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/ en Janvier 2016
FABRIQUER
L'HUMAIN DE DEMAIN
Corine LESNE
Le Monde
Le
transhumanisme promet l'avènement d'un homme « augmenté » notamment
grâce à l'intelligence artificielle. Un rêve de science-fiction qui est
aujourd'hui l'objet de recherches et d'investissements dans la Silicon Valley
ALE+ALE
CORINE
LESNES
San Francisco, correspondante
S |
'il
fallait résumer la philosophie
transhumaniste en une seule idée, la plus extrême mais aussi la plus
saisissante, ce serait celle-ci : un jour, l'homme ne sera plus un
mammifère. Il se libérera de son corps, ne fera qu'un avec l'ordinateur et,
grâce à l'intelligence artificielle, accédera à l'immortalité.
Science-fiction ? Pas si simple. Dans
la Silicon Valley, l'idée de l' « homme augmenté » n'effraie
personne. Pas plus que celle de longévité infinie. Cette enclave hors des
contraintes temporelles a quitté depuis longtemps le XXe siècle, ses
conventions de langage et de pensée. Ce qui paraît tabou ailleurs semble ici
l'être à cause d'un principe de précaution dépassé par les progrès exponentiels
de la science. Elle invente des mots, comme « disruption », la
faculté de perturber l'ordre établi, et se soucie peu du fait que les mutations
promettent de mettre sur la paille des industries entières. Sûre de sa
« révolution », elle vit dans sa bulle ― ou son nuage ― numérique. « L'idéologie de la Silicon
Valley, c'est celle de la toute-puissance », résume un investisseur
étranger.
Les seigneurs californiens « veulent être les maîtres du monde ». Mais
il ne faut pas en déduire, ajoute-t-il, que « c'est forcément mauvais
pour l'humanité ».
La
Californie baigne |
dans
la conviction que |
l'homme
va améliorer |
la
machine, et la machine |
améliorer
l'homme |
La Californie, bastion de la
contre-culture des années 1960 et des débuts de l'informatique, baigne dans la
conviction que l'homme va améliorer la machine autant que la machine va
améliorer l'homme. Les critiques parlent de « solutionnisme
numérique » ou de « techno-libertarianisme » :
la certitude que la résolution des grands problèmes de l'humanité passe par
l'avancée de l'intelligence artificielle, combinée à une philosophie politique
hostile aux réglementations dictées par les gouvernements. Les nouveaux maîtres
du monde estiment, eux, qu'ils incarnent le progrès. Ils sont jeunes. Leurs
ingénieurs voient se développer leurs innovations plus vite qu'ils ne l'avaient
jamais envisagé.
La voiture sans chauffeur ? Elle n'attend plus que le feu vert des
autorités de régulation. Les robots ? Ils aiguillent déjà les
consommateurs dans les allées des magasins. Les patrons du high-tech ont pris
les rênes de l'innovation mondiale à l'âge de 30 ans.
En quelques années, ils ont vu leurs start-up d'étudiants être valorisées à
plusieurs milliards de dollars. Pourquoi ne feraient-ils pas reculer la
mort ?
Les
transhumanistes se situent à l'extrême de cette logique techno-utopiste.
C'est l'individu lui-même qu'ils rêvent de transformer. Ils veulent abolir les
contraintes de la condition humaine et revendiquent le droit individuel à la
prise de risques, aux greffes d'organes artificiels, aux modifications
génétiques. Les partisans de l' « homme augmenté » croient à la « liberté
morphologique » : le droit absolu de disposer son corps. Ils
discutent ouvertement de l'allongement infini de la vie, de l'éradication des
maladies, du moment où les microrobots détecteront les cellules cancéreuses à
l'intérieur des organes. Quelques uns, appelés « biohackers », vont
jusqu'à mener des expériences sur leurs propres organes. L'informaticien
britannique Aubrey de Grey, qui dirige la Fondation Methuselah, un institut de
gérontologie de Mountain View (Californie), voit le corps comme une
voiture : il suffira de remplacer ses pièces pour le conserver
indéfiniment.
À l'entendre, l'expression « mort naturelle » n'aura bientôt plus de
sens. La vie n'est qu'une question de maintenance, finalement.
Le
transhumanisme existait avant l'explosion des hautes technologies, et ce
courant de pensée ne se réduit pas à la Silicon Valley. Le mot remonte au
théoricien de l'eugénisme,
le biologiste Julian Huxley (1887-1975) – frère d'Aldous,
l'auteur du Meilleur des mondes (1932). Ce terme a réapparu au début des
années 1990 en Californie du Sud, dans le magazine Extropy, de Max More,
un philosophe diplômé d'Oxford qui a pris le nom de More (« plus »)
pour signifier « l'essence de ce qu'il veut être ». Puis, en
2003, dans un manifeste du philosophe suédois Nick Bostrom, fondateur de
l'Association transhumaniste mondiale et
aujourd'hui directeur de l'Institut du futur de l'humanité d'Oxford. Il y
inscrivait le transhumanisme dans la
tradition des Lumières.
Longtemps,
la communauté scientifique a jugé les thèses transhumanistes peu crédibles.
L'accélération du progrès technologique conduit certains chercheurs à
s'inquiéter : n'avons-nous pas ouvert la boîte de Pandore ?
ALE+ALE
Pour Nick
Bostrom, au lieu d'améliorer la condition humaine par l'éducation ou la
culture, il s'agissait d'en repousser les limites par la génétique et
l'informatique. Une perspective que l'accélération fulgurante des capacités de
l'intelligence artificielle, alliée aux prouesses des biotechnologies, a
beaucoup renforcée.
Si le transhumanisme se diffuse, selon Jaron Lanier,
membre de l'équipe de recherche de Microsoft, c'est parce qu'il baigne dans la
mythologie de la Vallée. « La montée en puissance des monopoles du Net
coïncide avec une nouvelle sorte de religion fondée sur l'immortalité », estime-t-il.
C'est un mouvement qui reste marginal, mais cette vision du monde se répand,
en particulier dans la Silicon Valley, confirme Marcy Darnovsky,
la directrice du Center for Genetics and Society, un institut de politique
publique installé à quelques rues du campus de l'université de Berkeley.
Jusqu'à l'expansion des réseaux sociaux, le mouvement
se limitait à des amateurs de science-fiction et des jusqu'au-boutistes
cinglés, qui faisaient congeler leur corps – ou seulement leur
tête, c'est moins cher – dans la perspective de la résurrection
technologique. Aujourd'hui, la congélation est un peu passée de mode, mais la
philosophie de l' « homme augmenté » s'est diffusée. Les
nouveaux transhumanistes ont quasiment
pignon sur rue, ou en tout des dizaines de groupes Meetup (un site de
réseautage social), des centaines de pages sur Facebook, des tribunes dans les
médias, un site Web au nom rassembleur : Humanity +. Et des films cultes,
dont Transcendance, de Wally Pfister, avec Johnny Deep, sorti en 2014,
qui montre le « back-up du cerveau ». Autant dit le saint
graal : le transfert de la mémoire et de l'esprit humain sur le disque dur
d'un ordinateur.
Pour
certains, l'homme |
ne
sera plus qu'un paquet |
d'atomes,
à la merci |
des
besoins en molécules |
de
la super-intelligence |
Pur fantasme ? Longtemps, la majeure partie de la
communauté scientifique est restée sans réaction face aux thèses des
transhumanistes, qu'elle jugeait peu crédibles.
Mais l'inquiétude commence à poindre. Peu après la sortie de Transcendance,
une première mise en garde a pris la forme d'une tribune dans The
Independant.
« Si l'impact à court terme de l’intelligence artificielle dépend de qui
la contrôle, à long terme [la question] est de savoir si elle peut tout
simplement être contrôlée »,
y soulignaient l'astrophysicien Stephen Hawking et trois autres chercheurs
de renom.
Depuis, d'autres grands noms –
Elon Musk, cofondateur de Tesla Motors, ou Bill Gates –
ont fait écho à ces préoccupations. Le 12 janvier, enfin, une lettre ouverte
signée par des experts internationaux en intelligence artificielle a été
publiée sur le site du Future of Life Institute, association fondée en 2014
pour chercher à limiter les risques encourus par l'humanité du fait du
développement des machines. Le texte prend acte des avancées dues à ces
dernières et estime que l' « éradication de la maladie et de la
pauvreté n'est pas inconcevable ». Mais il juge tout aussi important
d' « éviter les pièges potentiels » de ces progrès
technologiques.
« Il y a beaucoup de domaines dans
lesquels on tenait pour acquis qu'on ne réussirait pas de notre vivant.
Maintenant, les gens se disent : attention, on va peut-être
réussir », résume
Max Tegmark, professeur de physique au Massachusetts Institute of Technology
(MIT) et fondateur du Future of Life Institute avec l'informaticien estonien
Jaan Tallin (lui-même cofondateur de Skype). Car les transhumanistes, pour
étayer leurs croyances, s'appuient sur l'accélération continue de la vitesse de
calcul des semi-conducteurs (selon la conjecture de Gordon Moore, cofondateur
d'Intel). Une évolution qui, selon eux, conduira à ce moment où la machine
prendra le dessus.
Les plus extrêmes pensent que le destin de la race
humaine est de créer des entités plus intelligentes qu'elle, et peu importe
qu'elle disparaisse au passage, tout comme les animaux ont dû s'effacer devant
les besoins humains. L'homme ne représentera plus, selon eux, qu'un paquet
d'atomes, à la merci des besoins en molécules de la super-intelligence.
D'autres prévoient plutôt une combinaison cerveau-machine : l'espèce
humaine ne disparaîtrait pas mais serait transformée. Au mieux, la machine
trouvera à l'homme quelque utilité. « On nous gardera peut-être comme
animaux de compagnie », ironise Jaron Lanier, chercheur chez
Microsoft. Le moment où la machine surpassera l'homme est appelé
« singularité », un concept défini par le mathématicien et auteur de
science-fiction Vernor Vinge en 1993. La majorité des scientifiques parlent
plutôt d' « explosion d'intelligence », selon les termes
du statisticien Irvine J. Good en 1965 : ce moment où la machine sera
capable de se reprogrammer elle-même pour augmenter à l'infini ses capacités.
L'homme, avec son nombre limitée de neurones (100 milliards tout au plus),
ne sera plus qu'un nain face à l'ordinateur : à l'image de ce qu'est la
méduse (800 neurones) par rapport à l'homme aujourd'hui...
L'intelligence
artificielle |
a
le même potentiel |
de
destruction que |
le
nucléaire, soulignent |
des
chercheurs dans |
une
lettre ouverte |
Le mouvement a des relais actifs : Ray Kurzweil,
66 ans, considéré comme un génie par la plupart de ses pairs pour ses
interventions dans le domaine de la reconnaissance optique (scanner) et vocale
(lecture à haute voix pour aveugles), a popularisé le concept de singularité.
Peter Thiel, le techno-libertarien fondateur de Paypal, se revendique rarement
publiquement d'un courant que certains, selon sa propre expression, « voient comme au-delà des limites
respectables », mais en est un des piliers financiers. Et Peter
Diamandis, médecin diplômé de Havard, ingénieur passionné de conquête de
l'espace, promet l'«abondance » pour tous et a lui-même investi
dans nombre d'activités, du séquençage du génome aux espoirs de forages miniers
dans l'espace.
Ray Kurzweil se flatte que ses prédictions (au nombre
de 108 entre 1990 et 2009) se soient réalisés à 86 %, le reste lui ayant
échappé à quelques années près. Il avait prévu l'arrivée de la voiture sans
chauffeur, à un moment où l'Internet était encore à ses débuts. Depuis, « davantage
de gens le prennent au sérieux », remarque le physicien Max Tegmark.
Kurzweil pense que la marche vers l'intelligence artificielle va continuer à
s'accélérer. Aux environs de 2029, « les ordinateurs seront indistincts
des humains pour ce qui concerne le langage ». Vers 2045, « la
civilisation sera intégrée. Nous étendrons les capacités du néocortex », qui
sera connecté à un équivalent synthétique dans le cloud (stockage des données).
Ses prédictions s'arrêtent là. L'humain aura été tellement manipulé dans ses
fonctions qu'il est impossible, passé ce point de non-retour, de prédire à quoi
la vie ressemblera... « Potentiellement, c'est l'événement le plus
dangereux pour la civilisation. Tout à coup, nous ne serons plus seuls », assène
Zoltan Istvan, auteur,
en 2013, du roman The Transhumanist Wager (« Le pari
Transhumaniste »), qui s'est vendu à 40 000 exemplaires.
¶ |
À
LIRE : |
INTERNET : |
QUI
POSSÈDE NOTRE |
FUTUR ? |
de
Jaron Lanier |
(Le
Pommier, 2014). |
Faut-il prendre ces perspectives au sérieux ?
Après tout, Ray Kurzweil ne publie pas d'articles sur ses travaux dans les
revues scientifiques et n'intervient pas dans les congrès traditionnels sur
l’intelligence artificielle. Marcy
Darnovsky, dont l'institut est devenu un observatoire des transhumanistes, met
toutefois en garde contre un excès de réserve de la part de la communauté des
chercheurs – réserve qu'elle l'avait déjà constatée il
y a une quinzaine d'années après les premiers clonages d'animaux. « On
ne veut pas donner une légitimité aux transhumanistes, mais on ne peut pas non
plus les ignorer, déclare-t-elle. Que ce qu'ils disent soit techniquement
possible ou non, ils ont le potentiel pour changer notre culture en substituant
des solutions techniques aux changements politiques et sociaux qui
amélioreraient la vie des gens. »
Jusqu'ici, les scientifiques s'employaient surtout à
perfectionner les machines, répond Max
Tegmark. Mais devant les investissements énormes et la compétition entre géants
de la technologie – car presque tous ont leur laboratoire
d'intelligence artificielle, sans parler de ce que préparent sans doute les
ingénieurs sur les rives asiatiques du Pacifique –,
ils commencent à se mobiliser. « C'est une course entre le potentiel
grandissant de l'intelligence artificielle et notre sagesse pour le gérer, ajoute
le physicien.
Les investissements sont consacrés à essayer d'augmenter les capacités des
machines, et presque rien n'est investi du côté de la sagesse. »
Selon les chercheurs signataires de la lettre publiée
par le Future of Life Institute,
l'intelligence artificielle a le même potentiel de destruction que le
nucléaire, dont l'humanité, des décennies après sa mise en œuvre, essaie
toujours de contenir les dangers. « Comme les physiciens nucléaires et
les généticiens avant eux, les chercheurs de l'intelligence artificielle
doivent se préparer à l'idée que leurs recherches pourraient aboutir et faire
en sorte que les résultats soient bénéfiques à l'espèce humaine », explique
Stuart Russell, l'une des sommités de l'intelligence artificielle et principal
rédacteur du manifeste. Les chercheurs ne savent pas si –
ou quand – se produira le phénomène de l'« explosion
d'intelligence » (le moment où la machine surpassera l'homme dans les
tâches cognitives). Mais ils estiment qu'ils faut s'y préparer. « Il
n'est pas besoin de robots maléfiques comme dans les films, précise Stuart
Russell. Il suffirait d'une mauvaise adéquation entre la tâche qu'on assigne
à la machine et celle qu'on veut qu'elle remplisse en réalité. »
L'initiative a rencontré un écho inattendu : 5
000 signataires. « C'est le signe qu'une culture de responsabilité est
en train de se développer dans la communauté de
l'intelligence artificielle elle-même », se félicite M.
Tremarck. Parmi les signataires figurent une cinquantaine d'ingénieurs de
Google, le directeur de l'intelligence artificielle de Facebook, l'équipe du
superordinateur Watson d'IBM, les trois cofondateurs de Deep-Mind, le
laboratoire d'intelligence artificielle racheté par Google, et Elon
musk, qui a décidé de donner 10 millions de dollars (8,9 millions d'euros) à
l'institut pour encourager les recherches sur les risques encourus. On y trouve
même des Transhumanistes, ainsi que
l'inventeur du mot « singularité », Vernor Vinge. Un absent de
marque : Ray Kurzweil.
Sur le plan politique, les transhumanistes voient
grand, large et loin. Ils sont à la science ce que les néoconservateurs ont été
à la diplomatie : des théoriciens de la transformation qui balaient comme
passéistes ceux qui leur opposent une réalité autre que celle qu'ils sont en
train de fabriquer. Ils pensent que la technologie va sortir l'humanité de
l'âge de la pénurie. L'énergie sera illimitée grâce au solaire. Plus de
problèmes de nourriture :
la viande sera « imprimée ». Certains expriment des soucis de justice
sociale. Mais là encore, la technologie y pourvoira. « Un Masaï muni
d'un téléphone portable dispose de plus d'informations aujourd'hui que le
président des États-Unis il y a quinze ans », affirme Peter Diamandis,
qui se réjouit de savoir que « 3 milliards d'individus de plus seront
connectés » dans la prochaine décennie. Il suffira aux villageois du
fin fond de l'Afrique d'expédier, grâce à leurs smartphones, leurs résultats
d'analyses médicales à un spécialiste sur un continent lointain. Celui-ci
établira le diagnostic, et les médicaments seront obligeamment livrés par un
drone.
Les humanistes jugent cette approche simpliste, voire
dangereuse. Pour eux,
le transhumanisme néglige les conséquences des technologies dans le
monde : la hausse des inégalités, les millions d'emplois menacés au fur et
à mesure que les ordinateurs rempliront nombre de tâches mieux que les humains.
« Quel sera le rôle de l'homme ? Quelles structures sociales
faudra-t-il pour parvenir à une société de faible emploi mais
florissante ? », demande Max Tegmark. Comment empêchera-t-on les
« armes autonomes » de déclencher des conflits accidentels ?
Sans parler des critères éthiques qui présideront aux choix des machines :
entre renverser un cycliste et provoquer des dommages matériels coûteux, que
décidera une voiture sans chauffeur ?
Derrière le « big data », les humanistes
voient aussi pointer le « big money ». « On nous vend la
technologie comme si c'était un bienfait intégral, estime Peter Shanks,
du Center for Genetics and Society, mais
le résultat pourrait bien être que ce que nous prenons pour des merveilles high-tech
soit en fait l'instrument du pouvoir exercé par quelques-uns sur le reste
d'entre nous ». L'« immortalité » rêvée par les
transhumanistes deviendrait alors l'apanage des puissants. ■
CORINE LESNES
L |
'un des bastions de
l'élite transhumaniste est la Singularity University, financée par Google sur
un terrain de la NASA, à Mountain View (Californie).
Une académie autant qu'un réseau pour investisseurs, qui forme des jeunes à la
pensée « révolutionnaire » avant de les envoyer « évangéliser »
̶ c'est le terme consacré dans
la Silicon Valley ̶ dans le reste du monde.
En novembre 2014,à San Diego, l'université tenait l'un
de ses séminaires réguliers.
Ray Kurzweil, le « grand-père » du transhumanisme, était annoncé.
Mais les participants ont eu la surprise de voir arriver à sa place sur le
podium un robot dit de « téléprésence », un écran sur roulettes nu
incontournable dans les conférences high-tech. Les yeux mi-clos, le maître a
répondu à quelques questions par l'intermédiaire de Beam le robot. Comme
beaucoup de ses confrères, Ray Kurzweil rentabilise sa vision du futur. Avec le
médecin Terry Grossman, il vend un régime de longévité (« les neuf
étapes pour vivre bien éternellement ») et des suppléments vitaminés
sous la marque « Ray and Terry ».
Lui-même prend chaque jour 150 pilules et recommande la vitamine D sur YouTube.
Ray Kurzweil n'en a pas moins reçu des dizaines de distinctions, dont la
médaille nationale de la technologie des mains de l'ancien président américain
Bill Clinton. En décembre 2012, il a été recruté comme ingénieur en chef par
Google. L'objectif de son laboratoire est de « reprogrammer la
biologie pour éliminer les maladies, explique-t-il à San Diego.
Des expériences sont en cours ». l'audience n'en saura pas plus.
Cas de conscience
Ray Kurzweil est plus disert sur l'accélération des
progrès technologiques. « Il a fallu quinze ans pour séquencer le virus
du sida. On a séquencé celui du SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère] en
trente et un jours. » Il y a quelques années, affirme-t-il, « aucun
ordinateur n'aurait pu distinguer un chien d'un chat ». Maintenant
c'est l'enfance de l'art : les algorithmes de reconnaissance de formes
sont plus sophistiqués, grâce au « data mining » (exploration des
données). Il suffit de pomper dans les milliards d'images publiées par tout un
chacun sur le Net. « Il y a 3,6 millions de photos de chats sur Google.
Et 3 millions de chiens... »
L'auteur de The Singularity is Near (2005, non
traduit) l'assure : « la conscience est un phénomène qui n'est
apparent qu'à elle-même. Il viendra un jour où nous accepterons que des entités
qui ne sont pas biologiques en soient pourvues. » Un scénario qualifié
de pure « science-fiction » par le professeur Stuart Russell,
expert de renommée mondiale en matière d'intelligence artificielle. « Sauf
miracle ou percée conceptuelle majeure, indique-t-il, il n'est pas
envisageable de transférer notre conscience dans une machine. » Cela
dit, ajoute-t-il, il n'est « pas inconcevable » que l'homme puisse,
dans dix ou vingt ans, « augmenter sa capacité de mémoire par une
connexion directe » avec un appareil électronique. « C'est un
choix auquel l'humanité va être confrontée. » ■ C. LS