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Septembre 2011
DES ANIMAUX DOUES D'EMPATHIE
Pierre
Le HIR
Le
Monde
Samedi
27 Février 2010
Ethologie Loin d'être le propre de l'homme, le souci de
l'autre est partagé par les grands singes, les éléphants et d'autres
mammifères. Comme l'esprit de compétition. Une leçon de vie du primatologue
Frans de Waal.
C'est une
scène de la vie ordinaire. Une aveugle, désorientée, cherche son chemin. Une
voyante vient à son secours, la guidant de la voix. L'infirme la remercie par
de bruyantes effusions. Scène ordinaire, à cela près qu'elle se passe en
Thailande, dans un parc naturel et que les deux protagonistes sont des
éléphantes. Cet exemple est l'un de ceux dont fourmille le nouveau livre de
l'ethologue Franz de Waal, spécialiste des primates et professeur de
psychologie à Atlanta (Géorgie). Intitulée l'Age de l'empathie, cette
passionnante leçon de choses, bousculant
les frontières entre l'homme et l'animal, est aussi un plaidoyer pour le
« vivre-ensemble » l'usage de nos sociétés.
« La cupidité a vécu, l'empathie est de mise, proclame l'auteur. Il nous faut entièrement réviser
nos hypothèses sur la nature humaine ».
A ceux, économistes ou responsables
politiques, qui la croient régie par la seule lutte pour la survie – et, selon
l'interprétation dévoyée que le darwinisme social a donnée de la théorie de
l'évolution, par la sélection des individus les plus performants-, il oppose un
autre principe tout aussi actif que la compétition: l'empathie. C'est-à-dire la
sensibilité aux émotions de l'autre. Une faculté compassionnelle, qui, loin
d'être l'apanage de l'homme, est partagée par de nombreux mammifères, à
commencer par les primates, les éléphants et les dauphins. Et qui, de surcroît,
est vieille comme le monde.
On a vu, dans un zoo, une tigresse du Bengale nourrir des porcelets.
Dans ses
formes le plus rudimentaires, ou les plus archaïques, elle se manifeste par
l'imitation, ou la synchronisation des comportements: de même que nous
applaudissons sur le même tempo que nos voisins à la fin d'un concert, que deux
promeneurs accordent la longueur de leurs pas, ou que des vieux époux finissent
pas se ressembler, un attelage de chiens de traîneau se meut comme un corps
unique, un chimpanzé bâille à la vue d'un congénère se décrochant la mâchoire,
et rit quand l'autre s'esclaffe. Mieux, cette contagion franchit la barrière
des espèces: ainsi un singe rhésus bébé reproduit-il les mouvements de la
bouche d'un expérimentateur humain.
Mais l'empathie a des expressions
plus élaborées. Dans le parc national de Thaï, en Côte d'Ivoire, des chimpanzés
ont été observés léchant le sang de compagnons attaqués par des léopards, et
ralentissant l'allure pour permettre aux blessés de suivre le groupe. Dans la
même communauté ont été décrits plusieurs cas d'adoption d'orphelins par des
adultes femelles, mais aussi par des mâles. Une sollicitude qui peut sembler
naturelle pour des animaux sociaux, qui
trouvent un intérêt collectif à coopérer.
Comment l'expliquer, toutefois,
lorsque l'individu n'a rien à gagner à un comportement empathique, qui devient
alors proprement altruiste? Une expérience a montré que des singes rhésus
refusaient, plusieurs jours durant, de tirer sur une chaîne libérant de la
nourriture si cette action envoyait une décharge électrique à un compagnon dont
ils voyaient les convulsions. Préférant ainsi endurer la faim qu'assister à la
souffrance d'un semblable.
Autoprotection contre un spectacle
dérangeant? Mais pourquoi, alors, un singe capucin de laboratoire ayant le
choix entre deux jetons de couleurs différentes, dont l'un lui vaut un morceau
de pomme tandis que l'autre garantit également cette récompense à un
partenaire, opte-t-il pour le jeton assurant une gratification commune? Mieux,
pourquoi un chimpanzé ouvre-t-il une porte dont il sait qu'elle donnera accès à
de la nourriture à un congénère , mais pas à lui-même?
Pour Franz de Waal, la réponse tient en un mot:
l'empathie, précisément ou le souci du bien-être d'autrui. Même lorsque cet
autre n'appartient pas à la même espèce que soi.
On a vu, dans un zoo, une tigresse du Bengale
nourrir des porcelets. Un Bonobo hisser un oiseau inanimé au sommet d'un arbre
pour tenter de le faire voler.
Ou un
chimpanzé remettre à l'eau un caneton malmené par de jeunes singes.
Dans ses formes les plus simples
« la sympathie » animale -terme employé par Darwin lui-même- ne
mobilise nullement des capacités cognitives complexes, réputées propres à
l'homme. Elle met en jeu, décrit l'éthologue, de purs mécanismes émotionnels.
Des souris se montrent ainsi plus sensibles à la douleur quand elles ont vu
souffrir d'autres souris dont elles sont familières. En revanche, des processus
cognitifs entrent en jeu pour des modes de compassion plus complexes,
nécessitant de se mettre à la place de l'autre. Comme lorsqu'un chimpanzé
délaisse ses occupations pour venir réconforter un congénère molesté lors d'une
rixe.
La compassion prendrait ses racines dans un processus
évolutif lointain, à une période bien antérieure à l'espèce humaine, avec
l'apparition des soins parentaux.
« Pendant 200 millions d'années
d'évolution des mammifères, les femelles sensibles à leur progéniture se
reproduisirent davantage que les femelles froides et distantes. Il s'est
sûrement exercé une incroyable pression
de sélection sur cette sensibilité », suppose le chercheur. Voilà
pourquoi les mammifères, dont les petits, allaités, réclament plus d'attention
que ceux d'autres animaux, seraient les plus doués d'empathie. Et les femelles,
davantage que les mâles. Un trait que partageaient peut-être les derniers
grands reptiles. Ce qui expliquerait pourquoi certains oiseaux -probables
descendants des dinosaures- semblent eux aussi, faire preuve de commisération.
Le rythme cardiaque d'une oie femelle s'accélère ainsi, battant la chamade,
quand son mâle est pris à partie par un autre palmipède.
L'éthologue ne verse pas pour autant
dans l'angélisme. Comme pour les autres animaux, « il existe chez l'homme un
penchant naturel à la compétition et à l'agressivité ». Mais sa propension à la compassion est « tout
aussi naturelle ».
Reste que
l'empathie n'est pas toujours vertueuse. C'est aussi sur la capacité à
ressentir les émotions d'autrui que se fondent la cruauté et la torture.
« L'Age de l'empathie, leçons de la nature pour une société solidaire », éditions Les liens qui libèrent. 2010.392p. 22,50 euros
Des rouages biologiques
mal connus
Sujet longtemps tabou, l'empathie
animale fait aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches, portant notamment
sur ses mécanismes neurobiologiques. Rien de commun, en effet, avec le jeu des
phéromones qui règle la vie des insectes sociaux comme les abeilles ou les
fourmis. Ni même avec le bénéfice coopératif qui pousse les loups à chasser en
meute, ou les poissons à se regrouper en banc pour échapper à leurs prédateurs.
Dans les formes les plus élaborées
d'empathie, supposant que le sujet adopte le point de vue de l'autre, Franz de
Waal fait l'hypothèse de la « coémergence »
de facultés cognitives complexes, dont la pierre de touche est l'aptitude à se
reconnaître dans un miroir. Une capacité qu'acquièrent les petits d'homme vers
l'âge de 2 ans, et que possèdent aussi les grands singes, comme les chimpanzés
ou les bonobos. Mais dont sont dépourvus les petits singes, les chiens ou les
chats.
Des expériences ont mis en évidence
que les dauphins passent davantage de temps devant leur reflet, lorsqu'une
marque a été dessinée sur leur corps, alors qu'ils se désintéressent de l'image
d'autres dauphins pareillement marqués. Signe qu'eux aussi se reconnaissent.
Des éléphants d'un zoo new-yorkais ont également passé, avec succès, le test du
miroir; « La conscience de soi va de pair avec une forme poussée d'empathie »,
suggère le chercheur.
Cette double conscience, de soi et
de l'autre, pourrait être liée à des cellules nerveuses particulières, les
neurones von Economo (du nom du neurologue autrichien qui les a découverts),
présentes en petit nombre dans le cerveau des hominidés, c'est-à-dire des
humains et des grands singes, mais absentes chez les autres primates. En effet,
une lésion des régions cervicales abritant ces neurones provoque, chez l'homme,
une perte de certaines facultés, dont précisément l'empathie et la
reconnaissance dans un miroir. Or, récemment, les mêmes cellules nerveuses ont
été trouvées chez deux autres espèces de mammifères, les dauphins et les
éléphants. Le lien entre ces neurones et l'empathie demeure toutefois
spéculatif.
Autre piste: les neurones
miroirs, activés non seulement quand un individu accomplit une
action (comme tendre le bras vers un objet), mais aussi lorsqu'il voit un autre
individu exécuter le même geste. Ces éléments du système nerveux, découverts dans les années 1990 chez les
petits singes comme les macaques, semblent ainsi jouer un rôle dans les
relations sociales et les processus affectifs. Mais leur présence chez l'homme
n'est pas démontrée.
P.L.H.