesse.Avec
l'âge,certes,on n'a plus de dent,mais ce qui compte c'est qu'on ait des noix!
Aujourd'hui,non seulement les
marques de l' âge ne sont pas des indices de sagesse,mais elles sont parfois
considérées comme des signes de faiblesse,de laisser aller. Le vieillissement
parle de vieillesse et de mort.Et de la mort,nul ne veut entendre parler. Au
troisième âge succède aujourd'hui un quatriéme à qui l'on concède le souci du
déclin.Et encore de manière pudique et discrète. Alors,pour les jeunes
retraitées,les fraîchement ménopausées,les nouvelles grands-mères,il n'est pas
question de préparer ses obsèques mais bien de prouver à tout le monde qu'on
fait encore partie des vivants et pour longtemps. Chacune veut avoir des dents
et le montrer.
Pour les mamies,il s'agit de
ne pas faire son âge,de rester sexy,de rester dans le coup.Elles lisent dans
les magazines les pages de recettes de cuisineavec autant de gourmandise que
celles des recettes pour mincir.Elles savent tout sur les produits miracles qui
permettent de perdre du ventre,estomper les rides et ridules,garder le teint
vif,assouplir les articulations et dissimuler les fuites urinaires.On peut
déplorer qu'un tel sort soit réservé aux femmes,mais il s'avère que ,ménagère
ou pas,la quinquagénaire craint de ne plus avoir d'existence sociale si les hommes ne se
retournent plus sur elle dans la rue.
Triste prison du paraître,triste
enfer du jeunisme.En fait ,beaucoup de femmes mûres s'efforcent de faire
coïncider l'image qu'elles se font d'elles-mêmes et leur reflet dans le miroir
ou les vitrines des magasins.Comme les adolescents. Comme eux elles ont parfois
des troubles hormonaux,une humeur instable et des problèmes d'image.Car il
n'est jamais facile de voir son corps changer.Les gamins ont recours au look qui dissimule sous une sorte
d'uniforme les métamorphoses d'un corps
qu'ils tentent d'apprivoiser,les mamies rusent et s'angoissent en
cherchant la tunique qui allongera leur silhouette et les chaussures qui
contiendront hallusvalgus et autres cors aux pieds. Tout faire pour ne
pas être rangée dans la boîte à vieilles dames.
Certes ce n'est pas la
naissance d'un petit-fils qui donne du ventre,un double menton et des
rides.Mais outre le décalage générationnel radical et impossible à dénier,les
transformations hormonales de l'arrière -saison et l'usure des ans s'accomodent
mal des prouesses de vitalité que la garde d'un nouveau né ou d'un jeune enfant requiert.C'est pourquoi
certaines new mamies préfèrent
prendre leurs distances avec le pouponnage.Il faut être jeune- et non pas seulement
le paraître- pour s'occuper sans fatigue et sans douleurs articulaires d'un bébé ou d'un jeune
enfant...
Les secondes chances
Cette jeunesse des
grands-mères pose parfois quelques problèmes d'ajustement des places
symboliques générationelles et des rôles affectifs dans la famille.Je pense à
toutes celles qui se sentent encore assez jeunes pour procréer et pour élever
des enfants à l'âge où d'autres se réjouissent d'être grands-mères et qui
voient leurs filles accoucher alors qu'elles repoussent l'idée de la ménopause.Je
pense à toutes celles qui n'ont pas réglé leur compte à leur désir de
maternité.
Par exemple,il est des jeunes
femmes qui deviennent mères alors que leur vie affective traverse des
tourmentes trop rudes pour elles. Solitaires ou mal accompagnées,ou tout simplement trop
jeunes ou immatures,elles sont mal armées pour faire face aux contraintes de la
maternité. Leurs années de jeunes mères passent sans qu'elles parviennent à
poser pied sur une terre ferme. Bousculées entre leurs problématiques de
filles, d'amantes, d'épouses,autrement dit de femmes,acculées par la vie à des choix
inhumains comme tous ceux qu'imposent la vie professionnelle, les amours, la
famille,elles vivent leur maternité dans l'angoisse,le sentiment assuré de
l'échec,la confrontation radicale à
l'erreur.
Lorsque arrivent les petits
-enfants,pour peu que leur existence trouve enfin son souffle,elles se sentent
prêtes pour un nouveau voyage au pays des babies.
Tout se passe comme si le ciel leur donnait une seconde chance.Plus disponibles-
le travail, les amants, le mari même parfois,n'étant plus si exigeants-
,plus averties- du moins le
croient-elles-, encore jeunes- c'est ce que disent leurs amies et leurs
miroirs-, elles veulent à tout prix réussir leur vie de grand-mère en
réparation des échecs de leur vie de mère.
Pour réussir ce tour de passe-passe généalogique,elles peuvent
disputer à l'autre grand-mère le droit au partage,lui voler la vedette,ou même
l'annuler,s'imposer comme seule grand-mère .Comme si devenir grand-mère se
réduisait pour elles au seul recul généalogique de leur propre lignée. Or, ce
qui caractérise les grands-parents,c'est d'être quatre. Même si tout le monde n'est
pas vivant ou présent,qu'on ignore ou méconnaît l'un ou l'autre membre du
quatuor de base,il faut quatre grands-parents,deux grands-mères,pour avoir un
petit enfant. Autrement dit,les illusions de la seconde chance sont une bien
douloureuse parodie de la réalité,un déni, un fantasme. Le genre d'usurpation
de place qui peut provoquer de graves troubles familiaux.
Rappelons-le, le rôle d'une
grand-mère, même la meilleure d'entre elles, est un rôle second, voire
secondaire. Si important soit-il pour l'enfant, il ne peut en aucun cas- même
fantasmatiquement- prendre le pas sur celui des parents, ni même s'y mesurer.
Il compense, assure, apaise, mais il ne peut s'y substituer. Celles qui
s'emmêlent à vouloir recommencer, rejouer leur vie de mère à travers leurs
petits-enfants, pour la réussir ou la réparer, font plus de dégâts qu'elles ne
l'imaginent, sans même guérir les blessures qu'elles portent en elles.
Meilleure grand-mère que mère
On peut toutefois être bien
meilleure dans le rôle de grand-mère qu'on ne l'a été dans celui de mère, sans
que cela cause le moindre préjudice à quiconque. Ou presque. Avec le recul,
nombreuses sont les grands-mères qui se souviennent des difficultés de leurs
débuts dans la vie familiale. Transformation de leur couple amoureux en couple
parental, efforts pour faire de leur amant un mari et de celui-ci un père,
tentatives de dégagements de l'emprise maternelle ou paternelle, confrontation
à l'omniprésent idéal de perfection..
Comment oublier les nuits
sans sommeil et les problèmes qui s'ensuivent au travail, les difficultés
financières,les erreurs éducatives, la panique, le sentiment d'abandon, la
fatigue, l'impuissance... Beaucoup, comme moi, ont traversé les plus grosses
turbulences de leur vie pendant les jeunes années de leur enfant.
Il suffit d'un peu de mémoire
et de lucidité pour le reconnaître, chacune d'entre nous a probablement fait de
son mieux, sans que nulle n'atteigne ses propres objectifs. Winnicott le disait
bien, une bonne mère est une mère suffisamment bonne. Au-delà, c'est trop, en
deçà ce n'est pas assez.1 Toutes les jeunes mères connaissent le sentiment
d'alterner en permanence le trop et le pas assez, sans trouver souvent le bon
équilibre, ce qui leur cause d'ailleurs autant de remords que de regrets.
1.Interprétation
libre du Good enough deD.W.Winnicott
dans Processus de maturation chez
l'enfant et De la pédiatrie à la psychanalyse,Paris,Petite bibliothèque Payot.
Avec les années, les jeunes
mères sont devenues des mères d'adoles-cents et aujourd'hui elles sont
grands-mères. Pour peu que les expériences aient amélioré leur maturité en même
temps que leur conditions d'existence, celles qui débordaient de trop nombreuses
tensions affectives, familiales ou amoureuses, peuvent enfin parvenir à une
maturité sereine. Plus de disponibilité, moins de soucis, une vie construite,
dans la plupart des cas, les grands-mères sont des femmes faites, elles ont
cessé de se battre pour exister. Elles peuvent entrer en grand-maternité le
cœur plus serein.
Autrement dit, il est plus
facile d'être grand-mère que mère. En effet,nul ne peut oublier que la fonction
maternelle porte en elle des injonctions et des contraintes psychiques d'une
rare exigence. Mettre au monde et élever des enfants remue et réveille bien des
démons intimes. Relation à la mère, nouage œdipien, dépendance affective, haine
et ressentiment, dénis et interdits de
penser... Dans le meilleur
des cas, ces rages internes se calment avec le temps. Pour peu que leur vie ne
soit pas trop dure, qu'elles réussissent à la rendre créatrice, réparatrice,
les femmes arrivent à leur maturité plus fortes,plus construites, plus
apaisées. Comme le rôle de grand-mère est plus paisible -ce n'est rappelons-le
qu'un rôle secondaire-, il est souvent bien plus facile à endosser. Ainsi, même
les femmes qui jugent sévèrement leurs années
de mère peuvent s'octroyer des félicitations pour leur rôle de
grand-mère.
Qui s'en plaindrait ? Les enfants
probablement. Ceux qui n'ont pas bénéficié des talents de patience dont leur
mère semblait dépourvue pendant leur jeune âge et qui lui sont venus avec
l'arrivée des petits-enfants. Certains jeunes parents peuvent en effet
ressentir quelques petites aigreurs affectives,le pincement de la jalousie, le
réveil d'une attente ancienne... La traversée de ces sentiments amers peut être
pour eux l'occasion de grandir, de quitter la position infantile qui fait
toujours souffrir inutilement, et enfin devenir adultes.Devenir l'enfant adulte
de leur mère. Une étape essentielle pour pouvoir être parent à son tour.