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Janvier 2013
CERVEAU
ET SPIRITUALITE
Louiza
DAHOUN Jean DISEROI Olivier CHAMBON
Le Monde des Religions Janvier-Février 2012
LES ETATS MODIFIES DE CONSCIENCE (EMC)
Louiza Dahoun
Selon l’ethnologue
Georges Lapassade, « les termes "états modifiés de conscience" (EMC) rassemblent
un certain nombre d’expériences au cours desquelles le sujet a l’impression que
le fonctionnement habituel de sa conscience se dérègle et qu’il vit un autre
rapport au monde, à lui-même, à son corps, à son identité[1] ».
Pour désigner ce
« dérèglement », les Anglo-Saxons utilisent l’expression Altered State of Consciousness
(ASC), expression que l’on pourrait traduire littéralement par « état de
conscience altéré ». Toutefois, la plupart des auteurs francophones lui
ont préféré celle de modification, craignant que cette notion d’altération de
la conscience ne soit entendue comme un symptôme pathologique.
Vivre un autre rapport
au monde revient aussi à expérimenter une réalité différente de la réalité
ordinaire. Au niveau philosophique, cela nous oblige à nous interroger sur
qu’est la normalité : comment s’assurer de notre conscience ? Georges
Lapassade invite à se poser la question en ces
termes : « Qui, où et quand suis-je ? » Répondre à ces
trois éléments d’interrogation permet de prendre conscience de son statut
d’individu, dans un registre spatio-temporel en accord avec des repères communs
à l’ensemble de la société. En effet, ces repères – auxquels nous recourons
sans cesse – fondent le concept de la réalité ordinaire. Ils attestent en
quelque sorte de notre expérience subjective de cette réalité. En conséquence,
une variation, même infime, d’une réponse à la question « qui, où, quand
suis-je » suggèrera la présence d’un état modifié de conscience.
Les critères qui permettraient de catégoriser les états
modifiés de conscience ne sont pas faciles à établir, tant le phénomène est
vari able et ses caractéristiques
multiples.
Le chercheur Pierre Etevenon
distingue trois types d’EMC : « Les
états de conscience naturels, désignant l’éveil, le sommeil, le sommeil
paradoxal qui correspond le plus souvent à un vécu de rêve. Les états de
conscience altérés, regroupant les pathologies mentales et neurologiques, ainsi
que les intoxications sous drogue. Enfin, les états de conscience modifiés
volontairement, lors de méditations, relaxations, yoga, transe chamanique ou
mystique, expérience de mort imminente, ivresse des sommets ou des profondeurs[2]. »
Selon les critères normatifs en vigueur dans notre société,
on pourrait être amenés à considérer les EMC comme des formes d’états
psychotiques transitoires. Mais il faut être prudent face à ce parallèle avec
la folie, car lors de ces EMC, même les plus profonds, le sujet revient à la
réalité du groupe au terme de son expérience. En revanche, ce n’est pas le cas
du psychotique qui évolue, lui, dans une sorte d’état modifié de conscience
chronique et le plus souvent irréversible. La différence fondamentale entre un
épisode psychopathologique et un état modifié de conscience réside donc dans la
capacité de maîtrise du sujet.
Longtemps associés aux phénomènes paranormaux, les états
modifiés de conscience ont longtemps suscité l’aversion de la communauté
scientifique. C’est seulement à partir des années 1960 que les psychologues
américains ont repris et approfondi la notion d’ASC. « Cette notion s’est alors développée dans un
contexte de contre-culture et de révolution psychédélique. Elle se situe au
carrefour des recherches sur l’hypnose, les drogues, les techniques de
méditation », précise Georges Lapassade. Ce
courant, qui a changé le regard de la psychologie et de l’ethnologie classique,
n’a pas réellement trouvé d’échos favorables au sein de la recherche française,
encore très sceptique sur la question.
LA
MEDITATION, UN EVEIL DE L’ESPRIT, Jean
Diseroi
Des cliniciens de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris,
utilisent des outils thérapeutiques issus du bouddhisme. Des patients souffrant
de phobies ou de dépression s’initient ainsi aux techniques de la « pleine
conscience ».
« Je ne semble pas le porter sur moi lorsqu’on
me voit comme ça, mais je suis très névrosée. » Rien chez Florence[3]
ne laisse en effet penser qu’elle puisse souffrir d’une phobie sociale,
l’éreutophobie (la peur panique de rougir en public), une anxiété qu’elle
traîne depuis l’enfance et qu’elle a longtemps tenue secrète. Ce n’est qu’à
l’âge de 31 ans, alors que son nouvel emploi (conseillère de clientèle dans une
banque) rendait la situation intenable, qu’elle décide de consulter un
psychiatre. Après avoir suivi une psychothérapie classique, elle sent qu’il lui
manque encore « quelque chose ».
C’est à ce moment qu’elle rencontre Christophe André, psychiatre à l’hôpital
Sainte-Anne à Paris. Au sein du groupe que ce dernier a mis en place, elle
expérimente alors la méditation
« pleine conscience ».
Le « scanner du corps »
Depuis un an, Florence médite quotidiennement et en parle de
manière étonnamment rationnelle. Rien dans son expérience ne se rattache à la
prière, à l’extase ou à quelque état mystique. Méditer en « pleine
conscience », c’est simplement s’allonger et fermer les yeux en faisant
quelques exercices. Son préféré : le « scanner du corps », lors
duquel, tout en contrôlant sa respiration, elle passe en revue ses orteils,
pieds, jambes, etc. « Lorsque l’on
est concentré sur un membre, on le sent se réchauffer. On a l’impression que
l’on apprivoise son corps. » Une méditation « laïque »,
toute simple.
Une pratique qui, pour Florence, représente pourtant bien
plus qu’une philosophie de vie. Pour nous permettre de le comprendre, elle nous
raconte son histoire. La phobie sociale qui l’affecte n’est pas soudainement
arrivée : elle en souffre depuis qu’un oncle l’a agressée sexuellement
alors qu’elle avait 11 ans. « Chez
moi, ça a pris toute la place, un truc énorme. J’avais peur des autres, je
suspectais tous les hommes d’être pervers. » Aujourd’hui, elle dit
avoir pardonné, mais ses troubles auront structuré sa vie. Le monde du travail
aura ainsi été source d’une angoisse perpétuelle : « Je n’y allais jamais sans une épaisse couche
de maquillage. » Personne ne connaissait son problème, imperceptible
au quotidien tant elle est avenante et extravertie. Une personnalité qu’elle
qualifie elle-même de « contre-phobique ».
Un long apprentissage
Florence n’est pas un cas isolé. Les méditants
du groupe de l’hôpital de Sainte-Anne sont le plus souvent porteurs
d’ « une souffrance vraie »
- vraie parce que, selon Florence, « elle
empêche de vivre ». Pour Claire, autre membre du groupe, méditer c’est
lutter contre la dépression ; rien à voir avec la « détente » ou
du « lâcher prise ». « Lorsque
je méditais, je ressentais du vide. J’avais beaucoup d’angoisses et de pensées
morbides : quand je prenais conscience de petites douleurs dans la tête,
je pensais à des tumeurs, lorsque j’entendais les battements de mon cœur,
j’avais peur qu’il s’arrête. Il m’était difficile d’entrer dans de longues
méditations. » Des obstacles qu’elle a surmontés grâce à
l’apprentissage de la persévérance. Aujourd’hui, Claire parvient à mieux
relativiser le flot de pensées qui lui vient perpétuellement à l’esprit.
Pour Florence, méditer permet de ne pas étouffer au
quotidien. « Ces troubles ont
restreint ma vie. On finit par ne plus vivre qu’en fonction de ses peurs. »
Des peurs qui se manifestent dès qu’elle sort de chez elle. Elle répond
d’habitude à cette anxiété par la prise d’un tranquillisant. Cette année, lors
d’un séjour en cure thermale, elle s’est quotidiennement astreinte à une séance
de méditation. «Je n’ai pas pris un seul
anxiolytique pendant cette semaine. » Florence ne s’y trompe
pas : la méditation n’est pas une recette miracle, mais un entraînement de
l’esprit, grâce auquel la phobie et la dépression ne sont plus des fatalités.
Dans ses relations avec ses proches ou lors de simples balades, Florence mesure
au jour le jour les effets positifs de sa pratique. « Récemment, alors que je sortais d’une séance de théâtre
d’improvisation, je suis entrée dans les boutiques après avoir regardé les
vitrines. » Une petite chose qui, pour elle, n’est en rien
anodine : « Je ne l’aurais
jamais fait avant. La méditation est, pour moi, comme un éveil de l’esprit ».
Nourrir l’espérance
Florence en parle aussi comme d’une « ascèse », une « discipline », qui porte ses fruits
grâce à l’assiduité dont elle fait preuve et qui n’est pas sans rappeler
certaines formes de vie religieuse. Ả travers des lectures, des
conférences, Florence s’intéresse d’ailleurs à la philosophie bouddhiste :
« J’aime particulièrement l’idée de
l’impermanence, que tout ce qui se passe dans une vie est amené à évoluer. »
Une idée forte au regard de sa propre vie. L’impermanence, c’est peut-être déjà
celle de sa souffrance. On comprend que sa pratique est bien plus qu’une
version désenchantée de la méditation religieuse. Qu’elle est porteuse d’une
utopie – pas encore celle d’un autre monde-
mais celle d’une vie nouvelle et d’un rapport différent aux autres. Elle
nourrit une foi, une espérance. « Ce
que j’attends du bouddhisme, c’est d’intégrer une communauté bienveillante. »
La méditation laïque l’aura ouverte à une quête, spirituelle certes, mais
également religieuse – dans son sens étymologique, celui de « faire du
lien ».
LE POUVOIR
DES HALLUCINOGENES Entretien
avec le psychiatre Olivier Chambon[4]
, Propos recueillis par Sidonie Maurin
Ayahuasca,
LSD, psilocybine… Souvent diabolisés, les psychédéliques suscitent aujourd’hui
l’intérêt de nombreux chercheurs, qui leur reconnaissent un rôle thérapeutique
et une authentique dimension mystique.
Des
substances psychédéliques sont utilisées pour soigner des états dépressifs ou
d’alcoolisme profond. Comment agissent-elles ?
Les psychédéliques – communément appelés
PDL – ouvrent une porte vers l’inconscient. Mais ils ouvrent aussi des canaux
de perception supra-sensoriels permettant de vivre l’interconnexion de toutes
les consciences, de visiter des univers parallèles et de réaliser une
expérience mystique d’union avec le sacré. En 1962, une expérience s’était
donné pour but de voir si la psilocybine, le principe actif de champignons
hallucinogènes, pouvait être considérée comme une substance enthéogène
(étymologiquement, enthéogène signifie « qui
génère Dieu ou l’Esprit en soi ») pour des personnes ayant des
prédispositions religieuses – des étudiants en théologie. Les résultats ont été
probants : neuf étudiants sur dix ont relaté une profonde expérience
mystique. L’ouvrage de Robert Forte, Entheogens and the
Future of Religion (Coucil on Spiritual
Practices, 1997), compare l’expérience des mystiques réalisée par l’esprit et
les voyages mystiques sous psychédéliques, constatant qu’ils sont point pour
point identiques.
L’accès à
un état modifié de conscience (EMC) passe-t-il par la consommation de
substances ?
Les PDL sont l’une des possibilités
d’induire un EMC, mais ce n’est de loin pas la seule. Et lorsque c’est le cas,
l’accès à la dimension spirituelle dépend en partie du niveau préexistant de
préparation et de développement spirituel du consommateur. La méditation, les
prières, le tambour pour les chamanes permettent aussi d’accéder à une forme de
transcendance. La conscience de l’immanence, c'est-à-dire la présence de Dieu
et de l’esprit en toutes choses, est alors prégnante, rejoignant sur ce point
la tradition chamanique qui observe l’esprit dans les plantes, les ruisseaux…
Chaque branche mystique a ses propres moyens pour entrer en contact avec le
transcendant.
Les
analogies entre expériences psychédéliques et voyages chamaniques semblent
nombreuses.
Les chamanes voyagent entre la réalité
ordinaire et la réalité non ordinaire, sans s’y perdre. Ils entretiennent des
relations avec des esprits qui deviennent alors des alliés dans leur travail.
La médecine psychédélique rejoint le chamanisme dans la mesure où les PDL permettent
d’entrer en contact avec des mondes différents et de sentir des présences, des
existences séparées de notre conscience (des « entités »). Ces EMC
peuvent alors avoir des retombées dans le quotidien de chacun sous forme de synchronicité – ce qu’on a vu arrive plus tard – ou
d’informations obtenues auprès des esprits. Si le recours aux PDL devient légal
en France sur le plan médical , le protocole
clinique devra définir un encadrement strict du patient, par les biais de
chamanes et de médecins formés aux ingrédients de base.
Vous
évoquez une réalité sous-jacente à notre propre réalité. Que voulez-vous
dire ?
Toute personne faisant l’expérience
d’un EMC peut s’apercevoir qu’il existe bien d’autres niveaux de réalité que
celui que nous connaissons. Ces niveaux ont leur propre forme d’organisation
énergétique, sont peuplés de consciences autonomes, et peuvent interagir avec
notre réalité quotidienne. Nos cinq sens ne nous permettent que de voir la
réalité ordinaire, alors que notre conscience est une sorte de
« super-sens » qui nous permet d’avoir accès à ces autres niveaux.
Nous ne voyons qu’une infime partie de ce qui existe réellement : nous
sommes mentalement immergés dans une sorte de réalité virtuelle construite par
nos cinq sens. Les yogis disent que nous sommes dans un état de rêve dont il
faut apprendre à s’éveiller. De plus, nos sens nous trompent : par
exemple, nous avons l’illusion que la matière est pleine et solide, alors que
la physique quantique montre qu’elle est faite de vide à 99,99%.
L’utilisation
des PDL se situe aux antipodes de la pensée cartésienne…
Rappelons d’abord que les principales
découvertes de Descartes ont été faites au cours de trois célèbres rêves,
c'est-à-dire dans des états modifiés de conscience. Les exemples de découvertes
scientifiques majeures réalisées grâce aux expériences faites sous PDL sont
multiples : le codécouvreur de l’ADN, Francis Crick, a révélé qu’il
n’aurait pas pu réaliser sa découverte sans LSD, et Kary
Mullis utilisa lui aussi cette substance pour avancer
dans ses travaux sur les polymères, qui lui ont valu le prix Nobel. La
recherche a un travail énorme à mener pour rassurer les gens quant au bon usage
des PDL : ce sont tout sauf des substances réservées à une jeunesse en discothèque.
Utilisées dans un cadre médical approprié, les PDL ont un vrai rôle à jouer sur
le plan psychothérapeutique. Dans notre pays, les préjugés sont plus forts que
les faits. Il y a un décalage entre la France et d’autres pays, comme les
États-Unis, quant aux recherches portant sur les psychédéliques et d’autres
réalités spirituelles, telles que les expériences
de mort imminente (EMI)
Le
scientifique Benny Shanon a soulevé un tollé
lorsqu’il a avancé que Moïse avait présenté ses dix commandements sous l’effet
de puissants hallucinogènes.
Il a pourtant probablement raison. Des
recherches universitaires montrent que les principaux philosophes grecs ont
construit la pensée occidentale sur la base des révélations qu’ils ont eues
après avoir consommé des substances proches du LSD. Il se pourrait aussi que
les effets de deux champignons, le psilocybe et l’amanite tue-mouches, aient
joué un rôle fondamental dans la naissance des religions, notamment du
christianisme.
Le potentiel des PDL dans un monde en
perte de valeurs est très important. Ils ramènent à des valeurs humanistes, à
l’amour, au respect de la Terre et de tous les êtres, à une vie moins
matérialiste. Bien sûr, après un EMC induit par psychédélique, le plus dur
reste à faire : il faut intégrer ce que l’on a appris pour l’appliquer
dans notre vie quotidienne. Après avoir vécu une telle expérience, beaucoup de
gens vont entrer dans une approche spirituelle, se mettre au yoga ou à la
méditation.
[1] Georges Lapassade, États modifiés de la conscience (PUF, 1987)
[2] Pierre Etevenon et Bernard Santerre, États de conscience, Sophrologie et Yoga (Tchou, 2006)
[3] Le prénom a été changé
[4] Médecin psychiatre, Olivier Chambon est notamment l’auteur de la Médecine Psychédélique. Le pouvoir thérapeutique des hallucinogènes (Les Arènes, 2009) et de Le Chamane et le Psy (Mama éditions, 2010), coécrit avec Laurent Huguelit.