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Novembre 2011
VOTRE VIE SERA PARFAITE : GOUROUS
ET CHARLATANS
Roger-Pol DROIT
Editions Odile Jacob, 2005
Extraits par Henri Charcosset
Le
mot du webmestre, Henri Charcosset
Ecrivain et philosophe, chercheur au CNRS, Roger-Pol
Droit a publié d’autres livres dont « La compagnie des philosophes »,
« 101 expériences de philosophie quotidienne », « Toujours plus
de vie ».
En tout cas, pour l’appliquer à un public de 50 à 100
ans, le terme de coach ne convient guère ; on doit pouvoir lui préférer
celui de guide. On peut parler de : guide à bien vivre et vieillir.
Le grand mot pour l’époque actuelle et en devenir
étant Autonomie ,
le rôle majeur de tels guides devrait être de promouvoir l’acquisition,
l’entretien ou le renforcement, le prolongement si possible jusqu’au bout de la
vie, de l’autonomie sur ses différents
plans, de la personne accompagnée.
La description faite par Roger-Pol Droit évoque le
mauvais côté de la balance, dans ces professions, celui où le guide (ou coach
voire gourou) prône au contraire la dépendance à lui-même.
Souhaitons que les véritables guides, socialement et
humainement utiles, représentent la grande majorité des accompagnants.
Roger-Pol Droit, au travers de son propos à sens unique contre les méthodes du
développement personnel, peut nous aider à être prudents dans nos choix.
AVERTISSEMENT,
PAR L’AUTEUR
On vous donne à présent des conseils pour tout. Plus
un seul aspect de l’existence ne demeure sans experts, gourous et autres
coachs, tous prêts à prendre en main votre vie.
Situation ridicule : la vie n’a pas besoin, pour se
développer, de tant d’artifices et de boniments.
Situation dangereuse : beaucoup risquent d’y perdre
leur autonomie.
J’ai donc
composé cette farce pour mettre en lumière les méfaits de certains charlatans. Toute ressemblance entre la « méthode totale » et des méthodes existantes n’est
absolument pas fortuite. Et les personnages cités pourraient tous exister.
En dénonçant les travers de ceux qui mentent et
manipulent avec cynisme, je souhaite contribuer à vous rendre votre liberté, ou
à vous permettre de mieux la défendre.
LE
SENS GENERAL DE L’OUVRAGE, PAR L’AUTEUR
Suivez l’irrésistible ascension d’un gourou superstar,
Marcel Staline, inventeur de la « méthode totale », champion du cynisme et de la manipulation. Découvrez ses
consultations, son site web, ses trafics et ses chantages.
Sachez ainsi vous méfier des gens qui veulent vous
apprendre à vivre. Prenez garde à ces innombrables marchands de conseils qui
prétendent vous enseigner à respirer, à dormir, à manger, à travailler, à gérer
votre stress ou à mieux faire l’amour.
Derrière toutes ces méthodes miracles, coachings et
thérapies improbables se trouvent parfois de dangereuses arnaques, et presque
toujours le risque d’un totalitarisme d’un genre nouveau.
Et si vous retrouviez votre liberté?
ENFIN !
PAR « MARCEL STALINE »
Pages 13 à 16
Ce qui suit va changer votre vie. Mieux vaut que vous
le sachiez tout de suite.
Bien sûr, vous n’y croyez pas. C’est normal. Mais vous
jugerez par vous-même.
Car je ne vous demande pas de me faire confiance. Nous
ne nous connaissons pas. Je veux dire : pas encore. Vous n’avez donc
aucune raison de me croire. Pour l’instant.
C’est vous qui allez expérimenter le pouvoir d’une
méthode qui a révolutionné l’existence de toutes celles et de tous ceux qui
l’ont appliquée. Cette méthode réunit, synthétise et combine toutes celles qui
existent déjà.
Je ne prétends pas avoir tout inventé. Au contraire.
Il existait bien avant ma méthode des trésors d’expérience et de sagesse. Mais
ils étaient dispersés, posés côte à côte, parfois concurrents ou même ennemis.
C’est pourquoi j’ai décidé de tout utiliser, de tout
rassembler. De tout combiner, sans rien exclure et sans rien mépriser. Ainsi
est née la méthode totale, celle qui
contient et dépasse toutes les autres.
Elle est pour vous. Et personne d’autre. Car personne
ne peut vivre votre vie à votre place. C’est vous, et vous seul, qui êtes aux
commandes. C’est vous, et vous seul, qui rédigez le scénario, qui choisissez
les images et qui inventez votre rôle.
C’est donc à vous, à vous seul, que vous devez faire
confiance. Il y a en vous un potentiel inépuisable. Je le sais, j’en suis sûr.
Même sans vous connaître personnellement, je peux l’affirmer sans aucune
crainte de me tromper. Parce que tout être humain possède en lui, dès sa
naissance, un potentiel inépuisable. Des capacités de création infinies. Des
pouvoirs sans limites. Des facultés insoupçonnées.
Vous disposez, sans le savoir, d’un potentiel extraordinaire.
Vous êtes capable de créer, d’inventer, de comprendre, de convaincre. En vous se tient le pouvoir qui va pouvoir vous rendre
heureux pour toujours.
Ce qui vous manque, c’est le chemin pour y accéder.
Comme si la carte de votre monde intérieur avait été perdue. Comme si la porte
de votre pouvoir avait été murée. Et par qui ? Mais par vous-même, bien sûr !
C’est vous qui avez égaré le plan, bouché la porte, oublié l’accès. Vous ne
savez plus trouver ce qu’il y a en vous de meilleur et de plus fort.
Et vous seul pouvez retrouver ce trésor. Il est là. Il
repose en vous... Vous êtes ce trésor ! Personne ne peut donc vous le dérober.
Vous devez seulement en reprendre possession...
Mon rôle consiste à vous aider à vaincre. Seulement
vous aider. Car c’est vous qui allez gagner. Vous seul, et personne d’autre.
Ne croyez pas que ça sera nécessairement facile. Des
difficultés surgiront là où vous vous y attendez le moins. Il se pourrait que vous
vous sentiez découragé au moment où vous serez, en fait, tout près du but.
Je vous dis cela en fonction de mon expérience. Depuis
que j’ai entamé ce travail d’accompagnateur, j’ai déjà pu aider des foules de
gens. Chaque fois, leur vie s’est trouvée radicalement transformée. Mais
personne n’avait estimé correctement les difficultés de parcours.
C’est pourquoi j’ai décidé de vous livrer tout de
suite les clés de ma méthode. Vous avez droit à des explications claires. Vous
avez besoin de conseils pratiques. Je vais tracer en pleine lumière, pour vous,
pas à pas, le meilleur itinéraire vers la pleine réalisation de vous-même.
Vous cheminez déjà vers l’accomplissement absolu, même
si vous haussez les épaules.
Cela va vraiment changer votre vie. On parie ?
D’UN
STALINE A L’AUTRE. METHODE TOTALE ET RISQUE TOTALITAIRE
Pages 211 à 225
par Jean Richt , soit donc, selon toute vraisemblance, par l’auteur de
l’ouvrage. (Mot de Henri Charcosset)
Demain, nul ne se souviendra de l’existence de Marcel
Staline. Il aura disparu sans laisser de traces. Quelques années auront suffi à
effacer le bateleur qui tient aujourd’hui tant de place. Pourquoi donc
s’intéresser à cette écume éphémère ?
La raison en est simple : Staline n’est effectivement
rien en tant qu’individu, il est tout en
tant que symptôme. C’est pourquoi l’organisation de son propos, les
arrière-plans et perspectives de son entreprise sont à mettre en lumière. Un
monde inhumain s’y dessine. Voilà ce que je souhaite montrer.
Ce jugement peut surprendre. Les conseils prodigués
par la « méthode totale » ne sont-ils pas d’inoffensives banalités ?
Certainement. De l’inhumain, on se demande bien pourquoi.
Marcel Staline ne serait donc qu’un perroquet de plus
de la « sagesse des nations », nullement
l’indice d’une nouvelle barbarie. Ce coach et ses semblables ne feraient que
répéter des maximes millénaires : accepter ce qu’on est au lieu de rêver à des
paradis illusoires, être calme et serein plutôt qu’agité et inquiet, voir les
choses du bon côté, prendre soin de son organisme, vivre pleinement sa
sexualité... Beaucoup de vieux bon sens, rien de vraiment faux, a fortiori rien de dangereux.
Cela semble exact. Toutes ces méthodes s’appuient sur
de telles évidences. « Mieux vaut être heureux que malheureux » : de prime abord,
difficile de soutenir le contraire. Ces pseudo-évidences ont pour premier effet
d’emporter l’adhésion, sans même qu’il y ait matière à discussion. Elles
paraissent infalsifiables. Ceux qui les énoncent ne sont peut-être pas
originaux, mais ils ont raison, se dit-on.
Cette adhésion est renforcée par la prolifération de
ces évidences, qui provoque un effet de saturation. Mieux vaut être rassuré
qu’anxieux, bien portant que malade, efficace plutôt qu’incapable, et aussi
épanoui plus que rétréci. Chacune de ces affirmations paraît nécessairement
vraie. Devant elles, on se trouve donc d’emblée «
disposé à croire »...
Ajoutons que dans la plupart des méthodes, totales ou
autres, se trouvent quantité de conseils pratiques dont on ne saurait nier
totalement l’utilité. Leurs exercices élémentaires peuvent effectivement
produire des résultats.
À condition, toutefois, de les mettre en pratique, de
leur consacrer le temps, la patience, l’énergie qu’ils exigent... Or ce n’est
pratiquement jamais le cas des adeptes qui assurent le succès commercial de ces
méthodes et de leurs promoteurs.
Au contraire, il me semble essentiel au dispositif
actuel que l’ensemble de ces conseils ne soient jamais mis en pratique. C’est même la première singularité que je
souhaite mettre en lumière.
1 - Une consommation imaginaire sans fin
Le succès de tous les livres, instituts et coachs qui
se réclament du développement personnel repose sur ce paradoxe : leurs méthodes
ne sont jamais appliquées (ce qui serait fastidieux et fatigant), mais
seulement consommées de façon imaginaire (ce qui est facile et rassurant). Tout
se passe comme si lire était suffisant, comme si écouter était à soi seul
bénéfique.
Ces techniques mobilisent donc des conseils pratiques
connus de toutes les sagesses traditionnelles. Mais la posture de nos
consommateurs, elle, est radicalement nouvelle. Les adeptes des sagesses
savaient que le travail sur soi-même exige, durant des années et des années,
énergie, sacrifices, essais réitérés, retours en arrière, recommencements. Ils
savaient que leur but ne pouvait jamais être acquis instantanément. Ce ne
pouvait être un succès facile, ce n’était même pas une réussite assurée. La
conversion de l’existence - toutes les initiations ont ce point commun - passait par un processus long, par moments
douloureux ou difficile. À ce prix seulement, on pouvait accomplir,
éventuellement, la mutation de sa vie.
Cette fois, il en va tout autrement. Il suffit de
lire, d’écouter, d’assister. Théoriquement, les préceptes devraient être appliqués.
En pratique, on s’en dispense ! On sait comment devenir sage, heureux,
serein... donc on l’est ! Les recettes ne réclament pas d’être mises en oeuvre. Personne ne s’en soucie vraiment. L’initiation est
esquivée, elle n’est qu’imaginaire. Le propre du développement personnel est
d’être une consommation d’actes imaginaires, une rêverie autour d’efforts
inaccomplis. Merveilleuse innovation ! Le
temps est supprimé, l’effort est supprimé, le réel est supprimé.
Il s’agit d’une simple consommation imaginaire d’avenir, dépourvue de tout impact sur la
réalité. Le geste ne consiste jamais à se prendre vraiment en charge, ni à
s’exercer réellement. Il réside tout entier dans l’évocation de ce qu’on
sera... lorsqu’on aura réussi cette opération qu’en fait on n’accomplit jamais
!
Il est plus simple de rêver que d’agir. Il est plus
gratifiant de s’imaginer heureux, sage, parfaitement réalisé, que d’oeuvrer pas à pas, dans l’hésitation et parfois le
découragement, à se modifier réellement, pour un résultat toujours aléatoire et
incertain. Voilà ce que notre époque a profondément saisi.
Le développement personnel dans son ensemble, avec
l’immense diversité des méthodes, des livres, des sites web et des coachs qu’il
engendre, est donc entièrement destiné à tourner à
vide. Il produit des livres de conseils pratiques que personne ne va pratiquer,
des mutations de l’existence que nul ne vivra, du bonheur pour toujours que
personne jamais n’atteindra.
Cela n’a aucune importance ! Car il importe uniquement
qu’on se berce indéfiniment de cette illusion : on possède le bonheur,
puisqu’on vient d’acheter la recette. Comme s’il suffisait d’un livre de
cuisine pour avoir un repas, ou de lire la règle de saint Benoît pour être
moine !
Cette consommation imaginaire présente en tout cas un
immense avantage commercial : il faut renouveler constamment le stock de
recettes, rénover leur présentation, repeindre sous de nouvelles couleurs (à
peine différentes, mais pourtant différentes) les anciennes évidences.
2 - La démission de sa propre existence
De ce
paragraphe, nous ne retenons que deux phrases clé, pour la seule raison de limiter la longueur totale de cet article.
Voir l’ensemble du développement dans l’ouvrage. HC
……. L’Occident en serait venu à un tel point
d’affaiblissement que la plupart des individus se trouvent réduits à une
complète dépréciation d’eux-mêmes. Ce crépuscule de la volonté leur rend
impossible de se gouverner eux-mêmes, les porte à être toujours commandés par un autre, qu’ils
se donnent l’illusion de choisir...
…...L’individu se livre entièrement au pouvoir du
coach, à son arbitraire, à sa violence toujours possible. La démission de soi
consiste à remettre à un autre le pouvoir de juger notre existence et de
prendre des décisions pouvant la modifier, dans tous les domaines.
Quand on ne s’appartient plus, cela se nomme
aliénation. Quand un pouvoir unique tend à contrôler tous les aspects de
l’existence, cela se nomme totalitarisme. Nous y sommes.
3 - Un totalitarisme à visage radieux
Quel est le dénominateur commun de toutes les
démarches se rattachant à la nébuleuse du développement personnel ? On ne
saurait le trouver ni dans les principes, ni dans les méthodes, ni même dans
les objectifs poursuivis, où règne une grande hétérogénéité. L’unité de cette
multitude réside dans une attitude omniprésente : la suppression de tout ce qui
est négatif. C’est là qu’il y a motif à s’inquiéter pour de bon...
Vouloir supprimer limites, aléas, inquiétude revient à
nier notre liberté, à déshumaniser le monde. Qu’on ne se méprenne pas : il est
bien sûr possible, et souhaitable, d’oeuvrer à
diminuer la souffrance, l’incapacité, la faiblesse, l’anxiété, l’ignorance...
Mais rêver et faire rêver de les abolir entièrement
n’est pas seulement illusoire et vain. C’est insensé et dangereux...
Dans ce monde sans limites et sans négatif, autrui
disparaît complètement. Il n’y a pas lieu de s’en étonner : la liberté de
l’autre, l’existence de son désir et de sa volonté autonomes constituent,
depuis toujours, des limites à notre propre liberté, et par là même, bien
souvent, une source de désagrément. Dans un monde où rien ne doit gêner ni
contraindre, il ne saurait y avoir de place pour autrui.
Sa disparition est d’ailleurs supposée par le fait
même que le rôle central revient à mon appréciation
des situations, à ma représentation
du monde. Dans la plupart des techniques concernées, le film que je projette
remplace la dure et imprévisible résistance du monde. Tout dépend de ce que je
me raconte et seulement de cela !...
C’est ainsi que nous sommes censés devenir sereins et
heureux : il suffit que nous nous racontions une autre histoire à propos
des mêmes faits...
C’est la réalité qu’il convient d’éliminer !
Staline et ses semblables ont décidé de s’en défaire.
L’univers est donc désormais fabriqué par chacun à sa mesure et à sa
convenance. Le monde se trouve ainsi curieusement expurgé de ce qui pourrait
l’alourdir : non seulement autrui, mais aussi la mort, les maladies, la
violence, le mal, les meurtres, les chagrins, etc.
Ce monde dépourvu de limites, où ne figurent ni autrui
ni aucune réalité, n’est pas seulement un monde allégé et imaginaire. C’est un
monde totalitaire, dans la mesure où toutes ses dimensions sont soumises, sans
exceptions à la dictature de ma seule satisfaction. C’est un monde-bulle,
artificiel, trompeur, autiste, voué à l’échec et à la désillusion. Dépourvu de
la présence de l’autre, privé de l’opacité du réel, c’est un monde inhumain...
La vraie nouveauté serait-elle que ce monde inhumain se présente aux sujets sous les traits d’une existence radieuse, colorée, plus diverse, plus libre et
plus riche d’intensités de toutes sortes que leur vie habituelle
? Cela n’est pas une nouveauté. Il serait en effet facile de montrer que c’est
le modèle de tous les paradis. Un paradis est
toujours un lieu inhumain, paré de tous les attributs du désirable suprême.
Ce qui est particulier, dans le nouveau paradis des
coachs, est que cet inhumain désirable n’est plus collectif, ni religieux, ni situé
dans un au-delà historique ou cosmique.
Le paradis du bonheur pour toujours par la méthode
totale est désormais individuel, indépendant des Eglises et des dogmes,
réalisable ici et maintenant.
Derrière son sourire qui ne disparaît jamais, il
annonce une forme inédite de risque totalitaire.
Il s’agit d’y prendre garde.