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Janvier 2015
LA RÉVOLUTION TRANQUILLE
DES ENFANTS DE
HIPPIES
Pascale KREMER et Catherine ROLLOT
UNE SOCIOLOGUE, FILLE DE
SOIXANTE-HUITARDS, EXPLORE L'IMPACT DES ÉVÉNEMENTS SUR SA GÉNÉRATION
Le
Monde
Samedi
15 Novembre 2014
Son
enfance à elle fut « un enchantement » qu'elle
se remémore en quelques mots , et en souriant. Une
ferme au pied du mont Ventoux, dans un petit village de la Drôme provençale.
Les chèvres, les fromages vendus au marché, la forêt comme liberté,
l'anticonformisme pour éducation. Devenue chercheuse en sociologie au CNRS,
Julie Pagis a voulu nuancer le portrait, trop souvent
dressé, d'une génération meurtrie d'enfants de soixante-huitards.
Son livre Mai 68, un pavé dans leur
histoire s'appuie
sur près de deux cents témoins dont les parents ont activement participé aux
événements. Désormais âgés de 33 à 47
ans, ils ne partagent pas tous, loin de là, le souvenir d'une enfance volée par
le militantisme de leurs parents. « Certains
ont souffert, c'est évident, mais ils ne sont pas majoritaires », assure
Julie Pagis, qui a d'abord soutenu une thèse sur le
sujet à l'EHESS. Mais tous demeurent très marqués par ces années entre Mao et
poncho.
La sociologue elle-même en fait la preuve,
qui se dit « produit de 68 », et a
dédié son livre « à Agnès et Jean-Jacques
», les parents qu'elle n'a jamais appelés qu'ainsi. La petite Julie aux
cheveux courts qui aimait tant conduire les tracteurs, « gosse de hippies sentant le chèvre et pleine
de poux » pour ses camarades de classe, a fait de sa différence une force.
Entrée première à l'École normale supérieure, en biologie, elle n'a pas hésité
à sortir de ce chemin tout tracé. « Mes
parents ont été ingénieurs agronomes, puis paysans. Ils m'ont transmis cette
capacité à faire un pas de côté. Je ne me voyais pas en scientifique dans sa tour d'ivoire. » Quête
de sens, et bifurcation vers la sociologie pour mettre en lumière ces « tiraillements » que les descendants de
soixante-huitards ont tous eu à gérer, tant était fort le décalage entre
éducation reçue des parents et normes de la société.
Tous ne partagent pas le souvenir d'une enfance volée par le
militantisme de leurs parents.
Entre deux extrêmes
« Comment trouver une place sans renier sa
famille ? Comment s'insérer dans une société qu'ils ont appris à dénoncer ? » Les
questions sont partagées, les réponses différentes, à en croire Julie Pagis. Certains ont rejeté en bloc l'héritage de 68,
reprochant à leurs parents de les avoir laissés livrés à eux-mêmes, au point de
rompre tout contact avec eux, une fois adultes. À 6 ans, après avoir avalé
seuls le chocolat laissé dans une Thermos, ils traversaient tout Paris pour
rejoindre leur école alternative, parfois en pyjama et sans cartable, et
partaient en classe de découverte dans l'usine occupée de Lip.
« Cette enfance-là, on ne s'en remet pas.
Les adultes réinventaient le monde, centrés sur eux-mêmes. Nous, nous étions
posés là, aux premières loges de leurs disputes, de leur vie sexuelle. Il
fallait savoir se débrouiller », raconte Sarah, encore traumatisée à 49
ans. Enseignante, mariée, « mère poule » de
trois enfants, qui ont fréquenté l'école privée et dont elle suit de très près
les études, elle incarne ceux qui n'aspirent qu'à la normalité après s'être
sentis cobayes d'une expérimentation politique.
D'autres tentent de prolonger les utopies de
leurs parents. En décalage, depuis leurs jeunes années, avec la société, ils
investissent des territoires à la marge. Néoruraux,
altermondialistes, « punk de culture
électronique, en combat contre les lobbies », comme s'autoanalyse Fanny, 43
ans, sans enfants ni cheveux sur le crâne, «élevée
dans la critique du capitalisme et la détestation du travail, cet esclavage ». Elle
s'est inventé une « activité, surtout pas
un métier » de vidéo projectionniste à domicile, mais vit du RSA en
Bretagne.
Entre ces deux extrêmes, la masse des
enquêtés. La plupart des descendants interviewés par la sociologue ont
simplement intégré dans leur vie l'héritage de 68 en se ménageant des espaces
de liberté ou en occupant des fonctions qui se prêtent à réflexion sur la
société. Ils sont chercheurs, travailleurs sociaux, enseignants, journalistes.
Ou boulanger bio coopératif à Montreuil ( Seine-Saint-Denis
), comme Thomas, qui remercie ses parents trotskistes de n'avoir « jamais sorti le martinet, contrairement aux
voisins qui me paraissaient extraterrestres ».
Sébastien,
maître de conférences en psychologie à Nanterre ( Hauts-de-Seine
), a apprécié la « liberté de pensée, de
sortir des cadres ». Jusqu'à pouvoir obtenir de ses géniteurs inscrits à la
LCR la même tenue de CRS que ses copains, à Noël, et encore les cours
d'équitation, loisir pourtant jugé « bourgeois ». «On a bénéficié de leurs avancées sociétales, « Ils étaient courageux
dans la défense de leurs idées », vantent les deux hommes.
Ouverture au monde et à la culture,
sensibilité environnementale, féminisme, critique du consumérisme : les
militants de 68, qui cherchaient à rompre avec les mécanismes de reproduction
sociale, ont beaucoup transmis à leurs descendants .
Julie Pagis s'est même étonnée de la proximité des
deux générations quant à leur positionnement politique. Parents
comme enfants, aux deux tiers, se situent à la gauche de la gauche. Parmi les
enquêtés, seuls deux sur 180 assument la rupture et se revendiquent de droite
ou de centre droit.
Plus favorables au mariage, plus
réservés sur les expériences de liberté sexuelle, plus confiants dans les
institutions, les descendants, échaudés par l'échec des combats révolutionnaires, ont hérité d'une volonté
d'engagement qui s'exprime dans des causes plus ciblées. « J'ai un DEA de génie mécanique, confie le boulanger de Montreuil. J'aurais pu fabriquer des missiles ou des
voitures. Dans notre boulangerie autogérée, nous essayons de travailler
autrement : nous vendons la baguette de tradition bio à 1euro, et même moins
pour ceux qui ont peu de moyens, nous donnons les invendus aux familles sans
argent de la cité.» Lui s'occupe de la fabrication. Lorsqu'il est au
comptoir, il ne se souvient jamais des prix.
Pascale Krémer et Catherine Rollot.
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Mai 68, un pavé dans leur histoire, de Julie
Pagis, Presses de Sciences Po, 339 p, 22 euros.
Sur Lemonde.fr, retrouvez M Le Mag/Perso
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ENFER OU
PARADIS, À CHAQUE JUMEAU
SA VISION
Max et Naïma ont partagé leurs jeunes années, les
mêmes parents engagés dans la révolte étudiante de Mai 68 et dans les utopies
communautaires. Ils sont jumeaux. À les entendre décrire une réalité si
différente, on peine à le croire.
Max, organisateur d'un festival de hip-hop,
a eu « une enfance heureuse,
épanouissante, dans la liberté mais aussi la responsabilisation » . Sa sœur Naïma, jardinière
pour une collectivité locale, s'est sentie «
seule »,avec
des parents « préoccupés par leurs
engagements politiques et leurs études, qui sortaient le soir, et nous
laissaient nous débrouiller » .
Les jumeaux,
désormais quadragénaires, ont connu la crèche et l'école maternelle de
l'université de Vincennes, où leur père tentait de conjuguer études de
psychologie, anarcho-syndicalisme et ésotérisme bouddhiste. « Dès la maternelle, je pouvais décider de
dormir chez un copain sans prévenir », raconte Max, passé expert dans l'art
de s'échapper de toutes les écoles fréquentées.
Pour changer le
monde, ses parents avaient changé leur vie, devenue communautaire. « On avait trois pères, trois mères », se
souvient celui dont le prénom fut voté en assemblée générale, et qui n'a jamais
prononcé le mot « maman » ni « papa ». « Encore
aujourd'hui, la famille, comme entité primaire dans la vie ,
est absente de ma logique. J'ai dû me pacser pour un achat, je l'ai vécu comme
une défaite sociale. »
Contre tous les « diktats »
Max se sait « modelé » par 68. Il vote à gauche, exerce son
sens critique sur « tous les diktats, idéologiques ,religieux, familiaux, commerciaux ». Privilégie
le plaisir à la carrière et au salaire, en exerçant dans un cadre associatif.
Naïma
aurait aimé avoir ce tempérament extraverti qui a permis à son frère de se
trouver des familles de substitution, « celles
des copains ». Elle s'est contentée de la sienne, du face-à-face avec ses
cahiers d'écolière et des vêtements des cousins. « Quand je disais qu'ils ne me plaisaient pas, mon père me traitait de
bourgeoise.»
À 5 ans, elle traversait
déjà le 20° arrondissement à pied, avec son frère, pour rejoindre son école
expérimentale. L'année suivante, sa mère lit une annonce dans Libération. « Une école allait fermer, dans
un village de montagne, des familles proposaient de prendre des enfants en
pension.» Son frère refuse, elle accepte. « J'y ai passé trois années, ça a été une bonne expérience, mais j'en ai
un peu voulu à mes parents de me l'avoir proposé. Je me suis sentie
abandonnée.»
Notamment ce jour – à
7 ou 8 ans – où sa mère au départ du train, la confie à une passagère qui
oublie de lui rappeler de descendre. «
J'ai été récupérée au terminus par les contrôleurs … » De cette enfance, Naïma a gardé « quelques
valeurs », un vote à gauche, des rapports « tendus » avec ses parents et de solides principes éducatifs. « Mon enfant est toujours accompagné, je suis
ses devoirs. Il est inscrit au conservatoire.»
P.
KR.